@prefix ns0: . @prefix edm: . @prefix dcterms: . @prefix dc: . @prefix skos: . ns0:identifierAIP "34c3db69-1b7c-4b6b-ab4a-c6103bbfb93a"@en ; edm:dataProvider "CONTENTdm"@en ; dcterms:alternative "[A voyage to the Pacific Ocean : undertaken, by the command of His Majesty, for making discoveries in the Northern hemisphere, to determine the position and extent of the west side of North America, its distance from Asia, and the practicability of a northern passage to Europe. Performed under the direction of Captains Cook, Clerke, and Gore, in His Majesty's ships the Resolution and Discovery, in the years 1776, 1777, 1778, 1779, and 1780]"@en ; dcterms:isReferencedBy "http://resolve.library.ubc.ca/cgi-bin/catsearch?bid=386256"@en ; dcterms:isPartOf "British Columbia Historical Books Collection"@en, "Troisième voyage de Cook"@en ; dcterms:contributor "Démeunier, M. (Jean Nicolas), 1741-1814"@en, "Clerke, Charles, 1741-1779"@en, "Gore, John"@en ; dcterms:creator "Cook, James, 1728-1779"@en ; dcterms:issued "2017-02-21"@en, "1785"@en ; dcterms:description "\"Translated by J.N. Démeunier with additions from the journal of William Anderson, ref. British Museum Catalogue.\" -- Strathern, G. M., & Edwards, M. H. (1970). Navigations, traffiques & discoveries, 1774-1848: A guide to publications relating to the area now British Columbia. Victoria, BC: University of Victoria, p. 64."@en, ""@en ; edm:aggregatedCHO "https://open.library.ubc.ca/collections/bcbooks/items/1.0342836/source.json"@en ; dcterms:extent "512 pages ; 21 cm"@en ; dc:format "application/pdf"@en ; skos:note """ TROISIÈME VOYAGE DE COOK, ' ° U VOYAGE A L'OCÉAN PACIFIQUE, ORDONNÉ PAR LE ROI D'ANGLETERRE. TOME SECOND. B9B TROISIÈME VOYAGE | DE COOK, O u VOYAGE A L'OCÉAN PACIFIQUE, ORDONNÉ PAR LE ROI D'ANGLETERRE > Pour faire des Découvertes dans THémisphere Nord * pour déterminer la pofîtion & l'étendue de la Côte Oueft de I'Amérique Septentrionale, fa diftance de TAsie, & réfoudre la queflion du PafTage au Nord, execute fous la direction des Capitaines Coo ks Clerke & Gore ) fur les Vaijfeaux la Réfolution & la Découverte, en 1776,1777* î77$j z779 &< 1780, TRADUIT DE I/ANGLOIS, PAR M. d ******?* ssïSÊSssseÊSÊEas TOME SECOND. A P A R IS, HOTEL DE THOU, RUE DES POITEVINS. M. D C C L X X X V. A VEC APPROBATION ET PRIVILEGE BU ROI. _W M /$"o il ? F A ;« VOYAGEf A LA MER PACIFIQUE. ±±&!"&^>*^~ ï^*â$^te SUITE DU LITRE SECOND, CHAPITRE IX. J)efcription d'une grande Fête, appelles Natche, relative au Fils du Roi. Procef fions & autres cérémonies- qui eurent lieu le premier jour. Nuit pajfée dans la Maifon du Roi. Continuation de la Fête le lendemain. Conje&ures fur fort vbjet. Départ de Tongataboo & arrivée à Eooa. Defcription de cette Ifle ^ & récit de ce qui nous y arriva. N, ous étions prêts à appareiller de Tonga- z taboo ; mais le vent foufflant de la partie de FEft, 1777. le jour ne devoit pas durer aflez long-temps, Juillet» $pour débouquer les j>afles, avec la marée du ma- 6. un, ou avec celle du foir; i'uae finiflbit trop Tome IL A *777- 7* a T R O.I .S I E M E V O Y AG E tôt, & l'autre trop tard, & à moins qu'il ne furvînt un vent très-bon, je fentis qu'il faudrok Juillet, attendre deux~éu trois jours. Ce délai me caufa d'autant moins de regrets, gué je féfbjlus; d'affiljer I une gmnde fête fixée pour le 8, à laquelle le Roi nous avoit invités, lorfqûé nous allâmes lui faire notre dernière vî- fite. Il quitta notre voifinage le 7, & il fe rendît, ainfi que tous les Infulaïres d'un rang diftin- gué, à M&m-j où les cérémonies dévoient fe paflèr. Plufieurs d'entre nous le fuivirent le lendemain. D'après ce que Poulaho nous avoit dit, nous jugeâmeêi'^ue fon fils , l'héritier préfomptif de la.Couronne* alloit être revêtu folemnelle- înent de certains privileges, & en particulier de celui de manger avec fon père : honneur dont il n'avoit pas encore joui- Nous arrivâmes à Mooa fur les huit heures, & nous trouvâmes le Roi dans un enclos fi petit & fi fale, que je fus étonné de voir un lieu auffî mal-propre, dans cette partie de rifle..Un grand nombre d'Infulaires étoient affis devant lui. Ils fe livroient aux foins qui les occupent ordinairement le matin; ils préparaient un bowl de Kava. Sur ces entrefaites, nous allâmes faire une vifite à quelques - uns de nos Amis, & bbferver les préparatifs de la cérémonie qui deyoit bientôç ■W D E C O O K. 3 commencer. A dix heures, les Naturels s'afïèm- blerent au milieu d'une prairie, qui eft en face du Malaee<> ou du grand édifice auquel on nous .avoit conduits, quand nous allâmes à Mooa pour la premiere fois. Nous apperçûmes, à l'extrémité de l'un des chemins, qui débouchenc dans cette prairie, des hommes armés de piques & de mafTues ; ils récitoient ou chantoient conf- tamment une petite phrafe., fur un ton pleureur qui annonçoit la détreffè, & qui fembloit demander quelque chofe. Ces phrafes de récitatif ou de chant, fe continuèrent pendant une heure : durant cet intervalle, une multitude d'Infulaires arrivèrent par le chemin dont je viens de parler; chacun d'eux apportoit une igname attachée au milieu d'une perche, qu'il dépofa aux pieds de ceux qui pfalmodioient fi triftement. Le Roi & le Prince arrivèrent également, & s'afiirent fur la prairie; on nous pria de nous aflèoir à leurs côtés, mais d oter nos chapeaux & de délier nos cheveux. Tous ceux qui apportaient des ignames étant arrivés, chacune des perches fut relevée & portée fur les épaules de deux hommes. Après s'être formés en compagnies de dix ou douze, ils traverferent le lieu de la fcene d'un pas preffe; les compagnies étoient conduites par un guerrier armé d'une maflue ou d'une épée, & A % 1777* Juillet. /Hm I A777. Juillet, 4 Troisième Voyage gardées à droite par plufieurs autres qui avoient différentes armes. Un Naturel, portant fur une perche un pigeon en vie, terminoit la proceffion compofée d'environ deux cents cinquante per- fonnes. Je chargeai Ornai de demander au Chef, où l'on portoit les ignames avec tant d'appareil : le Chef ne fe fouciant pas de fatisfaire notre curiô- fké, deux ou trois d'entre nous fuivirent la proceffion contre fon gré. Les Infulaires s'arrêtèrent devant le Morai ou le Fiatôoka {a} d'une maifon , fituée fur une petite montagne éloignée d'un quart de mille du lieu où ils fe raf- femMerent1 d'abord. Us y dépoferent les ignames, dont ils formèrent deux tas; mais j'ignore quelle étoit leur intention* Comme notre pré- fence fembloit les gêner, nous les quittâmes, & nous retournâmes auprès de Poulaho, qui nous dit de nous promener dans les environs, parce qu'il y auroit un entr'aéte de quelque durée. Nous nous éloignâmes peu, & notre promenade ne fut pas longue ; nous craignions de perdre une partie de la cérémonie. Lorfque nous rejoignîmes le Roi, il m'engagea à ordonner aux {a) Ceft le Fiatôoka dont M, Anderfon a parlé, Voyez Tosn I» pag. 469. âa D E C O O K. 5 Matelots de ne pas fortir du canot; il ajouta r***»*^ que chaque chofe feroit bientôt Taboo, fi l'on 1777. rencontroit ,dans la campagne quelques-uns de Juillet. mes gens ou des fiens ; qu'on les renverferoit à coups de maflùes, & même qu'ils feroient Ma- tced) c'eft-à-dire , tués. Il m'avertit auffi que nous ne pouvions pas nous trouver parmi les Aéteurs de la cérémonie, mais qu'on nous mènerait dans un lieu d'où nous verrions tout ce qui fe paflèroit. Notre vêtement fournit à Pou- laho un premier prétexte pour nous exclure ; il dit que fi nous voulions affilier à la cérémonie, il fàudroit avoir la partie fupérienre du corps découverte jufqu'à la poitrine, ôter nos chapeaux & délier nos cheveux. Omaï répondit qu'il fe conformerait aux uiages du pays, & il commença à fe déshabiller. Le Prince imagina enfuite d'autres prétextes, & Ornai fut exclus auffi-bien que nous* Cette défenfe ne me convenoit pas trop, & je m'éloignai pour quelques momens, afin de découvrir ce que vouloient faire les Infulaires. J'ap- perçus peu de monde dans la campagne, excepté les hommes vêtus pour la cérémonie ; quelques- uns d'entr'eux portoient des bâtons d'environ quatre pieds de longueur, au-deflbus defquels étoient attachés deux ou trois morceaux de bois, de la groflèur du pouce, & longs d'un demi- A 3 I fia m w 6 Troisième Voyage ^^f^? pied : îls'alloient au Morai, dont je parlois tout- 1777. à-Pheure. Je pris le même chemin, & je fus Juillet, arrêté plufieurs fois par leurs cris de Taboo ; je continuai cependant ma route, fans trop m'oc- cuper de leurs cris, jufqu'au moment où je vis le Morai & les Infulaires qui étoient affis devant la façade : on me preffà alors très-vivement de rétrograder ; & ignorant quelles feroient les faites de mon refus, je revins fur mes pas. J'a- vois obfervé que les Naturels, chargés des bâtons de quatre pieds, dépaflbient le Morai ou le temple ; je crus, d'après cette circonftance, qu'il fe paflbit derrière cet édifice, des chofes qui méritoient d'être examinées : je formai le projet de m'y rendre par un détour; mais je fus fi bien furveillé par trois hommes, que je ne pus exécuter mon deflein. Cherchant à tromper ces fentinelles, je retournai au Malaee, où j'avois îaifie le Roi, & je m'évadai une féconde fois ; mais je rencontrai bientôt mes trois hommes, enforte qu'ils me parurent chargés d'épier tous mes mouvemens. Je ne fis' aucune attention à leur démarche ou à leur propos, & je ne tardai pas à appercevoir le principal Fiatôoka ou Morai du Roi que j'ai déjà décrit. (^) Une {a) Voyez Tom. I, pag. 471, BE COO |C| 7 multitude dinfulaires .étoien£. affisr devant cet édi- ■- <■■ fice ; c'étoientjles Natifs que j'avais vu 4ej^8f J777- l'autre Morai, placé k fe^ld^^i^i^e de cçlui-ci. Juillet. - Comme je -pogspis les obferver dgyfei plantation du Roi, je m'y rendis, à la grande fatisfa&ion de ceux qui ni'aceôi|ipagnoieQt. > Dès que j'y fus entrée je i&c§ntai ce qne;jV vois vu, à ceux de nos Meffieurs qui s'y trou-? voient, & nous nous gfeçâmes gîe manière à bim examiner- la fuite de la çérétrioftiê.: Le nombre des Naturels, qui ocçupoient le Fiatôoka, continua pendant quelque temps à augmenter; ils quittent enfin leurs fieges, & iïq fe mirent en b^Q&%$ ils marchoient en couple^ l'un, après l'autre. Les deux Naturels qui formoient un coupk,portoiententr'eux,itefeurs épaules, un des bâtons dïfHf j'ai parlé : on nous dit que les petits morceaux de bois attachés au milieu, étoient des ignames; il eft vraifemblalplp queilg Naturels emploient des morceaux de bois, pour emblèmes de ces ratifiées. Le fécond de chaque couple plaçok communément une de fes mains au milieu du bâton, comme fi cet appui eût été nécçflàire pour l'empêcher de rompre fous le poids ; ils affeéioienr auffi de marcher courbés, comme s'ils eulîènt été accablés par la pefan- teur d'un fardeau. Nous comptâmes cent huit A 4 8 Troisième Voyage ■ couples-; les hommes qui les compofoient, étoient 1777. tous, ou te'pfttfiart, d'un rang diftingué. Ils Juillet, vinrent très-près de la haie, derrière laquelle nous nous trouvions, & nous les vîmes fort à notre aile* J|| Lorfqu'ils eurent tous défilé devant nous, nous retournâmes à la maifon de Poulaho. Ce Prince fcrtoit; on ne nous permit pas de le fuivre, & on nous mena fur le champ à l'endroit qu'on nous deftînoît, c'eft-à-dire-, derrière une paiiflade, voifinc de la prairie du Fiatôoka^ où l'on avoit dépofé" les ignames le matin. Comme nous n'étions pas les feuls exclus de la cérémonie , & qu'on fou (Trait à peine que nous la re- gardaffions en cachette, il arriva près de nous un aflèz grand nombre d'Infulaires : j'obfervâi que les enclos des» environs étoient d^illéurs- remplis de monde. Mais on avoit pris tous les foins imaginables , pour nous mafquer la vue ; non-feulement on avoit réparé les paiifiàdes dans la matinée , on en avoit élevé prefque par-tout de nouvelles, d'une fi grande élévation, qu'un homme de la plus haute taille ne pouvoit voir par-deflus. Nous ne craignîmes pas de faire des trous dans la haie avec nos couteaux; & de cette manière, nous obfèrvâmes allez bien tout ce qui fe paflbit de Pautre côté. DE COO K# 9 Lorfque nous nous portâmes derrière la haïe, deux ou trois cents perfonnes étoient affifes fur l'herbe, près de Pextrémité du fentier, qui dé- bouchoit dans la prairie du Morai; d'autres, en plus grand nombre, ne tardèrent pas à les veniit joindre. Nous vîmes auflî arriver des hommes portant de petits bâtons, & des branches ou des feuilles de cocotier : dès qu'ils parurent , un vieillard s'affit au milieu du chemin, & les regardant en face, il prononça un long difcours fur un ton férieux, Il fe retira enfuite, & les In- fulaires, dont je viens de parler, s'avancèrent vers le centre de la prairie, & élevèrent un petit hangar. Quand ils eurent achevé cet ouvrage, ils s'accroupirent un moment; ils fe relevèrent, & ils allèrent fe placer parmi le refte de la troupe. Bientôt après, le fils de Poulaho entra, précédé de quatre ou cinq Infulaires; il s'affit avec fon cortege , derrière le hangar un peu de côté. Douze ou quatorze femmes du premier rang fe montrèrent; elles marchoient lentement deux à deux, & elles portoient une piece étroite d'étoffe blandie, de deux ou trois verges de longueur, étendue dans l'intervalle qui féparoit les deux perfonnes de chaque couple. Elles s'approcheront du Prince ; elles s'accroupirent devant lui ; &, ayant mis autour de fon corps quelques- *777- Juillet., y \\k to Troisième Voyage y unes des pieces d'étoffe qu'elles apportoient, ^777- elles fe relevèrent : elles fe retirèrent dans le Juillet, même ordre, & elles suffirent à une certaine diftance fur fa gauche. Poulaho lui-même parut, précédé de quatre hommes qui marchoient deux* à deux, & qui suffirent à environ vingt pas, & à la gauche de fon fils. Le jeune Prince quitta alors la premiere place, il alla s'aiîèoir avec fon efcorte fous le hangar; & un nombre considérable d'autres Infulaires s'affirent fur l'herbe, devant le Pavillon Royal. Le Prince regardoït le peuple, & avoit le dos tourné au Morai. Trois compagnies de dix ou douze hommes chacune, fortirent Pune après l'autre du milieu du grouppe le plus nombreux ; &, courant avec précipitation au côté oppofé de la prairie, elles s'affirent durant quelques fécondes ; elles retournèrent enfui- te, de la même manière, à leur premiere place. Deux hommes, qui tenoient un petit rameau vert à la main, fe levèrent & s'approchèrent du Prince ; ils s'affirent quelques fécondes, à trois reprifes différentes, à mefure qu'ils avancèrent, & ils le retirèrent dans le même ordre : nous obfervâmes qu'ils penchèrent leurs rameaux les tins vers les autres, tant qu'ils furent affis. Peu de temps après, un troïfieme & un quatrième Infulaires répétèrent cette cérémonie. D E C O O K. II La grande proceffion que j'avois vu fe mettre en marche de l'autre Morai, arriva à cette époque. Si l'on juge du détour qu'elle fit, par le temps qu'elle employa, il dut être confidérable. Dès que les hommes qui la compofoient eurent atteint la prairie, ils s'avancèrent à droite du hangar. Après s'être proftemés fur le gazon, ils dépoferent leurs prétendus fardeaux ( les bâtons dont j'ai déjà parlé) & ils regardèrent le Prince. Ils fe relevèrent, ils fe retirèrent dans le même ordre, en joignant leurs mains, qu'ils te- noient devant eux de Pair le plus férieux, & ils s'affirent fur les bords de la fcene. Tandis que cette bande nombreufe défiloit, & dépofoit fes bâtons > trois hommes, affis fous le hangar avec le Prince , prononcèrent des phrafes d'un ton langoureux. Ils gardèrent un filence profond durant quelque temps ; enfujte un homme affis au front de la prairie, commença un difcours , ou une prière, pendant laquelle il alla, à plufieurs reprifes, brifer un des bâtons apportés par ceux qui étoient venus en proceffion. Lorfqu'ii eut fini, la troupe affife devant le hangar, fe fér para pour former une haie, à travers laquelle le Prince & fa fuite paiîèrent; & Paflèmblée fe «difperfa. Quelques-uns d'entre nous, fatisfaits de ce 1777. Juillet. 12 Troisième Voyage ! : qu'ils avoient déjà vu, retournèrent aux vaîf- 1777. féaux; mais, comme je ne voulois perdre aucune Juillet, occafion de m'inftruire des inftitutions politiques & religieufes de ce peuple, je demeurai à Mooa7 avec deux ou trois de mes Officiers, afin d'être témoin de la fête qui ne devoit fe terminer que le lendemain. Les petits morceaux de bois, & les bâtons apportés fur la prairie, par ceux qui étoient venus en proceffion , fe trouvant abandonnés, j'allai les examiner, quand il n'y eut plus de foule. Je ne trouvai que des morceaux de bois, attachés au milieu des bâtons, ainfi que je l'ai déjà dit. Cependant les Naturels placés près de nous, nous avoient répété plufieurs fois que c'étoient de jeunes ignames, & quelques- uns de nos Meilleurs, comptant fur cette afïèr- tion, ne vouloient pas en croire leurs yeux. Puif- que ce n'étoit pas des ignames, il eft clair que les Naturels ne purent nous les donner que pour les emblèmes de ces racines, & que nous les comprîmes mal. On fervit notre fouper à fept heures; il fut compofé de poiflbns & d'ignames. Il ne tenoit qu'à nous de manger du porc, mais nous ne voulûmes pas tuer un gros cochon, que le Roi nous avoit donné pour ce repas. Le Roi foupa avec nous, il but une très-grande quantité I) E C O O K. 13 d'eau-dç-vie & de vin, & il alla fe coucher à j j . , ■, demi-ivre. Nous pafsâmes la nuit dans la même *777* maifon que lui, & quelques perfonnes de fa Juillet. fuite. Les Infulaires s'éveillèrent à une ou deux heures du matin , ils cauferent environ une heure, & ils dormirent de nouveau. Excepté Poulaho, ils fe levèrent à la pointe du jour, & je ne fais où ils allèrent. Bientôt après, une des femmes qui accompagnoient ordinairement le Prince., entra, & demanda où il étoit. Je le lui montrai; elle s'affit fur le champ près de lui, & elle fe mit à le Macer , ainfi que M. Anderfon avoit vu Macer Futtafaihe ; elle lui frappoit doucement fur les cuiflès , avec fes poings fermés. Cette opération deftinée à prolonger le fommeil du Roi, eut un effet contraire; mais, quoiqu'il ne dormît pas, il fe tint couché. Nous allâmes, Ornai & moi, faire une vifite au jeune Prince , qui- nous avoit quittés dès le grand matin ; car il ne logeoit pas avec le Roi, & il occupoit une maifon particulière à quelque diftance de celle de fon père. Nous le trouvâmes environnéjde petits garçons ou de jeunes gens de fon âge, affis devant lui. Une vieille femme & un homme d'un âge avancé, qui fem- bloieut prendre foin de lui, étoient affis par- mm Juillet. * 4 Troisième Voyage derrière. Nous vîmes d'autres hommes & d'autres femmes occupés du fervïce de là Cour. Nous retournâmes enfuite auprès du Roi, qui venoit de fe lever, & qui étoit entouré d'un cercle nombreux , compofé fur-tout de vieillards. Tandis qu'on préparait un bowl de Kava, on apporta un cochon cuit au four & des ignames fumantes ; comme les Infulaires, & fur-tout ceux qui boivent la Kava, mangent peu le matin , ils nous donnèrent la plus grande partie de ces alimens, ce qui fit beaucoup de plaifir à l'équipage de mon canot. Je fis une féconde promenade, & j'allai voir plufieurs autres Chefs; ils prenoient tous leur boiflbn du matin, où ils Pavoient déjà prife. Quand je rejoignis le Roi, je le trouvai endormi dans une petite hutte écartée : deux femmes le frappoient mollement fur les cuiflès. Il s'éveilla fur les onze heures, & on lui fervit du poiflbrt & des ignames, qui fem- bloient avoir été cuits dans du lait de cocos ; il en mangea très-peu, & il fe recoucha de nouveau. Je le quittai alors, & je portai au Prince des étoffes, des grains de verre, & d'autres cho- fes que je voulois lui donner : il y avoit aflèz d'étoffe pour un habit complet à la mode du pays, & il s'en revêtit tout de fuite ; fier de fa parure, il vint d'abord fe montrer à fon père, DE C X) 0 Ks 15 & il me conduifit enfuite chez fa mere, près de laquelle il y avoit dix ou douze femmes, dont la phyfionomie infpiroit le refpeft. Ici le Prince changea d'habit, & il me fit préfent de deux pieces d'étoffes de PIfle. Il étoit plus de midi, & je retournai dîner au Palais, où l'on m'avoit invité. Plufieurs de nos Meffieurs étoient revenus des vaifleaux, durant la matinée; on les invita, ainfi que moi, au repas. Le feftin fut com- pofé d'ignames & de deux cochons; j'éveillai Poulaho qui dormoit toujours, & je l'engageai à fe mettre à table. Sur ces entrefaites, on lui apporta deux mullets & des coquillages, & ayant joint fa portion à la nôtre, il s'affit près de nous, & il mangea de bon appétit. Quand le dîner fut fini, on nous dit que là cérémonie de la veille recommencerait bientôt, & on nous enjoignit, d'une manière exprefle, de ne pas nous trouver aux environs des aéleurs; mais j'avois réfolu de ne plus obferver la Fête derrière la toile, & de m'approcher davantage. Je m'échappai en effet de la plantation, & je marchai vers le Morai, qui devoit être le lieu de la fcene. Les Infulaires que je rencontrai, m'engagèrent plufieurs fois à revenir fur mes pas, je ne les écoutai point, & ils me laiflerent paflèr. En arrivant au Morai, je vis un %$&% ^777* Juillet. El! W ï6 Troisième Voyagé ■ grand nombre de Naturels affis à l'un des bords 1777. de la prairie, de chaque côté du chemin; quel- Juillet, ques autres étoient également affis au bord op- pofé, & j'apperçus au milieu , deux hommes qui avoient le vifage tourné contre le cimetière; dès que j'eus atteint la premiere troupe, on me dit de m'aflèoir & je m'affis. Il y avoit à l'endroit où je m'affis, une multitude de petits paquets de feuilles de noix de cocos, attachés à des bâtons qui préfentoient la forme d'une civière. On m'apprit qu'ils étoient Taboo, & c'efl: tout ce que je pus lavoir. La foule des aéleurs augmentait d'un moment à l'autre ; ils arrivoient tous du même côté : l'un des Infulaires fe tour- noit par intervalle vers ceux qui venoient nous joindre, & il prononçoit un petit difcours, dans lequel le mot de Areekee , c'eft-à-dire, Roi, frappoit fouvent mes oreilles. L'un des Naturels :l|ff dit quelque chofe qui produifit parmi l'aflèmblée f||J des éclats de rire d'une gaieté bien franche, & plufieurs des Orateurs obtinrent des applaudiilè- mens. On me pria, à diverfes reprifes, de m'é- loigner; lorfqu'ils virent que je ne le voulois pas, ils délibérèrent entr'eux , & ils m'exhortèrent à prendre leur coftume & à découvrir mes épaules : j'y confentis, & ma préfence ne fem- bla plus les gêner. Je de Cook. if Je fus plus d'une heure fans obferver autre chofe que ce que je viens de raconter ; enfin le 1777* Prince, les femmes & le Roi, arrivèrent, comme Juillet. ils étoient arrivés la veille. Le Prince fe plaça fous le hangar ; deux hommes qui portoient chacun une natte , y entrèrent en récitant des paroles d'un air très-férieux, & ils mirent leurs nattes autour de Futtafaihe. Les cérémonies commencèrent alors : trois compagnies coururent au bord oppofé de la prairie, elles s'y aflirent durant quelques fécondes & elles retournèrent à leur place avec précipitation de la même manière que le jour précédent : bientôt après, les deux hommes qui étoient affis au milieu de Pef- planade, firent un difcours ou une prière de peu de durée; la troupe entière dont je faifois partie , fe leva brufquement, & courut s'aflèoir devant le hangar qu'occupoit le Prince & trois ou quatre Infulaires. J'étois fous la direction de l'un des Naturels qui s'empreflbit de me rendre fervice ; il eut foin de me placer avantageuie- ment, & fi l'on m'avoit permis de faire ufage de mes yeux, je n'aurais rien perdu de tout ce qui fe paflbit; mais il fallut me tenir affis, les regards bailles, & prendre Pair réfervé & modefte d'une jeune fille, La proceffion entra de la même manière que Tome IL B î8 T r o i s i e m e Voyage '> la veille. Les Naturels marchoient deux à deux; 1777. les divers couples portoient fur leurs épaules un Juillet, bâton, au milieu duquel fe trouvoit une feuille de cocos. Ces bâtons furent dépofés avec les cérémonies du jour précédent :. la premiere bande fut fuivie d'une féconde ; les Infulaires qui compofoient celle-ci, apportèrent des paniers de feuilles de palmier, de la même forme que ceuic dont ils fe fervent dans leurs ménages. Une troi- fieme apporta différentes efpeces dé petits poif- fons, tbnt chacun étoit placé à l'extrémité d'un bâton fourchu. On plaça les paniers aux pieds d'un vieillard, qui me parut être le Grand-Prêtre, & qui étoit affis à la droite du Prince en- dehors du hangar ; il en prit un à fa main tandis qu'il fit un difcours ou une prière ; il le mit enfuite à terre; il en demanda un fécond, qu'il tint de la même manière, en marmottant quelques paroles, .& il continua jufqu'à ce qu'il eût fait la même cérémonie fur tous les paniers. Les poiflbns attachés aux bâtons fourchus , furent préfentés l'un après l'autre, à deux hommes qui étoient affis à gauche du hangar , •& qui tenoient des rameaux verts. Le premier poiflbn fut dé- pofé à leur droite, & le fécond à leur gauche : au moment où on leur préfentoit le troifieme, Un Infulaire fort & robufte, affis derrière les ^ de Coo IC. 19 deux autres, étendit fon bras & faifit le pôîflbn; - les deux autres le faifirent en même-temps; ils 4777, parurent fe difputer également chacun des poil- Juillet* fons qu'on leur offrit; mais comme il y avoit deux mains contre une , indépendamment des avantages de la pofition, l'Infulaire qui fe trou- voit parderriere , n'en attrapoit que des- morceaux ; il ne quittoit jamais prife, il falloir toujours lui arracher le poilîbn de force, & il jet* toit derrière lui ce qu'il pouvoir en garder; les deux autres plaçoient les poiflbns alternativement à droite & à gauche. L'Infulaire qui agiflbit feul, s'empara enfin d'un poiflbn entier, fans que les deux autres s'y oppofaflènt, & j'ignore fi ce fut par hafard, ou felon les règles du cérémonial. L'aflèmblée s'écria alors marée ai, e'eir> f à-dire, très-bien, ou c^efi très-bien fait. Il ma fembla qu'il étoit à la fin de fon rôle, car il n'eflaya point de faifir les poiflbns qu'on offrit depuis. Ces poiflbns, ainfi que les paniers, furent tous préfentés par les perfonnes qui les avoient apportés ; elles fe tenoient affifes. On fuivit, dans cette préfentation, l'ordre & la méthode qu'avoit fuivi la premiere bande , lorf» qu'elle dépofa les petits bâtons à terre. Quand la dernière bande fut arrivée, quelque! perfonnes firent des haranges ou des prières, ôc B k & Wtr ■ I Eg Troisième Voyage ■ ■■ " nous nous levâmes tous brufquement au lignai 1777. qu'on nous donna ; nous courûmes durant un Juillet, moment à gauche, & nous nous afsîmes le dos tourné au Prince & aux Infulaires qui occupoient le hangar. On me dit de ne pas regarder derrière moi : toutefois, malgré la défenfe des Naturels & le fouvenir de l'accident arrivé à la femme de Loth, je détournai le vifage pour voir ce qui fe paflbit. Le Prince regardoit le Morai ; mais la dernière évolution avoit placé tant de monde entre lui & moi, que je ne pus appercevoir ce qu'on faifoit au hangar. On m'af- fura enfuite, que ce fut le moment où l'on revêtit le Prince de l'honneur fuprême de manger avec fon père, & qu'on fervit au Roi & à fon fils un morceau d'igname grillée. Je le crois d'au- v&^ tant plus, qu'on nous avoit annoncé d'avance., que cela devoit arriver durant la cérémonie, & que d'ailleurs les Infulaires regardoient d'un autre côté ; ce qu'ils font toujours lorfque leur Monarque mange quelque chofe. Peu de temps après, nous nous retournâmes tous en face du hangar , & nous formâmes un cercle devant le Prince, laiflant entre nous & lui un grand efpace libre. Quelques hommes s'approchèrent alors de nous, deux à deux ; ils portoient fur leurs épaules de gras bâtons ou 13 e Coo k. ai des perches ; ils firent un bruit auquel on peut donner le nom de chant, & ils agitèrent leurs - mains à mefure qu'ils s'avancèrent. Lorfqu'ils furent près de nous , ils remuèrent leurs jambes avec beaucoup d'agilité, de manière qu'ils eurent Pair de marcher très-vîte fans faire un feul pas : trois ou quatre Infulaires fe levèrent ici du milieu de la foule, ils tenoient à la main de gros bâtons, & ils coururent vers ceux dont je viens de parler. Les premiers jetterent à l'inftanc leurs bâtons & ils s'enfuirent; les trois ou quatre hommes Tondirent fur les bâtons, qu'ils frap- perent vigoureufement, & ils repaflêreiir à leurs places; mais, en s'éloignant, ils propoferent le défi qui précède leurs combats de lutte, & des champions d'une haute taille arrivèrent bientôt du même côté, en réitérant le cartel. Le côté oppofé détacha prefque au même inftant des guerriers qui vinrent leur répondre. Les deux troupes paradèrent autour de Pefplanade pendant quelques minutes., & elles fe retirèrent chacune vers leur bande. Il y eut des combats de lutte & de pugilat, qui durèrent une demi-heure : deux hommes s'affirent alors devant le Prince, & prononcèrent des difcours que je crus adrefles à Futtafaihe. La Fête étoit terminée, & l'afîèm- blée fe dilperfa. 1777. Juillet. m^û ^^ ■-.: vz Troisième Voyage Je m'approchai pour voir les différens paniers; 1777. on ne m'avoit pas permis jufqu'ici de fatisfaire Juillet, ma curiofité, parce que, difoit-on, tout étoit *taboo. Je ne trouvai que des paniers vides, &, s'ils étoient cenfés contenir quelque chofe, ce ne pouvoit être qu'allégoriquement; excepté les poiflbns, ce qu'on avoit étalé durant la cérémonie, fut auffi emblématique. Nous nous efforçâmes en vain de découvrir l'objet de cette cérémonie en général, qui eft appellee natche, & de fes différentes parties. On ne répondit guères à nos queftions que taboo , mot qui s'applique à beaucoup d'autres cho- fes , comme je l'ai obfervé plus haut. Comme le Roi nous avoit dit dix jours auparavant, que les Infulaires lui apporteraient des ignames, qu'il mangerait avec fon fils; comme il avoit indiqué d'avance quelques détails de la Fête, nous jugeâmes fur fes propos & fur ce que nous vîmes , que le Prince, en qualité d'héritier pré- fomptif de la Couronne, venoit de jurer ou de promettre folemnellement de ne jamais abandonner fon père, & de lui fournir toujours les divers articles défignés par leurs emblèmes. Cette conjecture eft d'autant plus vraifemblable , que les principaux perfonnages de Pille affilièrent à la cérémonie. Quoi qu'il en foit, tout fe pafla D E C O O K. 23 avec un appareil myftérieux, & le lieu & les détails de la fcene prouvent aflèz que la Religion y joua un grand rôle. Les Infulaires ne s'étoient point récrié jufqu'alors contre notre vêtement ou nos manières ; ils voulurent cette fois nous obliger à nous découvrir jufqu'à la ceinture, à délier nos cheveux, à les laiflèr flotter fur nos épaules, à nous afleoir, comme eux, les jambes croifées, à prendre quelquefois la pofture la plus humble , à baiflèr les yeux & à joindre, nos mains. L'aflemblée entière fe fournit à ce cérémonial d'un air pénétré; enfin tout le monde fut exclus, excepté les Aéleurs & les Infulaires d'un rang diftingué : d'après ces diverfes circonf- tances, je fus perfuadé qu'ils croyoient agir fous l'infpe&ion immédiate d'un Etre fuprême. La natche, dont je viens de faire la defcrip- tion, peut être regardée comme purement figurative. La petite quantité d'ignames que nous vîmes le premier jour, ne fuppofoit pas une contribution générale, & on nous laiflà entendre que c'étoit une portion confacrée à YOtooa ou à la Divinité. On nous apprit que, dans trois mois, on célébrerait à la même occafion, une Fête encore plus folemnelle & plus importante; qu'alors on étalerait les tributs de Tongataboo, celui de Hapaee, de Vavaoo, & de toutes les B 4 1777. Juillet. w 1777> 24 Troisième Voyage autres Ifles ; & qu'afin de rendre la cérémonie plus augufte, on facrifieroit des viftimes humai- Juillet, nés choifies parmi le bas-peuple : ainfi, la fu- peritition & la ftupide ignorance influent d'une manière terrible fur les mœurs du peuple le plus humain & le plus bienfaifant de la terre! Nous demandâmes la raifon de ces meurtres barbares. On fe contenta de nous répondre, qu'ils étoient n néceflàires à la natche, &que la Divinité exterminerait sûrement le Roi, fi on ne fe confor- moit pas à l'ufage. La nuit approchoit lorfque Paflemblée fe dif- perfa, & comme nous étions allez loin des vaif- feaux & que nous avions une navigation difficile à faire, nous partîmes bien vite de Mooa. Quand je pris congé de Poulaho, il me preflà beaucoup de demeurer à terre jufquau lendemain, & pour m'y déterminer, il me dit que je verrais une cérémonie funèbre. La femme de Mareewagée, c'eft-à-dire, la belle-mere du Roi, étoit morte depuis peu , & la natche avoit obligé de porter fon corps dans une pirogue qui mouilloit dans la Lagune. Poulaho promit de m'accompagner à Eooa, dès qu'il aurait rendu les derniers devoirs à fa belle-mere , & de s'y rendre après moi, fi je ne l'attendois pas. Ses propos me firent comprendre, que fans la mort es de Coo m 25 de cette femme , la plupart des Chefs feraient : venus avec moi à Eooa, où il paraît qu'ils ont *777* tous des poflèffions. J'aurois volontiers attendu Juillet. le Roi, fi la marée n'eût pas été favorable pour débouquer les paflès ; d'ailleurs le vent orageux^ depuis plufieurs jours, s'étoit affoibli & fixé, & en laiflànt échapper cette occafion, notre départ pouvoit être renvoyé à quinze jours : ce qui acheva de me déterminer , nous fûmes que la cérémonie funèbre durerait cinq jours, & c'é- toit trop long-temps pour nous, qui mouillions dans un endroit où l'appareillage ne dépendoit pas de nous. J'aflurai néanmoins le Roi, que fi nous ne mettions pas à.la voile, je viendrais le revoir le lendemain. Nous le quittâmes ainfi, & nous arrivâmes aux vaiflèaux ïur les huit heures du foir. J'ai oublié de dire , qu'Omaï affifta aux cérémonies du fécond jour; mais nous ne nous trouvâmes pas enfemble , & même je ne fus qu'il y étoit, que lorfque la Fête fut terminée. Il m'apprit enfuite, que le Roi s'étant apperçu de mon évafion, envoya plufieurs émiflaires l'un après l'autre, auxquels il recommanda de me ramener: vraifemblablement ces meflàgers ne furent pas admis à Pendrait où j'étois, car je n'en vis aucun. Poulaho inftruit que j'avois enfin découvert mes K 26 Troisième Voyage :== épaules comme les aéteurs de la cérémonie, per- 1777. mit à Ornai d'y affilier également, fous la con- Juillet. dition de prendre le cofcume ufité en cette occa- fion. On exîgeoit d'Omaï qu'il fe conformât à un ufage de fa patrie , & il confentit volontiers à ce qu'on defîroit; on lui donna un habit convenable , & il arriva vêtu de la même manière que les Naturels. Il eft probable qu'on nous avoit d'abord exclus, parce qu'on s'attendoit à un refus de notre part fur ces préliminaires. Au moment où je me rendis à Mooa, pour obferver la natche , j'y fis conduire les chevaux, le taureau, la Vache & les chèvres que je me propofois de laiflèr dans Pille ; je crus qu'ils feroient plus en sûreté fous les yeux des Chefs, que dans un lieu qui devoit être défert durant notre abfence. Outre les quadrupèdes, dont je viens de parler, j'enrichis Mooa d'un verrat, & de trois jeunes truies, de la race à'Angleterre. Les Naturels, prévoyant que ces individus amélioreraient beaucoup leurs cochons qui ne font pas gros, montrèrent un grand defir de les avoir. Féenou obtint auffi de moi deux lapins, un mâle & une femelle : on nous dit, avant notre départ, qu'ils avoient déjà produit. Si nos quadrupèdes fe multiplient, ce dont je fuis bien perfuadé, ces Ifles auront fait une acquifition ES DE COO K. 27 importante, & PIfle de Tongataboo n'étant pas montueufe, les habitans tireront d^ grands \\ fe- cours des chevaux. Nous appareillâmes de Tongataboo le 10, à huit heures du matin, & à l'aide d'un vent ferme du Sud-Eft , nous traversâmes le canal, qui fe trouve entre les petites Mes, appellees Makka- hoa & Monooafai : celui qu'on rencontre entre la dernière Ifle & Pangimodoo , eft beaucoup moins large. La marée nous fut très-favorable, jufqu'au moment où nous atteignîmes le travers du chenal qui mené à la Lagune, où le flot de PEU rencontre celui de l'Oued. Cette rencontre, jointe à la profondeur de la Lagune, & aux bas-fonds qui font à fon entrée, produifent dans les vagues beaucoup de clapotage & de gouffres. D'autres chofes accroiflènt encore le péril, car la profondeur de la mer, dans le canal, excède la longueur d'un cable : il n'y a point de mouillage , excepté près des rochers, où nous trouvâmes quarante & quarante-cinq braflès, fond de fable brun ; & ici même un bâtiment ferait toujours expofé aux gouffres que forment les vagues. J'avois réfolu de jetter l'ancre, dès que nous aurions débouqué les paflès, & de defcendre de nouveau à Tongataboo, afin d'affifter à la cérémonie funèbre dont on m'avoit parlé; mais, ne 1777. Juillet. 10. ¥ i 28 Troisième Voyage .- voulant pas laifler les vaiflèaux dans une pofî- 1777- tion, où je ne les croyois point en sûreté , je Juillet, renonçai à mon projet. Nous continuâmes à manœuvrer au vent, fans avancer ou reculer d'un pied, jufqu'à Pinftant de la marée haute. A cette époque, nous vînmes" à bout de nous jetter dans Pefpaçe, où la marée de PEft exerce fon aétion ; nous comptions y avoir le juflànt très-bon pour notre route, mais fa force fut fi peu confidéra- ble , qu'en tout autre temps nous ne l'aurions pas remarqué. Nous reconnûmes que la plus grande partie de l'eau, qui fe porte dans la lagune , vient du Nord-Oueft , & fe retire par le même côté. Vojrant, à cinq heures de l'après- dîner , que nous ne pouvions gagner la haute mer avant la nuit, je mouillai fous la côte de Tongataboo par quarante-cinq brafles, &*à environ deux encablures du récif qui borde cette partie de l'Ifle. La Découverte mouilla auffi derrière nous ; mais elle dériva fur les bancs cle fable , avant que fon ancre eût pris fond , & , à minuit, elle fe trouvoit encore dans une forte de danger. 11. Nous demeurâmes à l'ancre jufqu'à 11 heures du lendemain ; nous appareillâmes alors pour marcher à PEft ; mais il étoit dix heures du foir avant que nous enflions doublé l'extrémité de Cook/ £ç orientale de PIfle, & avant que nous puffions met- ;, tre le cap fur Middelbourg ou Eooa, (comme 1777- l'appellent les habkans du pays) où nous mouil- Juillet. lames à huit heures du matin du 12, par qua- 12. tante braflès fond de fable, entremêlé de pointes de corail. Les extrémités de Plfle le prolon- geoicnt du Nord 40e* Eft, au Sud 22d Oueft ; la haute terre SEooa , nous reftoit au Sud 45d Eft, & Tongataboo du Nord 70^ Oueft, au «Nord i9d Oueft : nous étions à environ un demi- mille de la côte , & à-peu-près à l'endroit que j'occupai en 1773, & que je nommai la Rade Angloife. Nous fûmes à peine mouillés, que Taoofa, l'un des Chefs du pays, & plufieurs autres Naturels vinrent nous voir; ils femblerent fe réjouir beaucoup de notre arrivée. Taoofa (a) avoit été mon Tayo, (Ami) quand je relâchai ici durant mon fécond Voyage ; ainfi, nous nous connoif- iions bien. Je defeendis à terre avec lui, pour chercher de l'eau douce ; car c'étoit fur-tout pour remplir mes futailles que j'abordois à Eooa. On (a) Le Capitaine Cook ne donne, dans la Relation de fon fécond Voyage, que le nom de Tioony au Chef qu'il rencontra ici. Voyez le tome I, page 192 4e l'original. w w 30 Troisième Voyage ". - m'avoit dit à Tongataboo que j'y trouverais un 1777. ruiflèau qui vient des collines, & qui fe jette Juillet, dans la mer ; mais je n'en trouvai point. On me conduifit d'abord à une fource faumâtre , fituée entre la marque de la marée baflè & celle de la marée haute, parmi des rochers , dans l'anfe où nous débarquâmes, & où aucun Navigateur ne fongeroit à faire de l'eau. Je crois cependant que Peau de cette fource ferait bonne, s'il étoit pof- fible de la puifer , avant qu'elle fe mêle à celle de la marée. Nos amis s'appercevant qu'elle ne " me plaifoit point du tout, nous menèrent vers l'intérieur de PIfle , où je rencontrai de la très- bonne eau dans une ouverture profonde : avec du temps & de la peine , nous aurions amené cette eau à la "côte , au moyen de quelques au- gets compofés de feuilles & de tiges des bananiers; mais, plutôt que d'entreprendre ce travail ennuyeux, je me contentai du fupplément que les vaifîèaux avoient embarqué à Tongataboo. Avant de retourner à bord, j'indiquai aux Naturels un endroit où nous achèterions des cochons & des ignames. Ils nous vendirent beaucoup d'ignames , mais peu de cochons. Je dépofai fur cette Ifle un bélier & deux brebis du Cap de Bonne- Efpérance, & j'en donnai le foin à Taoofa, qui parut s'enorgueillir de cette commiffion. Je fus D E P O O K. 31 bien-aife que Mareewagee, à qui j'en avois fait -■■-'•---.n. préfent, les eût dédaignés : Eooa n'ayant pas l777* encore de chiens, les moutons s'y multiplieront Juillet, plus aifément qu'à Tongataboo. Quand nous regardions cette Ifle des vaifleaux, elle nous offrait un afpeél très-différent de celles que nous avions rencontrées jufqu'alors, & elle préfentoit un très-beau payfage : Kao, pouvant être confidéré comme un immenfe rocher, nous n'en avions point vu t d'auffi haute depuis notre départ de la Nouvelle-Zélande : de fon fom- met, qui eft prefque applati, elle s'abaiflè doucement vers la mer. Comme les Mes de ce grouppe font applanies, on n'y découvre que des arbres, lorfqu'on les contemple du milieu des vagues ; mais ici la terre s'élève infenfiblement, & elle préfente un point de vue étendu, où l'on apper- çoit des bocages formant un joli défordre à des diftances irrégulieres, & des prairies dans l'intervalle de l'un à l'autre. Près de la côte, elle eft entièrement couverte de différens arbres, parmi Jefquels fe trouvent les habitations des Infulaires; il y avoit, à droite de notre mouillage, un bocage de cocotiers fi vafte, que nous n'en avion» jamais vu d'auffi grands. Le 13, dans l'après-midi, nous allâmes fur la 13. partie la plus élevée de PIfle, fituée un peu à w K 32 Troisième Voyage -■■'.■n | i droite de nos vaiflèaux, afin de découvrir tout la 1777. pays. Nous traversâmes à mi-chemin une vallée Juillet, profonde , dont le fond & les côtés , quoique compofés prefque en entier dé rochers de corail , étoient revêtus d'arbres. Notre élévation excédoit de deux à trois cents pieds le niveau de la mer, & cependant nous y vîmes le corail rempli de trous & d'inégalités, comme dans les rochers de cette fubftance, expofés à l'aétion de la marée. Du corail dans le même état s'offrit à nos regards, jufqu'au moment où nous approchâmes des fommets des plus hautes collines. Il faut remarquer que ces collines préfentoient fur-tout une pierre jaunâtre, tendre & fablonneufe. Le fol y eft d'une argile rougeâtre qui nous parut très-profonde en bien des endroits. Nous rencontrâmes , fur la partie la plus haute de PMé, une plate-forme ronde , ou un amas de terre , fou- tenu par une muraille de pierres de corail, qu'on n'a pu conduire à cette élévation qu'avec beaucoup de peine. Nos guides nous apprirent qu'on Pavoit confirait par ordre des Chefs, & que les Infulaires s'y raflèmbloient quelquefois pour boire la Kava : ils l'appelloient Etchee, c'eft-à-dire, du nom qu'on donne à Tongataboo, à un autre ouvrage de la même efpece. On trouve, à quelques pas d'ici, une fource d'une eau excellente, & 0 0 de Cook. & environ un mille plus bas, un ruifleau qui, à ce qu'on nous dit, fe jette dans la mer, quand 1777. les pluies font abondantes. Nous vîmes auffi de Juillet. l'eau dans une multitude de petits trous, & on en découvrirait fans doute une grande quantité, fi l'on creufoit des puits. De la hauteur où nous étions arrivés, PIfle entière s'offrit à nos regards, excepté une partie de la pointe méridionale. Le côté Sud-Eft, dont les hautes collines fur lefquelles nous étions, ne fe trouvent pas éloignées, s'élève immédiatement du bord de la mer, d'une manière très-inégale, enforte que les plaines & les prairies , qui ont quelquefois une grande étendue, occupent toutes le côté Nord-Oueft ; &, comme elles font or- S nées de touffes d'arbres, entre-mêlées de plantations , chaque point de vue préfente un beau payfagé. Tandis que je regardois ce pays charmant , je fongeai, avec un plaifir extrême, que les Navigateurs verraient peut-être un jour, du tffême point, ces prairies couvertes de quadrupèdes utiles apportés par des vaifleaux Anglois; que la poftérité nous tiendrait compte de l'exécution d'an projet fi noble, & que ce bienfait fuffiroit feul, pour attefter aux générations futures que nos voyages contribuèrent au bonheur de l'humanité. Outre les plantes communes dans Tome IL C w 34 Troisième Voyage —■""■ les autres Mes des environs, nous trouvâmes ici 1777. une efpece iïAcrofiicum, le Melaftoma* & la Juillet, fougère arbre, ainfi qu'un petit nombre d'autres fougères ou plantes, qui ne croiflènt point plus bas. Nos guides nous dirent que tous les terreins, ou du moins la plus grande partie des terreins de cette Me, appartiennent aux Chefs de Tongataboo , dont les habitans font les vaflàux ou les fermiers. Il paraît qu'il en eft de même dès Mes voifines, fi j'en excepte Annamooka, où quelques Chefs femblent agir avec une forte d'indépendance. Omaï , qui aimoit beaucoup Féenou & les habitans de ces Mes en général, eut envie de s'établir ici : on lui propofoit de le faire un des Chefs de la contrée; je penfe qu'il aurait été bien-aife de s'y fixer, fi cet arrangement eût obtenu mon aveu. J'avoue que je le défapprouvai, parce que je crus que mon brave camarade ferait plus heureux dans fa patrie. Quand je fus de retour aux vaifîèaux , oit m'informa que des Infulaires avoient donné des coups de maflùes à un de leurs compatriotes, au milieu du cercle où nous faifions des échanges ; qu'ils lui avoient ouvert le crâne , & cafle une cuifîè , & qu'ils Pauroient laifîe mort fur la place, fi nos gens ne les avoient pas arrêtés; d e Coo k. 35 que le bleffé fembloit devoir mourir bientôt, mais qu'on l'emporta dans une maifon voifine, 1777. & qu'il reprit des forces. Je demandai la raifon Juillet. d'un traitement fi barbare, & on me dit qu'on l'avoit furpris careflànt une femme qui étoit Taboo : nous comprîmes toutefois qu'elle étoit Taboo , parce qu'elle appartenoit à un autre homme, & parce qu'elle fe trou voit, d'un rang fupérieur à celui de fon amant. Nous reconnûmes ainfi que les Infulaires des Ifles des Amis puniflcnt févérement les infidélités. Le châtiment de la femme fut moins rigoureux : on nous affina qu'elle recevrait feulement de légers coups de bâton. Le 14, je plantai une pomme de pin, & je 14. femai des graines de melons, & d'autres végétaux, dans la plantation du Chef. J'avais lieu de croire que ces foins ne feraient pas infruétueux, car on me fervit à dîner un plat de Turneps, produits par les graines que j'avois laiffees ici, lors de mon fécond Voyage. J'avois fixé mon départ au 15. Taoofa me 15/ preflà de prolonger ma relâche d'un ou deux jours, afin qu'il pût me faire le préfent qu'il me préparait : ce motif, joint à l'efpérance de voir quelques-uns de nos Amis de Tongataboo, me détermina à différer l'appareillage. C 2 HB&. ' 36 Troisième Voyage ¥ ,.. / ". Je reçus le préfent du Chef le lendemain : il l777- fut compofé de deux paquets d'ignames & de Juillet, fruits qu'il me parut avoir raflèmblés, en exi- 1&> géant des Naturels une forte de contribution. La plupart des habitans s'étoient réunis à l'endroit où l'on m'offrit les fruits & les ignames ; &, ainfi que nous Pavions déjà éprouvé fur les autres Mes, lorfque la foule fe trouvoit nombreu- fe, nous eûmes bien de la peine à contenir leurs difpofitions au vol. Afin de nous amufer , on nous donna le fpeélacle de divers combats de bâtons, de lutte & de pugilat. Des femmes prirent part aux deux derniers. Le Chef vouloir terminer la fête par le Bornai, ou la danfe de nuit; mais un accident imprévu fit manquer cette partie du fpeélacle, ou du moins nous empêcha d'y affilier : l'un de mes gens fe promenant à quelque diftance du lieu de la fcene, fut environné par vingt ou trente Infulaires, qui le ren- verferent par terre, & le dépouillèrent de tout, même de fes habits. Dès que j'en fus inftruit, je faifis deux pirogues & un gros cochon , & j'enjoignis à Taoofa de me rendre les habits, & de livrer les coupables. Il parut très-affligé de la violence de fes compatriotes, & il fit fur-îe- champ les démarches que je defirois. Cette affaire alarma tellement Paflèmblée, que la plupart 37 de Cook. des Naturels s'enfuirent. Ils revinrent néanmoins, ■ lorfqu'ils s'apperçurent que je n'employois pas 1777. d'autres. moyens de vengeance. On me livra Juillet. bientôt un des coupables, & on me rendit une chemife & une paire de culottes. Le refle de ce qu'avoient pris les voleurs, n'étant pas arrivé à l'entrée de la nuit, je fus obligé de quitter la côte, pour me rendre à bord ; la mer étoit fi groflè que les canots eurent bien de la peiné à fortir de la crique, quoiqu'on vît encore un peu clair. Je débarquai de nouveau le 17, avec un pré- 17. fent pour Taoofa , je voulois le remercier de celui qu'il m'avoit fait. Comme il étoit de bonne hpure, je trouvai peu de monde fur la côte ; & les Infulaires , que j'y vis , montraient de la crainte. Je chargeai Omaï de les afliirer que nous ne méditions aucune entreprife contre eux. Afin de ne point leur laifler de doutes fur la fincérité de cette promeflè, je relâchai les pirogues que j'avois faifies , je rendis la liberté au coupable qu'ils m'avoient livré, & ils reprirent leur gaieté ordinaire. Us formèrent tout de fuite un grand cercle, dont le Chef & les principaux perfon- nages de PIfle faifoient partie. On m'apporta alors le refle des habits de celui de mes gens qu'on avoit dépouillé ; mais ils étoient en lambeaux , & ils ne valoient pas la peine d'être C 3 V ¥ 3c) Troisième Voyage ''."■•■*"'■ conduits à bord. Taoofa partagea avec trois ou l777" quatre Chefs, ce que je lui donnai; il ne ré- Juillet, ferva qu'une petite portion pour lui. Ils avoient peu compté fur'un auffi riche préfent, & l'un des Chefs, vieillard d'une figure refpeélable, me dit que nous ayant donné fi peu de chofe, & ayant maltraité une perfonne de l'équipage, ils ne méritoient pas cette preuve de bienveillance. ■ Je demeurai parmi eux jufqu'au moment où ils eurent achevé leur bowl de Kava; &, après leur avoir payé la valeur du cochon, dont je m'étois emparé la veille, je retournai à bord accompagné de Taoofa, & de l'un des domeftiques de Poulaho , à qui je remis un morceau de fer en barre, en lui enjoignant de le porter au Roi, comme une dernière marque de mon eftime & de ma reconnoifïànce. Nous appareillâmes bientôt ; &, à l'aide d'une brife légère du Sud-Eft, nous gouvernâmes au large : Taoofa & un petit nombre d'autres Infulaires, qui fe trouvoient fur mon bord , nous quittèrent à cette époque. En relevant l'ancre, nous nous apperçûmes que les rochers avoient beaucoup endommagé le cable ; & on ne doit pas compter fur le fond de cette rade. Nous fentîmes d'ailleurs qu'elle eft expofée à une houle prodigieufe du S'ud-Ouefl. d e C o o k. 39 Nous étions en mer depuis peu de temps, ■ lorfque nous vîmes une pirogue à voile qui ar- 1777. riva de Tongataboo , & qui gagna la crique Juillet. devant laquelle nous avions mouillé. Quelques heures après, une petite embarcation, montée par quatre hommes, fe rendit à la hanche de mon vaiflèau : il faifoit peu de vent, & nous étions peu éloignés de la côte. Les Infulaires nous dirent que la pirogue à voile, venant de Tongataboo, avoit apporté un ordre aux habitans S Eooa, de nous fournir un certain nombre de cochons; & que le Roi & d'autres Chefs arriveraient dans deux jours ; ils m'exhortèrent à retourner à notre dernier mouillage. Je n'avois aucune raifon de douter de ce qu'ils me difoient; deux d'entr'eux étoient venus de Tongataboo fur la pirogue à voile, & ils ne s'étoient approchés de nous , qu'afin de nous donner cet avis. Cependant, comme nous nous trouvions hors des terres, je crus devoir d'autant moins retourner fur mes pas, que nous comptions avoir à bord allez de provifions, jufqu'à notre arrivée à O-Taïti. Indépendamment de ce que je reçus en préfent de Taoofa, nous achetâmes à Eooa des ignames, que nous payâmes fur-tout avec de petits clous; nous y augmentâmes confidérable- raent auffi notre fupplément de cochons; mais C ± mmm k 1777. Juillet. 40 Troisième Voyage nous en aurions obtenu un bien plus grand , proprié- nombre , fi les Chefs de Tongataboo taires de la plupart des richeflès de l'Ifle, avoient été avec nous. Les quatre Infulaires, s'apperce- vant de l'inutilité de leurs inftances, nous quittèrent à l'entrée de la nuit ; d'autres, qui étoient venus fur deux pirogues , & qui nous avoient apporté des noix de cocos & des Shaddecks, qu'ils échangèrent contre des bagatelles, nous quittèrent auffi. Les Naturels avoient un fi grand defir de fe procurer encore quelques-unes de nos marchandifes , qu'ils fuivirent nos vaiflèaux en mer, & qu'ils prolongèrent les échanges jufqu'au dernier inflant. w JWP " ' ! J' ""' CHAPITRE. X. Avantages que nous procura notre féjour aux If es des Amis. Remarques fur les artiefas les plus propres aux échanges avec les Naturels. Rafraîchiffemens qu'on peut s'y procurer. Nombre des Ifles & leurs noms. Les Ifles de Keppel & de Bofcawen en dépendent. Remarques fur Vavaoô, Hamoa, Feejee. Voyages de long cours que les Naturels font fur leurs pi~ rogues. Combien il eft difficile d'obtenir *des informations exactes. Détails fur la perfonne des Infulaires de l'un & de Vautre fexe, fur la couleur de leurpeau, leurs maladies, leur caradtere; de quelle manière ils portent leurs cheveux ; piquetares de leur corps; habits & orne- mens dont ils fe parent ; propreté per~ fonnelle. ou s quittâmes ainfi les Ifles des Amis, & N leurs habitans, après une relâche d'environ trois ^777* mois, pendant lefquels nous vécûmes dans l'a- Juillet. mitié la plus cordiale avec les Infulaires. Leur s 42 Troisième Voyage p extrême difpofitïon au vol, trop fouvent encou- mm K 1777- ragée par la négligence de nos équipages, pro- Juilîet. duifit, il eft vrai, des querelles paflageres; mais ces querelles n'eurent jamais de fuites funeftes. Je m'occupai conftamment du foin de prévenir une brouillerie générale , & je crois que peu d'hommes fur les deux vaifleaux, partirent fans regret. Le temps que je paflài ici, ne fut pas mal employé. Nous confommâmes une très-petite quantité de nos provifions de mer : les productions du pays nous fuffirent à-peu-près, & nous y prîmes même un fupplément de vivres, aflez confidérable pour gagner O-Taïti, où j'é- tois sûr de trouver beaucoup de rafraîchifîèmens. Je fus bien-aife d'ailleurs d'avoir une occafion d'améliorer le fort de ce bon peuple , en lui laiflànt des animaux utiles ; j'ajouterai que les quadrupèdes, deftinés pour O-Taïti, reprirent des forces dans les pâturages de Tongataboo: en un mot, nous tirâmes une multitude d'avantages de notre féjour aux Ifles des Amis. Rien ne troubla nos plaifirs; & la pourfuite du grand objet de notre voyage, n'en fouffrit pas, car la faifon de marcher au Nord, étoit paflee, comme je l'ai déjà dit, lorfque je pris la réfolution de gagner ces terres. Outre l'utilité immédiate dont cette relâche de Cook. 43 fut pour nous, & pour les habitans des Ifles des Amis, les Navigateurs Européens, qui feront la même route, profiteront des connoiflànces que j'ai acquifes fur la Géographie de cette partie de l'Océan Pacifique; & les Leéteurs Philofo- phes, qui aiment à étudier la nature humaine, dans tous les degrés de la civilifation, & qui fe plaifent à recueillir des faits exaéls fur les habitudes, les ufages, les arts, la religion, le gouvernement & la langue des peuplades qui habitent les contrées lointaines du globe, nouvellement découvertes, jugeront peut-être inftruftifs & amufàns les détails que je puis leur donner, touchant les Infulaires de cet Archipel. Je vais expofer, avec une fidélité fcrupuleufe, les remarques que j'ai faites. Les articles les plus propres aux échanges avec les Naturels, font en général les meubles, les outils & les inftrumens de fer. Ils recherchent .beaucoup les grandes & les petites haches, les clous de fiche, ou les clous d'une moindre grof- feur, les rapes, les limes & les couteaux. Ils efliment auffi beaucoup les étoffes rouges, les toiles blanches ou de couleur ; les miroirs & les grains de verre : les grains bleus obtiennent la préférence fur tous les autres, & les blancs font ceux dont ils font le moins de cas. On nous 1777. Juillet. IT i K 44 T R O I S I E M B V O Y A G E . donnoit un cochon pour un collier de grains de 1777. verre bleus. Il faut obferver que les chofes pu- Juillet, rement agréables , feront quelquefois plus ou ■ moins recherchées. Lorfque nous abordâmes à Annamooka, pour la premiere fois, les Naturels vouloient à peine échanger leurs fruits contre des grains de verre bleus ; mais Féenou étant arrivé, ce perfonnage important les mit à la mode, & ils acquirent la valeur dont je parfois tout- à-l'heure. Avec les articles que je viens d'indiquer, on obtiendra tous les rafraîchiflèmens que produi- ■fent ces Mes, c'eft-à-dire, des cochons, des volailles, du poiflbn, des ignames, du fruit à pain, des bananes, des noix de cocos, des cannes de fucre, & en général, lesdiverfesprovifionsqu'offrent O-Taïti, ou les autres Mes de la Société. Les ignames des Ifles des Amis font excellentes , &, quand elles fe trouvent à leur point de maturité , elles fe gardent très-bien à la mer ; mais le porc, le fruit à pain, & les bananes, d'une allez bonne qualité d'ailleurs, ne valent pas les mêmes articles tirés d?O-Taïti, & des Terres des environs. L'eau parfaitement douce, dont les vaifleaux ont fi grand befoin, dans les longs voyages, eft rare fur ces terres : on en trouve, il eft vrai, torn D Coo k. 45 fur chacune; mais en trop petite quantité, ou en des lieux trop incommodes pour les Navigateurs. Cqfendant, comme les Ifles des Amis offrent des provifions, & fur-tout des noix de, cocos en abondance, les vaifîèaux, dont les équipages n'auront pas trop de délicateflè, pourront le contenter de l'eau qu'on y rencontre. Tandis que nous mouillions au-deflbus de Kotoo, à notre retour de Hapaee, quelques-uns dés Habitans de Kao nous apprirent qu'il y a dans leur Me, un ruiffèau qui defeend des montagnes, & qui porte fes eaux à la mer, au côté Sud-Oueft, c'eft-à-dire, au côté qui eft en face de Toofoa. Il eft aifé de reconnoître Toofoa à fon élévation, ainfi qu'au volcan confîdérable, dont j'ai déjà parlé, & dont nous vîmes toujours fortir de la flamme & de la fumée. Ces détails fur le ruiffèau de Kao font d'autant plus intéreflans, que,, felon le rapport des Naturels, cette partie de la côte préfente un mouillage. On nous afliira que la pierre noire,.qui fert à ces peuplades de haches & d'autres outils, vient de Toofoa, Il faut comprendre, fous la dénomination générale $ Ifles des Amis, non-feulement le grouppe de Hapaee, que j'ai vifité, mais auffi toutes les terres découvertes au Nord à-peu-près au même Méridien, & d'autres qu'aucun Navigateur l777- Juillet. 46 Troisième V q y a g e m Européen n'a apperçu jufqu'ici. Chacune d'elles 1777. dépend, à quelques égards, de Tongataboo, Juillet, qui, fans avoir la plus grande étendue, eft la Capitale & le fiege du gouvernement. Selon les informations que nous reçûmes à Tongataboo, cet .Archipel eft fort vafte. Les Naturels nous indiquèrent plus de cent cinquante Mes; ils firent ufage de feuillps d'arbres pour en déterminer le nombre, & M. Anderfon dont le zèle & l'activité étoient infatigables, vint à bout d'en favoir les noms. Ils en comptoient quinze d'élevées & montueufes comme Toofoa & Eooa, ■ & trente-cinq de grandes. Nous n'en vîmes que trois de ces dernières, Hapaee, (regardée par les Infulaires comme une feule Me, ) Tongataboo & Eooa : je ne puis rien dire des trente- deux que nous n'avons pas apperçues, fi ce n'eil qu'elles doivent être plus étendues : quAnna- mooka, car les perfonnes qui pous donnèrent ces détails, la mettoient au nombre des petites Mes : il eft vrai que plufieurs de celles-ci font des rochers ou des bancs de fable inhabités. J'en ai indiqué au moins foixante-une fur ma Carte des Ifles des Amis & fur le plan du havre de Tongataboo; j'y renvoie les Lecteurs. C'eft aux Navigateurs futurs à déterminer exactement la pofition & l'étendue d'environ cent autres qui fe de Cook. 47 trouvent dans ce parage, que nous n'avons pas , eu occafion d'examiner, & dont nous ne con- 1777» noifîbns l'exiftence que par le témoignage de Juillet, quelques-uns des Naturels du pays. En voici la lifte ; je la publie, pour faciliter les recherches qu'on fera après nous. Noms des Ifles des Amis & des autres de ce parage, dont les Habitans Hamoa, Vavaoo- & Feejee^'àxmt on nous 1777. parla beaucoup, font les Mes les plus confidéra- Juillet. blés de ces environs qu'on nous ait indiquées. On nous les repréfenta comme plus grandes que Tongataboo. Je préfume que ces terres n'ont été apperçues d'aucun Européen : Tafman marque, il eft vrai, fur fa Carte, une Me à l'en- .droit où je fuppofe Vavao, c'eft-à-dire, par environ i9d de latitude-Sud; Ça) mais il donne & 494 de l'original. Le Capitaine Wallis dit que ces deux Ifles font élevées ; mais il obferve que Tune a ia forme d'un pain de fucre, d'où Ton peut conclure qu'elle a plus d'élévation que l'autre , ék qu'elle ref- femble beaucoup à Kao. En comparant les détails donnés par Poulaho au Capitaine Cook , avec le Journal du Capitaine Wallis, il paroît sûr que l'Ifle \\Befcawen eft l'Ifle Kootahee, & l'Ifle Keppel, l'Ifle Neeootabootaboo. La dernière eft une des Terres étendues, marquées dans la lifte précédente. Le Lectear, averti déjà que les Navigateurs écrivent, d'une manière très-différente, les mots prononcés par les Naturels , jugera que Kottejeea & Kootahee f#nt la rriême Mm ' |p: • Qa) M. Dalrympîe & Campbell, qui ont imprimé les Journaux du Voyage de Tafman, ne difent pas .qu'il ait vu cette Ifle. La Carte à laquelle renvoie le Capitaine Cook,, eft vraifemblablement celle qu'on trouve dans la Collection des Voyages de Dalrym- ple , ®îi k route de Tafeian eft indiquée d'une d e C o o k. 53 peu d'étendue à, cette terre ; au-lieu que Va- == yaoo, felon le témoignage unanime de nos Amis 1777. de Tongatabêo, eft plus grande que cette der- Juillet, niere Me, & a de hautes montagnes. J'y ferais allé, & j'aurais accompagné Féenou lorfqu'il s'y rendit de Hapaee, s'il ne m'avoit pas découragé, en me difant fauflèment qu'elle eft peu cori-; fidérable, & même qu'on n'y trouve point de havre. Poulaho , c'eft-à-dire , lp Roi, m'aflùra bientôt qu'elle eft grande, qu'elle offre non-feulement toutes les produétions de Tongataboo, mais qu'elle a l'avantage particulier de pofleder un ruiflèau d'eau douce &,un havre auffi beau que celui de la Métropole des Ifles des Amis. Il propofa de me fervîr de guide, fi je voulois faire le voyage ; il en vint jufqu'à me dire, que je pourrois le tuer, fi tout ce qu'il m'afluroit n'étoit pas vrai. Ses aflèrtions ne me laiflèrent aucun douté, & je fus convaincu que Féenou, par des vues d'intérêt, avoit cherché à m'induire en erreur. Hamoa, qui dépend auffi de Tongataboo, gît au Nord-Oueft de Vavao, à deux jours de navigation. Si je crois tout ce qu'on m'en a dit, manière exacte. On y voit plufieurs petits Mots fur le parage dont il eft ici queftion, H d i 54 Troisième Voyage f elle eft la plus grande des Ifles des Amis, elle l777* a des havres & de la bonne eau, & on y trouve Juillet, en abondance chacune des productions de ces terres ; Poulaho y réfide fouvent. Il paraît que .-les habitans font très-eftimés à Tongataboo , car on nous apprit que les chants & les danfes exécutés devant nous, étoient copiés fur les leurs, & nous vîmes quelques maifons, qu'on nous afîiira avoir été bâties fur le modèle des maifons de Hamoa. M. Anderfon, qui faifoit des recherches continuelles fur les langues des peuples de la mer du Sud, recueillit les trois mots fuivans du dialecte de Hamao. Tamolao, Ça) un homme, Chef du pays. Tamaety, une femme qui a de l'autorité dans PIfle. Solle, un homme du peuple. (#) On a vu, dans plufieurs des notes précédentes, des extraits des Lettres édifiantes & curieufes, qui prouvent la conformité des ufages des habitans des Mes Carolines, avec les coutumes que le Capitaine Cook a trouvées fur des Mes de la Mer Pacifique du Sud, très-éloignées les unes des autres. Cette reffemblance toutefois laifle encore des doutes fur l'identité d'origine des peuplades de ces Terres ; car on peut dir*e , avec raifon , que le développement feul des facultés de la nature humaine» introduit les de Cook. 55 . D'après les inftruétions qu'on nous a don- f ■ nées, Feejee gît au Nord-Oueft-quart-Oueft de 1777. __ Juillet. mêmes ufages chez des peuples féparés par un grand efpace, & qu'on obferve les mêmes habitudes dans tous les fiecles, & dans toutes les parties du globe, parmi les hommes qui font au même degré de ci- vilifationj le Lecteur cependant n'appliquera peut- être pas cette remarque à la conformité dont on parle ici, s'il veut bien faifir la diftinction que je vais faire. Les ufages fondés fur des befoins communs à toute l'efpece humaine , & bornés à l'application des méthodes qui peuvent fatisfaire ces befoins î ne fup- pofent pas, malgré leur conformité, que ceux qui les fuivent fe font imités, les uns les autres , ou qu'ils tirent leur origine de la même fouche ; car l'homme a par-tout la même fagacité, & les moyens de fatisfaire un befoin particulier, font en petit nombre, fur-tout dans les pays également incultes. Ainfi, les Tribus les plus éloignées 9 celles , par exemple , de la Terre de Feu y & celles qui habitent les Ifles fituées à l'Eft du Kamtfchatka, peuvent produire du feu de la même manière, en frottant deux bâtons, fans donner lieu de croire que l'une a imité l'autre» ou tiré cette invention d'une fource commune» Il n'en eft pas ainfi des ufages qui ne tirent point leur origine d'un principe général de la nature humaine , & qui ne doivent leur établiflement qu'aux fantaifies & aux modes infiniment variées des diver- fes peuplades. Les coutumes des Infulaires de la partie feptentrionale & de la partie méridionale de la Mer Pacifique , d'après lefquelles nous avons jugé D 1 56 Troisième Voyage 5 Tongataboo, à trois jours de navigation. On 1777. nous en parla comme d'une terre élevée, mais Juillet. i que les différentes Tribus viennent de la même fou- che, font évidemment de la dernière efpece. Puif- «[ue les Habitans de Mangeea &. ceux'des Nouvelles 'Philippines, pour donner des marques de refpect à un homme ou à une femme , frottent fa main fur leurs vifages, il eft clair qu'ils ont appris à la même' école cette manière de faluer. Si les efprits trop livrés au fcepticifme, ne fe rendent point, j'ajouterai «fu'il me paroît difficile de ne pas convenir de l'identité de race, dans le cas préfent; qu'à la preuve, tirée de la conformité des ufages, on peut en joindre ici une nouvelle, encore plus inconteftable, celle de la conformité des idiomes. Le Capitaine Cook nous apprend que le mot de Tamoloa fignifie un Chef9 à Hamoa, l'une des Mes des Amis, & on voit dans les Lettres édifiantes & curieufes , que les Habitans des Ifles Carolines appellent du même nom les principaux du pays. Deux notes inférées plus haut offrent des pafTages du Père Cantova 3 où ce Millionnaire parle des Tamoles de ces dernières Ifles ; il emploie ce terme au moins douze fois dans le cours de quelques pages. Je vais tranfcrire un paflage ab- folum'ent décifif, qui rend fuperflue toute autre citation. " L'autorité du Gouvernement fe partage en- s> tre plufieurs Familles Nobles, dont les Chefs s'ap- 3> pellent Tamoles. Il y a outre cela dans chaque Pro- 3> vince un principal Tamole , auquel tous les au- 3> très font fournis. 3? Lettres édifiantes & curieufes, torn. XV, pag. 312. D E C o o k. 57 très-fertile, où il y a beaucoup de cochons, de ' chiens, de volailles, & toutes les efpeces de 1777* fruits & de racines qu'on trouve dans ces para- Juillet, ges : on nous aflura qu elle eft beaucoup plus étendue que Tongataboo, dont elle ne dépend pas , ainfi que les autres Mes de cet Archipel ; que Feejee & Tongataboo font fouvent en guerre.' Plufieurs circonflances nous firent con- noître que les habitans de Tongataboo Redoutent beaucoup les Infulaires de Feejee : pour exprimer le fentiment de leur infériorité, ils avoient coutume de plier leur corps en avant, & de fe couvrir de leurs mains le vilage : il ne faut pas s'étonner de l'effroi qu'infpiroient les Naturels de Feejee , car la dextérité avec laquelle ils manient Parc & la fronde , les rend redoutables, & comme ils mangent, à l'exemple des Zélandois, les guerriers qu'ils tuent dans les batailles, cet ufage abominable, ajoute encore à la frayeur de leurs voifins. Les Habitans de Tongataboo, qui les accufoient d'être cannibales , ne les ont point calomniés ; car plufieurs * perfonnes de Feejee que nous interrogeâmes, convinrent du fait. Puifque je' parle des Antropophages, je demande à ceux qui foutiennent que le défaut de fubfiftances a déterminé les premiers Cannibales 58 Troisième Voyage >à manger de la chair humaine , ce qui-a déter- *777• miné les habitans de Feejee à conferyer cet ufage Juillet, au milieu de l'abondance. Les Infulaires de Tongataboo , qui, fans doute par crainte , s'efforcent de vivre en paix avec leurs farouches voi- fins, les détellent beaucoup : cependant ils vont quelquefois les combattre, & ils rapportent du pays ennemi des trophées de plumes rouges, qu'on trouve en grande quantité à Feejee, & qui font très-eflimées aux Ifles des Amis , ainfi que je l'ai dit tant de fojs. Lorfque les deux Mes font en paix, la communication entre les deux terres eft aflèz vive; il paraît qu'elles fe connoiflènt depuis peu; autrement, Feejee ayant beaucoup de chiens, ce quadrupède fe ferait répandu plutôt à Tongataboo , & aux Mes des environs , où j'en laiflai les premiers couples en 1773. Les Naturels de Feejee, que nous rencontrâmes ici, étoient d'une couleur plus foncée, que celle des habitans des Ifles des Amis en général ; l'un d'eux avoit l'oreille fendue, & le lobe fi alongé, qu'il touchoit prefque les épaules ; fingularité que j'avois obfervée fur d'autres Mes de la mer du Sud dans mon fécond voyage. Il me parut qu'on avoit pour eux beaucoup d'égards ; au refle , la vivacité de leur efprit ne contribuoit peut-être pas moins à ce bon accueil, que la DE CO O K. 59 puiflànçe & la cruauté de leur Nation, Leur pé- r ■ , nétration eft bien fupérieure à celle des Naturels 1777* de Tongataboo, fi j'en juge par quelques-uns de Juillet, leurs ouvrages méchaniques que nous apperçû- mes ; ils ont des maflues & des piques fculptées de la manière la plus adroite , des étoffes en compartimens, d'un deflèin exaét, des nattes dont les couleurs font nuancées avec goût, & enfin des pots de terre & d'autres meubles,qui annoncent de très-habiles ouvriers. J'ai dit que Feejee gît à trois jours de navigation de Tongataboo : ces peuplades n'ont d'autre méthode de mefurer la diftance d'une Me à l'autre, que par le temps dont elles ont befoin pour faire la traverfée fur une de leurs pirogues. Voulant déterminer avec une forte de précifion, l'efpace que peuvent parcourir leurs embarcations par un vent modéré , dans un intervalle fixe, j'allai à bord d'un de ces petits bâtimens qui étoit fous voile , & après diverfes expériences du Lock, je reconnus qu'en ferrant le vent par une jolie brife , elles font fept nœuds ou fept milles en une heure. J'en conclus qu'elles parcourent fept ou huit milles par heure, avec les brifes qui foufflént ordinairement fur ces parages. Mais la longueur d'un jour ne doit pas être ici comptée de vingt-quatre heures; car, en parlant jjr y Juillet. f 60' Troisième Voyage d'un jour de navigation , ils comprennent feulement l'intervalle qui fe trouve du matin au foir, c'eft-à-dire, dix ou douze heures au plus : ainfi, deux jours de voile défignent l'intervalle qu'il y a du matin du premier jour au foir du fécond. Ils fe guident fur le Soleil pendant le jour , & fur les étoiles pendant la nuit : lorfque Pobfcu- rité de Patmofphere leur ôte ce moyen de direction , les points d'où viennent les vents & les vagues leur fervent de bouflble. Si le vent & les vagues changent de route au moment où le ciel eft nébuleux , (ce qui n'arrive guères qu'alors, dans les parages qui font le théâtre du vent alifé) ils s'égarent, ils manquent fouvent le port où ils alloient, & on n'en entend plus parler. Le Leéteur fe fouvient de ce que nous avons dit des Compatriotes d'Omaï jettes à Wateeoo, par les courans & les tempêtes, & il paraît que les équipages, dont on ne reçoit plus de nouvelles, ne périflènt pas toujours. De tous les havres & de tous les mouillages que j'ai rencontrés parmi ces Mes, celui àe Tongataboo eft fans comparaifon le meilleur , non- feulement parce qu'il eft très-fur, mais à raifon de fon étendue & de la bonté de fon fond. Les dangers que nous courûmes en y entrant du côté du Nord, doivent fervir de leçon, & j'exhorte D E C O O K. 6î les Navigateurs 'à ne pas eflàyer cette route avec un vaiflèau lourd : Pautre paflàge par lequel nous fortîmes, eft beaucoup plus facile & beaucoup plus fur. Ceux qui voudront entrer par le canal de PEft, doivent gouverner fur la pointe Nord- Eft de l'Ifle, & longer la côte feptentrionale, en la laiflânt, ainfi que les petites Mes à ftribord, jufqu'à ce qu'ils aient atteint le travers de la pointe orientale de l'entrée dans la lagune, & côtoyer enfuite le récif des petitesrrlfles ; en prenant cette route, ils paflèront entre Makkahaa & Manooafai, ou la quatrième & la cinquième des Mes qu'on voit à la hauteur de la pointe Oueft de la lagune : on peut auffi paflèr entre la troifieme & la quatrième Mes , c'eft-à-dire, entre Pangimodoo & Monooafai ; mais ce canal eft bien plus étroit que Pautre. La marée eft très-forte dans tous les deux ; le flot vient du Nord-Oueft , comme je l'ai déjà obfervé , & l'Ebbè fuit la même direétion ; mais je parlerai ailleurs des marées. Dès qu'on eft au milieu de l'un des deux canaux , il faut ferrer la côte de Tongataboo , & mouiller entre cette terre & Pangimodoo , devant une crique qui mené à la lagune où lessganots peuvent entrer à mi-flot. Si Tongataboo a le meilleur havre , Anna- mooka offre la meilleure eau, qu'on ne peut pas l777-\\. Juillet. 62 Troisième Voyage 1 Juillet. toutefois appeller bonne ; mais en creufant des puits près de l'étang, nous en trouvâmes d'aflèz paflable. Cette dernière Me giflant au centre du grouppe, eft d'ailleurs la mieux fituée pour tirer des rafraîchiflèmens des. terres des environs. Outre la rade dans laquelle nous mouillâmes, & le havre qui eft en-dedans de la pointe Sud-Oueft, il y a une crique dans le récif, qu'on voit en face de Patrie fablonneufe orientale, au côté fep- tentrional de l'Ifle où deux ou trois vaiflèaux peuvent tenir en sûreté en s'amarrant de manière à ^pe point éviter, & en établiflant leurs ancres ou amarres de l'avant & de Parriere fur les rochers. J'ai déjà décrit les Mes Hapaee ; j'ajouterai feulement ici qu'elles fe prolongent au Sud-Oueft- quart-Sud, & au Nord-Eft-quart-Nord, Pefpace d'environ dix-neuf milles. L'extrémité fepten- trionale gît par i9d 39' de latitude Sud, & 33* de longitude à PEft SAnnamooka. On trouve, dans l'intervalle qui les fépare les unes des autres , une multitude de petites Mes, de bancs de fable & de brifans ; enforte que la meilleure route, pour y arriver fans danger, eft celle que j'ai prife, ou d'arrondir par le Nord , félon la pofition du vaiflèau qui veut y aborder. Lefoo- ga, en travers de laquelle nous mouillâmes, eft la plus fertile des Mes qu'on nomme Hapaee; DE COO K. 63 die eft auffi la plus peuplée : elle offre un.mouillage le lotlg du côté Nord-Oueft ; mais il fera néceflàire de bien examiner le local, avant d'amarrer ; car, lors même que la fonde rapporterait un beau fable, on y rencontrera des rochers aigus de corail qui couperont bientôt les cables. Je renvoie à la carte ceux qui délireront de plus grands détails nautiques fur les Ifles des Amis : chacune de fes parties a été rédigée avec autant d'exaétitude que les circonftances l'ont permife. Il faut auffi y recourir, fi l'on veut connoître les divers mouillages des vaifîèaux, & leurs routes de l'une à l'autre de ces terres. Je grofîirois mon Journal, fans amufer ni inftruire le Public, fi je parlois de tous les relevemens que nous prîmes , ou de toutes les manœuvres que nous fîmes, pour revirer de bord, &c. J'omets ici plufieurs remarques géographiques, qui fe trouvent dans la relation de mon fécond voyage ; Ça) je renvoie d'ailleurs aux obferva- tions que j'y ai inférées Çb) fur les habitans, les mœurs & les arts des Ifles des Amis : en général , je" n'ai rien découvert depuis qui m'oblige 1777'• Juillet. (a) Tome I, pages 211, 213 de l'original. (b) Ibid. Pages 213 & les fuivantes de l'original. #4 Troisième Voyage Jjm r f de changer d'opinion. Je me borne donc à quel- 1777. ques particularités intéreflantes , qu'on n'y ren- Juillet. contre pas, ou qui y font expbfées d'une manière inexacte & imparfaite , & aux chofes qui . peuvent éclaircir davantage le récit que j'ai fait de nos entrevues avec les Infulaires. On imagine fans doute qu'ayant pafle près de trois mois parmi eux, je fuis en état de répondre à toutes les difficultés, &' de donner une defcription fatisfaifante de leurs ufages, de leurs opinions &vde leurs inflitutions civiles & reli- gieufes : cette opinion paraît d'autant mieux fondée, que nous avions à bord un Naturel de la Mer du Sud, qui entendoit la langue du pays & la nôtre, & qui fembloit très-propre à nous fervir d'Interprète ornais le pauvre Omaï ne nous fut pas auffi utile fous ce rapport, qu'on eft tenté de le croire. A moins que l'objet ou la chofe que nous voulions connoître, ne fe trouvât fous nos yeux, nous avions bien de la peine à acquérir des connoiflànces imparfaites. Nous faifions cent méprifes, & Omaï étoit encore plus fujet à ces méprifes que nous; car, n'ayant point de curiofité, il ne s'avifa jamais de recueillir des obfervations pour lui-même, &, quand il étoit difpofé à nous procurer des écïairciflèmens, fes idées étoient fi bornées,. peut-être fi différentes des t> E COO K. 65 des nôtres, & fes explications fi confufes, qu'el- ■ les embrouilloient nos recherches, au-lieu de 1777. nous inftruire* J'ajouterai que nous ne rencon- Juillet. trions guères, parmi les Naturels, un homme aflèz habile , & d'aflèz bonne humeur, pour nous donner les informations que nous délirions. La plupart d'entr'eux n'aimoient pas nos questions , que vraifemblablement ils jugeoient oifeu- fes. Le polie que nous occupions à Tongataboo, où nous demeurâmes le plus de temps, étoit d'ailleurs très-défavorable. Nqus nous trouvions dans une partie de l'Ifle, où il n'y a guères d'autres habitans que des pêcheurs. C'étoit conftam- ment un jour de fête, pour ceux que nous allions voir, ou qui venoient nous rendre vifite; enforte que nous eûmes bien peu d'occafions d'examiner quelle eft la manière de vivre habituelle des Infulaires. On ne s'étonnera donc pas, fi nous développons, d'une manière incomplete, plufieurs points relatifs à leurs ufages domefliques : au refle, nous nous fouîmes efforcés de remédier à ces défavantages, par des obfervations continuelles. Je dois à M. Anderfon une grande partie de la fin de ce Chapitre & du Chapitre fuivant : ce qui a rapport à la Religion & à la langue de ces peuplades, eft entièrement de lui ; &, fur les autres objets, j'ai exprimé à-peu-près dans les Tome IL E 7 1/77- Juillet. 66 Troisième Voyage I termes de fon Journal, des Remarques qui s'accordent avec les miennes. Les Naturels des Ifles des Amis excédent rarement la taille ordinaire (nous en avons cependant mefuré quelques-uns qui avoient plus de fix pieds) mais ils font très-forts & bien faits, fur-tout aux cuiflès, aux jambes & aux bras. En général, leurs épaules ont beaucoup de largeur; &, quoique leur ftature mufculeufe, qui paraît la fuite d'un grand exercice , annonce plus la vigueur que la beauté, plufieurs offrent réellement une belle figure. On eft furpris de la variété de leurs traits, & il n'eft guères poffible de les caraélérifer par une conformité générale. On peut dire qu'il eft très-commun d'y voir des pointes de nez épatées ; mais, d'un autre côté, nous avons apperçu cent vifages pareils à ceux des Européens, & de véritables nez aquilins. Ils ont les yeux & les dents d'une bonne qualité; mais les dents ne font ni fi blanches, ni fi bien rangées que celles qu'on rencontre fouvent parmi les peuplades de la Mer du Sud. Au refle, pour balancer ce défaut, il y a peu de ces lèvres épaiflès fi communes dans les Mes de l'Océan Pacifique. On reconnoît moins les femmes à leurs traits, qu'à la forme générale de leur corps, qui n'offre D E C O O K. 67 pas ordinairement l'embonpoint nerveux de celui des hommes. La phyfionomie de quelques- unes eft fi délicate, qu'elle indique leur fexe, & qu'elle a droit aux éloges qu'ondonne à la beauté & à la douceur du vifage ; mais les phyfionomies de cette efpece font aflèz rares. Au refle, c'eft la partie la plus défeétueufe ; car le corps & les membres de la plupart des femmes font bien proportionnés , & il y en a qui pourraient fervir da modèles aux Artiftes. La petiteflè & la délica- teflè extraordinaires de leurs doigts, comparables aux plus jolis doigts de nos Européennes, font ce qui les diflingue davantage. La couleur générale de la peau eft d'une nuance plus foncée que le cuivre brun ; mais plufieurs des hommes & des femmes ont un teint vraiment olivâtre : quelques-unes des perfonnes du fexe font même aflèz blanches : leur blancheur vient probablement de ce qu'elles s'expofent moins au Soleil ; ainfi qu'une difpofition à l'embonpoint, dans un petit nombre des Principaux du pays, paraît être la fuite d'une vie plus oi- five. Les Chefs offrent fouvent auffi une peau plus douce & plus propre : celle du bas-peuple eft ordinairement plus noire & plus grofliere, fur-tout dans les parties qui ne font pas couvertes, différence qu'il faut peut-être attribuer à des ^777- Juillet. 6§ Troisième Voyage V" — maladies cutanées. Nous vîmes à Hapaee un 1777. homme & un petit garçon, & à Annamooka, Juillet, un enfant d'une blancheur parfaite. On a trouvé de pareils individus chez tous les peuples noirs ; mais je préfume que leur couleur eft plutôt une maladie, qu'un phénomène de la nature. A tout prendre néanmoins, il y a peu de dé- feétuofités ou de difformités naturelles parmi euxï nous en rencontrâmes deux ou trois qui avoient les pieds tournés en-dedans, & quelques-uns affligés d'une forte de cécité, oçcafionnée par un vice de la cornée. Ils font fujets à d'autres maladies : les dartres, qui feirîblent affeéter la moitié des Infulaires, '& qui laiflènt après elles des taches blanchâtres & ferpentines, font la maladie la plus commune ; mais elle eft moins grave qu'une féconde très-fréquente, laquelle fe mani- fefte fur toutes les parties du corps, en larges ulcères qui ont de groflès bordures blanches, & qui jettent une matière légère & claire. Nous vîmes quelques-uns de ces ulcères très-virûlens ; & les Naturels, qui en avoient fur le vïfàge, infpiroient le dégoût. Nous en vîmes plufieurs de guéris , ou fur le point de l'être ; mais dans ces cas, les malades avoient perdu le nez, ou ils en avoient perdu la plus grande partie. Comme nous favions, de manière à n'en pouvoir de Coo K. 6% douter, Ça) que les habitans des Ifles des Amis étoient fujets à cette maladie dégoûtante, avant mon fécond Voyage, & que les Naturels en con- venoient; malgré la conformité des fymptômes, elle ne peut être l'effet du virus vénérien, à ' moins qu'on ne fuppofe que nous n'avons pas apporté ici la maladie vénérienne en 1773. Il eft sûr que nous l'y avons trouvée en„ 1777; car, peu de jours après notre arrivée, quelques-uns de mes gens la prirent; & je fentis avec regret, que je m'étois en vain donné, lors de ma première relâche, tous les foins poffibîes,. pour prévenir Pintroduétion d'une calamité auffi terrible. Ce qui eft extraordinaire, les Naturels ne fem- blent pas s'en occuper beaucoup, & nous vîmes peu de traces de fes effets deftruétîfs; vraisemblablement le climat & leur régime affoibliflènt fon venin. Il y a deux autres maladies répandues aux Ifles des Amis : la premiere eft une enflure coriace qui affeéte les jambes & les bras, & les groffit extrêmement dans toute leur longueur, mais qui n'a rien de douloureux; la féconde eft *777- Juillet, (a) Voyez le fécond Voyage du Capitaine Cook, ( tome II, page 20 de l'original. ) M. Cook y parle d'un homme affligé de cette maladie , qu'il rencontra à Annamooka en. 177.3. 7o T r o i s i 1 m 1 Voyage ■ ""»■ une tumeur de la même efpece, qui vient aux 1777. tefticules, & qui furpaflè quelquefois la groflèur Juillet, des deux poings. On peut d'ailleurs regarder comme des hommes très-fains, les habitans de ces contrées : nous n'avons pas rencontré, durant notre féjour, une feule perfonne détenue chez elle, pour caufe de maladie. Au contraire, leur force & leur aétivité font, à tous égards, proportionnées à la vigueur de leurs mufcles ; & ils déploient tellement l'une & Pautre dans leurs occupations habituelles , & dans leurs amufe- mens, qu'ils font, à coup sûr, peu fujets aux maladies nombreufes , qui réfultent de l'indolence , ou d'une manière de vivre contraire à la Nature. Leur contenance eft gracieufe & leur démarche ferme; ces avantages leur paroifîènt fi naturels & fi néceflaires, qu'en nous voyant tomber Souvent fur les racines des arbres, ou les inégalités du terrein, ils rioient de notre mal-adrefle, plus que de toute autre chofe. Leurs phyfionomies expriment à un point remarquable la douceur & l'extrême bonté de leur caraétere; on n'y apperçoit pas le moindre trait de cette aigreur farouche, qu'on remarque fur le vifage des peuples qui vivent encore dans un état de barbarie. Leur maintien eft fi calme, ils ont de Cook. 71 tant d'empire fur leurs paffions, & tant de fermeté dans leur conduite, qu'ils femblent affujettis dès l'enfance aux prohibitions les plus févercs ; mais ils ont d'ailleurs de la franchife & de la gaieté, quoiqu'ils prennent quelquefois fous les yeux de leurs Chefs une forte de gravité & un air féricux, qui leur donnent de la raideur, de de la mauvaife grace & de la réferve. L'accueil amical qu'ont reçu tous les Navigateurs , montre aflèz les difpofitions pacifiques des Naturels des Ifles des Amis. Loin d'attaquer les étrangers ouvertement ou clandeftinement, à l'exemple de la plupart des habitans de ces mers, on n'a pas à leur reprocher la plus légère marque d'inimitié; ils ont au contraire, à Pexemple des peuples civilisés, cherché à établir des communications par des échanges, c'eft-à-dire, par le Seul moyen qui réunit les différentes nations. Ils Sont fi habiles dans les échanges ( ils les appellent Fukatou).que nous jugeâmes d'abord qu'ils s'étoient Sormés , en commerçant avec les Mes voifines ; mais nous nous aflîirâmes enfuite qu'ils ne font point de trafic, ou qu'ils en font un très-peu confidérable, excepté avec Feejee, d'où ils tirent des plumes rouges, & un petit nombre d'articles que j'ai indiqués plus haut. Il n'y a peut-être pas fur le globe de peuplade qui mette E 4 I777- Juillet. 72 Troisième Voyage ■ plus d'honnêteté ,*& moins de défiance dans le 1777. commerce. Nous ne courions aucun rifque à leur Juillet, permettre d'examiner nos marchandifes, & de les manier en détail, & ils comptaient également fur notre bonne foi. Si l'acheteur ou le vendeur fe repentoient du marché, on fe rendoit réciproquement, d'un commun accord, & d'une manière enjouée, ce qu'on avoit reçu. En un mot, ils Semblent réunir la plupart des bonnes qualités qui font honneur à l'homme, telles que l'induf- trie, la candeur, la persévérance, l'affabilité ; & peut-être des vertus moins communes, que la brièveté de notre Séjour ne nous a pas permis d'obferver. Le penchant au vol, univerfel & très-vif dans les deux fexes, & parmi les individus de tous les âges, eft le feul défaut que nous leur connoif- fions. J'obferverai toutefois que cette partie dé- feétueufe de leur conduite, fembloit ne regarder que nous ; car j'ai lieu de croire qu'ils ne fe volent pas entr'eux plus Souvent, peut-être pas auffi fréquemment qu'en d'autres pays, où les larcins de quelques perfonnes corrompues, ne nuiSent point à la réputation du corps du peuple en général. Il Saut avoir beaucoup d'indulgence pour les tentations & les foiblefies de ces pauvres Infulaires de la Mer Pacifique, à qui nous inspirons de Cook. 73 les defirs les plus ardens, en leur montrant des objets nouveaux, dont l'utilité ou h beauté faf- 1771 cinent leurs eSprïts. Le vol, parmi les nations ci- Juillets viliSées & éclairées, annonce un caraétere Souillé par la baflèfle, par une cupidité qui mépriSe les règles de la juflice ; par cette pareflè qui produit l'extrême indigence, & qui néglige les moyens honnêtes de s'en affranchir. Mais on ne doit pas juger auffi Sévèrement les vols commis par les Naturels des Ifles des Amis, & des autres Terres où nous avons abordé : ils paraiflènt réSulter d'une curiofité, ou d'un defir très-preflànt de poflëder des choSes qui étoient absolument nouvelles pour eux, & qui appartenoient à des étrangers très-différens de leur propre race. Si des hommes auffi Supérieurs à nous en apparence, que nous le Sommes à eux, arrivoient parmi nous avec des richeflès auffi SéduiSantes que le Sont les nôtres, pour des peuplades étrangères aux arts, efl-il sûr que nos principes de juflice Suffiraient pour contenir la plijpart des individus de notre nation? La cauSe de leur penchant au vol, que je viens d'indiquer, paraît d'autant plus vraie, qu'ils volent tout indifféremment dès la premiere vue, avant de Songer, le moins du monde, à Se fervir de leur proie d'une manière utile : il n'en eft pas de même parmi nous ; le dernier de nos 74 Troisième Voyage r== voleurs ne voudrait pas rifquer fa réputation, ou l777* s'expofer au châtiment, fans favoir d'avance Pu- Juillet, fage qu'il fera des chofes dérobées. Au refle, la, diSpofition au vol.de ces InSulaires, très-déSagréa- ble & très-incommode d'ailleurs, nous fournit un moyen de connoître la vivacité de leur intelligence; car ils commettoient les petits larcins avec beaucoup de dextérité, & les vols plus capitaux, avec une fuite & des combinaifons proportionnées à l'importance des objets. J'en ai donné une preuve frappante, en racontant, qu'ils efïàyerent d'enlever en plein jour une des ancres de la Découverte. ' Leur chevelure eft en général lifle, épaifle & forte ; celle d'un petit nombre d'entr'eux boucle naturellement. Elle eft noire, prefque fans exception ; mais la plupart des hommes, & quelques- unes des femmes la peignent en brun ou en pourpre, & quelquefois en orangé. Ils produi- fèntla premiere couleur, en y mettant une forte d'enduit de corail brûlé, mêlé avec de Peau ; la féconde, en y appliquant des rapures d'un bois rougeâtre, délayées également dans de l'eau ; & la troifieme, en la parSemant, je crois, d'une poudre tirée du fouchet des Indes. Lorfque j'abordai fur ces Mes pour la premiere fois, je crus que les hommes & les femmes de Cook. 75 étoient dans PuSage de porter leurs cheveux » ■ courts; mais notre relâche ayant été plus longue 1777. cette Sois, j'ai vu beaucoup de cheveux longs. Juillet. Leurs modes, en ce point, Sont fi variées, qu'il eft difficile d'indiquer celle qui eft la plus répandue. Quelques-uns les portent coupés à l'un des côtés de la tête, tandis que la portion du côté oppoSé a toute Sa longueur; ceux-ci les ont coupés près, & peut-être raSés dans un endroit; ceux-là ont la tête raSe, excepté une Seule touS- fe, qu'ils laiflènt ordinairement près de l'oreille : d'autres les laiflènt prendre toute leur croiflànce, fans y toucher. Les femmes, en général, portent leurs cheveux courts ; les hommes fe coupent la barbe, & les deux fexes s'arrachent les poils fous les aiflèlles; j'ai déjà décrit de quelle manière. Les hommes ont des piquetures d'un bleu foncé, depuis le milieu du ventre jufqu'à mi-cuiflès. Ils produifent ces piquetures , avec un infiniment d'os, rempli de dents : après avoir plongé les dents dans le fuc du Doeedoee, ils les impriment dans la peau, à l'aide d'un morceau de bois, & il en réfulte des points ineffaçables. Ils tracent ainfi des lignes & des figures fi variées & fi bien diSpoSées, qu'elles ont quelqueSois de l'élégance. Les Semmes ne Se tatouent que l'intérieur des mains. Le Roi n'eft point aflujetti à W&k 76 Troisième Voyage *»— '"■""- cette coutume, il n'eft pas obligé non plus de 'l777* Se faire, dans les temps de deuil, ces bleflures^ Juillet, dont je parlerai tout-à-1'heure. Les hommes Sont tous circoncis, ou plutôt fupercïs, car on leur coupe Seulement un petit morceau de la partie Supérieure du prépuce; ce qui-l'empêche de recouvrir jamais le gland. Ils ne veulent pas autre choSe; ils diSent que la propreté leur a dicté cette opération. L'habillement des femmes eft le même que celui des hommes; il eft compoSé d'une piece d'étoffe, ou d'une natte, ( plus ordinairement de la premiere) large d'environ deux verges, & de deux & demie de longueur, & toujours allez long pour Saire un tour & demi Sur les reins, où il eft arrêté par une ceinture ou une corde. Il eft double Sur le devant, & il tombe comme un jupon, juSqu'au milieu de la jambe. La parv tie, qui efl au-deflus des reins, offre plufieurs plis; enforte que fi on la développe dans toute fon étendue, il y a aflèz d'étoffes pour envelop* per & couvrir les épaules, qui relient prefque toujours nues. Tel eft, pour la forme, le vêtement général des deux fexes. Les Infulaires, d'un rang diflingué, portent feuls de grandes pieces d'étoffes, & de belles nattes. Le bas-peuple s'habille de pieces plus.petites, & très-fouvépt, il ne d e C o o k. 77 porte qu'un pagne de feuilles de plantes, ou le ,, Maro, qui eft un morceau d'étoffe étroit, ou *777- une natte reflèmblant à une ceinture : ils paflènt Juillet. le Maro entre leurs cuiflès, & ils en couvrent leurs reins. Il paraît deftiné principalement aux hommes. Ils ont divers habits pour leurs grands Haivas ou fêtes; mais là forme eft toujours la même ; & les vêtemens les plus riches font plus ou moins garnis de plumes rouges. Je n'ai pu Savoir à quelle pccafion les Chefs mettent leurs chapeaux de plumes rouges. Les hommes & les femmes ont quelquefois de petits bonnets com- pofés de différentes matières, pour fe garantir le vifage du SoleiL La parure des deux Sexes eft «auffi la même. Les ornemens les plus communs, Sont des colliers du Sruit du Pandanus , ou de diverSes I fleurs odoriférantes ; on leur donne , dans le pays, le nom général de Kahulla* Les Naturels fufpendent quelquefois fur leur poitrine, de petites coquilles, l'aile & les os de la cuiflè des oifeaux, des dents de requins, &c. Ils portent Souvent, à la partie fupérieure du bras, une nacre de perle bien polie, ou un anneau de 1a même fubflance fculpté ; ils ont d'ailleurs des bagues d'écaillé de tortues, & des bracelets. Les lobes de leurs oreilles, font percés m \\f 78 T r o i s i e m e Voyage '■■ deux endroits , & ils y placent des morceaux 1777- cylindriques d'ivoire , d'environ trois pouces de Juillet, long, qu'ils introduifent par l'un des trous, & qu'ils font fortir par l'autre, ou de petits rofeaux de la même grandeur , remplis d'une poudre jaune. Cette poudre, dont les femmes fe frottent tout le vifage, ainfi que nos dames fe mettent du rouge fur les joues, paraît être du fouchet des Indes pulvérifé. Nous avons vu fouvent le lobe d'une feule^oreille percé d'un trou & non pas de deux. -^ La propreté du corps, eft ce qu'ils femblent préférer à tout ; auffi fe baignent - ils fréquemment dans les étangs, qui ne paroiflent pas destinés à autre chofe : Ça) quoique l'eau de la plupart de ces étangs foit d'une puanteur infup- portable, ils aiment mieux s'y laver que dans la mer; ils favent très-bien que l'eau falée gâte la peau ; & lorfque la néceffité les oblige à prendre des bains dans l'Océan, ils ont ordinairement des cocos remplis d'une eau douce, dont ils ( a ) On retrouve cet ufage parmi les Habitans des Ifles Carolines ; jjjj ils font accoutumés à fe baigner, » trois fois le jour, le matin , à midi, & fur le s> foir. E Lettres édifiantes & curieufes , tome 16 > page 314. D E C o O K. 7$ font ufage pour détruire cette impreffion. Ils ■ ■■ ■ recherchent beaucoup l'huile de la noix de cocos 1777» par la même raiSon ; non-Seulement ils en jettent Juillet, une quantité confidérable Sur leur tête & Sur leurs épaules, ils ont Soin de plus de s'en frotter tout le corps. Quand on n'a point vu l'effet de cette opération, on ne peut concevoir à quel point elle embellit la peau. Tous les Infulaires cependant n'ont pas des moyens de fe procurer de l'huile de cocos, & c'eft fans doute parce que le bas-peuple ne s'en fert point, que fa peau eft moins fine & moins douce. 8o Troisième Voyage *m&e& CHAPITRE XL ^ Occupations des femmes des Ifles des Amis; occupations des hommes ; agriculture ; conflruBion des maifons ; outils, cordages & inflrumens de pêche ; inftrumens de muflque ; armes , nourriture & manière d'apprêter les alimens; amufemens ; Mariages ; "Cérémonies funèbres; Divinités du Pays ; idées fur l'ame & fur une autre vie. Temples; Gouvernement ; hom* mages qu'on rend au Roi. Détails fur la Famille Royale. Remarques fur la Langue, & petit Vocabulaire de cet idiome. Obfervations nautiques â? autres. T ** JLs a vie domeflique des Infulaires des Ifles des l777- Amis, n'eft pas aflèz laborieufe pour être fati- Juillet. gante, &pas aflèz oifive pour être accufée de parefïè. La nature a été fi prodigue envers eux* qu'ils ont rarement befoin de fe livrer à beaucoup de travail; & leur activité les empêchera toujours de fe livrer à la molleflè. Par une heu- reufe combinaison des circonflances, leurs occupations habituelles Sont en fi petit nombre & de fi D E Co O K. 8l fi peu de durée, qu'ils ont bien du temps pour leur récréation ; le travail & les affaires ne viennent point troubler leursamuSemens, & ils ne quittent ces amuSemens que lorsqu'ils en Sont raflàfiés. Les occupations' des Semmes n'ont rien de pénible; elles Sont la plupart de leurs travaux, dans l'intérieur de la maiSon. Elles Se trouvent chargées Seules de la Sabrique des étoffes. J'ai déjà décrit les procédés de cette manuSaéture { j'ajouterai Seulement qu'il y a des étoffes de dif- férens degrés de fineflè. La plus groffiere, dont ils forment de très-grandes pieces, ne reçoit l'impreffion d'aucun modèle. Parmi les efpeces les plus fines on en voit de rayées, d'autres font à carreaux , ou fur divers deflèins de couleurs nuancées. Je ne dirai pas comment on applique les couleurs, car je n'ai pas été témoin de cette opération. Les étoffes en général réfiftent quelque temps à l'eau, mais la plus luftrée eft la plus folide. La féconde de leurs manufaétures qui eft auffi confiée aux femmes, eft celle des nattes, dont la texture & la beauté f urpafîènt toutes les nattes que j'ai vues ailleurs. Quelques-unes en particulier font fi fupérieures à celles à'O-Taïti, que les Navigateurs peuvent en porter comme articles de commerce à la Métropole des Ifles de la Société. J'en ai diflingué fept ou huit fortes qui Tome IL F Sa Troisième Voyage ■ leur fervent de vêtemens ou de lits, & on en 1777. trouve beaucoup d'autres deftiuées à des objets Juillet, d'agrément ou de luxe. Ils tirent Surtout ces dernières de la partie membraneufe & coriace de la tige du bananier ; les nattes qu'ils portent Se font avec le Pandanus, qu'ils cultivent pour cela, & auquel ils ne permettent jamais de fe former en tronc : les plus groffieres fur lesquelles ils dorment, viennent d'une plante appellee Ewarra. Les femmes emploient leurs momens de loifir, à des ouvrages moins impor- tans ; elles Sont, par exemple, une multitude de peignes, de petits paniers, avec la matière premiere des nattes, avec la gouflè fibreuSe de la noix de cocos, qu'elles treflent Amplement, ou qu'elles entrelacent de grains de verre; & ce qui Sort de leurs mains a tant d'élégance & de goût, qu'un étranger ne peut s'empêcher d'admirer leur confiance & leur adrefîè. Le département des hommes eft plus laborieux & plus étendu. Ils Sont chargés de l'agriculture , de la conflruétion des maifons & des pirogues, de la pêche & d'autres choSes relatives à la navigation; Ça) Comme ils Se nourriflènt (^) Le Père Cantova nous apprend que les travaux font diftribués de la même manière aux IJlm de Cook, 83 jfur-tout de racines & de fruits cultivés , ils " s'occupent Sans celle du travail de la terre, & 1777. ils Semblent avoir porté l'agriculture au degré de Juillet, perfeétion, que permet l'état où ils fe trouvent. J'ai déjà parlé du vafte terrein qu'occupent les champs de bananiers; les diflriéts plantés d'ignames, ne font pas en moindre quantité : ces deux tedcles réunis font, à l'égard du refle, dans la proportion de dix à un.' S'il s'agît de planter des bananiers ou des ignames, ils creufent de petits trous, & ils ont Soin d'extirper à l'entour l'herbe qui y croît : ces gramens ne tardent pas, dans un pays auffi chaud, à être privés de leur Sorce Végétative, & leurs détrimens deviennent bientôt un bon marnage. Les inflrumens qu'ils emploient & qu'ils appellent Hooo, Sont tout uniment des pieux de différentes longueurs , Selon le degré de profondeur qu'ils veulent donner à la fouille. Les Hooos Sont applatis & tranchans fur un bord de Puiie des extrémités ; les plus Carolines. « La principale occupation des hommes, » eft de construire des barques , de pêcher & de w cultiver la terre. L'affaire des femmes eft de faire » la cuifine , de mettre ep , plante fauvage, ÔC un arbre pour en faire de la w toile, j» Lettres édifiantes & curieufes 9 tome il , page 313. F 2 84 T R O I S I E M E V.0 Y A G £ gaggs grands portent un morceau de bois fixé tranfver- 1777. falement, afin de le prefîèr contre terre avec le Juillet, pied, d'une manière plus aifée : quoique leur largeur ne foit pas de plus de deux à quatre pouces, c'eft le feul inftrument dont ils fe fervent pour fouiller & planter un terrein qui renferme un grand nombre d'arpens. Les planta- dons de bananiers & d'ignames , fe trouvent rangées de manière qu'on apperçoit des lignes régulières & complettes, de quelque côté qu'on jette les yeux. Les cocotiers & les arbres à pain, font dif- perfés fans aucun ordre ; & ils ne femblent point donner de peine, lorfqu'ils ont atteint une certaine hauteur. On peut dire la même chofe d'un autre grand arbre qui produit une multitude de groflès noix arrondies & comprimées, appellees Eeefee, & d'un arbre plus petit qui porte une noix ovale, avec deux ou trois amandes triangulaires, coriaces & infipides, celui-ci eft appelle Mabba, & les Naturels le plantent fouvent autour de leurs maifons. En général, le Kappe forme des plantations aflèz vaftes, mais irréguîieres. Les Mawhahas font entre-mêlés parmi d'autres productions, ainfi que le Jeejee & les ignames. J'ai remarqué fréquemment des ignames dans les intervalles des de Cook, 85 bananiers. Les cannes de fucre occupent ordinairement peu de terrein, & elles ne font pas l777< claîr-femées. Le mûrier papier dont les Naturels Juillet, tirent leurs étoffes, eft planté fans ordre, mais ils lui laiflènt Pefpace néceflaire à fa croiflànce, & ils ont foin de nettoyer les environâ^Le^^^- danus eft la feule plante qu'ils cultivent d'ailleurs pour leurs manufactures ; les différens pieds font communément rangés fur une ligne très- ferrée , aux bords des champs mis en culture. Le pandanus cultivé, leur paraît fi fupérieur à celui qui vient naturellement, qu'ils lui donnent un nom particulier, d'où il réfulte qu'ils con- noiflènt très-bien les améliorations que produit la culture. Il faut obferver que cette peuplade qui montre beaucoup de goût & d'efprit en plufieurs chofes, en montre peu dans la conftruélion de fes maifons; au refle, l'exécution en eft moins défeétueufe que la forme. Celles du bas-peuple font de pauvres cabanes très-petites, & elles ga- rantiflènt à peine de la rigueur du temps. Celles des Infulaires d'un rang diflingué, font plus grandes & mieux abritées, mais elles devraient être meilleures. Une maifon de moyenne grandeur, a- environ trente pieds de long, vingt de large & douze de hauteur; c'eft, à proprement parier, F 3 86 Troisième Voyage ■—»--™ un toit couvert de chaume , Ipytenu par des 1777, poteaux & des folives difpofés d'une manière Juillet, très-judicieufe ; le plancher;t$|ui eft de la terre battue, fe trouve un peu élevé & reiisitu d'une natte forte & épaiflè , qu'on tient très-propre. La plupart font fermées du côté du ve^f* & quelques-unes dans plus de deux tiers de leur circonférence, avec de groflès nattes ou des branches de cocotier entrelacées : ces branches descendent des bords du toit jufqu'à terre, & elles fervent ainfi de murailles. Une autre natte grof- fiere & forte, d'environ deux pieds & demi ou trois pieds de largeur, courte en demi-cercle & pofée de champ, don^^fKtrémit^touchai le côté de la maifon , renferme un efpace où couchent le maître & la m$îtreflè du ménage. La femme s'y tient la plus grande partie de la journée ; le refle de la famille couche fur le plancher fans avoir aucune place fixe ; les hommes & les femmes, qui ne So&t pas mariés, éloignés les uns des autres. Si la famille efl nombreufe, il y a de petites huttes contiguës à la maiSon, où les dom^Hq^s Se retirent la nuit , enSorte que leur intérieur efl auffi réServé & auffi décent qu'il peut l'être. J'ai déjà dit qu'ils dopaient Sur des nattés; les vêtemens qu'ils portent le jour, leur tiennent lieu, de couvertures pendant la nuit. DE C O O K. «7 La lifte de leurs meubles n'eft pas longue ; ils -ma.11' ont un bowl ou deux, dans leSquels ils Sont la 1777. Kava, un petit nombre de gourdes, des co- Juillet. ques de cocos, de petites eScabelles de bois, qui leur Servent de couffins, & quelqueSois une eS- cabelle plus grande Sur laquelle s'affied le Chef ou le maître de la maifon. La feule raifon plaufible que je puifle donner de leur dédain, pour les ornemens de l'architecture de leurs chaumières, c'eft qu'ils aiment paf- fionnément à Se tenir en plein air. Ils ne mangent guères dans leurs maiSons ; ils y couchent, ils s'y retirent lorfque le temps efl mauvais, & c'eft tout l'uSage qu'ils Semblent en Saire. Le kfé-peuple, qui paflè une grande partie de Sa vie autour des CheSs, n'y va ordinairement que dans le dernîêkcas. Leurs Soins & leur dextérité pour ce qui a rapport à Parchiteéture navale , fi je peux employer ce nom , excuSent la négligence que je Viens de leur reprocher. La relation de mon Second Voyage, Ça) donne la description de leu*l (a) Vol. I, pag. 21^ & 216 de l'original. Si Ton compare les détails donnés ici par le Capitaine Cook , avec ce que Cantova nous dit des pirogue* des Ifles Carolines, on appercevra encore une grande conformité fur ce point. Voyez les lettres édifiantes & curieufes, pag, 286. F4 88 Troisième V o y a g e ■ ' pirogues, & de leur manière de les conflruire 1777. ou de les manœuvrer, j'y renvoie les Leéteurs.. Juillet. Des haches de cette pierre noire & polie, qu'on trouve en abondance à Toofoa, des dents de requin5fixées Sur de petits manches qui tiennent lieu de tarrieres, des limes composées de la peau groffiere d'une eSpece de poiflbn, attachées à des morceaux applatis de bois, plus minces d'un côté que de l'autre, & garnis auffi d'un manche, Sont les Seuls outils dont ils Se Servent pour conflruire leurs pirogues. Ces embarcations , qui Sont les plus parfaits de leurs ouvrages méchaniques, leur coûtent beaucoup de temps & de travail ; & on ne doit pas s'étonner s'ils en prennent tant de Soin. Ils les conflruiSent & ils les gardent Sous des hangars ; & , lorsqu'ils les laiflènt Sur la côte, ils couvrent la partie Supérieure de feuilles de cocotiers, afin de la garantir du SoleiL Si j'en excepte diverSes coquilles , qui leur tiennent lieu de couteaux, ils n'emploient jamais d'autres outils. Au refle, ils ne doivent Sentir la foibleflè & l'incommodité de leurs inflrumens, que dans la conftruétion des pirogues, ou la fabrique de quelques-unes de leurs armes ; car iî& ne font guères d'ailleurs que des meubles de pêche & des cordages. de Cook. 89 Ils tirent leurs cordages des fibres de la goufle ; de cocos ; ces fibres n'ont que neuf ou dix pieds 1777 de long,,mais ils les joignent l'une à l'autre en Juillet les tordant; ils en font ainfi des ficelles de l'é- paiflèur d'une plume, & d'une très-grande longueur, qu'ils roulent en pelottea, & qu'ils réu- Mf niflènt enfuite , pour avoir de gros cordages. Leurs lignes de pêche font auffi fortes & auffi unies, que les meilleures des nôtres. De grands & de petits hameçons forment le refle de leur attirail de pêche; les derniers font en entier de nacre de perle ; mais les premiers font feulement recouverts de cette matière. La pointe des uns & des autres efl ordinairement d'écaillé de tortue ; celle des petits eft fimple, & celle des grands barbelée. Ils prennent avec les. grands, des bonites & des albicores; pour cela, ils adap*- tent à un rofeau de bambou, de douze ou quatorze pieds de long, Phameçon fufpendu à une ligne de la même longueur. Le bambou efl aflu- jetti par une piece de bois entaillée , poSée à l'arriére de la pirogue, &, à meSure que l'embarcation s'avance, elle traîne Sur la Surface de la mer, Sans autre appât, qu'une touffe de lin qui Se trouve près de la pointe. Ils poflèdent auffi une multitude de petites Seines, dont quelques-unes Sont d'une texture très-délicate; ils s'en WMêtm ço Troisième Voyage mmmmmmm. Servent pour pêcher dans les trous des récifs, au ^777* moment du reflux. Juillet. Leurs autres ouvrages méchaniques Sont Surtout des flûtes de roSeau composées, des flûtes fimples, des armes de guerre, & ces eScabelles qui leur tiennent lieu de couffins. Les fûtes composées ont huit, neuS ou dix roSeaux placés parallèlement, mais dans une progreffion qui n'eft pas régulière; car les plus longs Sont quelquefois au milieu, & il y en a plufieurs de la même longueur. Je n'en ai vu aucun qui donnât plus de fix notes; ils paroiflènt incapables d'en tirer une mufique dont nos oreilles puiflènt diflinguer les divers fons. Ça) Les flûtes fimples font des morceaux de bambou, fermés aux deux bouts, & garnis de fix trous, deux defquels font voifins des extrémités; en jouant, ils ne font ufage que de deux des trous du milieu, & de l'un de ceux de l'extrémité. Ils bouchent la narine gauche avec le pouce de la main gauche ; & , avec la narine droite, ils fouffient dans le trou de l'extrémité : ils mettent le doigt du milieu de la main gauche, fur le premier trou de la gauche, {a) On trouve, dans le fécond Voyage de Cook, vol. I, pag. 221 de l'original, planche XXI, une figure de cette flûte de rofeau compofée. D E C O O K. 91 & l'index de la droite, Sur le trou inférieur de ce côté : ainfi, avec trois notes feulement, ils produifent une mufique fi£B|?le & agréable, qu'ils varient beaucoup plus qu'on ne le croirait, vu l'imperfeétion de leur infiniment. Ils #e paroif- fent pas goûter notre mufique, qui eft fi compliquée ; & cela vient peut-être de l'habitude d'entendre la leur, qui eft compofée de fi peu de notes. Au relie, ils trouvent du pl&ifir à des chants plus groffiers encore que les leurs ; car nous remarquâmes qu'ils écoutoient avec intérêt ceux de nos deux Zélandois, lefqfiçls pouffbient des fons forts, qui n'avoient rien de mélodieux ou de mufical. Les 8$nes qu'ils fabriquent, font des maflues de différentes efpeces, dont la fculpture eft très- longue, des piques & dès dards. Ils ont des arcs & des flèches, qui femblent deftinés feulement à lçurs plaifirs, à la ebâflè des oifeaux, par exemple, & non pas à tuer leurs ennemis. Les efca- belles ont à-peu-près deux pieds de long, quatre ou cinq pouces d'élévation , & environ quatre pouces de largeur; elles fe courbent dtus le mi-< lieu, & elles portent fur quatre forts jambages, qui ont des pieds circulaires : elles font d'un feul morceau de bois noir ou brun, bien poli & in-, crufté d'ivoire. Ils inçft^g&t également d'ivoire, 1777. Juillet. — If 92 Troisième Voyage , , ..- les manches de leurs chaflè-mouches, qu'ils fculp- l777* tent d'ailleurs. Ils Sont avec de l'os, de petites Juillet, figures d'hommes, d'oiSeaux, & d'autres choSes ; travail qui doit être difficile, car ils n'emploient qu'une dent de requin. Les ignames, les bananes, & les noix de cocos , Sorment la plus grande partie des végétaux dont ils Se nourriflènt; les cochons, les volailles, les poiflbns, & les coquillages de toute eSpece f Sont les principaux articles de leurs nourritures animales , mais le bas - peuple mange des rats. L'igname, la banane, le Srûit à pain, le poiflbn & les coquillages deviennent leur reflburce habituelle aux diverfes époques de l'année ; les cochons , les volailles & les tortues paroiflènt être des SriandiSes extraordinaires réServées pour les CheSs. L'intervalle entre les SaiSons des végétaux, doit être quelquefois confidérable ; car ils préparent une forte de pain de banane, qu'ils tienrîiïîlC en réferve : pour cela, ils dépofent les fruits fous terre, avant qu'ils foient mûrs, & ils les y laiflènt jufqu'au moment de la Sermentation ; ils les en tirent alors, & ils en Sont de petites boules fi aigres & de fi mauvaiSe qualité, qu'ils pré- Seraient Souvent notre pain, quand même il étoit un peu moifi. En général, ils cuifent leurs alimens au four^ D E C O 0 K. 93 de la même manière qu'à O-Taïti, & ils ont Part de tirer de quelques fruits , différens mets que la plupart d'entre nous jugèrent très-bons. Je ne les ai jamais vu faire ufage d'aucune efpece de fâuflè, ou boire à leur repas autre chofe que de l'eau, ou du jus de cocos : ils ne boivent la Kava que le matin. Leur cuifine ou leur manière de manger font mal-propres ; en général, ils pofent leurs alimens fur la premiere feuille qu'ils rencontrent, quelque fale qu'elle foît; mais les nourritures deftinées aux Chefs, fe mettent communément fur des feuilles vertes de bananiers. Quand le Roi faifoit un repas, il étoit fervi par trois ou quatre perfonnes; l'une décou- poit; une féconde divifoit en bouchées les gros morceaux ; & d'autres étoient prêtes à offrir les noix de cocos, & les diverSes choSes dont il pouvoit avoir beSoin. Je n'ai jamais rencontré de nombreux convives dînant enSemble , ou mangeant à la même portion : lors même qu'ils pa- roiflènt réunis pour un repas, on divife les mets en grçflès portions, deftinées à un certain nombre ; ces groflès portions Se Sous-diviSent, enSorte qu'il eft rare de trouver plus de deux ou trais Naturels qui mangent enSemble. J'ai déjà dit que les Semmes ne- Sont point exclues des repas des hommes ; mais il y a des clafles d'InSulaires qui l777- Juillet. 94 Troisième Vo y à d è "itt '-'r'."r ne peuvent ni manger ni boire enSemble. Cette l777* diftinétion commence au Roi, & je ne Sais pas Juillet, où elle finit. %$jj0 Je jugeai qu'ils n'ont point d'heure fixe pour leur repas. Au refle, il Saut obServer que , durant notre Séjour parmi eux , leur affiduité auprès de nous dérangea beaucoup leur manière de vivre habituelle. Si nous ne nous Sommes pas trompés dans nos observations, les Naturels, d'un rang Supérieur, ne prennent que la Kava le matin , & les autres mangent peut-être un morceau d'igname ; mais il nous a femblé qu'ils mangent tous quelque choSe dans l'après-midi. Il eft vraisemblable que PuSage de Saire un repas, pendant la nuit, eft aflèz commun, &, qu'interrompant ainfi leur Sommeil, ils dorment Souvent le jour. Ils vont Se coucher avec le Soleil, & ils Se lèvent avec l'aurore. Ça) Ils aiment beaucoup à Se réunir : il eft très- commun de ne trouver perSonne dans les mai- ïbns;îes maîtres du logis Sont chez leurs voifins, ou plutôt au milieu d'un champ des environs, où ils s'amuSent à cauSer, & où ils prennent {a) Canto va dit aufH des habitans des Ifles Carolines : à ils prennent leur repas, dès que le faîeil eft » couché , & ils fe lèvent avec l'aurore. j> Lettres édifiantes & curieufes, tome 15 , page 314. de Coo k. 95 d'autres divertiflèmens. Des chants, des danSes, & de la mufique, exécutés par des Semmes, forment fur-tout leurs amufemens particuliers. Lorfque deux ou trois femmes chantent à-la- fois, & font claquer leurs doigts, on donne, à ce petit concert, le nom d'Oobai ; mais, lorsqu'elles Sont en plus grand nombre, elles Se divisent en grouppes , qui chantent Sur différentes clefs , & qui produifent une mufique agréable, ce qu'on appelle Heeva ou Haiva. Les Naturels varient également les fons de leurs flûtes ; & , pour faire plufieurs parties , ils emploient des inflrumens de diverfes longueurs, mais leurs danfes approchent beaucoup de celles qu'ils exécutent en public. Les danfes des hommes , fi toutefois on peut ici faire ufàge de ce terme, ne confiftent pas fur-tout dans le mouvement des pieds, comme les nôtres, mais on y remarque mille mouvemens de la main, que nous ne pratiquons pas. Chacun de ces mouvemens a une aifànce & une grace qu'il eft impoffible de décrire ou de faire concevoir à ceux qui ne les ont point vus. Il n'eft pas befoin de rien ajouter à ce que j'ai dit fur ce point, dans le récit des fêtes qu'on nous donna aux Ifles des Amis. Ça) (a) Si l'on compare la defcription inférée plus haut, des fêtes données au Capitaine Cook par les .1777. Juillet. 96 Troisième Voyage m p ■» J'ignore fi la durée de leur mariage efl aflurée 1777. par une forte de contrat folemnel ; mais je puis Juillet. | j i Chefs de Hapaee & de Tongataboo , ainfi que les obfervations générales fur les amufemens des Infulaires qu'on vient de lire , avec le paffage tiré des lettres des Jéfuites, Se imprimé à la page 319 & 320 , on verra de plus en plus qu'il eft très-raifonnable d'attribuer à une fource commune, des ufages d'une conformité fi frappante. Pour appuyer cette obfervation, j'ai déjà fait valoir l'argument tiré de l'identité du langage ; j'ai remarqué qu'on défigne, par le même nom, les Chefs des Ifles Carolines Se ceux de Ha- mao, Tune des Ifles des Amis. Cet exemple feul fournit une aflez bonne preuve , mais je puis en citer d'autres. Le Père Cantova, qui a publié quelques mots du Dialeéte des Infulaires de la Mer Pacifique du Nord, ajoute immédiatement après le paffage auquel je viens de renvoyer : « Ce divertiffement s'ap- j? pelle en leur langue, Tanger ifaifil, qui veut dire s? la plainte des femmes. » Lettres édifiantes & curieufes, tome XV, page 315. Selon le Vocabulaire de M. Anderfon, qu'on trouvera plus bas, les habitans de Tongataboo expriment par les termes de Tangec Vefaine, cette plainte des femmes, que les Naturels des Ifles Carolines défignent par les mots de Tanger ifaifil. S'il reftoit encore des doutes à quelques Lecteurs , j'obferverois qu'une longue féparation & d'autres caufes ont , de l'aveu de tout le monde, amené une plus grande différence, dans la manière de prononcer ces deux mots? fur des Ifles habitées par la même dire de Cook. ^7 dire que le gros du peuple fe contente d'une femme. Les Chefs, néanmoins, en ont ordinairement plufieurs; Ça) au refle, il fembla à quelques-uns d'entre nous, qu'une feule étoit regardée comme la maîtreflè de la famille. Nous jugeâmes d'abord qu'ils n'eftiment pas beaucoup la vertu des femmes , & nous nous attendions à voir fouvent des infidélités conjugales ; mais nous étions bien loin de leur rendre juflice. Je ne fâche pas qu'il Se Soit commis une infidélité de cette eSpece, durant notre Séjour : Çb) les Semmes des premiers rangs, qui ne Sont point mariées, ne prodiguèrent pas plus leurs faveurs. Il efl vrai que la débauche Se montra d'ailleurs • peut-être même , relativement à la population, race. Le Vocabulaire de M. Anderfon , imprimé dans le fécond Voyage du Capitaine Cook, nous apprend que le terme Tangee des Ifles des Amis, eft le Taee des O-Taïtiens; & que le Vefaine des Ifles des Amis^ eft le Vaheine des Ifles de la Société. {a) Cantova dit des habitans des Ifles Carolines: 3) La pluralité des femmes eft non-feulement permife » à tous ces Infulaires, elle eft encore une marque « d'honneur & de diftinclion. Le Tamole de l'Ifle j> ft Huoguoleu en a neuf, n Lettres édifiantes & eu* j> rieufes > tome XV, page 310. (b) Les habitans des Ifles Carolines « ont horreur » de la débauche, comme d'un grand péché , ?? dit le Père Cantova. Ibid. torn. XV, page 310. Tome IL G 1777. Juillet. r # / mm 98 Troisième Voyage ■ eft-elle plus commune ici que dans les autres 1777. pays; mais il, me parut que les femmes'qui s'y Juillet, livraient, étoient en général, fi elles n'étoient pas toutes, des claflès inférieures; & celles qui permirent des familiarités à nos gens, faifoient le métier de proflituées. Le chagrin & la douleur que caufe à ces Infulaires la mort de leurs amis ou de leurs compatriotes, efl.la meilleure preuve de la bonté de leur caraétere ; Ça) pour me fervir d'une expref- fion commune, leur deuil ne confifte pas en paroles, mais en aétions; car, indépendamment du Tooge, dont j'ai déjà parlé, ils fe donnent des coups de pierre fur les dents, ils s'enfoncent une dent_de requin dans la tête, jufqu'à ce que le j»||fèng en Sorte à gros bouillons ; ils Se plongent une pique dans l'intérieur de 4a cuiflè, dans le flanc au-deffbus des aiflèlles, & dans la bouche à travers les joues. Ces violences fuppofent un degré extraordinaire d'affeétion, ou des principes de Superflition très-cruels : leur fyflême religieux doit y contribuer ; car elles font quelquefois fi univerfelles, que la plupart de ceux qui fe (/z) On peut.voir dans le tome XV , des Lettres édifiantes, page 308, de quelle. manière les habitans des Ifles Carolines expriment leur'chagrin dans ces occafions* D E C O O K. <)<) maltraitent fi rudement, ne peuvent connoître la ^^^^ perforate qu'on pleure. Nous vîmes, par exem- 1777. pie, les Infulaires de Tongataboo, pleurer ainfi Juillet. la mort d'un Chef de Vavao, & nous fûmes témoins d'autres fcenes pareilles. Il faut obferver que leur douleur ne fe porte aux derniers excès, qu'à la mort de ceux qui étoient très-liés avec les pleureurs. Quand un Naturel meurt, on l'enterre , après l'avoir enfeveli à la manière des Européens, dans des nattes & des étoffes. Les Fiatookas Semblent être des cimetières réServés aux Chefs; mais le bas-peuple n'a point de Sépulture particulière. Ça) Je ne puis décrire les cérémonies Sunebres qui ont lieu immédiatement après l'enterrement, mais il y a lieu de croire qu'ils en pratiquent quelques-unes ; car on nous apprit, comme je l'ai déjà raconté, que les funérailles de la Semme de Maréewagee Seraient Suivies de diverSes cérémonies ; que ces cérémonies (a) Le Père Cantova dit, en parlant des Naturels des Ifles Carolines : 7 Lorfqu'il meurt quelque per- « fonne d'un rang diftingué, ou qui leur eft chère par j; d'autres endroits, fes obfeques fe font avec pompe. 3> Il y en a qui renferment le corps du défunt dans i> un petit édifice de pierre, qu'ils gardent en-dedans » de leurs maifons, d'autres les enterrent loin de a* leurs habitations. » Lettres édifiantes & curieufes , tome XV, pag* 308, 309. ft ÏOO Troisième V o y a g à 1777. Juillet. dureraient cinq jours, & que chacun des principaux perSonnages de l'Ifle y affilierait. La durée & PuniverSalité de leurs deuils, annoncent qu'ils regardent la mort comme un très- grand mal : ce qu'ils Sont pour l'éloigner , le prouve d'ailleurs. LorSque j'abordai Sur ces Mes, en 1773, je m'apperçus qu'il manquoit aux Naturels, un des petits doigts de la main,-& Souvent tous les deux : on ne me rendit pas alors un compte SatisSaiSant de cette mutilation ; Ça) mais on m'apprit cette Sois, qu'ils Se coupent les petits doigts, lorfqu'ils ont une maladie grave, & qu'ils fe croient en danger de mourir : ils fup- pofent que la Divinité, touchée de ce facrifice leur rendra la fanté. II? font l'amputation avec une hache de pierre. Nous en vîmes à peine un fur dix qui ne fût pas mutilé de cette manière : ces petits doigts de moins produifent un effet défagréable , fur-tout quand ils les coupent fi près, qu'ils enlèvent une partie de l'os de k main, ce qui arrive quelquefois. Çb) {#-) Voyez le fécond Voyage de Cook, tome I, page 222 , de l'original. (b) J'ajouterai ici, d'après l'autorité du Capitaine King, qu'il eft très-commun de voir le bas-peuple fe couper une des jointures du petit doigt, lorfque les Chefs dont ils dépendent font malades. DE COO K. IOI i En voyant avec quelle rigueur ils pratiquent quelques-unes de leurs cérémonies funèbres ou religieufes, on efl tenté de croire qu'ils cherchent à affurer leur bonheur au-delà du tombeau , mais ils n'ont guères en vue que des cho- fes purement temporelles ; car ils femblent avoir peu d'idée des châtimens d'une autre vie, à la fuite des fautes commifes dans ce monde. Ils pen- fent néanmoins qu'ils méritent d'être punis fur la terre, & ils n'oublient rien de ce qui peut mériter la bienveillance de leur Dieu. Ils donnent le nom de Kallafootonga à l'Auteur Suprême de la plupart des choies; ils dilent que c'eft une Semme ; qu'elle réfide au Ciel ; qu'elle dirige le tonnerre, les vents & la pluie, & eu général toutes les variations du temps; ils imaginent que, lorsqu'elle efl Sâchée contre eux, les récoltes font mauvaises ; que la Soudre détruit une multitude de corps; que les hommes Sont en proie à la maladie & à la mort, auffi-bien que les cochons & les autres animaux ; & que, fi la colère de Kallafootonga diminue , tout rentre dans l'ordre naturel : il paroît qu'ils comptent beaucoup Sur l'efficacité de leurs efforts pour PappaiSer. Ils admettent plufieurs Dieux inSérieurs à Kallafootonga ; ils nous parlèrent en-particulier de Toofooa-Bôokotêo , ou du Dieu des G 3 l777- Juillet [.- ilïli! 102- Troisième V o y a g e nuages & de la brume, de Talleteboo, & de quel- 1777- ques-uns qui habitent les Cieux. Celui qui oc- juillet, cupe le premier rang & qui a le plus d'autorité, eft chargé du gouvernement de la mer & de Ses produétions ; ils l'appellent Futtofaihe, ou, comme ils prononcent quelquefois, Footafooa ; ils difent qu'il efl de PeSpece mâle, & qu'il a une femme nommée Fykaoa-Kajeea ; ils croient qu'il y a dans l'Océan, comme au Ciel, plu- vre ; leur chevelure étoit noire & liflè ; quelques- uns la portoient nouée en touffes au fommet de la tête , & d'autres, la laiflbient flotter fur les épaules ; leurs vifages nous parurent ronds & pleins, mais^peu applatis, & leur phyfionomie annonçoït une forte de férocité naturelle ; un pagne étroit qui enveloppoit leurs reins, & qui, paflant entre les cuiflès, voiloit les parties que cache la pudeur, compofoit tout leur vêtement : plufieurs de ceux que nous vîmes aflèmblés fur la grève, avoient une efpece d'habit blanc, qui leur couvrait le corps en entier : nous ne remarquâmes d'autres parures, que des coquilles de perlçs fufpendues fur la poitrine. L'un d'eux fojLiffla conftamment dans une grafle conque à laquelle étoit fixé un rofeau d'environ deux pieds de longueur : il n'en tira d'abord qu'un feul ton, mais il en fit bientôt une forte d'infiniment de mufique, & il répéta fans ceflè deux ou trois notes qui étoient de la même force. Je ne fais pas ce qu'annonçoit cette conque ; mais je n'ai jamais obfervé qu'elle annonçât la paix. , Les piroques me parurent avoir trente pieds . i4 •$£. nt 1777- Août. Troisième Voyage de long, & deux pieds au- deflus de la furface de Peau. L'avant fe projettoit un peu en faillie, & il étoit coupé par une entaillure horizontale, qui fembloit repréfenter la gueule de quelque animal : l'arriére s'élevoit par une courbure légère en diminuant peu-à-peu de largeur, jufqu'à la hauteur de deux ou trois pieds, & il étoit fculpté par-tout, ainfi que la partie fupérieure des côtés; le refle des côtés qui avoit une direction perpendiculaire, fe trouvoit incrufté de coquilles blanches & plates , difpofées en demi- cercles concentriques, la courbure tournée vers le haut. La premiere de ces embarcations portoit fept hommes, & la féconde huit; les Infulaires les manœuvraient avec de petites pagaies, dont les pales étoient prefque ronds ; elles avoient chacune un balancier d'une aflèz grande longueur; elles marchoient quelquefois fi voifines l'une de l'autre, qu'elles fembloient former un feul canot, muni de deux balanciers. Les rameurs fe tournoient quelquefois vers l'arriére, & ils alloient de ce bord fans revirer. Lorfqu'ils nous virent décidés à partir , ils fe tinrent debout, & ils prononcèrent tous enfemble quelques paroles d'un ton très-haut; mais j'ignore fi cette efpece de chant indiquoit leur bienveillance ou leur inimitié ; il efl sûr toutefois, qu'ils de Cook. 137 n'avoient point d'armes, & que nous ne dé- ; couvrîmes pas avec nos lunettes, que les naturels qui nous regardoient du rivage , fuflènt armés. \\ p,.. En mîéloignant 'de cette Me, dont la découverte pourra procurer quelques avantages aux; navigateurs, je mis le cap au Nord à l'aide d'un vent frais de PEft-quart-Sud-Efl, & le lendemain 12, à la pointe du jour, nous apperçûmes l'Ifle Maitea. O-Taïti feonontra bientôt après; cette dernière Me fe prolongeoit à Midi du Sud-Ouefl-quart-Oueft , à POueft-Nord-Oueft, & la pointe d'Oheitepeha nous reftoit dans POuefl à environ quatre lieues. Je gouvernai fur la baie dont je viens de parler, je voulois y mettre à l'ancre, afin de tirer des rafraîchiflèmens de la bande Sud-Eft de l'Ifle, avant d'aller à Matavai, où je comptois fur-tout embarquer des vivres. Nous eûmes un vent frais de la partie de PEft jufqu'à deux heures de l'après-midi ; nous nous trouvions, à cette époque, à environ une lieue de la baie, & le vent qui s'éteignit tout-à-coup, fut remplacé alternativement par de légers fouffies de vents qui venoient de tous les points du compas, & par des calmes. Cette tranquillité de l'atmofphere dura près de deux heures ; des rafales fubites de PEft, accompagnées 1777. Août» 12. 138 T r o i s i e m e Voyage 1 - ■■ ■ dé pluie , furvinrent enfuite ; elles nous por* l777* terent devant la Baie, où une brife de terre Août, rendit inutiles nos manœuvres pour gagner le mouillage. ■ ■•'. Du moment où nous approchâmes de l'Ifle, plufieurs pirogues, conduites chacune par deux ou trois hommes, prirent la route des vaiflèaux; mais comme ces Infulaires étoient des claflès inférieures , Omaï ne fit point attention à eux. Les Naturels ne le regardèrent pas avec plus d'em- preflèment, & ils ne femblerent pas même s'ap- percevoir qu'il fût un de leurs compatriotes ; ils lui parlèrent néanmoins quelque temps. Enfin nous vîmes arriver un Chef, appelle Ootee , que j'avois connu autrefois ; il étoit beau-frere d'Omaï, & il fe trouvoit par hafard dans cette partie de rifle : trois ou quatre perfonnes, qui toutes avoient connu Omaï, avant qu'il s'embarquât fur le bâtiment du Capitaine Furneaux , l'accompagnoient. Leur entrevue n'eut rien de fenfible ou de remarquable; ils montrèrent, au contraire, une indifférence parfaite, jufqu'à ce qu'Ornai ayant amené fon beau-frere dans la Wm grand'chambre , ouvrit la caiflè qui renfermoit fes plumes rouges & lui en donna quelques-unes. Les Naturels, qui étoient fur le pont, apprirent cette grande nouvelle, & les affilies changèrent de Cook, 139 tout de fuite de face ; Ootee qui vouloit à peine parler à Omaï ; le fupplia de permettre qu'ils fuflènt Tayos, Ça) & qu'ils changeaflènt de nom. Omaï accepta cet honneur ; & , pour témoigner fa reconnoiflànce, il fit un préfent de plumes rouges à Ootee , qui envoya chercher à terre un cochon qu'il deftinok à fon nouvel Ami. Chacun de nous fentk que ce n'étoit pas Omaa, mais fes richeflès, qu'aimoient les Infi^ laîres : s'il n'eût point étalé devant eux fes plumés rouges , qui font les chofes les plus efH- mées dans l'Ifle, je croîs qu'ils ne lui auraient pas même donné une noix de cocos. C'eft ainfi* que fe pafla la premiere entrevue d'Omaï avec fes compatriotes; j'avoue que je m'y êtois attendu , mais j'efpérois toujours qu'avec les tréfors dont la libéralité de fes amis dHAngleterre l'a- voit chargé , il deviendrait un perfôatiage importât; que les Chefs les plus diflingués des diverfes Mes de la Société le refpecteroient & lui feroient leur cour. Cela ferait fùrement arrivé, s'il avoit mis quelque prudence dans fe conduite ; mais il fut loin de mériter cet éloge ; je fuis.- fâché de dire qu'il fit trop peu d'attention aux avis multipliés de ceux qui lui vouloïent du 177J' Août, (<*) Amis. i4o Troisième Voyage j; bien, & qu'il fe laiflà duper par tous les frip- l777- pons du pays. Août. Les Naturels avec lefquels nous causâmes, durant cette journée, nous apprirent que deux vaiflèaux avoient relâché, à deux reprifes différentes, dans la baie d'Oheitepeha, depuis mon départ en 1774; & qu'ils en avoient reçu des animaux pareils à ceux qui fe trouvoient fur mon bord. Des recherches ultérieures me firent connoître que ces bâtimens étrangers leur avoient laifle des cochons, des chiens, des chèvres, un taureau , & le mâle d'un autre quadrupède , dont nous ne pûmes deviner l'efpece, fur la description imparfaite qtfon nous en donna. Ils nous dirent que ces vaiflèaux étoient venus d'un port appelle Reema; nous conjecturâmes qu'il s'a- giflbit de Lima , Capitale du Pérou, & que les bâtimens étoient Efpagnols. On nous informa auffi , que les étrangers avoient conftruit une maifon, durant leur premiere relâche, & qu'ils avoient laiffé dans l'Ifle quatre hommes ; favoir, deux Prêtres, un Domeftique, & une quatrième perfonne, appellee Mateema, qui fut fouvent l'objet de la converfation ; qu'ils avoient emmené quatre des Naturels ; que les deux bâti-, mens étoient revenus environ dix mois après; qu'ils avoient ramené deux des O-Taïtiens, les D E C O O K. 141 deux autres étoient morts à Lima; qu'au bout : d'un féjour de peu de durée, ils embarquèrent leurs compatriotes; mais que la maifon bâtie par eux fubfiftoit encore. I Les amis d'Omaï publièrent dans l'Ifle qu'il y avoit des plumes rouges à bord de nos vaiflèaux:, & cette importante nouvelle excita les defirs de tout le monde : le lendemain, dès le point du jour', nous fûmes environnés d'une multitude de pirogues, remplies d'Infulaires, qui apportaient au marché des cochons & des fruits. Une quantité de plumes auffi peu confidérable, que celle qu'on tire d'une mélange, nous procura d'abord un cochon du poids de quarante ou cinquante livres; mais prefque tous les hommes des vaif- Seaux, ayant en propre, une pacotille quelconque de cette marchandise précieuSe, Sa valeur diminua de cent pour cent avant la nuit. Après Cette diminution de prix, les échanges conti- nuoient néanmoins à nous être Sort avantageux, & les plumes rouges l'emportèrent toujours Sur chacun des autres articles. Quelques-uns des Naturels ne vouloient échanger un cochon que contre une hache ; mais les clous, les grains de verre, & les bagatelles de cette eSpece, qui avoient une fi grande vogue, dans nos voyages antérieurs, étoient alors fi mépriSés, qu'ils am- 1777. Aoûr. T 1 I4& J r o i s i e m e Voyage rrm^mmlr raient à peine les regards d'un petit nombre de l777* perSonnes. Août. H y eut peu de vent durant toute la matinée, & nous ne mouillâmes qu'à neuS heures dans la baie, où nous amarrâmes avec ctettX ancres. La Sœur d'Omaï arriva à bord pfu de temps après* Je vis, avec un extrêïpg plaifir, qu'ils Se donnèrent l'un & Pautre, des marques de la plus tendre affection; il efl plus aifé de concevoir, que? de décrire leur bonheur. LorSque cette Scene attendriflante Sut terminée , je defcendis à terre avec Omaï. Je vouïopsi fur-tout, faire une vifite à un homme, que mon ami me peignoit comme un perSonnage bien extraordinaire ; car, à l'en croire, c'étoit le Dieu de Bolabola. Nous le trouvâmes affis Sous un de ces abris qu'offrent ordinairement leurs plus grandes pirogues. Il étoit avancé en âge, il avoit perdu PuSage de Ses membres, & on le portoit Sur une civière. Quelques Infulaires Pappelloient Olla ou Orra, nom du Dieu de Bolabola; mais Son véritable nom étoit Etary. D'après ce qu'on m'en avoit dit, je comptois que le peuple lui prodiguerait une Sorte d'adoration religieuSe ; mais, excepté de jeunes bananiers, placés devant lui, & par-deflus l'abri fous lequel il étoit, je n'apperçus rien qui le diftinguât des autres CheSs. DE C O O K. 143 :|||| Omaï lui préfenta une touffe de plumes rouges, -■——■ liées à l'extrémité d'un petit bâton; &, lorfqu'il 1777» eut caufé quelques momens, fur des chofes in- Août. différentes avec ce prétendu Dieu de Bolabola, il remarqua une vieille femme, la fœur de fa mere, qui fe précipita à fes pieds, & qui les arrofa de larmes de joie. Je le làiflài, avec fa tante, au milieu d'un cercle nombreux d'Infulaires, qui s'étoient raf- femblés autour de lui, & j'allai examiner la maifon qu'on m'afluroit avoir été bâtie par les Efpagnols. Je la trouvai à peu de diflance de la grève : les bois qui la compofoient, me parurent avoir été amenés dans l'Ifle tout préparés ; car dmun d'eux ^ortoit un numéro. Elle étoit liisifée en deux petites chambres : je remarquai, dans la féconde, un bois de lit, une table, un banc, de vieux Ghapeaux, & d'autres bagatelles, que les Naturels fembloient conferver foigneufe- | ment : ils,ne prenoient pas moins de foin de h maifon, qui éto&fflerètue d'un hangar, * & qui n'avoit point été 'êftdommagée par le temps. Le pourtoœ étoit rempli d'écoutilles, qui laiffbient un paflàge à ËlSr; peut-être étoient-ce des meurtrières , par où les Efpagnols vouioient tirer des coups de fùfils, fi j$ftiais on les attaquoit. Il y avoit, aflèz prèl de la façade, une croix de 144 Troisième V o y a\\g e m m"' bois, dont la branche tranfverfale préfentoit Pinf- 1777. cription fuivante : Août. ~ _ ' ■ „. CHRISTUS VINCIT. Je lus fur la branche verticale : Carol us III. Im p e rat or. 1774* Afin de conferver la mémoire des voyages antérieurs faits par les Anglois, je gravai fur l'autre côté de la croix : Georgius t e rt i u s , Rex, A N N I S I767 , I769, I773, I774 ET I777. ■ Les Naturels nous montrèrent, aux environs de la croix, le tombeau du Commandant des deux vaiflèaux, qui mourut durant la premiere relâche : ils Pappelloient Oreede. Quels que puif- fent être les motifs des Efpagnols en abordano fur cette Me , ils me paroiflent s'être donné beaucoup de foins pour fe rendre agréables aux habitans, qui nous en parlèrent dans toutes les occafions, avec une eftime & un refpeét eapttêmes. Excepté le perfonnage extraordinaire, dont j'ai fait mention, je ne rencontrai point de Chef d'importance durant ma promenade. Waheiadooa, Souverain de Tiaraboo, nom que porte cette partie de Cook. 14g partie de PIfle, étoit abfent. Je Reconnus enfuite j qu'il ^UVoit lé même nom que le Chef que j'y vis dans mon fécond Voyage; que ce n'étoit cependant'pais le même homme, r&âi&l&h frère , âgé d'environ dix ans, lequel étoit monté fur le | trône vingt mois avant notre arrivée, après la mort de fon aine. Nous apprîmes auffi que k i9ebrë Oberea ne vivoit plus, & qu'Otoo & tous nos autres Amis fe portoient bieài ' A mon retour, je trouvai Omaï, entretenant une compagnie nombreufe, & j'eus bien de la peiné à l'emmener à bord, où j'avois*une affaire : Bgj^ortante à régler. Je favois qu'O-Taïti, & les Mes voifines, nous fourniraient, en abondance, des noix de cocos, dont l'excellente-^queur peut tenir lieu de toutes les boiflbns artificielles ■-'-; ;ët je defirois beaucoup retrancher le grog de l'équipage, du- imt notre Séjour ici. Mais, en Suppritent cette boiflbn Savorite des matelots, Sans leur en parler, je |K*otoB exciter un murmure général;; & je ttus qu'il étôit à propos de les aflèmbler. Je les QÏfèmblai en effet, & je leur expoSai le but de notre voyage, & l'étendue des opérations que nous avions encore à Sâire. Voulant leur inSpirer du courage & de la gaieté, je leur rappellai les récompenses offertes par lé Parlement, aux Tome IL K *777> Août, ï 46 T R O I S I E M E V O Y AGE ""mi ii-"1'1" Sujets de Sj^Majefté, qui découvriront,^ pre- 1777• miers, dans PhémiSphere Septentrional, de quel- Août, que côté que ce Soit, igge communication entre l'Océan Atlantique & la Mm, Pacifique, ou à ceux qui pénétreront au-delà du quatre-vingt- neuvième degré de latitude Nord. Je leur-^|fj que je ne doutois pas de leur bonne volonté, qu'ijtef feraient^ Sûrement jtpus leurs efforts p^$^ mériter l'une de ces récompenses , & même toutf^les deux; mais que, pour avoir plus de moyens de réuffir, il Salloit ménager, avec une économie extrême, nos munitions.& nos vivres, & principalement les derniers ; pùiSque, Selon les apparences, nous ne pourrions pas en embarquer de nouveaux, après notre départ, des Ifles de la Société, Pour donner encore plus de poids à mes argumens, je leur obServai qu'il étoit impoffible de gagner ,. cef|f année , les hautesJagfudes Septentrionales, & que not^gggg pédition excéderait, au moins d'une année, la durée Sur laquelle nous avions compté d'abord. Je les priai de Songer aux obftaçlf^ & aux diflLlg cult^que nous rencontrerions inévitablement, & à tout ce qu'ils auroient à Souffrir d'ailleurs, s'il devenokjjjéçeflàire de diminuer leurs rations, fous un cjinat froid. Je les exhortai à peSer ces Solides çaiSoùf^ à voir s'^ne valoir- pas mieux de Cook. 147 *&*." être prudent de bonne heure , que courir les rr== riSques de n'avoir point de liqueurs Sortes, dans 1777. un temps où elles leur Seraient le plus utiles; Août, s'ils ne dévoient pas confentir qu'on retrp$chât leur grog, maintenant que nous avions du jus de cocos pour le remplacer ; j'ajoutai qu'après tout, je les laiflbis les maîtres de prononcer Sur ce point. J'eus la Satisfaction de voir qu'ils ne délibérèrent pas un moment; ils approuvèrent mon projet d'une voix unanime & fans faire aucune objection. J'ordonnai au Capitaine Gierke de pro* pofer la même chofe à fon équipage, qui s'iru- pofa d'auffi bon cœur la mêmef abftinence* On ne fervit donc plus de grog, excepté les Samedis au foir; nous en donnions ces jours-là une ration entière à nos gens, afin qu'ils puflent boirç à la fanté de leurs amies d'Anêfe terre, & qrje les jolies filles d'O-Taïti ne leur fiflènt pas oublier tout-à-fait leurs anciennes liaifons. Le lendemain, nous commençâmes quelques 14. travaux indifpenfables; on examina les provifions, on ôta les tonneaux de bœuf ou de porc, & le charbon, du lieu qu'ils occupoient, & on mit du left en leur place ; on calfata les vaiflèaux qui en avoient grand befoin; car notre • derniers■ w traverfée avoit produit beaucoup de voies d'eau, K % 1777 ' Août. ïv 16. 17, 148 Troisième Voyage J'envoyai à terre le taureau, les vaches, les chevaux & les moutons, & je chargeai deux hommes de les furveiller au milieu des pâturages. Je ne voulois laifîer aucun de nos quadrupèdes, dans cette partie de l'Ifle. La pluie futprefque continuelle le 15 & le WÊ Les Infulaires, néanmoins, vinrent nous voir de tous les cantons, car la nouvelle de notre arrivée fe répandit promptement. Waheiadooà* qui fe trouvoit très-éloigné du lieu de notre mouffil lage, la fut bientôt; & l'après-dîner du 16, un Chef appelle Etorea, qui lui fervoit dé tuteur, m'apporta deux cochons de fa part : il m%vertit que le Prince lui-même arriverait le lendemain. Il ne me trompa point, car le '17 au matin, je reçus un meflage dé Waheiadooa qui m'inflrui- foit de fon arrivée, & qui me prioit de defcéSPl dre à terre. Nous nous préparâmes Omaï & mëifi à lui faire une vifite dans toutes les formes. Omaï P aidé de qîfelques-uns de fes amis, s'habilla, rrê^i à la manière Angloife , ni à celle d'O-Taïti ou de Tongataboo , ni même à celle d'aueùïPf^ du monde ; car il fe compofa un vêtement SP| zarre de tout ce qu'il avoit d'habits. »d$jfeus' allâmes voir d'abord Etary , qui nous icc^nlpagna fur fa civière, dans une grande maifon où on Paffit ; n^S nous afsîmes à côté de de Cook. 149 lui , & je fis étendre devant nous une piece d'étoffe de Tongataboo, Sur laquelle je mis les préSens que j'apportois. Waheiadooa entra bientôt, Suivi de Sa mere, & de plufieurs grands personnages , qui Se placèrent tous à l'autre extrémité de l'étoffe, en Sace de nous. Un homme affis près de moi, prononça un diScours com- poSé de phraSes courtes & détachées ; ceux qui Penvironnoient, lui en Soufflèrent une partie. Un autre InSulaire, qui étoit de la bande oppoSée i & qui Se trouvoit près du Chef, lui répondit. Etary parla enfuite, & Omaï après lui : un Orateur répondit à tous deux : ces difcours roulèrent uniquement fur mon arrivée , & fur mes liaifons avec les Naturels. L'Infulaire, qui harangua le dernier, me dit entr'autres chofes, que les hommes de Reema , c'eft-à-dire , les Espagnols , avoient recommandé de ne pas me laif- fer entrer dans la baie d'Oheitepeha , fi j'abor- dois de nouveau fur cette Me qui leur apparte- noit ; que, loin de foufcrire à cette requête, il étoit autorifé à me céder formellement la Province de Tiaraboo, & tout ce qu'elle renferme: d'où il réfulte que ces peuplades ont une forte de politique, & qu'ils favent s'accommoder aux circonftances. Enfin Waheiadooa vint m'embraf- fer , à l'inftigation des gens Sa Suite, K 3 & Août. msm 1777. Août. 150 T r o 1 si e me Voyage pour confirmer ce traité d'amitié , nous échangeâmes nos noms. LorSque la cérémonie Sut terminée, je l'emmenai dîner à bord, ainfi que Ses. Amis. \\: v a^aW, Omaï avoit préparé un Maro compoSé de plumes rouges & jaunes, qu'il vouloit donner à O-Too, Roi de l'Ifle entière ; &, vu le pays où nous nous trouvions, c'étoit un préSent d'une très-grande valeur. Je lui dis tout ce que je pus, pour l'empêcher de montrer alors Son Maro ; je lui conseillai de le garder à bord, jufqu'à ce qu'il eut une oceafion de le présenter lui-même au Monarque. Mais il avoit trop bonne opinion de l'honnêteté & de la fidélité de Ses compatriotes, pour profiter de mon confeil. Il imagina de l'apporter à terre, & dé le remettre à Waheiadooa, en chargeant celui-ci de l'envoyer à O-Too, & de le prier d'ajouter ces plumes au Maro royal. Il crut que cet arrangement Serait agréable aux deux CheSs : il Se trompoit beaucoup ; l'un d'eux, dont il dévoit Rechercher la faveur avec le plus grand foin* fut très-blefle, & il ne Se fit pas un ami de l'autre. Ce que j'avois prévu arriva : Waheiadooa garda le Maro , il n'envoya à O-Too qu'un petit nombre de plumes, &'il Se réServa plus des dix-neuf vingtièmes de ce magnifique préfent. : 16f^ïl|P W^&^% ' P D E C O 0 K. . Î$T Le 19, Waheiadooa me donna dix ou douze, cochons, des Sruits & des étoffes. Nous tirâmes le Soir des Seux d'artifice, qui étonnèrent & amu- ^fent une aflemblée nombreufe* Le même jour, quelques-uns de nosMeffieurs trouvèrent, dans leurs promenades, un édifice, auquel ils donnoient le nom de Chapelle Catholique. Il ne Sembloit pas qu'on pût en douter, d'après ce qu'ils diSoient; car ils décrivoient Pau- tel , & tout ce qu'on voit dans un Temple de cette eSpece. Ils obServoient néanmoins que deux hommes chargés de la garde du Temple, ne voulurent pas leur permettre d'y entrer ; je pen- fai qu'ils pouvoient s'être mépris, & j'eus la cu- riofité de m'aflurer de ce fait par moi-même. L'édifice , qu'ils prenoient pour une Chapelle Catholique, étoit un Toopapaoo, où l'on tenoit folemnellement expofé le corps du prédéceflèur de Waheiadooa. Le Toopapaoo fe trouvoit dans une maifon aflèz étendue qu'environnoit une pa- îiflàde peu élevée ; il étoit d'une propreté extraordinaire , & il reflèmbloit à un de ces petits pavillons ou abris, que portent les grandes pirogues du pays. Peut-être avoit-il été originairement employé à cet ufage. Les étoffes & les nattes de différentes couleurs, qui le couvraient & qui flottoient fur les.bords , produifoient un K 4 1777. Août. 19. ill t52 Troisième Voyage IIP »CKS<5KSfi?»Sefi*»Wt joli effet : on y voyoit, entr'autres qmemen% ;Un 1777. morceau de drap écarlate , de quatre ou cinq Août» verges de longueur, que les Infulaires avoient Sûrement reçu des Efpagnols. Ce drap, & quel- I ques glands de plumes que nos Meffieurs fuppo- ferent de foie, leur donnèrent l'idée d'une Chapelle Catholique ; leur imagination fuppléa à ce qui manquoit d'ailleurs ; & , s'ils n'avoient pas été inftrtfits auparavant du féjour des Efpagnols, ils n'auraient jamais fait une pareille méprife. Je jugeai que les Naturels apportoient chaque jour à ce fanétuaire, des offrandes de fruits & de ra-r cines; car il y avoit des fruits & des racines tout frais. Ils les dépofoient fur un Whatta (un Autel) placé en dehors de quelques paliflà- des, qu'il n'eft pas permis de franchir. Deux gardes veilloient nuit & jour fur le Temple; ils dévoient de plus le parer dans l'occafion:en effet? lorfque j'allai l'examiner une premiere fois , Pé- toffé & les draperies étoient roulés; mais, à ma prière, ils le revêtirent de fes ornemens, après avoir pris eux-mêmes des robes blanches très- propres. Ils me dirent qu'on comptoit vingt mois depuis la mort du Chef, %% Le 22 , nous avions embarqué de l'eau , & achevé ceux de nos travaux que je crus indifpemii. J$>îes ; je fis ramener à bord le bétail $c les Août. ~.v DE C O O K. 153 moutons que j'avois envoyés dans les pâturages .■'■•■. du pays, & je me difpofai à remettre en mer. 1777* Le 23 , au matin , tandis que les vaiflèaux démarraient, je defcendis à terre avec Omaï, afin de prendre congé de Waheiadooa. Nous caufions avec lui, lorfque l'un de ces enthou- fiaftes fanatiques , qu'ils appellent Eatooas , parce qu'ils les croient remplis de l'efprit de la Divinité, vint fe placer devant nous. Ses paroles , fa démarche & fon maintien annonçoient un fou; une quantité confidérable de feuilles de bananiers enveloppoient fes reins , & compo- foient tout fon vêtement ; il parloit à voix bafle, & d'un ton fi criard, qu'il étoit difficile de l'entendre, du moins pour moi. Si j'en crois Omaï, qui difoit le comprendre parfaitement, il con- feilloit au jeune Prince de ne pas me fuivre à Matavai, projet de voyage dont je n'avois point été inflruit, ou que je ne lui avois jamais propofé. UEatooa prédit de plus que les vaifïeaux n'atteindraient pas Matavai ce jour- là : les apparences favorifoient fa prédiction, car il n'y avoit pas un fouffle de vent ; mais il fe trompa. Pendant qu'il pérorait, il furvint une ondée de pluie très-forte , qui obligea tout le monde à chercher un afyle; quant à Jjjt., l'orage fle^toit.point l'affçéter; il continua*à brailler 154 Troisième Voyage ^^Sir de nous, l'efpace d'environ uneS^emî- heure, & il fe retira. Perfonne ne fit attention à fes propos ; & les gens du pays fe moquèrent beaucoup de fes extravagances. Je demâÉdai à Waheiadooa, ce que c'étoït qu'un pareil original, s'il étoit de la claflè des Ear ces ou de celle des Tow tow s : le Chef me répondit qu'il étoit Taata-Eno, c'eft-à-dire , un méchant homt$|l Malgré la mauvaife opinion qu'on avoitf^é ce Prophète, malgré le dédain qu'on lui témoignoit, la fuperflition maîtrife les Infulaires, au peint de les rendre intimement convaincus, que les infen- fés de cette efpece poflèdent Pefprit de la Divinité. Omaï paroiffbit bien inftruit fur cette matière, il m'aflùra que, durant leurs accès, ils ne connoiflènt perfonne , pas même leurs intimes amis ; que s'ils ont des richeflès , ils les diftri- buent au public, à moins qu'on n'ait foin de leur en ôter les moyens ; que lorfqu'ils reprennent leurs fens , ils demandent ce que font devenues les chofes, dont ils ont fait des largeflès, peu de minutes auparavant ; qu'ils ne femblent pas conferver le moindre fouvenir de ce qui s'eft paffé pendant leur accès. M^PH^^1 î-^ÊÈk Je fus à peine de retour , qu'il s'éleva une brife légère de PEft; nous mîmes à la voile, & nous, ^gouvernâmes fi^^te baie de Mata- $§Bf j © E C O 0 K. I55 vai , Ça) où la Rêfolution mouilla dans la foirée. La Découverte n'y arriva que le lendemain , enforte que la moitié de la prediction du fou s'accomplit. *777- Août. (a) Voyez le plan de cette Baie, dans la Collec- «*jon de Hawkefv/orth> tome II, page 248 de l'original. 156 Troisième Voyage, CHAPITRE II. Entrevue avec O-Too, Roi *fO-Taïti. Con~ duite imprudente d'Omaï. Nos occupations à terre. Débarquement de nos quadrupèdes ^'Europe. Détails fur un des Naturels qui avoit fait le voyage de Lima. Détails fur QEdidee. Révolte d'Eimeo. Guerre contre cette Ifle réfolue dans i^n. Confeil des Chefs. Sacrifice humain qui eut lieu à cette occafion. Defcription particulière des Cérémonies pratiquées au grand Morai, ou l'on offrit la vi&ime. Autres coutumes barbares de ce Peuple* o -Too, Roi de l'Ifle entière d'O-Taïti, 1777. fuivi d'une multitude de pirogues remplies de Août. Naturels, arriva d'Oparre, lieu de fa réfidence, à neuf heures du matin ; &, après avoir débarqué fur la pointe Matavai, il m'avertit, par un exprès, qu'il délirait beaucoup de me voir. Je defcendis à terre accompagné d'Omaï , & de plufieurs de mes Officiers. Je m'approchai toue de fuite du Monarque, & je le faluai. Omaï fe jetta à fes pieds, & embraflà fes genoux; il avoit de Cook. 157 eu foin de mettre'Ton plus bel habit, & il fe conduifit de la mâHiere larrplus refpeétueuli & la plus-'modefte. On fit cependant peu d'attention à luf^ l'envie eut peut-être quelque part à ce 8bid accueil. Il offrit au Roi une groflè touffe le plumes rouges, & deux ou trois verges de drap d'or. De mon côté, je donnai au Prince un vêtéàifent de belle toile, un tiNàpeau bordé d'or, âësr outils, &, ce qui étoit plus précieux encore, des plumes rouges, & un des bonnets que por* ÉBrt- les Naturels des 'Iflës des Amis. •^Le Roi & la Famille Royale m*aSSCÉI|)agne- rent à bord, fuivis dé plufieurs pirogues chargées dé toutes efpeces de profilions, en afleÉ grande abondance pour nourrir une femaine, les équipages dë^deux vaifleiux. Les divers membres de là Famille Royale indiquoient telle portion qu'ils Evôiéfftcfournïe, & je leur fis à chacun un pré- îëiiti ^étoit là ce ^qu'ils voùïôient. La: mere du Roi, qui ne s'étoit point trouvée à la premiere entrevue, arrivages de nous bientôt aptâ^ elle apportoit des pravifious & des étoffes , qu'elle diftfîbua à Omaï & à moi. Quoiqu'Omaï eut d'abord: attiré foiblement les regards, les Infulaires recherchèrent fonMiitié, dès 3|u'ils conjurent-fes richeflesi J'entretins cette dïfpofitfon, autant que je le pus, càf je^^firois le fixer près T777 Août. 158 Troisième Voyage - ; d'O-Too. Comme j'avois deflèin de teiflèr .fafàê* 1777. cette Me, tous les animaux que j'attienois d't§3^: Août, ropë, je penfai qu'il feroit -en état dé digger un peu les habitans, furies foins qu'ils en dévoient prendre, & fur Pufage auquifjfils pouvoient les employer : je prévoyoi& d'ailleurs que plus;!! feroit éloigné de fa patrie, plus il feroit copjfe déré. Malheureufement le pauvre Omaï ne profita point de mon avis, & il fe çond#fific^Y^& tant d'imprudence qu'il in tarda pas à rgard§6 l'amitié d'O-Too, & de f^us les O-TaïtieiM d'#ii rang diflingué. Il ne fréquenta que d^ pga* bonds & des étrangers, qui cherchoient Sans ceflè à le duper; &, fi je n'étois pas interyeng- à propos, ils l'auraient dépouillé compléterai^ Il s'attira la malveillance des principaux jC|^S^ ; qui s'aprjpçurent qu'%, n'obtenoient pas d^jppy j ou de mes gens, des articles auffi préciepy$$| ^ ceux dont Omaï faifoit pf^fent aux gens du peuple Ses camarades, j^gpfeg jlif^S^é nous eûmes dîné, je ramenai O-Too à Oparre ; je pris avec moi les volailles dont je voulois enrichir cette terre. J'emportai un paon & Sa Semelle, que Mylo^i Besboroug avoit eu la bonté de m'envoyer pour les O-Taïtiens, peu de jours avant mon départ de Londres, un coq d'Inde & une poule,"quatre oies,nm mâle & de Cook. jfc&T 159 fK: trois Semelles, un canard mâle & quatre Semel- _■■■'' ■" ■ »■■ les. Je dépoSai toutes ces volailles à Oparre, 1777. & je les donnai à O-Too : elles convoient déjà, Août. lqrfque nous quittâmes l'Ifle. Nous y trouvâmes une oie mâle, dont le Capitaine Wallis avoit |jp: Sait préSent à Oberea, plufieurs chèvres, & le taureau Efgpgnol qu'on tenait attaché à un arbre près de la maiSon d'O-Too. Je n'ai jamais vu un plus bel animal de cette efpece* Il appartenoit alors à Etary, & on l'avoit amené à'Oheite- peha dans cet endroit, afin de l'embarquer pour Bolabola; mais je ne puis concevoir comment ||H on étoit venu à bout de le tranfporter fuMine des pirogues du pays. Au relie, fi nous n'étions pas privés à O-Taïti, il eût été bien inutile, car il manquoit de vachg$. Les Naturels nous dirent qu'il y avoit des vaches à bord des vaÊ^. féaux Efpagnols, & que le Capitaine les rembarqua ; je ne le crois point; je fuppoferai plutôt que les vaches étoient mortes, durant ,|a traver- fée. Le lendemain, j'envoyai à ce taureau les 25, trois vaches que j'avois à,|$rd; je fis également conduire dans la baie de.Matavai, le taureau, le cheval, la jument & les moutons que je defli- nois aux O-Taïtiens. tÉÎ^Ê-^ Je me trouvai débarraflë d'un foin très-incommode. Il efl difficile dç concevoir la peine & •"fil \\6o Troisième Voyage EJSmï .~ Pembarras, que me caufà le tranfport de ces an?-» 1777. maux : ma*s? fiitisfait d'avoir pu remplir les vues Août, bienfaifantes de Sa Majefté, qui vouloït enrichir deux peuplades fi dignes d'intérêt, fi me crus bien dédommagé de toutes les inquiétudes, auxquelles j'avois été en proie, tant qu'il refta quel* tjue chofe'à faire fur cet objet fecondaire de mon voyage. ^^BBmme je me propofois de relâcher quelque temps ici, on établit les deux Obfervatoires fut la pointe Matavai : on drefla, aux environs, deux tentes où dévoient coucher les foMÉs de garde, & ceux de nos gens qu'il conviehflÉB de laiflèr à terre. Je donnai le commandement de ce pofte à M. King, qui fe chargea en même- teni^ffiïuivre les obfervations néceflàires, pour déterminer le mouvement journalier du garde- 'rtSmps, &c. Durant notre fejour à O-Taïti* nous nous occupâmes de divers ouvragés dévenus indifpenfables. On porta à terre le grand mât de la découverte , & on le répara fi bien, qu'il paroiflbit fortir du chantier : on répara également tips voiles & nos futailles,. on calfata les vàif- feaiftf & on examina les agrès; on infpeéta aufïi le bifcuit que nous avions en caiflès, & j'eus Ici plaîjBPIPipprendre qu'il y en avoittJpeu d'en* dommage, iO:M Le de Cook. loi Le 26, je fis défricher une piece de terre, = où je plantai plufieurs graines de jardinage, & 1777* quelques arbres fruitiers : je fuis perfuadé que Août. les Naturels en prendront peu de foin. Au mo- 2Q* ment où nous partîmes, les melons, les patates, & deux pommiers de pin, pouflbient de manière à me donner les plus grandes efpérances. J'avois apporté, des Ifles des Amis, plufieurs plants de Shaddeks ; je les mis également dans le jardin que je venois de former. Mes graines & mes arbres ne manqueront pas de réuffir, à moins j que la curiofité prématurée des O-Taïtiens, qui a détruit un fep de vigne planté par les Efpagnols à Oheitepeha , n'arrête leur développement. Quelques Infulaires s'aflèmblerent pour goûter les premiers raifins que porta la vigne; & les grappes fe trouvant encore aigres, ils jugèrent que c'étoit une efpece de poifon, & ils réfolu- rent unanimement de fouler aux pieds le fep. Ornai ayant rencontré ce fep par hafard, flic enchanté de fa découverte, car il étoit perfuadé que s'il avoit une fois des raifins, il lui feroit aifé de faire du vin. Il fe hâta d'en couper plufieurs tiges, qu'il vouloit emporter dans fa patrie ; nous taillâmes le fep qui n'étoit pas déraciné, & nous foflbyâmes le terrein dans les environs. Il efl probable que les habitans de l'Ifle ? Tome IL L 162 Troisième Voyage «*»»»*»—m devenus plus fages par les inflruétions d'Omaï, 1777. laifièront mûrir le fruit, & qu'ils ne le condam-, Août, neront plus d'une manière fi précipitée. Quarante-huit heures après notre arrivée dans la baie de Matavai, nous reçûmes la vifite de nos anciens Amis, dont parle la Relation de mon fécond voyage. Aucun d'eux ne fe préfenta les" mains vuides, & nous eûmes des provifions par- delà ce qu'il nous en fall oit; ce qui nous fit encore plus de plaifir, nous ne craignions point d'épuifer l'Ifle, où nous appercevions de toutes parts une multitude intarifïàble de productions & d'animaux propres à notre fubfiflance. L'un des Naturels, que les Efpagnols avoient emmené à Lima, vint nous voir également ; on ne pouvoit, à fes manières & à fon extérieur, le diflinguer du refle de fes compatriotes. Il fe fouvenoit cependant de quelques mots efpagnols qu'il avoit appris & qu'il prononçoit très-mal : il repérait fur-tout fréquemment, fi fennor, & lorfque nous nous approchions de lui , il ne manquoit pas de fe lever, & de fe faire entendre le mieux qu'il pouvoit avec fon petit vocabulaire européen. Nous rencontrâmes auffi le jeune-homme que nous appellâmes autrefois Œdidee, mais dont le véritable nom efl Heete-heete , il s'écoit D-E Cook. 163 embarqué à Ulietea, en 1773, fur mon vaiflèau, & je Pavois ramené dans fa patrie, en 1774, après l'avoir conduit aux Ifles des Amis, à la Nouvelle-Zélande, à l'Ifle de Pâques h. aux Mar qui fes ; traverfées qui durèrent fept mois. Il s'efforçoit, comme celui dont je viens de parier , de nous montrer fa politeflè, & de s'exprimer dans notre langue; il difoit fouvent yes, fir, if you pleafe fir. Heete-heete, qui a reçu le jour à Bolabola, étoit à O-Taïti depuis trois mois ; &, felon ce que nous apprîmes, fans autre deflèin que de fatisfaire fa curiofité, ou peut- être la paffion de l'amour, qui anime tous les habitans des Mes de la Société : les Infulaires qui voyagent d'une terre à l'autre, ne paroifîent pas avoir d'autre but. Nous vîmes clairement qu'il préférait à nos modes & à nos parures, celles de fes compatriotes ; car lorfque je lui eus donné des habits Ça) que le Bureau de PAmi- rauté m'avoit chargé de lui remettre, il les porta quelques jours, & il refufa enfuice d'en faire ufage. Cet exemple & celui de PO-Taïtien qui avoit été à Lima, prouvent bien la force de l'habitude, qui ramené l'homme aux manières & Août. (a) Je lui donnai en outre de mon chef une caille tfoutils, & quelques autres articles. L 2 t 1777. Août. m 164 Troisième Voyage aux coutumes qu'il a prifes dans fon enfance, & que le hafard efl venu interrompre. Je fuis tenté de croire qu'Ornai lui-même, malgré le changement abfolu que fembloient avoir produit fur lui les mœurs angloifes, ne tardera pas à reprendre les vêtemens de fon pays, ainfi qu'Œdi- dee & l'0-Taïtien, conduit au Pérou par les Efpagnols. Le 27, au matin, un homme arrivé à'Ohei- tepeha, nous dit que deux vaiflèaux Efpagnols mouilloient depuis vingt-quatre heures dans cette baie, & pour ne laiflèr aucun doute fur la vérité du fait, il montra un morceau de gros drap bleu, qu'il aflùroit avoir reçu de l'un de ces bâtimens : le morceau d'étoffe étoit en effet pref- que neuf : il ajouta que Mateema montoit l'un des vaiflèaux qui dévoient fe rendre à Matavai dans un jour ou deux. D'autres circonflances qu'il indiqua, rendoient ia nouvelle très-vraifem* blable ; j'ordonnai au Lieutenant Williamfon de prendre un canot & d'aller examiner la baie d'Oheitepeha. Sur ces entrefaites, je mis leSv vaiflèaux en état de fe défendre : quoique l'Angleterre & l'Efpàgne fuflènt en paix à mon départ $ Europe, je fentis que la guerre pouvoit s'être déclarée depuis. Des recherches ultérieures me donnèrent lieu de croire que le de Cook. i6< récit de l'arrivée des Efpagnols étoit faux, & — M. Williamfon, qui fut de retour le lendemain, 1777. acheva de m'en convaincre ; il me dit qu'il avoit Août. débarqué à Oheitepeha, qu'il n'y avoit point 28. vu de vaiflèaux, & que cette baie n'en avoit reçu aucun depuis mon départ en 1774. Les habitans de la partie de f Me où nous nous trouvions, nous déclarèrent, dès le commencement, que c'étoit un menfonge inventé par les Naturels de Tiarraboo ; mais nous ne pouvions deviner leurs vues : ils efpéroient peut-être que cette fàuflè nouvelle nous déterminerait à quitter l'Ifle, & qu'ils priveraient ainfi la peuplade à'Otaïti nooe, des avantages réfuitans du féjour de nos vaiflèaux. Les habitans des deux' parties de l'Ifle ont une inimitié invétérée les uns pour les autres. Du moment où nous arrivâmes à Matavai, l'atmofphere fut très-variable jufqu'au 29 , & il tomba chaque jour plus ou moins de pluie. Nous ne pûmes prendre que le 29 des hauteurs 20. correfpondantes du Soleil, pour déterminer le mouvement journalier du garde-temps. La même caufe retarda le calfatage & les autres réparations dont les vaiflèaux avoient befoin. Le foir , les Naturels fe retirèrent précipitamment des vaiflèaux, & du pofte que nous 1777- Août. 166 Troisième Voyage I occupions à terre ; il nous fut impoffible d'abord d'en deviner la raifon : nous conjeéturâmes, en général, qu'il y avoit eu quelque vol de commis , & qu'ils redoutoient notre vengeance. Je fus enfin ce qui étoit arrivé : l'un des aides du Chirurgien pénétra dans l'intérieur du pays , pour y échanger quatre haches contre des curio- fités ; l'Infulaire qu'il chargea de fes haches , profita d'un inftant favorable, & il emporta des outils fi précieux. Telle fut la caufe de la retraite brufque de fes compatriotes; O-Too lui- même & toute fa famille Si joignirent aux fuyards ; &, après les avoir fuivis deux ou trois milles, j'eus bien de la peine à les arrêter. Afin d'engager mes gens à fe tenir mieux fur leurs gardes déformais, je réfolus de ne faire aucune démarche pour obtenir la refHtution des haches, & il me fut moins difficile de ramener les O-Taï- tiens & de rétablir la tranquillité. Jufqu'ici O-Too & fes fujets ne s'étoient occupés que de nous ; mais des meflàgers d'Eimeo, ou, comme le difent plus fouvent les Naturels, de Morea, Ça) qui arrivèrent le lendemain, (a) Selon le Docteur Forfler, Morea efl un district d'Eimeo. Voyez fes Obfervations, page 217 de Toriginal. D E C O O K. 167 leur donnèrent d'autres occupations ; ils apprirent que les babitans de cette Me étoient en armes, que les partifans d'O-Too avoient été battus & obligés de fe retirer dans les montagnes. La querelle qui commença en 1774 , entre les deux Mes, ainfi que je l'ai dit dans la Relation de nion: fécond Voyage, femble avoir toujours fubfifté-depuis. L'armement formidable que je vis alors, & que j'ai décrit ailleurs, Ça) mit à la voile peu de temps après mon départ d'O-Taf- ti ; mais les habitans d'E'imeo firent une réfif- tance fi opiniâtre, que f efcadre revint fans avoir eu de fuccès décffif, & une autre expédition étoit devenue nécéflàire. Tous les Chefs qui fe trouvoient à Matavai, s'aflèmbterént à la maifon d'O-Too où j'étois alors, & j'eus l'honneur d'être admis à leur coA- feil. L'un des Députés expofa le fujet de la délibération , & il prononça un long difcours. Je ne compris guères que les articles principaux de fa harangue ; il fit le tableau des affaires à Eiméo, & il invita les Chefs d'O-Taïti à fe réunir & à prendre les armes. Cet avis fut combattu par d'autres Orateurs, qui vouloient 1777. Août. •» (a) Voyez le fécond Voyage de Cook, Vol. I. page 347, &c. de l'original. 4 ït58 Troisième Voyag i?7r Août, attendre que l'ennemi commençât les hoflilités ; il régna d'abord beaucoup de décence dans le débat, & les confeillers ne parlèrent que Pun^après l'autre. L'aflèmblée devint enfuite orageufe, & je crus qu'elle fe terminerait par des violences, comme les diètes de Pologne; mais les grands perfonnages qui s'étoient échauffés fi brufque- ment, fe calmèrent de même, & le bon ordre fe rétablit bientôt. La fiction qui délirait la guerre , l'emporta enfin, & il fut décidé qu'ils enverraient un armement confidérable au fecours de leurs Amp d'Eimeo : cette réfolution fut loin d'obtenir l'unanimité des fuffrages. O-Too garda le filence durant tout le débat, il dit feulement par intervalle un mot ou deux aux Orateurs. Les membres du confeil qui opînoient pour la guerre, me preflèrent de les aider avec les forces qui fe trouvoient en ma puiflance, & ils voulurent tous favoir le parti que je prendrais. J'envoyai chercher Omaï, afin d'avoir un interprète, mais on ne le rencontra point, & je fus obligé de m'expliquer moi-même ; je leur dis le plus clairement que je pus, que ne con- noiflànt pas bien le fujet de la difpute, & les Infulaires d'Eimeo ne m'ayant jamais offenfé, je ne me croyois point en droit d'entreprendre des hoflilités contre eux. Cette déclaration les fatisfit, DE C O 0 K. 169 ou parut les fatisfaire. Les membres du Confeil fe difperferent ; & O-Too me pria de venir le revoir Paprès-dîner, & d'amener Omaï. Je retournai en effet auprès du Roi, avec plufieurs de nos Meilleurs ; le Prince nous conduifit dans la maifon de fon père, en préfence duquel on parla de nouveau de Pinjuftice des Infulaires d'Eimeo. Je defirois beaucoup trouver un moyen d'accommodement entre les deux Puiflances, & je fondai le vieux Chef fur ce point : il ne voulut écouter aucune propofition de paix : il me follicita encore d'aider les O-Tàitiens, mais je ,demeurai inflexible. Je. m'informai du fujet de la querelle, & j'appris que quelques années auparavant , un frère de Waheiadooa étoit parti de Tiaraboo, pour aller occuper le Trôné d'Eimeo , fur l'invitation de Maheine, Chef populaire de cette Me ; que Maheine l'avoit fait tuer peu de femaines après fon arrivée, & avoit réclamé la couronne au préjudice de Tierataboo- nooe, fils de fa fœur, qui fe trouvoit le légitime héritier du fceptre, ou, felon une autre verfion, qui avoit été chargé du gouvernement par les O-Taïtiens. Towha, parent d'O-Too, & Chef du diftriél de Tettaha, homme de beaucoup de crédit dans l'Ifle, qui avoit commandé en chef l'armement 1777. Août. il r «n Ï/O T II O I S I E M E V O Y A G E IBM! envoyé contre Eimeo , en 1774 , n'étoit pas *777- à Matavai à cette * époque , & par confé- Août. quent il n'aififta à aucune des délibérations : il me parut cependant qu'il fe mêloit beaucoup de ce qui fe paflbit, & qu'il montrait encore plus 1 rrbre. d'ardeur que les autres Chefs ; car le premier Septembre , dès le grand matin, il fit dire à O-Too par un meflàger, qu'il venoit de tuer un homme pour l'offrir en fàcrifice à l'Eatooa, & implorer l'affiftançe du Dieu contre Eimeo. Ce fàcrifice devoir avoir lieu dans le grand Morai d'Attahooroo , & je jugeai que la préfence d'O-Too étoit abfolument néceflaire en cette occafion. M. de Bougainville avoit déjà dit, fur le témoignage de l'0-Taïtien, qu'il amena en France, que les facrifices humains font partie des infli- tutions religieufes de cette Ifle. Les recherches dont je m'occupai en 1774 , & mes converfa- tions avec Omaï , ne me donnoient que trop lieu de penfer qu'un ufage fi contraire à l'humanité , y efl établi : mais comme on veut toujours douter d'une coutume fi atroce, à moins qu'un voyageur n'en ait été le témoin oculaire, je réfolus de profiter de Poccafion , & afin de difliper toutes les incertitudes , d'affifler moi- même à cette barbare cérémonie. Je priai donc de Cook. 171 O-Too de me permettre de l'accompagner ; il y confentit volontiers , & nous nous embarquâmes tout de fuite dans mon canot, avec mon vieil ami Potatow, M. Anderfon, & M. Webber : Omaï nous fuivoit fur une pirogue. Nous defcendimes pendant la route fur une petite Me, qui gît en travers de Tettaha, où nous rencontrâmes Towha & les gens de fa fuite : lorfque les deux Chefs eurent caufé quelque temps fur la guerre, Towha m'adreflà la parole, & il réclama encore mes fecours ; je fis pour la troifieme fois une réponfe négative, & il parut fâché ; il lui fembloit étrange que m'étant toujours déclaré l'ami 80-Taïti, je ne vouluflè pas combattre fes ennemis. Il donna à O-Too deux ou trois plumes rouges liées enfemble, & un chien très-maigre fut mis dans une de nos pirogues. Nous nous rembarquâmes & nous prîmes à bord un Prêtre qui devoit affifler à la .cérémonie. Nous arrivâmes à Attahooroo fur les deux heures de l'après-dîner ; O-Too me pria d'ordonner aux matelots de demeurer dans le canot, & il recommanda à M. Anderfon , à M. Webber & à moi, d'ôter nos chapeaux dès que nous ferions au Morai. Nous en prîmes à l'inflant même le chemin ; une multitude d'hommes & 11 *777- 7-bre. 17& Troisième Voyage quelques petits garçons nous efcorterent, jtnais je n'apperçus jpas une femme. Quatre prêtres & leurs acolytes ou affiftans, nous attendoient au Morai : le corps de l'infortuné qu'on alloit offrir aux Dieux , étoit dans une petite pirogue retirée fur la grève , & expofée en partie à l'aétion des vagues : deux Prêtres & plufieurs acolytes étoient affis près de la pirogue , les autres fe trouvoient au Morai. Nous nous arrêtâmes à vingt ou trente pas des Prêtres : O-Too fe plaça en cet endroit, & nous nous tînmes debout près de lui, avec quelques habitans du pays ; le gros peuple fe tint plus éloigné. Les cérémonies commencèrent alors. L'un des acolytes apporta un jeune bananier, qu'il mit devant le Roi ; un autre apporta une touffe de plumes rouges, montées fur des fibres de cocos, il toucha le pied du Prince avec une de ces plumes, & il fe retira vers fes camarades. L'un des Prêtres affis au Morai en face de ceux qui fe trouvoient fur la grève , fit une longue prière , & il envoya de temps en temps de jeunes bananiers qu'on dépofa fur la victime. Durant cette prière, un homme qui étoit debout, près du Prêtre officiant, tenoit dans fes mains deux paquets qui nous parurent être d'étoffe : de Cook. 173 nous reconnûmes enfuite que l'un d'eux conte- noit le Maro royal, & l'autre, l'arche de l'Ea- tooa, fi je puis me fèrvir de cette expreffion. Dès que la prière fut terminée, les Prêtres du Morai & leurs acolytes vinrent s'aflèoir fur la grève, & ils apportèrent les deux paquets dont je parfois tout-à-l'heure. Ils recommencèrent ici leurs prières , pendant lefquelles les bananiers furent ôtés un à un & à différens intervalles, de deflùs la victime, couverte en partie de feuilles de cocotiers & de petites branches d'arbres : on la tira, alors de la pirogue , & on Pétendit fur le rivage, les pieds tournés vers la mer. Les Prêtres fe placèrent autour d'elle, les uns affis & les autres debout, & l'un ou plufieurs d'en- tr'eux répétèrent quelques phrafes l'efpace d'environ dix minutes : on la découvrit en écartant les feuilles & les branchages qui la cachoient, & on la* mit dans une direction parallèle à la côte. L'un des Prêtres, qui fe tint debout aux pieds du corps, fit une longue prière à laquelle fe joignirent quelquefois les autres : chacun d'eux avoit à la main une touffe de plumes rouges. Vers le milieu de la prière , on enleva quelques cheveux de la tête de la viétime, & on lui arracha l'œil gauche ; les cheveux & l'œil furent enveloppés dans une feuille verte, & 1777. ^bre. ^bre. 174 Troisième Voyage préfentés à O-Too. Le Roi n'y toucha point, mais il donna à l'homme qui les lui offrit, la touffe de plumes rouges qu'il avoit reçue de Towha. Les cheveux & l'œil de la victime furent reportés au Prêtre avec les plumes. O-Too leur envoya bientôt après d'autres plumes, qu'il avoit mifes lé matin dans ma poche, en me recommandant de les garder. Tandis qu'on procé- doit à cette dernière cérémonie, on entendit un martin-pêcheur qui voltigeok fur les arbres : O-Too fe tournant près de moi, me dit, c'eft PEatooa, & il parut enchanté d'un fi bon préfage. Le corps fut porté quelques pas plus loin, & on le dépofa, la tête tournée vers le Morai, fous un arbre , près duquel étoient trois morceaux de bois minces & larges chargés de fculp- tures groffieres , mais différentes les unes des autres. On plaça les paquets d'étoffes dans le Morai, & on mit les touffes de plumes rouges , aux pieds de la viétime : les prêtres fe rangèrent autour du corps, & on nous permit d'en approcher autant que nous le voulûmes. Celui qui paroiflbit exercer les fonctions de grand- Prêtre étoit affis à peu de diftance ; il. parla un quart-d'heure , en variant fes gefles & les inflexions de fa voix ; il s'adrefla toujours à la victime , & il partit fouvent lui faire des reproches; Coo il lui propofa différentes queftions, il me fem- : bla qu'il lui demandoit fi on n'avoit pas eu raifon de fa facrifier : d'autrefois il lui adreflà des prières , comme fi le mort avoit eu aflèz de pouvoir ou de crédit fur la Divinité, pour en obtenir ce qu'il Solliciterait. Nous comprîmes, Sur-tout, qu'il le Suppliok de livrer aux mains du peuple d'O-Taïti, Eimeo, le CheS Maheine, les cochons , les Semmes, & tout ce qui Se trouvoit dans cette dernière Me. Le Sacrifice n'avoit pas, en effet, d'autre but. Il chanta d'un ton plain- tiS, une prière qui dura près d'une demi-heure; deux autres Prêtres, Potatou & une partie de l'aflèmblée l'accompagnèrent durant cette prière: l'un des Prêtres arracha encore de la tête de la victime, quelques cheveux qu'il mit Sur des* paquets d'étoffes : enSuite le Grand-Prêtre pria Seul, tenant à la main les plumes dont Towha avoit Sait préSent à O-Too. LorSqu'il eut fini, il donna ces plumes à un Second Prêtre, qui pria de la même manière. Les touffes de plumes Surent dépoSées Sur les paquets d'étoffe, & le lieu de la Scene changea. On porta le corps dans la partie la plus vifi- ble du Morai ; on y porta auffi les plumes, les deux paquets d'étoffes & des tambours : les plumes & les étoffes Surent placées Sur les murs 777. 7bre. 176 Troisième Voyage du Morai, & on poSa la victime au-defîbus. Les Prêtres l'entourèrent de nouveau, & après s'être affis, ils recommencèrent leurs prières , tandis que quelques-uns de leurs acolytes creu- Serent un trou de deux pieds de profondeur, où ils jetterent PinSortunée victime, qu'ils couvrirent de terreau & de pierres. Au moment où on mettoit le corps dans la foflè, un petit garçon pouflà des cris, & Omaï me dit que c'étoit l'Eatooa. Sur ces entrefaites, on avoit préparé un feu : on amena le chien dont j'ai parlé plus haut, & on lui tordit le col jufqu'à ce qu'il fût étouffé; on enleva fes poils en le paflànt fur la flamme, & on lui arracha les entrailles, qu'oal jetta au feu, où on les laiflà brûler. Les Naturels , chargés de ce détail, fe contentèrent de rôtir le cœur, le foie & les rognons, qu'ils tinrent fur des pierres chaudes l'efpace de quelques minutes; ils barbouillèrent enfuite le corps du chien avec du fang qu'ils avoient recueilli dans un coco, & ils allèrent le placer , ainfi que le foie, &c. devant les Prêtres qui prioient autour du tombeau. Ils continuèrent quelque temps à prier fur le chien , tandis que deux hommes frappoient avec force par intervalles fur deux tambours : un petit garçon pouflà, à trois repri- fes différentes, des fons perçans, & on nous apprit D E C 0 0 K. 177 apprit que c'étoit pour inviter- YEatoo-a à fe j régaler, du mets qu'on lui préparait. Dès que les Prêtres eurent achevé leurs prières, on dé- pofa le corps du chien avec fes entrailles , &c, fur un what ta, ou fur un échafaud de fix pieds de hauteur, qui fe trouvoit près de là : ce tyhatta offrît à nos regards deux autres gros cochons & deux cochons-de-lait, qu'on avoit offerts dernièrement à l'Eatooa, & qui exhalaient une odeur infupportable. Cette puanteur nous tînt plus éloignés qu'on ne l'eîit d'ailleurs exigé de nous; car du moment où l'on eût porté la victime du bord de la mer près du Morai, on nous laiflà les maîtres d'en approcher autant que nous le délirions : il efl vrai que depuis cet infiant, nous n'apperçûmes plus parmi les fpec- tateurs , Pair recueilli & l'attention que nous avions remarqués d'abord quand on dépofa le chien fur le what ta : les Prêtres & leurs acolytes terminèrent la cérémonie par une acclamation. -La nuit approchoit, & on nous conduifit à une maifon qui appartenoit à Potatou, où on nous donna à fouper & où nous couchâmes. On nous .avoit annoncé que les cérémonies religieufes recommenceraient le lendemain, & je ne voulois pas quitter cet endroit de l'Ifle, tant qu'il reftoit quelque chofe à vok. Tome IL M 1777. ^bre. 178 1777- *?bre. Troisième Voyage Nous craignions de perdre une partie du fpeétacle, & quelques-uns d'entre nous fe rendirent au lieu de la fcéne de très-bonne heure; mais tout y étoit tranquille. Bientôt après, on facrifia cependant un cochon de lait, qu'on dé- pofa fur le what ta. A huit heures, O-Too nous ramena au Morai, où les Prêtres & une mt*fj| titude d'Infulaires venoient de fe raflèmbler. Les deux paquets d'étoffes occupoient la place où on les avoit mis le foir de la veille ; les detii|| tambours étoient au front du Morai, mais un peu plus près que le jour précédent. O-Too fe plaça entre les deux tambours, & il me dit de me tenir à fes côtés. La cérémonie commença de la même manière que le jour précédent. On apporta un jeune bananier, qu'on mit aux pieds du Roi : les Prêtres, qui tenoient dans leurs mains plufieurs touffes de plumes ? rouges, & un panache de plumes d'autruches, que j'avois donné à O-Tôo, & qu'on avoit confacré depuis, firent une prière : lorfqu'ils eurent fini, ils change- rent de pofition, ils fe placèrent entre nous & le Morai; & l'un d'eux, le même qui avoit joué le principal rôle la vieille, marmota une féconde prière, qui dura envkon une demi- heure. Durant cet intervalle, les plumes furent de Cook. 179 portées une à une, & dépofées fur l'arche de .. YEatooa. 1777* - Peu de temps après, on amena quatre cochons 7br9' de lait; l'un de ces animaux fut tué : on con* duifit les trois autres dans une étable , qui fe trouvoit près de là, & on les réferva vraifem- blablement pour k premier fàcrifice. On ouvrit alors un des paquets d'étoffe , & on trouva, comme je l'ai déjà dit, qu'il renfermoit le Maro, dont les O-Taïtiens inveftiflent leurs Rois : le Maro eft parmi eux, ce que font en Europe les fymboles de la Royauté : on le tira avec foin de l'enveloppe, qui le couvrait, & on l'étendit devant les Prêtres. C'eft une ceinture longue d'environ cinq verges, & large de quinze pouces; il paraît, d'après fon nom , que le Monarque le porte fur fes reins, comme le refle des Naturels porte le Maro ordinaire. Il étoit orné de plumes jaunes & rouges, & fur-tout des dernières, que fournit une colombe de l'Ifle : l'une des extrémités avoit une bordure de huit pieces, chacune de la grandeur & de la forme d'un fer-à-cheval, avec des franges de plumes noires : l'autre extrémité étoic fourchue, & les pointes fe trouvoient de différentes longueurs. Les plumes offraient deux lignes de comparti- mens quarrés, & elles étoient d'ailleurs difpofées M 2 iHo Troisième Voyage de manière à produire un effet agréable. On les avoit d'abord collées ou attachées fur des morceaux de l'étoffe du pays, & on les avoit coufues enfliite au haut d'une flamme de navire, que le Capitaine Wallis arbora & laifla flottante Sur la côte, la premiere fois qu'il débarqua à Mata- yai; c'eft du moins ce qu'on nous dit; & nous n'avions aucune raiSon d'en douter, car nous y.I reconnoiffions une flamme AngloiSe. Une bande du Maro, de Six ou huit pouces en quarré, étoit plus dénuée d'ornemens : on n'y voyoit point de plumes, fi ce n'eft quelques-unes envoyées par Waheadooa. Les Prêtres firent une longue prière, relative à cette partie de la cérémonie; &, fi je ne me mépris point, ils Pap- pelloient la Prière du Maro. Le Symbole de la Royauté fut enfuite enveloppé foigneufement dans f étoffey & remis fur le Morai. On ouvrit Pautre paquet, auquel j'ai donné le nom S Arche ; mais on ne nous permit pas d'en approcher aflèz, pour examiner les chofes myf- térîeuSes qu'il contenoit. On nous dit Seulement que YEatooa, auquel on venoit d'offrir un là-. 1 crifice, & qui s'appelle Ooro , s'y trouvoit caché; ou plutôt que l'arche renSermoit le Signe représentatif du Dieu. Ce Tabernacle efl comJ§ pofé de fibres entrelacées de la gouflè de cocos, de Cook. i8i qui présentent la Sorme d'un pain de Sucre, c'eft-à- : dke, qui Sont arrondies, & beaucoup plus épaiflès à une extrémité qu'à l'autre. Différentes personnes nous avoient vendu de ces cônes, mais nous n'en apprîmes PuSage qu'ici. On nettoya alors le cochon, & on en ôta les entrailles. Ces entrailles offrirent plufieurs des mouvemens convulfifs, qu'on remarque en di- verSes parties du corps d'un animal qu'on vient de tuer ; & les Infulaires les prirent pour un préfage très-fàvorable de l'expédition qui occa- fionnoit le fàcrifice. On les laiflà expofées pendant quelque temps, afin que les Naturels puf- fent examiner des indices fi heureux, & on alla enfuite les dépofer aux pieds des Prêtres. Tandis que l'un d'eux faifoit une prière, un autre^.exa- minoit plus attentivement les entrailles, qu'il rc- tournoit d'une main légère avec un bâton; & lorfqu'ils les eurent bien examinées, ils les jetterait dans le feu. Le corps du cochon, fon foie, &c. furent mis fur le whatta, où l'on avoit dépofé le .chien, la veille; on renferma, dans l'arche avec l'Eatooa, toutes les plumes, excepté le panache de plumes d'autruches y & la cérémonie fe trouva complètement terminée. Il y eut, toute la matinée, quatre doubles pirogues fur la grève, devant le lieu où fe paflà lé M I l777- ybre. \\u 177; 18a Troisième Voyage fàcrifice. L'avant de chacune dé ces embarcations , portoit une petite plate-forme, couverte de feuilles de palmier, liées entr'elles par des nœuds myftérieux; les Naturels donnent auffi à ces plate-formes le nom de M»ai. Des noix de cocos, des bananes, des morceaux de fruit à pain, du poiflbn & d'autres chofes, étoient étalés fur ces Morais de mer. On nous dit que les pirogues appartenoiènt à YEatooa, & qu'elles dévoient accompagner Pefcadre deftinée pour -Eimeo. L'infortuné qu'on facrifia à cette occafion, me parut un homme d'entre deux âges ; on nous apprit qu'il étoit Towtow, c'eft-à-dire, de la dernière clafle des Infulaires. Je fis beaucoup^ de recherches, & je ne découvris pas qu'on l'eût défigné pour victime , parce qu'il fe trouvoit coupable d'un crime capital. Il efl sûr néanmoins qu'en général ils immolent, dans leurs facrifices, des individus qui ont commis des délits graves ; ou bien des vagabonds des derniers rangs de la ibciété, qui courent de bourgade en bourgade, ou d'une Me à Pautre, fans avoir de domicile, ou des moyens connus de pourvoir à leur fub- fiflance ; efpeces d'hommes que l'on rencontre fouvent fur ces terres. J'eus occafion d'examiner le corps de la malheureufe victime ; je remarquai DE COO K. lo que le derrière de la tête & le vifage étoient ^nfànglantés ; qu'il y avoit une meurtriffure énorme fur la tempe droite : je reconnus alors de quelle manière on l'avoit tué. On m'annonça en effet qu'on l'avoit aflbmmé à coups de pierre. Ceux qui doivent être les victimes de cet affreux fàcrifice, ignorent l'arrêt prononcé contre eux; & ils n'en font inftruits, qu'à l'inftant $j ils reçoivent le coup mortel. Lorfque l'un des grands Chefs juge qu'un fàcrifice humain efl né- <$gàire, il défigne lui-même l'infortuné qu'on immolera; il détache enfuite quelques-uns de fes ferviteurs affidés, qui tombent brufquement fur la viétime, & qui Paflbmment à coups de piaflue m de pierres. On porte la nouvelle de fà !$ort au Roi, dont la préf£nce, comme je.l'ai déjà dit, eft abfolument indifpenfable aux cérémonies qui doivent fuivre : O-Too joua en effet un des premiers rôles au fàcrifice, dont j'ai fait la defcription, La cérémopie, en général, eft appellee Poore-Eree, ou la prière du Chef; & la victime offerte à la Divinité, Taata-Taboo, ou l'homme dévoilé. C'eft le feul cas où nous ayions entendu à O-Taïti, le terme de Taboo; il Semble y avoir une fignification myftérieufe, ainfi qu'à Tonga. Les habitans de cette dernière Me l'emploient, toutes les fois qu'ils veulent M 4 l777- ybïC. ybre ÏÏM 2 84 T I o 1 s 1 e m e Voyage ■ , s=^ défigner des chofes, auxquelles il ne faut pas 1777. toucher; mais on fe fert alors à O-Taïti du motile , dont l'acception n'eft pas moins étendue. Le Morai, où fe paflèrent les cérémonies atroces, que j'ai décrites, efl sûrement tout-à-îa-fois un Temple, un lieu deftiné aux Sacrifices, & un cimetière. C'efty celui où on enterre le Chef Suprême- de l'Ifle entière, & il Se trouve réServé à fa Samille. & à quelques-uns des Principaux du pays. Il ne diffère guères des Morals ordinaires que par Sa grandeur. La partie la plus remarquable , efl une mafle large & oblongué de pierres, poSées l'une Sur Pautre, Sans ciment; elle a environ douze ou quatorze pieds dé hauteur, elle Se refîèrre au Sommet, & elle offre, de chaque côté, un terrain quarré, pavé de cailloux mobiles, au-deflbus defquels on enterre les CheSs. On trouve, à peu de diftance de l'extrémité la plus voifine de la mer, le lieu où l'on offre les Sacrifices ; il efl pavé aufli de pierres mobiles, preSque en entier. On y voit un grand échaSaud ou what ta , Sur lequel on met les fruits & les différais végétaux qu'on offre à la- Divinité ; mais les animaux Sont dépoSés Sur des what tas plus petits , que j'ai déjà indiqués, & #n enterre Sous diverSes parties du pavé , ks pauvres malheureux qu'on immole aux Dieux, % 10* D E C O 0 K. 105 •On apperçoit aux environs, divers monumens de la Superflition des O-Tàifiens; on rencontre, par exemple , de petites pierres qui s'élèvent au- defîus du pavé ; .d'autres pierres auxquelles Sont -attachés des morceaux d'étoffe ; plufieurs qui Sont couvertes d'étoffe; & on trouve, à côté de la grande maflè de pierres, qui efl en Sace de TeSplanade du Morai, un grand nombre de morceaux de bois Sculptés, où ils fuppofent que la ■Divinité réfide quelquefois, & qui, par confé- | :quènt,.fo.nt Sacrés à leurs yeux. Un amas de pierres, qui efl à l'une des extrémités du whatta, devant lequel on offrit la victime, & qui pré- .fente d'un côté une efpece de plate-forme, mérite une attention particulière. On y expofe les crânes de tous les infortunés qu'on immole aux ;Dieux ; car on va les déterrer quelques mois ;après la fépukure : on apperçoit au-deflus de ces «crânes, une multitude de planches de bois : on plaça au même endroit, durant la cérémonie, le Maro, & l'autre paquet qui contient le Dieu Ooro, felon la folle croyance des Infulaires, & que j'ai appelle l'Arche : ainfi, on peut comparer cet amas de pierres aux autels des autres nations. ijÉÉÉÉ On ne peut trop regretter qu'une coutume fi atroce & fi definitive d'un droit facré , dont 1777. *rbre. JPjit ISÔ Troisième Voyag |g tous les hommes font revêtus en naiflant, fubfifte encore dans la Mer du Sud; & on efl effrayé de la puiflancé de la fuperflition, qui étouffe les premiers fentimens de l'humanité, lorfqu'on voit cette inflitution abominable établie chez un peuple , qui n'a plus d'ailleurs la brutalité de la vie fauvage. Ce qui afflige davantage, elle efl vrai- fembîablement répandue fur la vafte étend» des terres de la Mer Pacifique. La conformité des ufages & des idiomes, que nous avons eu occafion de remarquer entre les Mes de cette partie de YÔcém, qui fe trouvent les plus élo|çrçées., donne lieu de croire qu'elles fe rapprochent auffi par quelques-uns des articles les plus importans de leurs cérémonies religieufes. Nous avons fu en effet, de manière à n'en pouvoir douter, que les habitans des Ifles des Amis fàcrifient des hommes à leurs Dieux. Lorfque j'ai décrit la Natche, dont nous fûmes témoins à Tongataboo , j'ai dit que les Infulaires, en nous parlant de la fuite de cette Fête, nous aflurerent qu'on immolerait dix viétimes humaines ; d'où l'on peut fe former une idée de la multitude de leurs maflàcres religieux. Nous jugeâmes que les O-Taïtiens ne facrifient jamais plus d'une per* fonne à-la-fois , mais il efl au moins probable que ces Sacrifices reviennent fouvent, & qu'ils DE COO K. li>7 enlèvent une foule d'individus ; car je comptai jufqu'à quarante-neuf crânes, expofés devant le Morai : ces crânes n'avoient encore éprouvé qu'une légère altération, & il efl clair qu'on avoit immolé quarante-neuf perfonnes fur cet autel de fang, depuis un temps peu confidérable. Rien ne peut, fans doute, affoiblir l'horreur qu'infpire une pareille coutume ; mais fes funef- tes effets fe trouveraient diminués à quelques égards , fi elle contenoit la multitude , en lui donnant du refpect pour la Divinité, ou pour la Religion du pays. Elle efl fi loin de produire ce foible avantage, que la foule nombreufe aflèm- blée au Morai, lors du fàcrifice auquel nous affiliâmes, ne parut point du tout pénétré dé ce que firent ou dirent les Prêtres, durant la cérémonie. On l'avoit déjà commencée, quand Omaï arriva, & la plupart des Spectateurs fe précipitèrent autour de lui ; ils ne fongerent qu'à lui demander le récit de quelques-unes de Ses aventures; ils l'écouterent avec une attention extrême, & ils ne s'occupèrent plus du fàcrifice. Les Prêtres eux-mêmes trop habitués à de pareilles fcenes, ou ayant trop peu de confiance à l'efficacité de leurs rites, ne prirent point cette gravité impofante, néceflàire pour donner du poids 7bre. '■: ■'•■■ 1777» *rbre. ï88 Troisième Voyage aux cérémonies religieufes; j'en excepte néanmoins celui qui faifoit communément les prières. Ils avoient l'habit ordinaire des Naturels, ils caufoient entr'eux fans le moindre fcrupule. Ils interpolèrent, il efl vrai , leur autorité , afin d'empêcher la populace de venir à l'endroit où fe paflbient les cérémonies, & afin de nous rapprocher davantage du lieu de la fcene, parce que nous étions étrangers ; mais ils n'imaginèrent rien autre chofe, pour conferver un air de décence. Ils répondirent d'ailleurs , d'une manière très-franche, aux queftions que nous leur fîmes fur cette inflitution. Lorfque je les priai de m'en expliquer le but, ils me dirent que c'é- toit une vieille coutume ; qu'elle étoit agréable à leur Dieu, qui aimoit les victimes humaines, ou, felon leur expreflion, qui s'en nourriflb|y| qu'après une pareille cérémonie, ils en obte- noient ce qu'ils vouloient. Je ne manquai pas de, répliquer que leur Dieu ne pouvoit manger les victimes, puifqu'ils ne le voyoient pas, & que les corps des animaux demeuraient long-temps intacts; qu'en enterrant les victimes humaines, ils lui ôtoient les moyens de s'en nourrir. Ils me répondirent que leur Dieu arrivoit la nuit, fans qu'on l'apperçût; qu'il fe nourriflbit de l'âme ou de la partie immatérielle qui, felon leur DE C O O K. 189 doctrine, demeure autour du Morai, jufqu'à J ce que la putréfaction ait entièrement détruit le corps» Il efl bien à defirèr que cette peuplade, aveuglée par la fuperflition, apprenne à regarder, avec horreur, ces fàcrifices humains, dont elle régale fes Dieux, & qu'elle s'en dégoûte , comme elle s'eft dégoûtée de l'ufàge de manger de la chair humaine; car on efl très-fondé à croire que jadis elle étoît Cannibale. On nous aflura qu'il efl indifpenfable d'arracher l'œil gauche de l'infortuné qu'on facrifie : le Prêtre le préfente au Roi, ainfi que nous le vîmes nous- mêmes ; il l'approche du Monarque , à qui il recommande d'ouvrir la bouche ; mais il le retire, fans le mettre dans la bouche du Prince* Ils appellent cette partie de la cérémonie, Manger F homme , ou Régal du Chef; & c'eft peut-être un refle des temps où le Roi man^ geoit véritablement le corps de la viftime. Je n'infifterai pas fur ces détails qui fouillent l'imagination. Il efl sûr qu'outre les fàcrifices humains, ces Infulaires., fi remplis de bienfài- fance & de douceur, ont d'autres coutumes barbares. Ils coupent les mâchoires de ceux de leurs ennemis qu'ils tuent dans les batailles; ils offrent même en fàcrifice à Y Eat 00 a y les corps 1777. *ybre. 1777- ^bre. 190 Troisième Voyage des vaincus. S'ils Portent vainqueurs d'un combat, ils rafîèmblent, peu de temps après, les morts qui font tombés entre leurs mains ; ils les apportent au Morai , où ils creufent une foflè avec beaucoup d'appareil, & ils les y enterrent ; mais ils ne les déterrent pas enfuite, pour en ôter les crânes. La fépulture de ceux de leurs premiers Chefs, qui meurent dans les combats, efl différente. On nous apprit que Tootaha, leur dernier Roi, Tu- bourai Tamaide, & d'autres qui périrent dans une bataille livrée aux habitans de Tiarrabo&m furent rapportés au Morai â'Attahooroo. Lefl Prêtres leur ayant ouvert les entrailles, qu'ils dépoferent devant le grand Autel, enterrèrent enfuite les corps en trois endroits, qu'on nous montra fous la groflè mafle de pierres, qui forme la partie la plus remarquable de ce Morai. Les hommes du peuple, tués par l'ennemi , durant le même combat, furent enterrés dans une feule foflè, au pied de la mafle de pierres, dont je viens de parler. Omaï avoit été au combat, & il me dit que les obfeques eurent lieu le lendemain ; qu'on les célébra avec beaucoup de pompe & d'appareil, au milieu d'un concours nombreux d'Infulaires ; que, dans PftïjS tention desN Naturels, ce furent des actions de Pnm D E C O O K. I9I graces rendues à YEatooa , pour la victoire qu'ils venoient d'obtenir. Les vaincus, qui fe fauverent dans les montagnes, fur ces entrefaites^ s'y tinrent cachés une femaine ou dix jours, jufqu'à ce que la fureur des vainqueurs fut appai- fée, & qu'on eût arrangé le Traité de Paix. Ce Traité déclara O-Too, Roi de l'Ifle entière; on l'inveftit du Maro en grande pompe, dans le même Morai, & en préfence. de tous les Chefs de la contrée. 1777. *7bre^ 192 Troisième Voyage bagatelle devient importante ; j'étois vivement occupé du foin de propager, aux Ifles de là Société, ce quadrupède utile, & la perte du bélier fut un véritable malheur; car je n'avois que celui-ci de la race du Cap, & il ne m'en reftoit qu'un de la race d?Angleterre. Le 7, dans la foirée, nous tirâmes des feux d'artifices, devant une multitude d'Infulairll : ce fpeétacle fit grand plaifir à quelques-uns d'entr'eux; mais il caufa un effroi terrible à la lâstpart, & nous eûmes bien de la peine à les retenir jufqu'à la fin. Une table de fufées volantes devoir terminer le jeu, l'aflèmblée erifîêfe fe difperfa au ftoment où elles partirent, & les hommes dii pays, les plus courageux, s'enfuireùt âvefc précipitation. Le 8, Œdidee, notre ancien camarade, donrii à dîner à quelques-uns d'entre nous ; fon feflin fut compofé de poiflbn & de porc : le cochoil pefoit environ trente livres; il fut tué, cuit & Servi en moins d'une heure. Nous*'achevions de dîner, lorfqu'Ô-Too arriva; il me demanda " fi „ mon ventre étoit plein? „ je lui répondis que DE C O O K. 199 oui, & il me dit, " dans ce cas, venez avec n> moi. „ Je le fuivis chez fon père, où je trouvai différentes perfonnes qui habilloient deux jeunes filles d'une quantité prodigîeufe de belles étoffes, arrangées d'une façon finguliere. Une extrémité des pieces, qui étoient en grand nombre, fe trou- voit relevée par-deffus la tête des jeunes filles, tandis que le refle environnoiti le corps, à commencer de d$$pus les aiflèlles ; l'autre extrémité tomboit en plis jufqu'à terre, & reflemblok à un jupon de femme porté fur un large panier : plu^ fieurs pieces enveloppaient le bord extérieur de ce panier, & groffiflbient l'attirail. Les étoffes occupoient l'efpace de cinq ou fix verges de circuit , & ces pauvres filles étoient accablées fous un fi énorme poids; elles ppïent, en outre, deux taamas , (deux pieces de corps) qui leur fervoient de parure, & qui donnaient u$ air pittorefque à leur accoutrement. On les con- xiaifit, dans cet équipag§|||à. kPx& de mon vaif- feau; la pirogue, qui les ameaaa,-étoit chargée de plufieurs cochons, & d\\ine quantité aflèz confidérable de fruits, dont le père d'O-Too vouloit me faire préfent, ainfi que des étoffes. On donne le nom çYAtee aux perfonp^ de Pun & de Paulre fexe, habillées de cette mani$re£ mais je crois que cette mode bizarre a feulement H 1777- 1777- ^bre. I 10. 200 Troisième Voyage lieu quand ils veulent offrir à quelqu'un des pré- fens confidérables d'étoffes; du moins je ne l'ai jamais vu que dans cette occafion : c'étoit la premiere fois qu'on nous préfentoit ainfi des étoffes; mais, le Capitaine Gierke & moi, nous en reçûmes enfuite d'autres, étalées également fur le corps des Naturels qui nous les apportèrent. Le lendemain, O-Too me fit préfent d'un cochon & de quelques fruits, & chacune de fes fœurs me donna un cochon & d'autres fruits : nous ne manquions pas d'ailleurs de provifions. Les Naturels avoient pris en-dedans du récif, avec la Seine, une quantité confidérable de maquereaux; ils en échangèrent une partie dans notre camp & fur nos vaiflèaux. O-Too, fi foigneux de nous fournir des vivres, cherchoit avec le même foin à nous procurer des amufemens continuels. Nous allâmes, le 10, à Oparre, & il fit donner pour nous une efpece de Comédie. Ses trois fœurs y jouèrent ; elles avoient des habits neufs & élégans, w moins nous n'en avions pas encore vu fur ces Mes d'auffi agréables à l'œil. Mais le principal objet de mon voyage à Oparre, étoit d'examiner un corps embaumé, que quelques-uns de nos Meilleurs avoient rencontré par hafard près de la réfidence d'O-Too. J'appris que c'étoit D E C O O K, * 201 celui de Tee, l'un des Chefs que j'avois connu autrefois : je le trouvai dans un Toopapaoo, mieux confinât que les Toopapaoos ordinaires, & pareil, à tous égards, à celui que nous avions vu quelque temps auparavant à Oheitepeha, où les relies de Waheadooa font dépofés & embaumés de la même manière. Lorfque nous arrivâmes , le eorps étoit couvert & enveloppé d'étoffes; mais, à ma prière, l'Infulaire qui le gar- doit, le tira du Toopapaoo, il le,plaça fur une efpece de bierre , & nous l'examinâmes à notre aife ; on ne nous permit pas toutefois de pénétrer en-dedan^jdes palifîàdes qui enfermoient le Toopapaoo ■: l'Infulaire orna le cercueil de nattes & d'étoffes, qui produifoient un joli effet. Le corps étoit entier dans toutes les parties, &, ce qui nous.iluprit bien davantage, la putréfaction paroiflbit à peine avoir commencé, car il n'exhaloit posftt d'odeur défagréable : cependant le climat eft très-chaud, & Tee étoit mort depuis plus de quatre mois : on n'y appercevoit d'autre altération , qu'une contraction des muf- cles & des yeux ; les cheveux & les ongles fe trouvoient en bon état, & ils adhéraient fortement à la peau : les diverfes jointures avoient de la foupleflè, où elles préfentoient ce relâchement qui arrive aux perfonnes attaquées d'un 1777, jbre, l777* ^bre. 202 Troisième Voyage : é^anouilfenent fubit. M. Andeffon, qôl mè communiqua ces rëffeatqués, fit des rétdhfcréttÈs fui* les libyens cj&'ëmploient les Natufôls, pour con- ferver âHffflSgcorps, & dîl#ii dit, qu'immédiatement apfèk la nfiftt',-ôn tilt par Y anus tel inteftfflÈ & les autres vifcêfés, qu'on remplit le ventre & PtSfôiiïfe d'é'fôfflfèsr$ que s'il y a de l'humiditl fur la peau, dit la fait difparoîfre, & qu'on frdHfe'ÇÉhite tout le coi-ps avec une quantité dôfàfidérable d'hiMlê de noix de cocos parfumée; que 'cëfffîflÉSRtti le confie aflèz longtemps lahs i|Wîl tombe en pôurïftUré. De mon côté, je ne pUs tiié^ocurer, C\\Êf dette opéra* don, d'aMBBSS^âétails*}6e ceux d'Ôhiaï. Il m'£& fura que lés O-lfiÉHÉis fe fe?verf£&lors du fuc d'une plâfiie^^^éfkffâlliîi les tifôfàtagnes, & d'huile de noix dé cocos ; qâ&t$É#^ fouv$f£ le côïps avec de l'eau de mer : il m'apprit d'alb- leurs qu'on' " Vous m'eûtes à peine quitté , qu'un „ fécond meflager de Towha, arriva près d'O- „ Too avec un bananier. Nous partîmes d'Oparre „ au couche^ du Soleil, & nous débarquâmes „ vers cinq heures à Tettaha, fur la langue de „ terre contiguë à Attahooroo. Les habitans de „ ce diftriét nous appellerent de la côte, vrai- „ femblablement pour nous avertir que Towha „ s'y trouvoit. Je comptois que Pentflévue dç ce „ Chef & du Roi, m'offrirait quelque chofe „ d'intéreflànt. O-Too & les gens de fa fuite, „ allèrent s'aflèoir fur la grève, près de la piro- „ gue où étoit Towha : celui-ci dormoit, mais ,, fes domeftiques l'ayant éveillé, & ayant nommé „ O-Too, on apporta aux pieds du Roi un ba- „ nanier & un cochon ; & un aflèz grand nom- „ bre d'Infulakes attachés à Towha, vinrent cau- ,, fer avec O-Too : je jugeai qu'ils parfoient de „ leur expédition dHEimeo. Je demeurai quelque „ temps affis à côté du Roi ; & comme Towha tome I, page 463 de l'original , que les O-Taïtiens traitèrent de la même manière le Capitaine Wallis & fon premier lieutenast*' 220 Troisiemç Voyage „ ne fortoit point de fa pirogue, & qu'il ne „ nous difoit rien, je montai fur fon embarca- „ tion ; il me demanda fi Toote Ça) étoit fâché „ contre lui. Je lui répondis que non, que Toote „ étoit Ton Taye, (fon ami ) & qu'il m'av$M chargé de me rendre à Attahooroo pour le lui dire. Omaï eut alors une longue converfà-/f tion avec ce Chef; mais je ne pus favoir quelle avoit été la matière de leurs difcours. Je retournai auprès d'O-Too, qui paroiflbit defi- rer que je mangeafîè quelque chofe, & que j'allaflè me coucher. Nous les quittâmes en. effet, Omaï & moi. Je queftionnai Omaï fur ' les raifons qui avoient empêché Towha de for- tir de fa pirogue ; il me dit que ce Chef étoit boiteux, mais que le Roi s'approcherait dej lui, & qu'ils càuferoient en particulier. Cette prédiction parut fe vérifier ; car les Infulaires que nous laifsâmes près d'O-Too, vinrent: bientôt nous trouver, & O-Too lui-même arriva envkon dix minutes après : nous allâmes tous nous coucher dans fa pirogue. „ Le lendemain au matin, ils préparèrent une grande quantité de kava; l'un d'eux en but {a) C'eft ainfi que les O^Taïtiefls prononcent le nom du Capitaine Cook* de Cook. 221 tellement, qu'il perdit Pufage de fes fens. Il : •■ , [v avoit des convulfions fi fortes, que fi je n'en 1777* avois pas connu la caufe, je l'aurais fuppofé 7bre- très-malade : deux hommes le tenoient par les cheveux. J'abandonnai cette fcene , pour en voir une autre plus touchante, l'entrevue de Towha, de fa femme & d'une jeune perfonne qui me parut être fa fille. Après avoir découpé fa tête, de manière à en faire fortir beaucoup de fang, & après avoir bien pleuré, elles fe lavèrent & embraflèrent le Chef d'un air tranquille ; mais la jeune fille n'étoit pas encore au bout de fes fbuffrances ; Terridiri Ça) arri- „ va , & elle répéta avec un maintien calme „ tout ce qu'elle avoit fait avant d'aborder fon „ père. Towha av^it amené une grande pirogue „ de guerre df Eimeo ; je lui demandai s'il avoit „ tué les guerriers qui la montoient, & il me „ répondit qu'elle n'avoit point d'hompies à „ bord, lorfqu'il la prit. „ Nous partîmes de Tettaha entre dix & onze „ heures, & nous débarquâmes à peu de dif- „ tance du Morai d9Attahooroo, un peu après {a) Terridiri èfl: fils d'Oberea. La Collection de Hawkefworth , tome II, page 154 de Poriginal, donne des détails fur la généalogie de ceux qui compofent la Famille Royale d'O-Taïti. 1777- ♦rbre. û*£ Troisième Voyage „ midi. Nous trouvâmes trois pirogues retirées fur la grève, en face du Morai; il y avoit trois cochons dans chacune; on voyoit au- deflbus de leurs hangars ou abris quelque chofé que nous ne pûmes pas diftinguer. Nous comptions que1 la cérémonie aurait lieu dans la foirée, mais Towha & Potatou n'arrivèrent point, & il ne fe paflà rien d'important. „ Un Chef qui àrriyoit d'Eimeo, apporta un petit cochon & un bananier, qu'il dépofa aux pieds d'O-Too : il caufa quelque temps avec le Roi, & comme il répéta fbuvent le mot Warry, Warry, Ç faux ) je fuppofai qu'O- Too lui racontoit ce qu'il avoit oui dire, & que le Chef nioit les faits. „ Towha & Potatou arrivèrent le 24, avec huit grandes pirogues, & ils débarquèrent près du Morai. O-Too reçut une multitude de .bananiers de la part de différens Chefs. Towha ne quitta point fa pirogue. La cérémonie commença enfin : le Grand-Prêtre apporta d'abord le Maro foigneufement enveloppé, & un paquet qui avoit la forme d'un pain de fucre; ii les plaça à l'entrée d'un lieu qui me parut être le cimetière : trois Prêtres allèrent enfuite s'aflèoir en face à l'autre extrémité du cimetière ; ils apportèrent aufli un bananier , une de Cook, 223 „ branche d'un autre arbre & une fleur de co- „ cotier. „ Les Prêtres prononcèrent féparément de pe- „ rites phrafes en tenant ces diverfes chofes à „ leurs mains; deux, d'entr'eux & quelquefois „ les trois, chantoient de temps en temps une „ chanfon mélancolique , à laquelle Paflèmblée „ fit peu d'attention. Ces prières & ces chants „ durèrent une heure. Le Grand-Prêtre ayant „ fait une autre prière qui fut de courte durée, „ découvrit le Maro : O-Too fe leva, on lui „ ceignit le Maro, &, pendant cette opération, il t^noit à fa main un chapeau ou bonnet, des plumes rouges de la queue de l'oifeau du Tropique, mêlées avec d'autres plumes brunes. H fe plaça au milieu de la fcene, en face des trois Prêtres, qui continuèrent leurs prières Pefpace d'environ dix minutes : l'un des affiftans fe leva d'une manière brufque; il dit quelque chofe qui finit par le cri de Heiva, & Paflèmblée lui répondit trois fois en criant à haute voix, Earee ! on m'avoit averti auparavant que c'é- „ toit la partie principale de la cérémonie. „ Les Affiftans paflèrent alors au côté oppofé „ de la grande maflè de pierres où l'on voit une „ large foflè, que les Infulakes appellent le Mo- „ rai du Roi On y répéta la cérémonie que 1777- ^bre. 1777' *7bre. 224 T r o 1 s i e m e Voyage „ je viens de décrire, & elle finit également par „ trois acclamations. On replia le Maro, dont „ la fplendeur fe trouva augmentée d'une touffe „ de plumes rouges, que l'un des Prêtres donna „ à O-Too tandis que le Roi l'avoit autour de „ fes reins. „ L'aflèmblée fe rendit enfuite à une vafte ca- 3, bane , fituée près du Morai, & elle s'y affit „ avec beaucoup plus d'ordre qu'on n'en voit or-. i dinairement à O-Taïti. Un homme du diftrict „ de Tiarraboo, fit un *difcours qui dura envi- „ ran dix minutes ; un hahitant di'Attahooroo „ pérora enfuite ; Potatou, qui prit la parole ,3 après eux, s'exprima avec plus d'abondance „ & de grace; éïi général, les deux premiers 3, ne dirent que de petites phrafes détachées, „ accompagnées d'un mouvement de main très-' 3, gauche. Tooteo harangua auffi au nom d'O- „ Too, & après lui un Infulaire d'Eimeo. Il y U eut deux ou trois autres difcours auxquels ,3 l'auditoire fit peu d'attention : Omaï m'aflura 33 qu'ils promirent tous de ne point combattre, „ mais de vivre en amis. Plufieurs des orateurs ,3 s'échauffèrent; peut-être qu'ils fe plaignirent 5, du pafle 3 & qu'ils firent des proteftations de 3, ne pas troubler la paix à l'avenir. Un Habitant 3, du diftrict d'Attahooroo fe leva au milieu de „ ces 3? 3? 5? 59 de Cook. 225 ces harangues; il portoit une fronde autour de fes reins & une groflè pierre fur fes épaules : après s'être promené environ un quart- d'heure dans le cercle , & répété quelques mots d'un ton chantant, il jetta fa pierre. Lorfque les difcours furent terminés , on porta au Morai cette pierre & un bananier qui étoit aux pieds du Roi : l'un des Prêtres prononça ici deux ou trois phrafes, avec le Roi. „ Au moment où nous nous embarquâmes, la brife de mer avoit commencé, & il fallut redefcendre fur la côte ; nous fîmes à pied prefque tout le chemin de Tettaha à Oparre, & cette promenade fut très-agréable. Nous trouvâmes un arbre, auquel étoient fufpen- dus deux paquets de feuilles feches : il Sert de bornes aux deux diflriéts. L'Infulaire qui avoit,paru dans la cérémonie avec la fronde & la pierre , nous accompagnoit : le père d'O-Too l'entretint long-temps ; il paroiflbk „ fort en colère, & je compris qu'il étoit ir- „ rite du rôle qu'avoit joué Towha dans l'af- „ faire d'Eimeo. Autant que je puis juger de cette cérémonie, d'après la defcription de M. King, ce ne fut pas uniquement une action de graces aux Dieux, Tçme Ih P ?5 ?> 1777. .^bre. ■;'■: «1 ■ "*rbre, / 226 Troisième Voyage *mi$ plutôt une confirmation du traité; peut- 1777* être même avoit-elle l'un & l'autre de ces objets pour but. Le cimetière , dont il fait mention , paraît être le lieu où commencèrent les cérémonies du fàcrifice humain, auquel j'affiftai, & devant lequel on dépofa la victime , après qu'on l'eut éloignée du bord de la mer. C'eft auffi dans cette partie du Morai, qu'ils invef- tifïènt leur Roi du Maro , pour la premiere Sois. Omaï, qui s'étoit trouvé au couronnement d'O-Too, m'en expliqua tous les détails Sur les lieux ; & ces détails Se rapprochent beaucoup de ceux que vient de donner M. King, quoique les deux cérémonies aient eu lieu en des occa- fions bien différentes. Le bananier, efl la premiere chofe qu'on apperçoit dans toutes les cérémonies reiigieuSes de ces peuplades, & même dans tous leurs débats publics ou particuliers. Elles l'emploient auffi en d'autres oecafions, & peut-être plus Sréquemment encore que nous ne Pavons remarqué. Tandis que Towha Sut à Eimeo , il envoya chaque jour des meflàgers à O-Too : ces exprès ne manquoiérit jamais d'ai^ river, en tenant à la main un jeune bananier, qu'ils dépoSoient aux pieds d'O-Too, avant d'ouvrir k1 bouche ; ils s'àfleioïent enSuite devant le Roi, & ils faifoient leur meffàge. Deux honËtaes, d e Cook. 27 qui fe difputoient, s'échauffèrent tellement un jour, que je m'attendois à les voir fe frapper; l'un d'eux ayant placé un bananier devant l'autre, ils fe calmèrent tout-à-coup, & ils continuèrent fans emportement. Enfin le bananier efl toujours lé rameau d'olivier, pour les-habitans des IJÏes de la Société. La guerre ëErmeo-, & les cérémonies Solem- nelles qui en furent la fuite , n'occupant plus nos amis, ils revinrent nous voir le 26 ; &, comme ils favoient quç nous étions fur le point de partir, ils nous apportèrent plu* de cochons que nous ne pouvions en acheter. Nous manquions de fel, & nous n'avions befoin que de la quantité de porc néceflàire à notre confommation journalière, SB Le lendemain, j'accompagnai O-Too à Opar* re, &, avant de le quitter, je fis la revue du bétail & des volailles, dont je lui avois recommandé de prendre foin* Chacun de ces animaux étoit en bon état, & on les foignoit d'une manière convenable. Deux des oies, & deux des canards couvoient, mais la femelle du paon, & les poules d'Inde, n'avoient pas encore pondu, Je redemandai à O-Too quatre chèvres ; j'en voulois laîfîèr deux à Ulietea, où cette efpece efl inconnue ; & je me propofois de garder les P 2 1777 ^bre* 10. 22§ Troisième Voyage deux autres, pour quelques-unes des Mes que je pourrais rencontrer, en allant à la côte d£Amérique. Éggi Une fupercherie d'O-Too, que je vais citer,; montre que ces Infulaires favent, au befoin, employer la rufe & l'artifice, pour arriver à leur but. Je lui avois donné, entr'autres chofes, une lunette qu'il garda deux ou trois jours ; habitué enfuite à cet infiniment, &, felon toute appa^ rence, ne le trouvant d'aucune utilité pour lui, il le porta en fecret au. Capitaine Gierke; il lui dit qu'il étoit fon bon ami; que ce préfent de- voit lui être agréable, & qu'il le prioit de l'accepter. ." Mais, ajouta-t-il, vous ne devez pas „ en parler à Toote : Ça) il defire cette bagajrfi „ le, & je ne voudrais pas qu'il l'eût. „ Il mit la lunette entre les mains du Capitaine Gierke, & il Paflura qu'il la poffédok à jufte titre. M. Gierke refufa d'abord de l'accepter ; O-Too infifta, & ne voulut point la reprendre. Quelques jours après, il eut foin de parler de la lunette; le Capitaine Gierke n'en avoit pas befoin, il defiroit cependant d'obliger le Prince; &, croyant que des haches feraient plus utiles à O-Taïti, que cet inftrument, il offrit d'en donner quatre en {a) Au Capitaine Cook* de Cook. 2*9 retour. O-Too s'écria fur-le-champ : r Toote : „ m'en a offert cinq pour la lunette. | M, Gierke lui répondit : ■ Si cela eft, je ne veux pas que % votre amitié pour moi , vous foit défavali- „ tageufe, Se vous en aurez fix. „ Le Roi reçut les fix hachés, mais il recommanda dé nouveau de ne pas m'inftruire de ce qui venoit de fe pafler, ^| Omaï, qui prodigua fi follement ici les chofes utiles qu'il avoit apportées, s'en procura toutefois une, dont il devoit tirer de grands avantages. C'étoit une très-belle pirogue double, & à voiles , équipée d'une manière çomplette. Je lui avois fait faire, peu de temps auparavant, les divers pavillons de beaupré, cornettes, guidons & flammes dont on fe fert fur les vaiflèaux An- glois ; mais il les croyoit trop précieux pour les employer à O-Taïti : il rapetafla dix ou douze de nos vieux pavillons ou de nos vieilles flammes ; il les arbora tous à-la-fois en différenteg parties de fon bâtiment, & ce fpeétacle attira autant de monde qu'en attire dans un port d'Europe , un vaiflèau de guerre pavoifé. Ces banderoles étoient Angloifes, Françoifes, Efpagnoles & Hollandoifes ; il n'en avoit pas vu d'autres. J'avois donné, en 1774, un pavillon de beaupré & 'une flamme à O-Too, & une fimple flamme P 1 *ybre. 230 T R O I S I E M E V O-Y AGE à Towha ;, iî| les avoient confervés avec un foin extrême, car je les retrouvai en bon état. Les étoffes & l'huile de cocos font bien meilleures à O-Taïti, que fur aucune des autres Mes de la Société, où on les vend fort cher, & Omaï s'en procura une aflèz grande quantité : il ne fe feroit pas conduit d'une manière fi inconféquente & fi indigne de la vie qu'il avoit menée en An* gleterre & durant le voyage, fans fà fœur, fans fon beau-frere & quelques perfonnes de fa con- noiflance, qui s'emparèrent de lui;, dans la vue de le dépouiller de toutes fes richeflès. Leur complot aurait réuffi, fi je n'avois pris à temps les tréfors de mon Ami fous ma garde. Cette précaution n'eût pas même été fuffifante, fi j'eufïe permis à ces frippons de le fuivre à Huaheine, où il devoit s'établir. C'étoit leur projet de ne point le quitter; mais je leur défendis de fe montrer à Huaheine, tant que je me trouverais dans ces parages, & ils me connoiflbient trop bien pour enfreindre mes ordres, O-Too vint à bord le 28, il me pria d'accepter une pirogue, & de l'offrir de fa part à YEa- ree-r/ahie no Bretane ; Ça) il me dit que, voulant envoyer quelque chofe à un fi grand (a) Au Roi de la Grande-Bretagne. D E C O O K. 23I Monarque, il n'avoit rien imaginé de mieux. Je : fus charmé de fa reconnoiffance; il avoit feul le mérite de cette galanterie ; perfonne d'entre nous ne lui en avoit donné l'idée. Il nous prougfe d'une manière claire, qu'il favoit bien à qui il étoit redevable des tréfors que nous lui avions app0£3és. Je crus d'abord que la pirogue ferait un modèle en petit de leurs bâtimens de guerre, mais je reconnus bientôt qu'il s'agiilbit d'un jva- hah d'environ feize pieds de longueur. Elle étoit double, & je jugeai qu'on l'avoit conflruire exprès; car elle fe trouvoit décorée de beaucoup de fculptures : elle m'aurait trop gêné, & je le remerciai de fa bonne volonté : je vis que je lui aurois fait plus de plaifir en l'acceptant. Des brifes légères de POuefl, & des'$almes, nous retinrent à O-Taïti quelques jours de plus que je ne le comptois : je ne pus pas ntêmg fortir de la baie. Durant cet intervalle, lq&vaif- feaux furent- remplis d'Infulaires., & environnés d'une multitude de pirogues ; car les Naturels ne vouloient quitter les environs de Matavai ^ qu'après notre départ. Le vent paflà enfin à PEft à trois heures de l'après-midi du 29, & nous levâmes l'ancre. Dès que nous fûmes fous voile, j'ordonnai de tirer fept ccups de canons chargés à boulet; 1777.. *7*i>re. mŒi P 232 Troisième Voyage ;; ■ O-Too m'en avoit prié, & je voulois d'ailleurs 1777. fatisfaire la curiofité de fes Sujets. Tous nos amis, 7bre* excepté le Roi, nous quittèrent enfuite avec des marques d'âfleétion & de douleur, qui montrèrent aflèz combien ils nous regrettoient. Le Roi ayant defiré de voir marcher les vaiflèaux, je m'étendis en pleine mer, & je revins près de la cote ; il me fit alors fes adieux & il retourna à téÉre fur Sa pirogue. Nous avions abordé fi fouvent à O-Taïti, depuis un petit nombre d'années, que les Infulaires paroiflbient perfuadés que nous ne tarderions pas à revenir. O - Too me recommanda avec infiance de prier en fon nom YEaree-ra- hie no Bretane, d'envoyer, par les premiers vaiflèaux, des plumes rouges & les oifeaux quij les fournîflènt \\ des haches, une demi-douzaine de fufils, de la poudre, du plomb , & de ne | pas oublier des chevaux. J'ai dit fouvent, que j'avois reçu des préfens coîifidérables d'O-Too & du refle de fa famille, & je n'ai pas toujours fait mention de ce que je donnois de mon côté. Lorfque les habitans de ces Mes font un préfent, ils laiflènt entrevoir ce qu'ils efperent en retour, & nous étions obligés de les fatisfaire ; ainfi, ce qu'on avoit Pair de nous offrir gratuitement, nous courait plus que *35 de Cook. ce que nous achetions : mais, lorfque nous , éprouvions un moment de difette , & qu'on 1777- n'apportoit rien au marché, nous pouvions re- 7bre* courir à nos amis ; & en tout cette manière de trafiquer fut auffi avantageufe pour nous que pour eux. En général, je payai tout de fuite chacun des préfens qu'on me fit; j'en excepte ceux que je reçus d'O-Too. Ses largeflès furent fi multipliées & fi fréquentes, que nous ne comptions ni l'un ni Pautre. Je lui offrais furie-champ les chofes qu'il me demandoit, lorsqu'elles ne m'étoient pas néceflaires , & je le trouvai toujours modéré dans fes demandes. Si j'avois pu déterminer Omaï à fe fixer ici, je ne ferais pas parti fitôt; car, à l'époque où je quittai l'Ifle, on nous fourniflbk" des rafraî- iâaflèmens en fi grande quantité , & à fi bon marché , que je n'efpérois pas rencontrer ailleurs le même avantage : il régnoit d'ailleurs entre nous & les habitans, une amitié fi cordiale & une confiance fi entière, qu'il étoit difficile d'efpérer un pareil fuccès en d'autres terres du grouppe de la Société. Il efl aflèz extraordinaire que cette correfpondance amicale n'ait pas été troublée une feule fois, & que je n'aie eu à me plaindre d'aucun vol important; ce n'eft pas que je craie aux progrès de la moralité des 234 Troisième Voyage .1777, ^bre. O-Taïtiens fur cet article ; je penfe plutôt qu'il faut attribuer la régularité de leur conduite aux foins des Chefs : ces Chefs craignoient de voir fufpendre un trafic qui leur donnoit plus de marchandises qu'ils n'auraient pu en obtenir par des vols & des larcins. Je ne manquai pas de les en avertir moi-même, immédiatement après mon arrivée. Frappé de la multitude de provi- fions qu'offrait l'Ifle, & de Pempreflèment que montraient les Naturels pour nos articles de commerce , je réfolus de profiter de ces deux cir- conflances favorables, & je déclarai de la manière la plus pofitive, que je ne fouffrirois pas les vols des gens du pays, comme je les avois foufferts autrefois. Omaï me fut en cela très- utile; je lui recommandai de leur bien expliquer les heureux effets qu'aurait leur honnêteté , & les fuites funeftes qu'entraîneraient leurs frippon- neries; en un mot, je lui fis,fa leçon & il la dit à memille. Les Chefs ne peuvent pas toujours empêcher les vols ; on les vole fouvent eux-mêmes, & ils s'en plaignent comme d'un grand mal. O-Too laiflà entre mes mains, jufqu'à la veille de mon départ, les chofes qu'il avoit obtenues de nous ; lorSqu'il m'en chargea, il me dit qu'elles ne Seraient pas en Sûreté ailleurs. Depuis que cette de Coo K. »35 peuplade connoît de nouvelles richefles, Ses dispositions au vol doivent avoir augmenté. Les CheSs, qui ne l'ignorent pas, défirent beaucoup d'avoir des caiflès; ils Sembloient mettre un prix extrême à un petit nombre de coffres laiffes dans l'Ifle par les Espagnols, & ils nous en deman- doient d'autres Sans celle. J'en fis faire un pour O-Too, il le voulut de huit pieds de long , de cinq de large & de trois de profondeur. Les ferrures & les verroux ne fuffiront pas pour écarter les voleurs; mais deux hommes peuvent y coucher la nuit & y monter la garde. Nous favions un peu la langue du pays ; Omaï nous fervoit d'ailleurs d'in&rprete , & il efl aflèz fingulier, que nous n'ayons pu découvrir l'époque précife de l'arrivée des Efpagnols & la durée de leur féjour. En multipliant nos queflions fur ce point, nous reconnûmes de plus en plus que ces Infulaires font incapables de noter oti de fe rappdJer h date des événement anciens, fur-tout s'il s'eft écoulé dix ou vingt mois. L'infcription que nous trouvâmes fur H croix, & les détails que nous donnèrent les plus intelligens des O-Taïtiens, me firent juger cependant que deux vaiflèaux arrivèrent à Oheite- peha en 1774, peu de temps après mon départ de Matavai, qui eut lieu au mois de Mars de m 1777- ^bre. 1777- 7bre. 236° T r*o i s i e me Voyage la même année. Ces bâtimens apportèrent la maifon & les quadrupèdes dont j'ai parlé plus baut. Si j'en crois quelques Infulaires, lorfqu'ils eurent débarqué les bois de la maifon & un petit nombre d'hommes, ils remirent à la voile pour me chercher, & ils revinrent dix jours enfuite : mais j'en doute, car on ne les vit ni à Hua- heine, ni à Ulietea. Les quadrupèdes laifles par ces Navigateurs à O-Taïti, furent un taii-S reau, des chèvres, des cochons, des chiens & le mâle d'une autre efpece; ce dernier étoit un bélier, & il fe trouvoit à Bolabola, où l'on devoir auffi tranfporter le taureau. Les cochons , qui font d'une groflè taille, avoient déjà amélioré la race indigene du pays, & ils étoient très-nombreux lorfque nous arri^ vâmes. Il y a de plus-un aflèz grand nombre de chèvres ; les Chefs un peu importons, en ont quelques-unes. Les chiens offrent deux ou trois variétés, & je penfe que les Efpagnols auraient mieux fait de. les jetter tous à la mer, que de les dépofer fur cette Me : c'eft un de ces chiens qui tua mon bélier. Les Vaiflèaux Efpagnols laiflèrent deux Prêtres , un domeftique, & un autre homme appelle Mateema par les Infulaires , dont il a gagné l'amitié. Il paraît qu'il étudia leur langue, m D E COO K. £37 du moins qu'il la parloit aflèz bien pour fe faire : entendre, & qu'il prit beaucoup de peines pour infpirer aux Naturels la plus haute idée de fà Nation , & leur donner une mauvaife opinion des Anglois ; il alla jufqu'à les affurer que nous ne formions plus un Etat indépendant ; que Pretane Ça) n'étoit qu'une petite Me ravagée depuis peu par fes compatriotes ; qu'ils m'avoient rencontré en mer, & qu'avec quelques boulets, ils avoient coulé bas mon vaiflèau, & tous les hommes de mes équipages. Ainfi , mon arrivée à O-Taïti excita une grande furprife de toute manière : le véridique perfonnage fit croire aux gens du pays, ce menfonge & beaucoup d'autres auffi peu vraifemblables. Si PEfpagne n'avoit pour but, dans cette expédition, que de déprécier les Anglois , elle pouvoit fe difpenfer d'envoyer fi loin fes vaiflèaux ; car mon retour parmi les O-Taïtiens réfuta complètement tout ce que Mateema leur avoit dit. J'ignore quelle fut l'intention des Prêtres Efpagnols qui s'établirent à O-Taïti, pour quelques mois ; on ne peut que former des conjectures là-defliis. S'ils vouloient convertir les Infulaires, ils n'ont pas fait un feul profélyte : mais il ne 1777. -rbre. 00 L'Angleterre. 238 1777. *rbre. I Troisième Voyage paraît qu'ils l'aient jamais tenté ; car on me dit qu'ils ne parlèrent point de Religion. Ces Prêtres ne s'éloignèrent pas de la maifon bâtie par eux à Oheitepeha ; maïs Mateema parcourut la plupart des cantons de l'Ifle : enfin ils fe trouvoient à O-Taïti depuis dix mois, lorfque deux vaiflèaux de leur Nation arrivèrent à Oheitepeha , & ils s'embarquèrent cinq jours après. Ce brufque départ annonce que, s'ils Songèrent d'abord à, former un petit établiflèment, ils ne tardèrent pas à changer de deflèin. J'appris cependant d'O-Too & de quelques autres Natu|§ rels, qu'avant de mettre à la voile , ils eurent foin d'avertir qu'ils reviendraient & qu'ils amèneraient des maifons, des animaux de toute efpece, des hommes & des femmes, qui fe fixeraient dans PÏHe, & qui y pafîèroient leur vie. | O-Too ajouta que fi les Efpagnols revenoient en effet, il ne leur permettrait pas de s'établir au Fort Matavai, qui nous appattenoit. Il étoit aifé de voir, que ce projet de Colonie lui faifoit pMfîr ; il ne favok pas que, pour l'exécuter, on le priverait de fon Royaume, & qu'on détruirait la liberté de fon peuple. H feroit très- facile fans doute, de former un établiflèment à O-Taïti; & fenfibfe à tous les fervrces que j'ai reçus de la peuplade qui habite cette terre , de Cook. 239 j'efpere qu'on n'y en fermera point. Nos relâches : paflàgeres ont peut-être amélioré à quelques égards le fort des habitans ; mais une Colonie parmi eux , dirigée fur le plan qu'on a malheu- reufement fuivi dans la plupart des établiflèmens européens, leur donnerait bientôt lieu de regretter de nous avoir connus. Je ne puis croire que les Nations de l'Europe fongent d'une manière férieufe à y établir une Colonie ; car O-Taïti n'offre rien de féduifant pour l'ambition des Puiflànces ou la cupidité des particuliers , & j'oferois prédire que fans ces motifs on ne l'entreprendra point. J'ai déjà raconté que je reçus la vifite de l'un des deux O-Taïtiens conduits par les Efpagnols à Lima. Je ne le revis plus, & j'en fus étonné ; car je Pavois très-bien accueilli : je crois qu'Omaï, jaloux de trouver dans l'Ifle un Voyageur qu'on pût lui comparer, le maltraita, afin de l'éloigner de moi. Ce fut un bonheur pour Omaï que nous eufïïons touché à Ténérif; il fe vanta d'avoir vu auffi une contrée foumife à l'Ef- pagne. Je ne rencontrai pas l'autre Infulaire qui étoit allé à Lima ; mais le Capitaine Gierke, qui eut occafion de caufer avec lui, m'en parla comme d'un poliflbn, qui étoit un peu fol. Ses compatriotes en avoient la même opinion; en un 1777. >rbre. / 240 Troisième Voyage == mot, ces deux aventuriers n'étoient point efli- 1777. mes. Omaï que le hafard a mieux fervi, reve- 7bre* noit dans fa patrie chargé de tréfors; il avoit beaucoup profité de Son féjour en Angleterre, & ce fera fa faute s'il tombe un jour dans la même obfcurké. CHA- de Cook. Ht CHAPITRE V. Arrivée à Eimeo, On y ' trouvei deux haw es, Defcription de ces deux* havre s.aP&fts recevons une vifite de Maheine, Chef de l'Ifle. Defcription de fa perfonne. Les Infulaires nous volent une chèvre ; ils la renvoient enfuite avec le Voleur. Vol d'une autre chèvre que les Naturels ont foin de cacher. Me fur es que je pris à cette occafion. Expédition militaire dans l'Ifle. Nous brûlons des maifons & des pirogues. On nous rend la chèvre, & la paix fe rétablit. Détails fur l'Ifle, &c. ¥ J e partis d'O-Taïti, le 30 au matin, & n'ayant = pas renoncé à mon projet de toucher à Eimeo, je mis le Cap fur l'extrémité feptentrionale de cette Me, où fe trouve le havre que je voulois examiner. Omaï y arriva fur Y-à pirogue longtemps -avant nous, & il prit les mefures nécef- faires pour nous indiquer la rade. Nous ne manquions cependant pas de pilotes, car nous avions à bord plufieurs O-Tàitiens & beaucoup d'O- Taitîennes. Je ne crus ^ pas devoir me repofer Tome, IL Q 1777. ybre. 1777- ♦rbre. 242 Troisième Voyage taUjdérement fur ^guides, & deux canots allèrent reconnoitre le havre : on m'avertit, par un lignai, que l'ancrage étoit bon, & j'y conduifis les vaiflèaux : nous mouillâmes en-dedans de l'entrée par dix braflès fond dé %$k molle, & nous amarrâmes avec une hanfîere attachée à la côte. Ce havre, qui eft appelle Taloo, gît au côté Septentrional de:l'Ifle, dans le diflriét d'Oboono- hoo ou de Poonohoo. Il fe prolonge au Sud ou au Sud-quart-Sud-Eft, entre les collines, Pef- pace d'environ deux milles. Je n'ai pas rencontré Sur les terres de l'océan pacifique, de rade plus Sûre & de meilleure tenue; il a même un avan* tage qui lui eft particulier, car un vaiflèau peut y entrer & en Sortir avec le vent alïfé qui règne dans ces parages ; en Sorte que l'entrée & la Sortie Sont également Saciles. Il reçoit différens ruif- feaux ; l'un qui fe trouve au fond, efl fi confidérable que les canots le remontent à plus d'un quart de mille ; & à cette hauteur, l'eau efl parfaitement douce. Ses bords font couverts d'at- bres, appelles Poor00 par les Naturels, tressons à brûler, & dont les gens du pays ne font point de cas : ainfi, il efl très-aifé dé fe procurer ici du bois & de l'eau. Du même côté de'l'Ifle & environ deux milles de Cook. 243 à PEft, on trouve le havre de Parowroah bien ! plus étendu que celui de Taloo ; mais l'entrée ou l'ouverture dans le récif, ( car l'Ifle entière efl entourée d'un récif de rocher de corail) eft beaucoup plus étroite & fous le vent. Ces deux défauts font fi fenfibles, que le havre de Taloo doit toujours obtenk la préférence. Je fus un peu étonné de voir qu'après trois relâches à O-Taïti, qu'après avoir envoyé un canot à Eimeo , je ne favois pas qu'il y eût un havre dans cette dernière Me : j'étois perfuadé au contraire, qu'il n'y en a point. Eimeo néanmoins offre non-feulement les deux dont je viens de parler, mais on en découvrira un troifieme & peut-être un quatrième au côté méridional : toutefois les deux derniers ne font pas auffi vaftes que les deux premiers dont nous avons levé le plan, polir Pif- fage des Navigateurs qui feront cette route. Dès que nous fûmes mouillés, les vaiflèaux fe remplirent d'Infulaires que la curiofité feule ame- noit à bord ; car ils n'apportoient rien qu'ils vou- luflènt échanger : mais le lendemain, dès le grand matin, plufieurs pirogues arrivèrent des parties les plus éloignées de l'Ifle, avec une quantité confidérable de fruit à pain, de noix de cocos & un petit nombre de cochons. Ils échangèrent ces divers articles contre des haches, des clous O 2 .1777. «^bre. 1 8bre« *777' iJbre. 144 Troisième Voyage : & des grains de verre : ils ne recherchoient pas lés plûmes rouges d'une manière auffi empreffée que les O-Taïtiens. La Réfolution fe trouvant infeftée par les rats, je la fis conduire à trente verges de la côte, auffi près que la profondeur de l'eau le permit, & en attachant des hanfieres aux arbres , on ouvrit à ces animaux un fentier par où ils pouvoierjt fe fauver à terre. On dit que cette expédient araùffi quelquefois; mais je cràÉl que nous nous débarrafsâmes de peu de rats, fi même nous nous en débarrafsâmes d'un feul. Nous reçûmes la vifite de Maheine, Chef de l'Ifle, le 2 dans la"-matinée. Il s'approcha des vàp^fix avec beaucoup de précaution j & il fallut le preflèr long-temps pour le déterminer à v^fîr à bord : il nous regardoit comme les amis des O-Taïtiens, & il croyoit vraifemblablement que nous lui ferions du mal ; car ces peuplades ne comprennent pas qu'on puifïè être amis d'une* tribu, Sans époufer fa querelle contre une tribu ennemie. Sa femme qui l'accompagnoit, étoit fœur d'Oamo, l'un des Chefs d'O-Taïti, dont on nous avoit raconté la mort. Je leur donnai à l'un & à Pautre les chofes auxquelles ils me femblerent devoir mettre le plus de prix, & ils s'en retournèrent après avoir pafle une demi- Tietife fur la Réfolution. Ils revinrent bientôt D E C O O K. *45 pour m'offrir un gros cochon, en retour de mon préfent ; mais je leur en fis un fécond qui valoit au moins ce qu'ils m'apportèrent. Ils allèrent enfuite vok le Capitaine Clerke. ||v Ce Chef qui, à l'aide d'un petit nombre de partifans, s'étoit rendu, à quelques égards indépendant d''O-Taïti, avoit quarante à cinquante ans; fa tête étoit chauve, ce qui n'arrive guères à cet âge dans les Mes de la mer du Sud. Il por- toit une efpece de turban, & il fembloit honteux de n'avoir point de cheveux ; mais j'ignore s'il rougiflbit d'avoir la tête chauve, ou s'il nous jugeoit pleins de mépris pour les têtes dénuées de cheveux. J'adopterais volontiers la dernière fuppofition ; car les Infulaires nous avoient vu rafer la chevelure de l'un de leurs compatriotes que nous furprîmes commettant un vol. Ils en conclurent , felon toute apparence , que nous. infligions ce châtiment aux voleurs, & un ou deux de nos Meffieurs qui avoient peu de cheveux, furent violemment foupçonnés d'être des tetos. Ça) Le fok, nous montâmes à cheval, Omaï & moi, & nous fîmes une promenade le long de la côte, vers la partie de PEft. Notre cortege ttbre. (a) Des Voleurs ou des Frippoas^ fi 1777 tjbte. 246 Troisième Voyage : ne fut pas nombreux; Omaï avoit défendu aux Naturels de nous fuivre, & la plupart d'entr'eux obéirent : la crainte de nous déplaire l'emporta fur leur curiofité. Towha avoit amené fa flotte dans ce havre ; &, quoique les hoftilités n'euf- fent duré que peu de jours, on appercevoit partout les traces de fes dévaftations. Les arbres étoient dépouillés de leurs fruits, & toutes les maifons du voifinage avoient été abattues, ou réduites en cendres. Nous employâmes deux ou trois jours ^tirer de la calle nos tonneaux de liqueurs fortes, & nous en goudronnâmes les fonds, afin de les garantir de la piquure des infeétes. Le 6, au matin, on remorqua la Réfolution dans le courant; je voulois appareiller le jour fuivant, mais un accident, qui me donna beaucoup d'inquiétude , ne le permit pas. Nous avions envoyé nos chèvres à terre, où nous les laiffions paître pendant le jour : deux de nos gens les gardoient, & cependant les Naturels parvinrent à en voler une. La perte n'eût pas été bien importante, fî je n'avois pas eu le defîèin d'enrichir d'autres Ifles de cette efpece. de quadrupède ; mais comme je tenois beaucoup à ce projet, il étoit indifpenfa- ble d'employer tous les moyens poflîbies pour obtenk la reftitution de la chèvre. Nous apprîmes DE C O O K, 247 le lendemain, qu'on l'avoit , conduite à Phabi- ; tatipn du Chef Maheine, quitfe trouvoit alors au havre dé Parowroah. Deux vieillards me propoferent de fervir de guides à ceux de mes gens que je voudrais y envoyer. J'ordonnai à un détachement de monter un canot, & d'aller dire à Maheine, que je me vengerais, s'il ne livrait pas tout de fuite la chèvre & le voleur. Ce Chef m'avoit fupplié la veille de lui donner deux chèvres; mais, ne pouvant le fatisfake qu'aux dépens des autres Mes , qui n'auraient peut-être plus d'occafion de fe procurer une race d'animaux auffi utiles, & fâchant d'ailleurs qu'il y en avoit d^à à Eimeo, je lui refufai ce qu'il me demandok : cependant , pour lui montrer que je defirois féconder fes vues à cet égard y je chargeai Tidooa , Chef O-Taïtien, qui étoit préfent, de prier O-Too, de ma part, d'envoyer deux chèvres à Maheine, & afin que ma follici- tation eût plus de fuccès, je lui remis une groflè touffe de plumes rouges, de la valeur des deux chèvres , en lui recommandant de la donner ait Roi. Je crus que cet arrangement fatisferoit Maheine, & tous les Chefs de PMe ; mais l'événement m'apprit que je m'étois trompé. Je ne penfois pas que les Naturels euflènt la hardieflè de voler une féconde chèvre, tandis que Q4 1777- gbre. 7. 248 Troisième Vo y a g e 11 ; je prenois des mefures pour recouvrer la pre- 1777. miere ; & on mena paître notre petit troupeau 8^re*.- comme à l'ordinaire : le Soir , lorSque nos gens l'embarquèrent pour le ramener à bord, les Insulaires enlevèrent une chèvre Sans être découverts. Nous nous en apperçûmes tout de Suite: on n'avoit pas eu aflèz de temps pour la conduire bien loin , & je crus que je la recouvrerais Sans peine. Dix ou douze des habitans ■ du pays, qui prirent différentes routes, partirent^] bientôt après, afin de la chercher & de nous ■ rendre ; aucun d'eux ne vouloir convenir qu'on l'eût volée; ils s'efforçoiént, au contraire, de* nous perSuader qu'elle s'étoit égarée dans les bois. J'avoue que j'en Sus d'abord convaincu , mais voyant qu'aucun des émiflàires ne revenoit, je reconnus bientôt mon erreur : les InSulaires cherchèrent à m'amuSer juSqu'à ce que leur proie ne fût plus à portée de nous. Sur ces entreSaites, mon canot arriva avec Pautre chèvre, & l'un des hommes qui l'avoient dérobée ; c'eft la premiere flgif fois qu'on me livrait un voleur Sur ces Mes. ,U. Je m'apperçus, le 8, que la plupart des InSu laires, établis autour de nous, s'étoient éloignés; qu'ils avoient emporté un corps expoSé Sur un Toopapaoo , qui Se trouvoit en face des vaif- \\ féaux, & que Maheine lui-même s'étoit retiré à DE C O O K. 249 l'autre extrémité de l'Ifle. Il paroiflbit clair que les Infulakes avoient réfolu de voler ce que je n'avois pas voulu leur donner ; que s'ils avoient rendu une des chèvres, ils étoient décidés à garder la féconde, qui étoit une femelle pleine. Je réfblus, de mon côté, de ne pas la laiflèr entre leurs mains. Je m'adreflài donc aux deux vieillards qui me procurèrent la reftitution de la premiere ; ils me dirent que la chèvre avoit été conduite à Watea , difttàét du côté méridional de l'Ifle , par Hamoa, Chef de ce canton ; qu'on me la rendrait, fi je voùlois y envoyer du monde. Ils me propoferent de nouveau de fervir de guides dans l'intérieur du pays à ceux de mes gens que je-chargerais de la commiffion , mais on m'informa qu'on pouvait achever en un jour ce voyage par mer, & je détachai M. Roberts & M. Shuttleworth fur le canot ; j'ordonnai que l'un d'eux fe tint à bord, tandis que l'autre ferait le relie du chemin par terre avec les guides, & deux ou trois de nos foldats de marine , fi Pembarcatipn ne pouvoit arriver! jufqu'à la réfi- dence de Hamoa. Mon détachement revint fort tard dans la foi- rée ; il s'étoit approché de la côte autant que les rochers & les bas-fonds le permirent. M. Shuttleworth , fuivi de deux foldats de marine & de 1777. gbre. I TU 1777- gbre. \\ . m 25a Troisième Voyage Pun des guides, débarqua & fe rendit par terigfj à Watea; il atteignit la maifon de Hamoa, où les habitans du cantonl'amuferent quelque temps, en lui difant qu'on avoit envoyé du monde après la chèvre, & qu'on la ramènerait bientôt ; mais on ne la ramena point, & la nuit l'obligea à regagner le canot. J'avois beaucoup de regret alors de m'être; trop avancé ; je ne pouvois reculer fans me compromettre & fans donner aux habitans des Mes où je voulois encore aborder, lieu de croire, qu'on nous voloit impunément. Je confultai Omaï & les deux vieillards fur ce que je devois faire ; ils me confeillerent tout de fuite de pénétrer avec mon détachement dans l'intérieur du pays, & de tuer tous les Infulaires que je rencontre- rois. Je ne m'avifai point d'adopter ce confeil Sanguinaire ; mais je réSolus de traverSer Eimeo à la tête d'une troupe aflèz nombreuSe, pour exercer une Sorte de vengeance , &, le lendemain à la pointe du jour, je partis avec trente- cinq de mes gens, l'un des vieillards, Omaï & trois ou. quatre perSonnes de Sa Suite. J'ordonnai en même-temps au Lieutenant WilliamSon d'armer trois canots, & de venk me trouver à la partie occidentale de l'Ifle. Dès Pinftant où je débarquai avec mon déta- e Cook. m chement, le petit nombre d'InSulaires qui Se trou- , voient encore dans notre voifinage , s'enSuirent *777* devant nous. Le premier homme que nous ren- 8 e* contrâmes, fut en danger de perdre la vie ; car Omaï l'eut à peine apperçu , qu'il me demanda s'il lui tirerait un coup de Sufil, tant il étoit per- Suadé que je deScendois dans l'Ifle pour Saire ce qu'il m'avoit conSeillé. J'ordonnai bien vîte à Ornai & à notre guide de déclarer aux Insulaires, que mon intention n'étoit pas de bleflèr, & beaucoup moins de tuer un Seul des Naturels. Cette heureuSé nouvelle Se répandit avec la rapidité de l'éclair ; elle arrêta la Suite des habitans, & aucun d'eux ne quitta plus Sa maiSon ou n'interrompit Son travail. LorSque nous commençâmes à monter la chaîna "de collines, nous Sûmes que la chèvre avoit pris cette route , & nous comprîmes qu'elle n'étoit pas encore de Pautre côté : nous marchâmes dans un proSond Silence , afin de Surprendre les InSu- làkes qui Pemmenoient ; mais, quand nous eûmes atteint la dernière des plantations, qui Se trouve dans la partie Supérieure des collines, les habitans du canton nous dirent qu'en effet la chèvre y avoit été la premiere nuit, & que Hamoa l'avoit conduite le lendemain à Watea. Nous traversâmes les collines, & nous ne recommençâmes *777- 8*>re. 252 Troisième Voyage nos recherches, qu'au moment où nous décou?-| vrîmes Watea. Quelques perSonnes nous montrèrent la maiSon de Hamoa , en nous aflurant que la chèvre y étoit : je me crus sûr de la ravoir immédiatement après; &, ce qui me fur- prit beaucoup, les InSulaires que nous rencontrâmes autour de la maiSon, déclarèrent qu'ils ne - Pavoient jamais vue , & qu'ils n'en avoient pas entendu parler ; Hamoa déclara la même choSe. En approchant de la bourgade , je vis plufieurs hommes, qui entroient dans les bois ou qui en Sortoîent avec des maflues & des SaiSceaux de dards, & Omaï ayant voulu les Suivre , on lui jetta des pierres. Je jugeai qu'ils avoient Songé d'abord à m'arrêter de Sorce, mais qu'ils avoient renoncé à leur projet, après avoir reconnu que mon détachement étoit trop' nombreux ; je le crus Sur-tout, quand je m'apperçus que les habitations étoient déSertes. Je raflèmblai un petit nombre d'InSulaires, & je chargeai Omaï de leur expofer Pabfurdité de leurs démarches , de leur dire, qu'un témoin Sur lequel je pouvois compter , m'avoit inftruit de tout ; qu'ils avoient la chèvre, que je la redemandois, & que fi on ne me la rendoit pas, je brûlerais leurs maiSons & leurs pirogues : malgré l'éloquence d'Omaï- & la- j mienne , ils continuèrent à Soutenir que je me DE C o o K. *53 trompois. Je fis mettre le Seu à Six ou huit mai- Sons, qui Suréût conSumées par les flammes, ainfi que deux ou trois pirogues de guerre amarrées près de là : j'allai enSuite-joindre les canots éloi- nés de nous d'environ Sept ou huit milles : chemin SaiSant, nous brûlâmes fix autres pirogues de guerre Sans que perSonne s'y oppoSât; au contraire , plufieurs gens du pays nous aidèrent, vraisemblablement par crainte , plutôt que de bonne volonté. Omaï, qui marchoit un peu en avant, vint me dire, que les Naturels s'aflem- bloient en Soûle, afin de nous attaquer. Nous étions prêts à les recevoir ; mais, au-lieu de rencontrer des ennemis rangés en bataille, je ne vis que des Supplians; ils dépoferent des bananiers à mes pieds, & ils me conjurèrent d'épaiv gner une pirogue que j'allois trouver. Je leur accordai, de bon cœur, ce qu'ils demandoient. Enfin, à quatre heures de l'après-midi, nous : atteignîmes les canots qui nous attendoient à Wharrarade, diflriét appartenant à Tiarataboo- noue. Ce CheS, ainfi- que les principaux du canton, s'étoient réSugiés Sur les collines; mais ils - étoient les amis d'O-Too, & je ne touchai pas à leurs propriétés. Après nous être repoSés environ une heure ici, nous partîmes pour les vaiS- -feaux, où nous arrivâmes à huit heures du Soir. 8bre. Troisième Voyage *■ A cette époque, nous n'avions reçu aucune non- >R l777* velle de la chèvre; ainfi, les opérations de cette 8bre* journée, ne produifirent pas l'effet que j'en ef- pérois. io. Le io, dès le grand matin, j'envoyai à Maheine , l'un des ferviteurs d'Omaï ; je fis dire à ce Chef, d'une manière pofitive, que s'il per- fifloit à ne vouloir point me rendre la chèvre, je ne laiflèrois pas une feule pirogue dans l'Ifle, & qu'il pouvoit s'attendre à me voir continuer les hoflilités, tant que je ne l'aurais pas reçue : afin que le meflager fentît lui-même combien mes menaces étoient férieufes, le charpentier dé- truifît, en fa préfence, trois ou quatre pirogues amarrées fur la grève au fond du havre. On amena les planches à bord; j'avois deflèin de m'en fervir, lorfque je conftruirois une maifon pour Omaï dans l'Ifle, où il établiroit fa réfidence. Je pris enfuite une efcorte, & je me rendis au havre voifin du nôtre ; nous y détruisîmes trois ou quatre pirogues, nous en brûlâmes autant, & nous fûmes de retour au vaiflèau à fept heures du foir. J'appris, à mon arrivée, qu'on avoit ramené la chèvre environ une demi-heure auparavant, & je découvris qu'elle étoit venue d'une bourgade où les habitans m'avoient afluré, la veille, qu'ils n'en avoient pas entendu parler. DE C O O K, 255 Maheine, frappé de mes dernières menaces, ne ; crut pas devok fe moquer davantage de moi. Ainfi fe termina cette pénible & malheureufe affake ; les fuites qu'elle entraîna, ne me caufe- rent pas moins de regrets qu'aux Infulakes. Ne m'étant point rendu aux follickations de nos Amis à'O-Taïti, qui me preflbient de favorifer leur -invafion d'Eimeo, il fut bien douloureux pour | : moi d'être réduit fi-tôt à la néceffité de faire, aux habitans de cette Me, une forte de guerre, qui peut-être leur nuifit plus que l'expédition de Towha. Nos correfpondances, avec les Naturels, fe : rétablirent le 11, & plufieurs pirogues appor- * terent, aux vaiflèaux, du fruit à pain & des noix de cocos : j'en conclus, & ce me femble avec raifon, que les Infulaires fentoient que c'étoit leur faute, fi je les avois traités avec rigueur. La caufe de mon indignation ne fubfiflant plus, ils paroiflbient perfuadés que je ne leur ferais plus de mal. Sur les neuf heures nous levâmes l'ancre, ^ l'aide d'une brife; mais elle fut fi foible & fi . variable, que nous atteignîmes la haute mer, feulement à midi. A cette époque, je pris la route de Huaheine; Omaï me fuivoit dans fà pirogue : n'ofant.pas s'en rapporter aux connoif- fances qu'il avoit de ces parages, il menok un 1777 gbre. II. 1777 Jjbre. 256 Troisième Voyage t pilote avec lui ; & muni de ce fecours, il Suivit . une route auffi directe que moi-même. Nos deux vaiflèaux embarquèrent, à Eimeo, du bois à brûler : O-Taïti ne nous avoit été d'aucune reflburce pour cet article, car tous les arbres de Matavai Sont utiles aux habitans. Nous y prîmes de plus, une quantité aflèz confidérable de cochons, de Sruk à pain, & de noix de cocos ; peu d'autres végétaux Se trouvoient alors de SaiSon. Les productions dfEiméo & d'O-Taïti, meparoiffènt les mêmes; mais on apperçoit, entre les Semmes de ces Mes, une différence remarquable, que je ne puis expliquer : celles d'Eimeo Sont d'une petite taille; elles ont le teint Sort brun & des traits repouflans; nous en apperçûmes quelques-unes de belles, mais nous reconnûmes bientôt qu'elles étoient d'une Me voifine. L'afpeét général d'Eimeo, ne reflèmble point du-tout à celui df O-Taïti : la premiere formant une feule mafle de collines efcarpées, n'a guères de terreins bas, que quelques vallées profondes,. & la bordure plate qui environne la plupart de fes cantons, fitués au bord de la mer : Eimeo, au contraire, a des collines qui fe prolongent en différentes directions; Pefcarpement de ces collines efl très-inégal; elles offrent, à leurs pieds, de très-grandes vallées, & fur leurs flancs, des terreins DE C O O K, 257 terreins qui s'élèvent en pente douce. Quoique : remplies de rochers , elles font, en général, couvertes d'arbres prefque jufqu'au fommet, mais fouvent on ne voit que de la fougère fur les parties inférieures de la croupe. Au fond du havre où nous mouillâmes, le terrein s'élève peu-à-peu jufqu'au pied des collines qui traverSent l'Ifle vers fon centre ; mais la bordure plate dont elle efl environnée, devient abfolument efcarpée, à peu de diftance de la mer ; ce qui forme un coup-d'œil pittorefque, bien ftipérieur à tout ce qu'on voit à O-Taïti. Le fol des cantons bas eft un terreau jaunâtre aflèz compact; il efl plus noir & plus friable fur les petites collines, & lorsqu'on brife la pierre des collines ; on la trouve bleuâtre, peu ferme & entre-mêlée de particules de mica. J'ai cru devoir noter ces détails. Nous trouvâmes, près de notre mouillage, deux groflès .pierres, ou plutôt, deux rochers, fur lefquels les Naturels ont des idées fuperftkieufes ; ils les regardent comme des Eatooas, ou. des Divinités : ces rochers, felon leur Mythologie, font frères & fœurs, & ils font venus d'Ulietea d'une manière furnaturelle. 1777, gbre. Tome IL R 2<& Troisième Voyage •e~ - ws j» (£Sf^7#s «*^, - CHAPITRE VI. 12. Arrivée à Huaheine. Confeil des Chefs. Pré- fens & difcours d'Omaï aux Chefs du Pays. Son établiflèment dans cette Ifie efi, décidé. Nous lui bâtiffons une maifon & nous lui formons un jardin. Remarques^ fur l'état où il fe trouvoit. Mefures que nous prenons pour le mettre en sûreté*. Dégât fait par les blattes à bord de nos Vaiflèaux. Voleur découvert & puni. Feux d'artifice. Animaux que nous lai f s âmes à Omaï. Obfervations fur fa Famille. Ses Armes. Inferipti'on que nous mîmes fur fa maifon. Sa conduite lors de notre départ* Obfervations générales fur fa conduite C5* fon cara&ere. Détails fur les deux jeunes gens qu'il avoit pris à la Nouvelle-Zélande, ous avions une jolie brife, & le temps étoit beau, lorfque nous partîmes d?Eimeo. Le 12, à la pointe du jour, \\ nous découvrîmes Huaheine, qui fe prolongeoit du Sud-Oueft-quart- Oueft un demi-rumb-Oueft , à POuefl -quart- NorcPQueft; à midi, nous mouillâmes à l'entrée de Cook. 259 feptentrionale du havre de Owharre, Ça) fitué au côté Oueft de l'Ifle ; l'après-dîner fe paflà à remorquer les vaiflèaux dans un lieu convenable & à amarrer. Omaï entra dans le havre fur fa pirogue un inftant avant nous, mais il ne débarqua point ; fes compatriotes fe raflemblerent en foule pour le voir, & il ne fit pas beaucoup d'attention à eux. Une multitude encore plus grande d'Infulaires, arrivèrent fur la Réfolution & la' Découverte, & ils nous incommodèrent tellement, que nous eûmes peine à travailler. Les paflàgers, que nous avions à bord, les avertirent de ce que nous avions fait à Eimeo ; ils exagérèrent le nombre des maifons & des pirogues que nous y avions détruites, ils en comptèrent au moins dix fois plus que nous n'en détruisîmes réellement. Je ne fus pas fâché de cette exagération, car je m'apperçus qu'elle produifok beaucoup d'effet : je penfai qu'elle déterminerait les gens du pays à nous mieux traiter, que lors des premieres relâches. J'avois appris à O-Taïti, que mon vieil Ami Orée n'étoit plus le Chef fuprême de Huaheine, {a) Voyez un Plan de ce Havre, dans la Collection de Hawkefworth > vol. II, pag. 248 de l'original. R 2 1777- 8bre. H s §64 Troisième Voyage 3, à 0 - Taïti plufieurs animaux précieux , & „ d'une efpece nouvelle, qui fe multiplieraient „ & fe répandraient bientôt fur toutes les Mes „ des environs. Il leur déclara que, pour prix de mes fervices, je demandois, avec inflance, qu'on lui accordât un terrein, qu'on lui permît d'y bâtir une maifon, & d'y cultiver les „ productions néceflaires à fa fubfiftance & à „ celle de fes domeftiques. Il ajouta que fi je „ n'obtenois pas à Huaheine, gratuitement ou „ par échange, ce que. je follicitois, j'étois dé- „ cidé à le conduire à Ulietea. „ J'aurais peut-être fait un difcours meilleur que celui dont je viens de parler; mais Omaï n'oublia-aucun des points importans, fur lefqueîs je lui avois recommandé d'infifter. Le morceau relatif au projet, où il me fuppofoit de le conduire à Ulietea, parut obtenir l'approbation de tous les Chefs, & j'en devinai bientôt la raifon. Omaï, ainfi que je l'ai déjà obfervé, fe flattoit vaine- ment que j'emploierais la force 3 pour le rétabli^ à Ulietea dans les biens de fon père ; il l'avoit- dit, fans mon aveu, à quelques perfonnes de- Paflèmblée. Les Chefs imaginèrent tout de fuite, que je me propofois d'attaquer Ulietea, & que je les aiderais à chaflèr de cet^e Me les Naturels de Bolabola. Il étoit donc néceflaire de les *SK de Cook. 265 détromper : je leur déclarai en effet, d'une manière pofkive, que je ne les aiderais pas dans une entreprise de cette eSpéce, que même je ne la Souffrirais point, tant que je me trouverais dans leurs parages; & que, fi Omaï Se fixoit à Ulietea , je l'y établirais d'une' manière amicale, & fans faire la guerre à la peuplade de Bolabola. Cette déclaration changea les idées du Gon- feil. L'un des Chefs me répondit Sur-le-champ, „ que je pouvois difpofer de l'Ifle entière de „ Huaheine, & de tout ce qu'elle renferme; „ que j'étois le maître d'en donner à mon Ami, „ la portion que je voudrais. „ Sa réponfe fit un grand plaifir à Omaï qui, femblable au refle de fes compatriotes, ne fonge guères qu'au moment actuel; il crut, fans doute, que je ferais très-libéral, & que je lui accorderais une vafte étendue de terrain. Je réfléchis qu'en m'offrant ce qu'il ne convenoit pas d'accepter , on ne m'offrait rien du tout; & je voulus non-feulement qu'on défignât le local, mais la quantité précife de terrein dont jouirait mon Ami. On envoya chercher quelques-uns des Chefs, qui avoient déjà quitté Paflèmblée, & , après une délibération qui fut courte, ils Souscrivirent à ma demande, d'une voix unanime : ils me cédèrent à l'inftant un terrein contigu à la maiSon, 1777. gbre. 1777' gbre. s (ft) Troisième Voyage* : où Se tenoit le conSeil : Son étendue, le long de la côte du havre , étoit d'environ deux cents verges, & Sa profondeur, qui alloit jufqu'au pied de la colline, qui en renfermoit même une partie, fe trouvoit un peu plus confidérable. Après cet arrangement qui fatisfit les Infulaires , Omaï & moi, j'ordonnai de dreflèr une tente & les obfervatoires fur la côte, où j'établis un polie. Les charpentiers des deux vaif- feaux conftruifîrent une petite maifon , dans laquelle mon ami devoit renfermer fes tréfors : nous lui créâmes de plus un jardin ; nous y plantâmes des Shaddecks, des feps de vigrieijH des pommes de pin, des melons, & les graines de plufieurs autres végétaux : avant de quitter l'Ifle, j'eus le plaifir de voir réuffir chacune des parties dé fa plantation^ Omaï commença alors à s'occuper férieufe- ment de fes intérêts; il fe repentit beaucoup d'avoir été fi prodigue à O-Taïtk II trouva à Hughe ine un frère, une fœur, & un beau-frere; car fa fœur étoit mariée : mais ils ne le pillèrent pas, ainfi que l'avoient fait Ses autres- parens, dont j'ai parlé. Toutefois je m'apperçus à regret, que s'ils étoient trop honnêtes pour le tromper , ils étoient trop peu Confidérés dans l'Ifle, pour lui rendre des fervices effèntieJs : dénués d e Cook. 267 d'autorité ou de crédit, ils ne pouvoient protéger fa perfonne ou fes biens ; &, dans cet état d'abandon, il me parut courir de grands rif- ques d'être dépouillé de ce qu'il avoit obtenu de nous, lôrfqu'il ne nous aurait plus auprès de lui. Je penfois que fes Compatriotes ne le maltraiteraient pas, tant qu'il feroit à portée de réclamer nos fecours ; mais j'avois des inquiétudes bien fondées fur l'avenïr. Un individu plus opuéeht que fes voifins, eft sûr d'exciter l'envie d'une multitude d'hommes qui défirent le rabaiflèr à leur niveau. Mais dans les pays où la civilisation, les Loix & la Religion ont de l'empiré, les riches ont toute forte de motifs de fécurité : les richeflès s'y trouvant drff)erfées dans une foule de mains, un fimple particulier ne craint pas que les pauvres fe réunifient contre lui, de préférence aux autres, dont -la fortune efl également un objet de ja- loufie. La pofition d'Omaï fe trouvoit bien différente; il alloit vivre dans une contrée, où l'on ne connoît guères d'autre principe des actions morales , que Pimpulfion immédiate des defirs & des fantaifies : il alloit être le feul riche de la peuplade, & c'eft là fur-tout ce qui le met- toit en danger. Un hafard heureux l'ayant lié avec nous., il rapportoit un amas de richeflès, 8bre il M 268 Troisième Voyage -1 / ■• qu'aucun de fes Compatriotes ne pouvoit Se 1777. donner, & que chacun d'eux envioit : il étoit gbre. (jonc j)jen natUrel de les croire diSpoSés à Se ||§ réunir pour le dépouiller. Afin de prévenir ce malheur, s'il étoit poffi- ble, je lui conseillai de donner quelques-unes, de Ses richeflès à deux ou trois des principaux CheSs; je lui dis que la reconnoiflànce les exciterait peut-être à le prendre Sous leur prot€|H tion, & à le garantir des injuftices des autres.11 promit de Suivre mon conSeil, & j'eus la Satisfaction de voir, avant mon départ, qu'il l'avoit Suivi : ne comptant pas trop néanmoins fur les effets de la reconnoiflànce , je voulus employer un moyen plus impofànt, celui de la terreur. Je né laiflai échapper aucune occafion d'avertir les InSulakes, que je me propoSois de revenir dans l'Ifle, après une abSence de la durée ordinaiSIH que s'ils attentoieni: à la propriété ou à là perfonne de mon Ami, je me vengerais impitoyablement de tous ceux qui lui auraient fait du mal. Selon toute apparence cette menace Servira beaucoup à contenir les Naturels; car les diverses relâches que nous avons Saites aux Ifles de la Société, leur perSuadent que nos vaiS- feaux-dqjçent revenir à certaines époques; & tant qu'ils auront cette idée, que j'eus Soin de Cook. 269 d'entretenk, Omal peut eSpérer de jouir en paix : de Sa fortune & de fa plantation. Tandis que nous étions dans ce havre , on porta à terre le refle du bifcuit qui étoit dans la foute aux vivres, afin d'en ôter la vermine qui le dévorait. On ne peut imaginer à quel point les blattes infeftoient mon vaiflèau. Le dommage qu'elles nous cauferent fut très - confidérable, & nous employâmes vainement toute forte de moyens pour les détruire. Ces blattes ne firent d'abord que nous incommoder, & habitués aux ravages que produifent les infeétes, nous y fîmes peu d'attention ; mais elles étoient devenues pour nous une véritable .calamité, & elles ravageoient prefque tout ce qui fe trouvoit à bord. Les co- meflibles expofés à Pak, durant quelques minutes, en étoient couverts; elles y creufoient bientôt des trous comme on en voit dans une ruche à miel. Elles mangeoient en particulier les oi- feaux que nous avions empaillés, & que nous confervions comme des curiofités ; ce qui étoit plus fâcheux encore, elles fembloient aimer l'encre avec paffion, en forte que l'écriture des étiquettes attachées à nos divers échantillons, étoit complètement rongée ; la fermeté feule de la •reliure pouvoit conferver les livres, en empêchant ces animalcules déprédateurs de fe gliflèr 1777. o,bre. OL777- gbre. 270 T r o i s i e m I Voyage entre les feuillets. M. Anderfon en apperçut dexm efpeces, la blatta orientalis & la germanïcà. ' La premiere avoit été- apportée de mon fécond voyage; & quoique le vaiflèau eût toujours été en Angleterre^ dans le baifin, elle avoit échappé à la rigueur de l'hiver de 1776. La féconde ne fe montra qu'après notre départ de la Nouvelle- Zélande ; mais elle s'étoit multipliée fi prodi- gieufement, qu'outre les dégâts dont je parlois tout-à-Pheure , elle infectoit jufqu'au grément; &, dès qu'on lâchoit une voile, il en tomboit des milliers fur le pont. Les orientales ne for-* toient guères que la nuit ; elles faifoient alors tant de bruit dans les chambres & dans les pof- tes, que tout fembîoit y être en mouvement. Outre le défagrément de nous voir ainfi environnés de toutes parts, elles chargeoient dé leurs excrémens notre biScuit, qui aurait excité le dégoût des gens un peu délicats. Rien ne troubla, juSqu'au 22, le commerce Rechange & d'amitié , qui eut lieu entre nous & lés Naturels : le 22 au Soir, un des InSulaires trouva moyen de pénétrer dans PobServatoire de M. Bayly , & d'y voler un Sextant Sans être ap- perçu, je deScendis à terre ; dès que je Sus instruit du vol, je chargeai Omaï de réclamer PinS trament. Il le réclama en effet, mais les Chefs j d e Cook. 271 ne firent aucune démarche ; ils s'occupèrent de ^^^H YHeiva qu'on jouoit alors, juSqu'au moment 1777. où j'ordonnai aux Acteurs de ceflèr. Ils Sentirent 8bre* que ma réclamation étoit très-férieufe, & ils fe demandèrent les uns aux autres des nouvelles du voleur, qui fe trouvoit affis tranquillement au milieu d'eux. Son aflurance & fon maintien me laiflbient d'autant plus de doutes, qu'il moitié délit dont on Paccufoit. Je l'envoyai néanmoins à bord de nlon vaiflèau fur le témoignage d'Omaï, & je l'y tins en prifon. Son emprisonnement excita une rumeur générale parmi les | Infulaires, & ils s'enfuirent en dépit de mes efforts pour les arrêter. Le prifonnier interrogé par Omaï , finit par dire où il avoit caché fa proie ; mais la nuit commençoit , & nous ne pûmes retrouver le fextant que le lendemain à la pointe du jour : il n'étoit point endommagé lorfqu'on nous le rapporta. Les Naturels revinrent de leur frayeur, & ils fe raflèmblerent autour de nous, felon leur ufage. Le voleur me parut, être un coquin d'habitude, & je crus devoir le punir d'une manière plus rigoureufe que les autres voleurs auxquels j'avois infligé des "cbâtiméns. Je lui fis rafer les cheveux & la barbe , & couper les deux oreilles. Cette correction ne fuffifoit pas, car 1a nuit 2Ô* 272 Troisième Voyage r=r du 24 au 25, des cris d'alarme nous avertirent l777* qu'il efîayoit de voler une de nos chèvres. QuSj 8bre- ques-uns de nos gens fe rendirent à l'endroit d'où 24. 25. partoient les cris , & ils ne s'apperçurent pas qu'on eût commis de vol : vraifemblablement les chèvres étoient fi bien gardées, qu'il ne put exécuter fon projet ; mais fes hoftilités réuffirent à d'autres égards. Il parut qu'il avoit détruit ou emporté les feps de vigne & les choux du jardin d'Omaï ; il difoit hautement qu'il tuerait mon Ami, & qu'il brûlerait i\\ maifon dès que nous aurions quitté l'Ifle. Afin do ter à ce fcé- lérat les moyens de nuire déformais à Omaï & à moi, je le fis arrêter, je le tins en prifon pour la Seconde Sois à bord de mon vaiflèau, & je réSolus de l'enlever de O-Taïti : tous les Chefs montrèrent de la fatisfaction,. de ce que je vou- îois les débarraflcr d'un homme auffi intraitable. Il étoit natif de Bolabola; mais il trouvoit à Hua- heine trop de gens difpofés à lui donner des fe- cours pour l'exécution de fes coupables projets. J'avois rencontré dans cette Me, durant mes deux premiers Voyages, des hommes plus incommodes que fur aucune autre des terres voifines, & fi les Infulaires fe conduifoient d'une manière plus honnête, je ne pouvoîs l'attribuer qu'à la crainte & au défaut d'occafion. Il fembloit être en ë Cook* m en proie à Parlàïabie : VlÈarëë^fiahie, ou le : Souverain du^àys , n'étoit qu'un enfant, ainfi que je l'ai déjà obServé, & je ne remarquai pas qu'un individu en particulier , ou un conSeit quelconque, gouvernât en fou nom : ainfi, lo^ qu'il Survint â&te. méfkitelligence entre nous, J# ne fus jamais d'une Saçon aflèz préciSe àlfui je devois m'adreflèr pour arranger la querelle & obtenir juflice. La mere du jeune Roi eflayok quelquefois, il efl vrai, d'interpoSer Son crédit ; mais je ne m'apperçus pas qu'elle eût beaucoup d'autorité* La maiSon d'Omài fut prefquè %cïiévée lé 26 , & nous y portâmes la plupart de Ses tféSôfâ Parmi la Soûle de choSes inutiles qu'il avoit reçues en Angleterre, je ne dois pas oublier une caiflè de joujoux ; il eut Soin de montrer aux Naturels les bagatelles qu'elle conténoit, & la miÉMÉ^ étonnée , parut les contempler avec un grand pîaifir. Quant à fes pots, Ses chauderons, Ses plats, Ses affiettes, fes bouteilles, fes verres, enfin aux divers meubles dont on fe fert dans les ménages d'Europe, il y eut à peine un feul de ces articles qui attira les regards dés Infulaires: il commençoit lui-même à juger cet attirail inutile ; il fentoi&qu'un cochon cuit au four efl plus fevoureux, qu'un cochon bouilli; qu'une feuille Tome IL $ 1777. 8bre. aô. 1777- Libre. 2», m 274 Troisième V o y age : dé bgn^JHÊf peut tefl$r lieu d'un plat ou d'une affiette d'étain, & qu'on boit auffi-bien dans un ç®eos que dans un verre de cryftal. Il vendit aux équipages^,>de nos, yaiflèaux tous, les meubles de cuif^3^derf^eterie qu'ils vouèrent acheter, & il eut raifon ; il reçut en échange des haches & d'autres outils de fer, g^i avotent plus de v|B leurjt^rinfeque dans cette pajrtiçéïfg monde, & qui devc$$it ajouter davantage à fa tïk|>éîîorité fur les individus avec lefquels il alloit paflèr le refle de fes jours. Il fe trouvoit des feux d'artifices parmi les pré- fens qu'on lui avoit faits à Londres, he 28 au foir, fious en tirâmes quelques-uns ; la nombreufe aflèmblée qui nous environnoit, vit ce fpeétacle avec un mélange de plaifir & de .crainte : on mit en bon état les pieces qui reftoient;, & Omaï les ferra dans fon iftaggfin ; la plus grande partie avoit été employée dans les Fêtes qug nous donnâmes fi$l d'autres Ifjgs, ou s'étoit gâtée;djjrant le voyà* ge, & noys en eûmes peu de regret. Le 30, le Naturel de Bolabola, que je te- nois en prifon Sur mon bord, Se Sauva entre minuit & quatre heures du matin; il emporta le Ser du morceau de bois qu'on avoit mis,à Sa jambe* LorSqu'il Suc Sur la côte, l'un desC§eSs lui reprit le Ser qu'il donna à Ornai ; & celui-ci vint me DE COO K. 275 dire, dès le grand matin, que Son mortel ennemi : étoit en liberté. Je jugeai, après quelques recherches , que la Sentinelle chargée de Surveiller le priSonnier,.& même tous les hommes de quart Sur le gaillard d'arrière où il Se trouvoit, s'étoient endormis; le priSonnier profita du moment, il prit la cleS des fers dans le tiroir de l'habitacle où il l'avoit vu placer, & il Se débarrafla de fes entraves. Cette évafion me prouva que mes gens avoient mal fait leur devoir; je punis les coupables , & afin de prévenir une Semblable négligence, je donnai Sur ce point de nouveaux ordres. Je Sus charmé d'apprendre enSuite que notre coquin s'étoit Sauvé à Ulietea; j'avois l'eSpérance de l'y rencontrer & de l'arrêter de nouveau. Dès qu'Omaï fut établi dans Sa nouvelle habitation , je Songeai à partir ; je fis conduire à bord tout ce que nous avions débarqué, excepté le cheval, la jument & une chèvre pleine, que je kiflài à mon Ami, dont nous allions nous Séparer pour jamais. Je lui donnai auffi une truie & deux cochons de race angloiSe, & il s'étoit procuré d'ailleurs une ou deux truies. Le cheval couvrit k jument durant notre relâché à O-Taïti, & je Suis perSuadé que les Navigateurs trouveront désormais des chevaux dans ces Mes. S' 1 1777. gbre. 1/77- gbre. 276 Troisième Voyage Les détails relatifs à Omaï, intéreflèront peut* être une claflè nombreuSe de lecteurs, & je crois devoir dire tout ce qui peut expofèr d'une manière Satisfaifante dans quel état nous le laifsâmes. Il avoit pris à O-Taïti quatre ou cinq toutous; il gardoit d'ailleurs fes deux jeunes gens de la Nouvelle-Zélande ; fon frère & quelques autres de f^parens le joignirent kHuaheine; en Sorte que fa famille fe trouvoit déjà compofée de huit ou dix perfonnes, fi toutefois on peut donner le nom de famille à un ménage où il n'y avoit pas une femme, & où vraifemblablement il n'y eu aura jamais, à moins qu'il ne devienne .moins volage : il ne paroiffbk point du tout difpofé au mariage. La maifon que nous lui bâtîmes, avoit vingt-: quatre pieds de long fur dix-huit de large & dix de hauteur; nous y employâmes les bois des pirogues détruites par nous à Eimeo ; on y mit le moins de clous qu'il fut poffible, afin que l'ap- pas du fer n'excitât point les Naturels à la dé- vafter. Il fut décidé qu'immédiatement après notre départ, il en bâtirait une plus grande fur le modèle des habitations du pays; que, pour mettre en sûreté celle que nous avions confiante nous-mêmes, il la couvrirait avec l'une des extrémités de la nouvelle. Quelques-uns des Chefs de Cook. «77 promirent de l'aider, & fi l'édifice projette oc- ] cupe le terrein qu'indiquok fon plan, il n'y en aura guères dans rifle de plus étendues. Un moufquet, une bayonette & une giberne, un fiïfil de chaflè, deux paires de piftolets, & deux ou trois fabres ou coutelas, compofoient fonaïfenal; il fut enchanté d'avoir ces armes, & en les lui donnant, je ne Songeai qu'à lui faire plaifir; car j'étois perfuadé qu'il ferait plus heureux , fi nous ne lui laiffions point d'armes à feu, ou d'armes européennes d'aucune efpece. En effet, cet attirail de guerre entre les mains d'un homme dont la prudence m'eftfufpecte, doit plutôt accroître fes dangers qu'établir fa Supériorité Sur Ses compatriotes. LorSqu'il eut conduit à terre les diverSes choSes qui lui appartenoient, & qu'il les eut placées dans Sa maiSon, il donna à dîner deux ou trois Sois à la plupart des Officiers de la Réfolution & de la Découverte : là table nous offrit en abondance les meilleures productions de PIfle. Avant d'appareiller, je gravai PinScription Suivante en dehors de fà maiSon. Georgius ter tins, Rex, 2 Novembris, 1777. _r {Réfolution, Jac. Cook. pr. Naves4 : * l Dijcovery , Car. Gierke, pr. 1777. £bre. 278 Troisième Voyage ■—-—: Jj|jLe 2 Novembre, à quatre heures du foir, je 777.- profitai d'une briSe qui s'éleva dans la partie de ybre. pEft, & je Sortis du havre. La plupart de nos Amis demeurèrent à bord juSqu'au moment où les ..vaiflèaux Surent Sous voile ; & afin de fa- tisSake leur curiofité, j'ordonnai de tirer cinq coups de canon. Ils nous firent tous leurs derniers adieux , excepté Omit qui nous accompagna quelque temps en mer. L'hanfiere amarrée Sur la côte, Sut coupée par les rochers au moment de l'appareillage ; ceux qui travailloient aux manœuvres , ne s'appercevant pas qu'elle étoit rompue , abandonnèrent la partie qui Se trouvoit Sur la grève, & il Sallut l'envoyer chercher par un canot. Omaï s'en alla dans ce canot, après avoir embrafle tendrement chacun des Officiers. Il montra du courage jufqu'à l'inftant où il s'approcha de moi ; mais il eflaya en vain de fe contenir, il verfa un torrent de larmes, & M. King, qui commandoit le canot, le vit pleurer durant toute la route. Je fongeois avec un extrême plaifir, que je Pavois ramené fain & fauf dans l'Ifle où nous le prîmes autrefois : mais telle efl la bizarre defli- née des ehofes humaines, que nous le laifsâmes vraifemblabîement dans une pofition moins heu- reufe, vue celle où il fe trouvoit avant de nous DE C O O -K. I C 279 avoir connus. Je ne dis pas qu'accoutumé aux douceurs de la vie civilifée , il fera malheureux de ne plus les goûter ; j'établis mes conjectures fur un feul point ; les avantages qu'il a tirés de nous, ont mis fa fécurité perfonneile dans une fituation plus périlleufe. Ayant étéïtrès-careffé en Angleterre, il avoit oublié fa condition primitive ; il ne penfa jamais quelle impreffion feraient fur fes compatriotes fes connoiflànces & fes richeflès : cependant les lumières de fon ef- prit & Ses tréSors pouvoient feuls aflùrer Soft crédit, & il ne devoit pas fonder fur d'autres moyens fon élévation & fon bonheur. Il paraît même qu'il connoiflbit mal le caractère des habitans des Mes de la Société, ou qislfl avoit perdu de vue, à bien des égards , leurs coutume^ autrement il aurait fenti qu'il lui feroit d'une difficuké extrême de parvenir à un rang diftin- gué, dans un pays où le méritée perfonnel n'a peut-être jai^sûfàk fortir un individu d'une claflè inférieure pour le porter à une clafîè plus relevée, Les diftinétions & le pouvoir qui en eft la fuite, femblent être fondés ici fur le rang; les InfuLpprres font fournis à ce préjugé d'une ma» riiere fi. opiniâtre & fi aveugle , fpi'un homme qui n'a pas reçu le jour dans les familles privilégiées , fera sûrement mêprifé & haï, s'il veut S 4 l777- re. 284 Troisième Voyage pour lui en Angleterre, & il n'oubliera jamais ceux qui l'ont honoré de leur protection & de leur amitié pendant fon Séjour à Londres. Il étoit doué d'une aflèz grande pénétration, mais il ne s'appliquoit pas, & il n'avoit point cette confiance qui fuit les mêmes idées ; ainfi, fes connoiflances étoient fuperficielles & imparfaites à bien des égards. Il obfervoit peu : il vit aux Ifles des Amis une foule d'arts utiles & d'amu- femens agréables, qu'il auroit pu porter dans fa patrie, où vraifemblablement on les adopterait volontiers, puifqu'ils font fi analogues aux habitudes des Naturels des Ifles de la Société ; miÉi je ne me fuis pas apperçu qu'il ait fait le moBÉ|§ dre effort pour s'en inftruire. Cette efpece d'indifférence , je l'avoue , efl le défaut caractéristique de fes compatriotes. Ils ont reçu à diverfes reprifes, depuis dix ans , la vifite des Navigateurs européens; je n'ai pas découvert toutefois, , qu'ils aient eflàyé le moins du monde de profiter de ce commerce, & jufqu'ici ils ne nous ont copié en rien. Il efl donc difficile qu'Omaï vienne à bout d'introduire parmi eux un grand nombre de nos rarts & de nos coutumes, ou qu'il perfectionne beaucoup les ufages & les méthodes auxquels ces peuplades font accoutumées depuis fi long-temps : je fuis perfuadé néanmoins, DE COO K, 285 qu'il cultivera les arbres fruitiers & les végétaux | que nous avons plantés, & que les Ifles de la Société lui auront, en ce point, des obligations efîèntîelles ; mais le plus grand avantage qu'elles femblent devoir tirer de fes voyages, réfultera des quadrupèdes nouveaux que nous y avons kiflës, & que vraifemblablement elles n'auraient jamais obtenus, s'il n'étoit pas venu en Angleterre. Lorfque ces animaux fe feront multipliés, O-Taïti & les Ifl$s de la Société, égaleront, fi elles ne furpaflènt pas, les relâches célèbres, par l'abondance des provisions. Le retour d'Omaï, & les preuves féduifantes qu'il offrait de notre libéralité, excitèrent un grand nombre d'Infulaires à me demander la permiffion de me fuivre à Pretane. Ça) J'eus foki de dé-, çlarer, dans toutes les occafions, que je ne fouf- crkois point à ces demandes. Omaï toutefois, qui mettoit un grand prix à être cité comme le Seul homme qui eût fait un long voyage," crai- gnoit que je ne confentiflè à donner à d'autres les moyens de lui difpufer ce mérite, & il me dit fouvent, que Mylord Sandwich lui avoit promis , qu'aucun des Naturels des Ifles de la Société ne viendrait en Angleterre. 1777» bre. 9 (<0 En Angleterre. 1777- bre. 9 286 Troisième Voyage : Si j'avois cru qu'on ne tarderait pas à envoyer un vaiflèau à la Nouvelle-Zélande, j'aurais pris avec moi les deux jeunes gens de cette contrée, qui s'éraient embarqués à la fuite d'Omaï ; car ils déliraient extrêmement, l'un & l'autre, de ne pas nous quitter; Tiarooa, le plus âgé, avoit des difpofitions très-heureufes ; il étoit doué d'un bon» fens admirable, & fufceptible de toute forte d'inftruétions. Il paroifîbk fentir que la Nouvelle-Zélande fe trouvoit inférieure aux Ifles de la Société; &, frappé des plaifirs & de l'abondance que lui offrait Huaheine, il finit parl|B foumettre gaiement à la loi du fort, qui l'obli- geoit à y terminer fa carrière. Son camarade nous étoit fi attaché, qu'il fallut l'enlever du vaiflèau & le conduire de force à terre : celui-ci avoit de la malice & de l'énergie dans le caractère, & fa pétulance amufa beaucoup mon équipage. de Go O K. I>>>l<^f^''"1 - 287 CHAPITRE VIL Arrivée à Ulietea. Obfervations afironoml- ques. Un Soldat de Marine déferte, & les Infulaires le r.amenent. Je reçois des nouvelles d'Omaï. Infiru&ions que je donne au Capitaine Gierke. Autre défertion d'un Midshipman & d'un Matelot. Trois des principaux Perfonnages de l'Ifle emprisonnés à cette occafion. Découverte d'un \\ complot des Naturels , qui formoient le projet de m9arrêter, ainfi que le Capitaine Clerke. On me ramené les deux Défer- teurs, & je rends la liberté aux Gens du Pays, que je tenois en prifon. Les deux Vaiflèaux appareillent. Rafraîchiffemens que nous prîmes à Ulietea. Etat de cette IJle, comparé à Vétat où nous l'avions trouvée autrefois. Détails fur un de fes Rois qui fut détrôné, & fur le dernier Régent de Huaheine. JLj or s que le canot, qui conduifoît à terre Omaï, dont nous venions de nous féparer pour jamais, nous eut rapporté le refle de l'baafiere, l777 pbre. s88 Troisième Voyage 1 nous primes tput de fuite la route d'Ulietea, où l777* je voulois relâcher. A dix heures du foir, nous pbre. minces en panne jufqu'à quatre heures du matin 8« du jour fuivant ; à cette époque, nous fîmes de e la voile pour doubler l'extrémité méridionale de l'Ifle, & arriver au havre de Ohamaneno : Ça) nous eûmes tour-à-tour des calmes & de légers fouilles de vents de différens points du compas; ÉlI en f°rte 4U^ midi, nous nous trouvions encore à une lieue de l'entrée du havre. Oreo, mon vieil ami, Chef de l'Ifle, prit le large, dès qu'il nous apperçut, & il vint nous voir avec fon fils & Potooe, fon gendre. Je réfolus de gagner promptement le havre, &, après avoir mis tous les canots à la mer,, je leur ordonnai de nous prendre à la remorque; une brife légère du Sud féconda cette manœuvre, mais elle s'éteignjt bientôt, & elle fut remplacée par une autre de PEft, qui venoit du mouillage où je voulois arriver. Nous fûmes obligés de jetter l'ancre à l'entrée de la rade à deux heures après-midi, & de nous faire touer.dans l'intérieur; opération* qui ne fut achevée qi|'à la nuit. {a) Voyez un Plan de ce Havre, dans la Collection de Hawkefworth , vol. II,: pag. I48 de l'original, l;feDCM£i, l ?Moâ t Dès de Cook.-' 289 Dès que nous fûmes en-dedans du havre, desi«r=: pirogues remplies d'Infulakes, qui apportoient 1777. des cochons & des fruits, environnèrent les vaif- 9bre- féaux , en forte que nous trouvions l'abondance? par-tout où nous abordions. Le lendemain 4, j'amarrai la Réfolution- de 4* l'avant & de l'arriére, près de la côte fepten-. trionale & à l'entrée du havre; je fis ouvrîF un des fabords, & dans la vue de nous dèbar- raflèr de quelques-uns des rats qui côntinuoidËP a nous infefter, nous établîmes, de ce fàbôfdy;: un petit pont qui communiquoit au rivage , éloigné d'environ vingt pieds. La Découvèffff* amarra le long de la côte méridionale avec le même projet. Sur ces entrefaites, j'allai rendre à Oreo la vifite que j'avois reçue de lui ; je lui donnai une robe de toile , une chemifë, un chapeau de plumes rouges de Tongataboo, & d'autres chofes de moindre valeur. Je le ramenai dîner à bord, ainfi que1 quelques-uns de • fes amis. Le 6, nous dreffâmes les obfervatoires, & 6. nous portâmes à terre les inftrumens d'Aflrono- mie. Les deux jours fuivans, nous prîmes deis azimuths du Soleil, à bord des vaiflèaux & fur la côte, avec toutes nos bouflbles, afin de trouver la déclinaifon de l'aimant; & la nuit du 8 au 9, Tome IL T %9& T r o i s 11 m s V O Y A G s 11 ' .-„ npns obfervâmes u^ occultation du é du Ca- 1777? pricome, par le bord obfcur de la Lune. Nous | nous accorda*^, M. Bayly & moi, fur Pinflant où g|g eut lieu; & notre réfulat, à l'un & à Pautre, fut 10 heures 6 min. & 54 fee. & demie; celui de Me King fut d'une demi-feconde plutôt. M. Bayly obferva, avec une lunette achromatique , qui appartenoit au Bureau des Longitudes; M. King, avec un télefeope de réflexion, qui app^rçenok au même Bureau, & je me fermai de i^i télefeope de réflexion de dix-huit pouces de foyer. Il y avoit eu, quelque temps auparavant , une immerfion du **• du Capricorne, derrière le bord obfcur de la Lune ; mais elle ne fut obfervée que par M. Bayly. J'eflàyai de la fuivre à l'aide d'une petite lunette achromatique, mais, jç trouvai quç mon infiniment n'amplifioit pas j aljçz. ; Il ne nous arriva rien de remarquable jufqu'à, la nuit du 12 au 13. A cette époque, Jean Har- rifon, l'un des foldats de Marine, qui étoit en fanion à PObfervatoke, déferte, & il emporta fQn fv^I & fon équipage : je fus, le matin, de q^l côté il avoit tourné fes pas, & j'envoyai un, détachement à fà pourfuite ; nos -gens revinrent le foir, fans avoir pu en apprendre de nouvelles* L^lç^demain je m'ackefïài au Chef, & je le priai DE C O O K. &91 de mettre tous fes moyens en ufage. Il me promit d'envoyer quelques-uns des Infulaires après le déferteûr, & il me fit efpérer qu'on me le ramènerait le même jour. Mon foldat n'arrivSS point, & je penfai qu'Oreo n'avoit''fait aucune démarche. NÉte avions alors une foule de Na* turels autour dés vaiflèaux, & il fe commettok quelques vols. Les Infulaires craignirent les fuftëi de ces larcins, & un trèâ*petk nombre s'approchèrent de nous le 15; le Chef lui-même prit Tâlârme, ainfi que les autres, & il s'enfuit avec toute fa fiÉfl^e* Je crus avoifclne belle occafion de les contraindre à livrer le cÊéferteur : on m'fi$ forma qu'il étok:à un endroir appelle Hamoa j de l'autre côté de l'Ifle; je fi^Éfe^Pdeux canots; & je me rendis à Hamoa, accompagné déTiin Elfes Naturels. Nous rencôntS^ie» Oreo^^ui monta: fur mon bord. Je débarquai à envirdfi un mile & demi de Hamoa, fuMde quelques hommes, & je marchai en avant au pas redoublé; je craignis que les canéls, en approchant davantage,'ne donnaflènt l'alarme, & que le déferteûr ne vfiiï à bout de fe fauver dans les montagnes; mais cette précaution étoit inutile, car les hâbîtàhs de ce diftrict avoient appris mon arrivée, & ils fe dif- pofbient à me livrer le fifÉBat. Je trouvai Harrifon affis entre délié: femmes, T 2 *5* *777* obre. 292 Troisième Voyage : qui fe levèrent pour me demander fa grace, dès\\ qu'elles mevirent ; comme il étoit important de prévenir de pareilles déferrions, je les accueillis fort mal, & je leur ordonnai de fe retirer; elles fondirent-en larmes, & elles s'en allèrent. Paha, Chef.du diftrict, arriva; il m'offrit un bananier & un cochon-de-lait en ligne de paix. Je refufai fon cadeau, & je lui enjoignis de fortir de ma préfence. Après avoir embarqué le déferteûr fur le premier canot qui atteignit le rivage, je retournai aux vaiflèaux. Notre correfpondance avec les Infulaires fe rétablit. Le foldat fe contenta de dire, pour fa juftification, que les Naturels Pa- voient débauché : cela pouvoit être vrai, car les deux femmes dont j'ai parlé, étoient venues fur mon bord la veille de fa défertion; je recotflfl nus d'ailleurs qu'il avoit quitté fon pofte peu de minutes avant l'heure où on devoit le relever, & le châtiment que je lui infligeai ne fut pas rigoureux. Quoique nous fuffions féparés d'Omaï, nous pouvions encore en recevoir des nouvelles. Je lui avois recommandé de m'inftruire de ce qui fe paflèrok : quinze jours après notre arrivée à Ulietea, il m'envoya deux de fes gens : j'appris * avec une extrême plaifir, que fes compatriotes le laiflbient en paix ; que tout alloit bien, mais DE C O O K. *n que fa chèvre étoit morte en faifant fes petits: — il me prioit de lui en envoyer une autre, & deux haches. Je fus bien-aife d'avoir une nou- .velle occafion d'être utile à mon Ami, &f le 18, /je renvoyai fes deux meflàgers qui lui portèrent les haches, & deux chevreaux, l'un mâle & l'autre femelle, que je pris parmi les quadrupèdes qui reftoient à bord de la Découverte. Le 19, j'écrivis les inftruétions que le Capitaine Clerke devoit fuivre, s'il venoit à fe fépa- rer de moi après notre départ des Mes de la Société; il ne fera pas inutile de. les rapporter ici. 177 7' ybre. l8. 10. Jnflru&ions données par le Capitaine Cook, commandant la Corvette de Sa Majefié, la Résolution, au Capitaine Clerke, commandant le Sloop la Découverte. „ Les Mes de la Société fe trouvant fort „ éloignées de la côte feptentrionale de l'Amé- „ rique, notre traverfée fera longue ; nous en „ ferons une partie au milieu de l'hiver, c'eft-à- „ dire, à une époque où il faut s'attendre à des „ orages & à un mauvais temps qui peuvent a, féparer les vaiflèaux, & vous devez prendre* j, tous les foins imaginables pour prévenir cette „ féparation; mais fi nous nous féparons, malgré T I 1.777- ybre. v> ♦94 Troisième Voyage tous nos efforts pour marcher de cgnferve,. vous me chercherez d'abord à l'endroit où vous m'aurez vu pour la dernière fois; & fi vous ne m'appercevez pas après cinq jours de recherches , vous marchez vers la côte de la Nouvelle Albion, felon les inftruétions des Lords de l'Amirauté dont vous avez déjà reçu une. copie : vous tâcherez d'atteindre la côte d'Amérique par le quarante-cinquième degré de latiaide. „ Vous ferez une croîfiere de dix jours par ce parallèle, & à une diftance convenable de la terre ; fi vous ne me voyez point après cette croifiere, vous relâcherez dans le premier havre que vous rencontrerez à cette hauteur ou plus au Nord ; vous y embarquerez du bois & de Peau, & vous y prendrez des rafraîchif- femens. „ Tandis que vous ferez dans le havre, vous aurez foin d'entretenir des vigies; vous choisirez pour cela une flation auffi voifine de la. côte qu'il fera pofiible, afin que vous foyez plus fur de m'appercevoir lorfque je paraîtrai au large. „ Si je ne vous ai pas rejoint le premier. Avril ^*yous appareillerez & vous marcherez au Nord jufqu'au cinquante-fixieme. degré de de C 4 e k, i*95 „ latitude ; vous ferez une crôifiere à cette hau- ç, teur & à une diftance convenable de li $&&$ i, dont vous ne vous éloignerez jamais de plus „ de quinze lieues, & vous m'attendrez jufqu'au d, dix Mai. ^%' „ Si. je ne fuis pas arrivé à cette époqàe,- „ vous continuerez à marcher àulï&ord, & vous à, chercherez un paflàge dans la mér atlantique „ par la baie de Hudfon ou celle de Baffin, 5, conformément aux inflruétions de PAtttauté „ dont je parfois teut-à-PKêure. „ Si vous ne rencontrez point de paflàge par 3, l'une de ces baies, ou par une autre entrée, „ il feroit dangereux, vu la faifon de l'année, «, de vous tenir dans les hautes latHades, & „ vous gagnerez le havre de Saint-Pierre & „ Saint-Paul au Kamtfchatka, vÊk d'y ra- „ fraîchir votre équipage & d'y paflèr l'hiver. „ Si ce port ne vous offrait pas les rafraî- „ chiflèmens dont vous auriez befoin, je vous „ laide le maître de choifk la relâche que vous „ voudrez; feulement, avant de partir, vous au- „ rez foin d'inflruire le Gouverneur par écrit, „ de l'endroit où vous comptez vous rendre, & „ vous lui recommanderez de me remettre ce „ papier à mon arrivée. Dans ce dernier cas, » vous retournerez auport=S. Pierre & S. Paul Ta 1777- nbre. 296 Troisième Voyage „ au printemps, & vous tâcherez d'y être le „ dix Mai, ou même plutôt. ,, Si vous ne recevez pas de moi, au prin- „ temps 1779, des jpflàges ou des ordres, qui 3, vous autorifent à vous écarter des inflructions- 3, de^Amirauté, vous réglerez fur ces inftrusjw „ rions, vos opérations ultérieures. „ Vous vous occuperez d'ailleurs des divers „ points énoncés dans ces inflruétions , dont „ nous ne nous Sommes point encore occupés, 3, ou qui ne contrarient point les ordres que je ,3 vous donne ici; & en cas que la maladie où „ un accident quelconque, vous mette hors d'é- „ tat d'exécuter ces ordres & ceux de PAmirau- „ té, vous ne manquerez pas d'en charger votre „ premier Lieutenant, à qui j'enjoins de remplir „ Sa commiffion le mieux qu'il lui Sera poffible. Signé par moi, à bord de la Réfolution à Ulietea, le 18 Novembre. J. C o o Ê Tandis que nous étions amarrés à la côte, nous mîmes les vaiflèaux à la bande, nous en frottâmes les fonds des deux côtés, & nous y plaçâmes quelques Seuijles d'étain, après avoir été le vieux doublage. L'ingénieux M. Pelham, Secrétaire du Bureau des Vivres, m'avoit donné ces feuilles, en me priant d'examiner, fi elles DE C O O K. 297 produkoient le même effet que des feuilles de : cuivre. J'appris, le 24 au matin, l'évafion d'un Midshipman & d'un matelot de la Découverte. Les Naturels nous dirent bientôt après, que les déserteurs s'étoient enfuis fur une pirogue la veille à l'entrée de la nuit, & qu'ils étoient à Pautre extrémité de l'Ifle. Le Midshipman ayant témoigné fouvent le defir de paflèr fa vie fur ces ten*es, il paroiflbit clair que lui & fon camarade formoient le projet de ne pas revenir, & le Capitaine Clerke alla à leur pourfuite avec deux canots armés, & un détachement de foldats de Marine. Sa démarche n'eut point de fuccès, car il fut de retour le foir, fans ayoir appris aucune nouvelle sûre des deux déferteurs : il jugea que les Naturels cachoient le Midshipman & le matelot ; qu?ils l'avoient amufé toute la journée avec des menfonges, & qu'ils lui avoient indiqué malignement des endroits où il ne devoit pas retrouver fes deux hommes. Nous fumes, en effet, le lendemain, que les déferteurs étoient à Otaha. Ces deux hommes n'étoient pas les feuls de nos équipages.qui euflènt envie de s'établir fur ces Mes fortunées ; &, afin de contenir de femblables défertions, il devenoit indif- penfable d'employer tous mes moyens. Voulant 1777 nbîe. . 1777- bre. 9 û5- 298 Troisième V o y age : d'ailleurs montrer aux Naturels que je mettois un grand intérêt au retour des déferteurs, je re-* folus d'aller les chercher moi-même ; j'avois ob- fervé en bien des occafions, que les Infulaires s'avifoient rarement de me tromper. Je partis en effet, le 25 au matin avec deux canots armés. Le Chef de l'Ifle me fervit de guide, & je marchai fur fes pas : nous ne nous arrêtâmes qu'au moment où nous eûmes atteint le milieu du côté oriental de Otaha ; nous dé-, barquâmes alors, & Oreo détacha en avant un homme, auquel il enjoignit de faifir les déferteurs & de les t€Ëir aux arrêts jufqu'à ce que nos canots fuflènt arrivés. Mais, quand nous arrivâmes à l'endroit où nous comptions les trouver, on nous dit qu'ils avoient quitté l'Ifle, & pafle la veille à Bolabola. Je ne crus pas devoir les y fuivre, & je retournai aux vaiflèaux, bien décidé à faire ufage d'un expédient qui me parut propre à contraindre les Naturels à ramener le Midshipman & le matelot. Durant la nuit, nous obfervâmes, M. Bayly, M. King & moi, une immerfion du troifieme fatellite de Jupiter : elle eut lieu felon Pobfervation de M.Bayly,à2k37'54"-] Selon celle de M. King, 2 Selon la mienne. 57 24 >du matin. ,a2 D E GOO K. 209 . M. Bayly & M. King, obfervcrent avec une lunette achromatique de Dollond, de trois pieds & demi de foyer, & de la plijs grande force. J'obfervai avec un télefcope de réflexion grégorien , de deux pieds, confirait par M. Bkd. Le Chef, fon fils, fa fille & fon gendre, vinrent dès la pointe du jour à bord de la Réfolution. Je réfoîus dé tenir aux arrêts les trois derniers, jufqu'à ce qu'on me ramenât les deux déferteurs. D'après ce plan, le C&giîaine Clerke les invita à paflèr fur fon vaiflèau, & dès qu'ils y furent il les emprifonna dans fa chambre. Oreo étoit auprès de rrçoi lorfqu'il en apprit la nouvelle : croyant qu'on avoit arrêté fa famille fans que je le fuflè, &, par conféquent, fans mon aveu, il m'en avertit tout de fuite. Je lui répondis que j'avois ordonné moi-même cet empri- fonnement : il commença à craindre pour lui, &fes regards annoncèrent le plus grand trouble; mais je ne tardai pas à le ^î^piillifer fur ce point ; je lui dis qu'il pouvoit quitter le vaiflèau quand il le voudrait, & prendre les mefures les plus propres à nous rendre nos déferteurs ; que s'il réuffiflpk, on mettrait en liberté fes amis détenus fur la Découverte, & que s'il ne réuf- fîflbit pas, je les emmènerais avec moi. J'ajoutai, que lui & plufieurs de fes Sujets, avoient 77* ne. 3oo Troisième Voyage eu la hardiefle de faciliter l'évafion de mes deux hommes ; qu'ils cherchoient de plus à en débaucher d'autres, & que j'avois droit de tout entreprendre pour mettre fin à de pareils délits. Nous vînmes à bout d'expliquer aux Infulakes les motifs qui me déterminoient, & cette explication parut diminuer la frayeur que je lewm avois infpirée d'abord ; mais s'ils furent plus tranquilles fur leur sûreté , ils continuèrent à avoir de vives inquiétudes fur celle de leurs pri- fonniers. Un grand nombre d'entr'eux conduifi- rent leurs pirogues fous l'arriére de la Découverte , & ils y déplorèrent, en longues & bruyantes exclamations , la captivité de leurs compatriotes. On entendoit de tous côtés le cri de Poëdooa ! nom de la fille du Chef; les femmes du pays fembloient fe difputer à l'envi la fatisfaction de lui donner des marques d'intérêt, plus expreflives encore que les larmes & les cris, & elles ne manquèrent pas de fe faire à la tête des bleflures terribles. Oreo lui-même eut part à ces lamentations inutiles; mais il s'occupa tout de fuite des moyens de nous rendre les Déferteurs. Il expédia une pirogue à Bolabola ; -il avertit Opoony, Souverain de cette Me, de ce qui étoit arrivé; il le pria d'arrêter les deux fugitifs, & de les de Cook.. 301 renvoyer. Le Meflàger, qui n'étoit rien moins . que le père de Pootoe, gendre d'Oreo, vint prendre mes ordres avant de partir. Je lui enjoignis expreflëment de ne pas revenir fans les Déferteurs, & de dke de ma part, à Opoony, d'envoyer des pirogues à leur fuite, s'ils avoient quitté Bolabola ; car je préfumois qu'ils ne demeureraient pas long-temps dans le même endroit. Les Infulaires s'intéreflbient fi vivement à la liberté du fils, de la fille & du gendre d'Oreo, qu'ils ne voulurent pas la faire dépendre 'du retour de nos Déferteurs, ou leur impatience fut fi vive, qu'ils méditèrent un complot, dont les fuites auraient été plus funefles encore pour eux, fi nous n'étions pas venus à bout de l'étouffer. J'obfervai fur les cinq ou fix heures du fok, que toutes leurs pirogues , qui fe trouvoient dans le havre, ou aux environs, com- mençoient à s'enfuir, comme fi la frayeur fe fût répandue dans le pays. J'étois à terre, & je fis vainement des recherches pour découvrir la caufe de cette alarme. L'équipage de la Découverte in?avertk, par des cris, que les Naturels avoient arrêté le Capitaine Clerke & M..Gore, qui fe promenoient à quelque diflance des Vaiflèaux. Etonné de la hardiefle de ces repréfailles, qui ;oa. Troisième Voyage n fembloient détruire l'effet de mes combinaisons 1 * je n'eus pas le loifir de délibérer. J'ordonnai de prendre les armes, & en moins de cinq minutes un gros détachement, commandé par M. King, partit , avec ordre de délivrer M. Clerke & M. Gore. Deux canots armés, & un fécond détachement , pourfuivirent en même-teàips les pirogues ; j'enjoignis à M* Williamfon , qui le commandoit, d'empêcher les embarcations des Infulaires, d'aborder à la côte; dès que nous eûmes perdu de vue les deux détachemens, j'appris qu'on m'avoit donné une fauflè nouvelle, & je leur envoyai un ordre de revenir. Il étoit clair néanmoins, d'après plufieurs cir- conftances, que les Naturels avoient véritablement formé îe projet d'arrêter M. Clerke. Ils n'en firent pas un fccret le ïëftdemain. Ils mé- âkdiènt bien autre chofe ; car ils vouîoient m'ar- rêter auffi. J! prenofe tous les foirs un bain d'eau douce; j'allois fouvent au bain feul, & toujours fans armes. Ils avoient réfolu de m'at- tendre ce jour-là, & de s'aÉferer de ma per* forme & de celle du Capitaine Clerke, s'ils le trouvoient avec moi. Mais depuis que je tenois aux arrêts là Samilfe deOreo, je n'avois pas cru devoir expoSer ma perfonne, & j'avois recommandé au Capitaine Clerke & aux Officiers, de DE C O O K. ne pas s'éloigner des Vaiflèaux. Dans le cours de l'après-midi, le Chef me demanda, à trois reprifes différentes, fi je n'irais point me baigner , & s'appercevant que j'avois réfolu de ne pas me rendre au bain, il s'en alla avec fes gens, malgré tout ce que je pus dire & faire pour le retenir. N'ayant point alors de foupçons de leur deflèin, j'imaginai qu'une frayeur fubite s'étoit emparée d'eux, & que cette terreur, felon leur ufage, ne tarderait pas à fe difliper ; comme il ne leur reftoit plus d'efpoir de m'attirer dans le piège, ils eflàyerent d'arrêter ceux de nos Mef- fieurs qui étoient un peu éloignés de la côte. Heureufement pour eux & pour nous ils ne réuf- _ firent pas. Par un autre hafard également heureux, tout ceci fe paflà fans effufion de fang; on ne tira que deux ou trois coups de fufil, afin d'arrêter les pirogues. M. Clerke & M. Gore durent peut-être leur sûreté à ces deux ou trois coups de fufil ; Ça) car, dans ce même inftant, l777- obre. (<0 Le Capitaine Clerke marchoit avec un pif- tolet qu'il tira une fois; cette circonflance, à laquelle ils durent peut-être leur sûreté, fe trouve omife dans le Journal du Capitaine Cook & dans celui de M. Anderfon, mais nous Pavons apprife du Capitaine King. 304 Troisième Voyage ffiSB! une troupe d'Infulaires, armés de maflùes, s'a- l777* vançoit vers eux, & elle fe difperfa dès qu'elle 9bre" entendit Pexplofion. La conspiration fut découverte par une fille que l'un de mes Officiers avoit amenée de Hua- heine. Ayant oui dire aux Habitans d'Ulietea 0 qu'ils arrêteraient le Capitaine Clerke & M. Gore, elle fe hâta d'en avertir le premier de nos gens qu'elle rencontra. Ceux qui étoient chargés de l'exécution du complot, la menacèrent de la tuer, dès que nous aurions quitté PIfle. Craignant qu'elle ne fût punie de nous avoir obligé, je déterminai quelques-uns de fes amis, à venir la chercher à bord, quelques jours après, à la conduire dans un lieu de sûreté , & à l'y tenir cachée , jufqu'à ce qu'ils euflènt une occafion de la renvoyer à Huaheine. 27. Le 27, nous abattîmes nos Obfervatoïres, & nous conduisîmes à bord tout ce que nous avions porté fur la côte; les Vaiflèaux démarrèrent, & nous mouillâmes plus près de la fortie du Havre. L'après - midi, les Infulaires montrèrent moins de frayeur, ils vinrent fur nos bords, où ils fe raflèrablerent autour de nos Bâtimens ; & la brouillerie de la veille fembla oubliée de part & d'autre. 28. Durant la nuit, le vent fouffla en rafalles impé- d fi Cook. 305 împétueufes du Sud à PEft, & il fut accompa- ; gné de beaucoup de pluie. L'une de ces rafalles rompit le cable de la Réfolution, en dehors de l'hanfiere. Nous avions une autre ancre toute prête, & le Vaiflèau ne fut point entraîné hors du mouillage. Le vent fe calma l'après-dîner, & nous réunîmes à l'hanfiere l'extrémité du cable qui s'étoit brifé. Oreo auffi affligé que moi, de ne point recevoir de nouvelles de Bolabola, partit le foir pour cette Me, & il me pria de l'y fuivre le lendemain avec les Vaiflèaux. C'étoit mon projet; mais le vent ne nous permit pas d'appareiller. Ce vent qui nous retenoit dans le Havre, neno, à Ulietea 16 45 \\ 20S 2? 22 6 19 E. 29 5 Les longitudes de ces trois lieux ont été conclues par un milieu entre 145 fuites d'obferva- tions, faites à terre fur différens points de la. côte, & rapportées à chacune des flarions, par le moyen du garde-temps. Comme la pofition de ces trois lieux avoit été déterminée très-exactement dans mes deux premiers Voyages, mon principal objet dans ces obfervations, étoit de de Cook. j^ découvrir fur quel degré de précifion on pouvoit compter, en employant un féfultat moyen entre tous ceux qu'aurait donnés un certain nombre d'obfervations de la Lune. J'ai penfé cjue nous pourrions en juger par le plus ou le moins d'accord qui fe trouverait entre noim nouveau réfultat, & celui qui avoit été conclu des obfervations que nous avions faites fur les mêmes lieux, en 1769, & par lefquelles nous avions fixé la longitude de la pointe Matavai de l'Ifle d'O-Taïti, à 2iod 271 30". On voit que notre nouvelle détermination ne diffère -dei l'incienne, que de g1 2"; & peut-être aucune autre méthode n'eût donné deux réfultats plus conformes entr'eux. Sans prétendre décider laquelle de ces déterminations approche le - plut de la vraie pofitiori , je ferai ufage de notre dernier réfultat, c'eft-à-dire, que je fuppofeUl que la pointe Matavai d'O-Taïti , efl patf ou, -êe qui revient au même, ÏIOd 227 28". que le havre de Ohamanefio dans l'Ifle d'Ulietea , efl par 2o8d 25' 22"; & c'eft d'après cette loniftude de départ, que je calculerai | pour la fuite, celles que nous conclurons pa£ le moyen du garde - tefiips , en comptant que' fon retard journalier fur le moyen mouvement du Soleil, eft actuellement de i!!, 6$, ainfi X 4 1777. Dec* 323 Troisième Voyage ,«r ■|,||,:I" que nous l'avons déterminé par un milieu en- î7779 tre toutes les obfervations que nous avons faites péç. à ces Mes, pour connoître la marche de cette montre. A notre arrivée à O-Taïti, l'erreur, fur la longitude donnée par le garde-temps, étoit : En calculant d'après fon mouvement journalier conftaté à Greenwich id 18'58". D'après fon mouvement journalier conclu des obfervations de Tongataboo , de od i8;4o'V Nous fîmes aufli quelques obfervations fur les marées, fur-tout à O-Taïti & à Ulietea : nous voulions déterminer leur plus gfande élévation fur la premiere de ces Mes. Durant mon fécond $?oyage, M. Wales crut avoir découvert, que les flots y montaient par-delà le point que i>$3§ vois trouvé en 1769 ; mais nous nous afliirâmes cette fois, que cette différence n'avoit plus lieu, ç'eft-à-dire, que la marée s'élevoit feulement de I2; ou 14 pouces au plus. Nous obfervâmes que la marée efl haute à< midi dans les quadratures auffi-bien qu'à l'époque des pleines & des nouvelles Lunes. D E C O.O K. " - jÉâ 329; I La Table fuivante des obfervations faites à n Ulietea, fervka de preuve. Novembre. ' Jour du mois. 6. m 8. | 10. 11. 12. 13- 14. m 16. 18. 19. 20. si. 24. 25- 26. la Mer eft étale de fâÊS& à Temps moyen de la haute mer. Hh 15* II 40 11 35 11 40 11 25 12 00 11 00 9 3° 11 10 9 20 10 00 10 45 10 25 11 00 11 30 11 00 11 30 11 00 n 30 11 40 11 00 12 20m I OO 12 50 I I l6 IO I 40 1 05 11 40 12 50 11 30 12 OO 12 15 12 IO 1 OO 2 OO OO °7 3° 40 so nh48m 12 20 "12 12 12 28 12 18 12 20 12 02 10 35 12 00 10 25 11 00 11 30 11 18 12 00 12 45 12 00 12 18 12 45 |pj 35 m 45 12 15 Elévation perpendiculaire. Pouces. 5. 5 2 o 5 5 o 7 o o o 5 o o o o o 5 5 7 2 1777. Dec So O T R O I S I E M E V O Y A G E ■>-■—»* J'ai achevé ce que j'avois à dire fur ces Ifles | 1777. qui jouent un rôle fi brillant dans la lifte de. nos ^ Dec. découvertes ; mais le Lecteur me permettra d'interrompre un moment la fuite de mon Journal, &-de lui faire lire des remarques que je dois k* M, Anderfon. de Cook. 53* Ju^^^ae».,^.™ =!**SS£$3 CHAPITRE IX. Les détails fur O-Taïti font encore imparfaits. Vents dominans dans le parage de cette! Ifle. Beauté du Pays. Culture. Remarques fur les curiofités naturelles du ' Pays ; fur la perfonne des Naturels ; fur leurs maladies ; fur leur cara&ere ; fur leur amour pour le plaifir ; fur leur langue ; fur la Chirurgie & la Médecine qu'ils pratiquent. Leur régime diététique. Effets de l'A va. Époques de leur repas, 6? manière de manger. Liaifons avec les: femmes. Circoncifion. Syftême Religieux. Idées fur l'ame & fur une vie future. Superfi ilions diver fes. Traditions fur la création. Légende hiftorique. Honneurs qu'on; rend au Roii Difiin&ibn des rangs. Châ- timens des crimes. Particularités des Ifles voifines. Noms de leurs Dieux. Noms des Ifles fréquentées par les Naturels des Ifles de la Société. Etendue de leur Navigation. Sf3*u JL l paraît d'abord fuperflu de rien ajou- „ ter aux détails qu'on trouve fur O-Taïti, 59 dans les relations du Capitaine Wallis & de TV *777* Bec. 332 Troisième Voyage =r ,, M. de Bougainville, & dans le premier & le „ fécond Voyage de M. Cook : on ^ft tenté de „ croire qu'on ne peut guères aujourd'hui que „ répéter les mêmes obfervations, mais je fuis v loin de penfer ainfi. Malgré la defcription „ exacte du pays, & des ufages les plus ordi- ,, naires des habitans, dont nous fommes rede- „ vables aux Navigateurs que je viens de citer, 5> & fur-tout à M. Cook, je ne craindrai pasi» *, dire qu'il refle un grand nombre de points „ dont on n'a pas parlé ; qu'on a fait quelques 9, méprifes rectifiées depuis par des recherchés 5, poftérieures, & que même à préfent, nous 5, n'avons aucune idée de diverfes inflitutions „. très-hnportantes de cette peuplade. Nos relâ- „ ches ont été fréquentes mais paflàgeres ; la „ plupart de ceux qui fe trouvoient à bord des „ vaiflèaux, ne fe foucioient pas de recueillir y, des obfervations, ou d'autres qui s'en occu- „ poient, n'étoient pas en état de diftinguer une j, rémarque utile , d'une remarque oifeufe, & y, nous avions tous, quoique à tin degré diffé- yy rent, le désavantage inféparable d'une con- 5, noiflànce imparfaite de la langue des Naturels, „ qui feuls pouvoient nous inftruire. Quelque^ „ Efpagnols ont réfidé à O-Taïti, plus long- 2, temps qu'aucun autre Européen, & il leur r> y> de Cook. 333 à* été moins difficile de furmonter ce dernier obftacle : s'ils ont profité de leurs moyens, ils fe font inftruits d'une manière complette de tout ce qui a rapport aux inflitutions & aux ufages de cette contrée , & leur relation offrirait vraifemblablement des détails plus exacts & plus authentiques, que ceux dont nous avons acquis la connoiflànce après bien des efforts; mais, comme il efl très-incertain,, pour ne pas dke très-improbable, que YEf- „ pagne nous apprenne quelque chofe là-deflus* L, j'ai raflèmblé les informations nouvelles, rela- „ tives à O-Taïti & aux Mes voifines, que je „ fuis venu à bout d'obtenir d'Omaï , tandis ^ qu'il étoit à bord de la Réfolution, ou des; „ Naturels avec qui j'ai converfé à terre. „ Le vent efl fixé, la plus grande partie de I l'année, entre PEft-Sud-Eft & PEft-Nord-Eft; „ c'eft le véritable vent alifé, auquel les Naturels „ donnent le nom de Maaraee ; il fbuffle quel- ,, quefois avec beaucoup de force. Dans ce der- 5, nier cas, l'atmofphere efl fouvent nébuleufe., „ & il tombe de la pluie ; mais lorfqu'il eft plus „ modéré, le ciel efl clair & ferein. Si le vent „ prend davantage de la partie du Sud, s'il de- » vient Sud-Eft ou ;Sud-Sud-Eft, il eft plus *, doux & accompagné d'une mer tranquille, & 1777. Dec 334 m Troisième Voyage n . „ les Naturels l'appellent Maoai. Aux époques l777* „ où le Soleil efl à-peu-près vertical, c'eft-à- Déc. g dire, aux mois de Décembre & de Janvier, „ le vent & l'atmofphere font très-variables, mais il efl très-commun de voir les vents à POuefl- 91 „ Nord-Oueft ou au Nord-Oueft ; ce vent efl „ appelle Toerou : en général, il efl accompa- „ gné d'un ciel fombre & nébuleux, & de fré- „ quentes ondées de pluie : quoique modéré* „ il fouffle de temps en temps avec force, mais „ il ne dure guères plus de cinq ou fix jours „ fans interruption ; ! c'eft le feul par lequel les „ habitans des Mes fous le vent, arrivent à celle- ,, ci. S'il vient un peu plus de la partie du. Nord,m il a moins de force, & on le défigne par le terme d'Era-potaia. Les geiis du pays difent, qu'Era-potai a eft. la femme de Toerou, lequel, felon leur mythologie, efl de l'efpece mâle. „ Le vent du Sud-Oueft, & de POueft-Sud* ,, Oueft, fe trouve encore plus commun que 5, celui dont je viens de parier; &, quoiqu'il „ foit, en général, doux & interrompu par des „ calmes ou des brifes de PEU, il produit, de „ temps à autre, des rafalles très-vives. Le ciel „ alors efl ordinairement couvert, nébuleux & i, pluvieux, & fouvent accompagné de beaucoup M v> w de C o o k. 335 d'éclairs & de tonnerre : on l'appelle Etoa, & il fuccede fréquemment au Toerou. Il eft ordinake auffi de voir le Toerou remplacé par le Farooa, qui prend davantage de la partie du Sud; celui-ci efl très-impétueux, il ren- verfe les maifons & les arbres', & fur-tout les cocotiers, à caufe de leur hauteur; mais il eft de peu de durée. „ Les Naturels ne paroiflènt pas avoir une connoiflànce bien exacte de ces variations de l'atmofphere, & ils croient néanmoins avoir formé des réfultats généraux fur leurs effets. Lorfque les vagues produifent un fon creux, & battent la côte, ou plutôt le récif avec lenteur , ils comptent fur un beau temps ; mais „ fi les flots produifent des fons aigus, & s'ils I fe fuccedent avec rapidité, ils s'attendent à un 5, mauvais temps. „ Il n'y a peut-être pas, dans le monde entier, de canton d'un afpeét plus riche, que la partie Sud-Eft d'O-Taïti. Les collines y font élevées, d'une pente roide, & efcarpées en bien „ des endroits ; mais des arbres & des arbriflèaux * „ les couvrent tellement jgfqu'au fommet, qu'en ,, les voyant, on a bien de la peine à ne pas j, attribuer aux rochers , le don de produire „ & d'entretenir cette charmante verdure. Les 55 y> » *777' Dec. 33^ Troisième Voyage plaines qui bordent les collines vers la mer, les 1777. „ vallées adjacentes, offrent une multitude de Dec. à productions d'une force extraordinaire, & à la vue de ces richeflès du fol, le fpeétateur eft convaincu qu'il n'y a pas fur le globe de terrein d'une végétation plus vigouréufe & plus belle. La nature y a répandu des eaux avec la même profufion ; on trouve des ruifleaux dans chaque vallée; ces ruifleaux, à mefure qu'ils s'approchent de l'océan, fe divifent fouvent en deux ou trois branches, qui fertilifent les plaines fur leur paflàge. Les habitations des-. Naturels font difperfées, fans ordre, au milieu^ des plaines ; & quand nous les regardions des vaiflèaux, .elles nous offraient des points de vue délicieux. Pour augmenter le charme de cette perfpective, la portion de mer qui eft' en-dedans du récif & qui borde la côte, eft d'une tranquillité parfaite; les Infulaires y naviguent en sûreté dans tous les temps : on les y voit fe promener mollement fur leurs- pirogues , lorfqu'ils paflènt d'une habitation à l'autre, ou lorfqu'ils vont à la pêche. Tandis que je jouiflbis de ces coups-d'œil ra* viflàns, j'ai fouvent regretté de ne pouvoir les décrire de manière; à communiquer aux- lecteurs une partie de Pimpreffion qu'éprau-e ,, vent 59 55 de C o o k. 337 *rt vent tous ceux qui ont le bonheur d'aborder : à O-Taïti. &&§ „ C'eft fans doute la fertilité naturelle du pays, jointe à la douceur & à la férénité du climat, qui donne aux Infulaires tant d'infou- ciance pour la culture. Il y a une foule de diflriéts couverts des plus riches productions, où l'on n'en apperçoit pas la moindre trace. Ils ne foignent guères que la plante d'où ils tirent leurs étoffes, laquelle vient des femen- ces apportées des montagnes, & l'Ava, ou le*poivre enivrant, qu'ils garantiflènt du fi> leil, lorfqu'il efl très-jeune , & qu'ils couvrent pour cela de feuilles d'arbres à pain; ils tiennent fort propres l'une & l'autre de ces» plantes, „ J'ai fait de longues recherches fur la manière dont ils cultivent l'arbre à pain, & on m'a toujours répondu qu'ils ne le plantent ja* mais. Si on examine les endroits où croiflènt les rejettons, on en fera convaincu. On ob- fervera toujours qu'ils pouflèht fur les racines des vieux, lefquelles fe prolongent près de la furface du terrein : les arbres couvriraient donc les plaines, quand même Pille ne feroit pas habitée, ainfi que les arbres à écorce blanche, croiflènt naturellement à la terre de Diemen.} Tome IL Y 99 59 ^59 59 59 1777- Dec. 1777- Dec. 3$ Troisième Voyage où ils compofent de vaftes forêts ; d'où Yo®. peut conclure que l'habitant d'O-Taïti, loin d'être obligé de fe procurer fon pain à la fueur de fon front, efl forcé d'arrêter les largeflès de la nature, qui le lui offre en abondance. Je crois qu'il extirpe quelquefois des arbres à pain , pour y planter d'autres arbres, & mettre de la variété dans les chofes dont il fe nourrit. „ Les O-Tàïtiens remplacent fur-tout l'arbre à pain par le cocotier & le bananier. Le premier de ceux-ci n'exige point de foin, lorf- qu'il s'eft élevé à deux ou n*ois pieds au-deflus de la furface du fol, mais le bananier donne un peu plus de peine : il ne tarde pas à produire des branches, & il commence à porter des fruits trois mois après qu'on l'a planté ; ces fruits, & les branches qui les fou- tiennent, fe fuccedent aflèz long-temps; on coupe les vieilles tiges à mefure qu'on enlevé le fruit. „ Les productions de l'Ifle ne font cependant pas auffi remarquables par leur variété que par leur abondance, & il y a peu de ces chofes qu'on appelle curiofités naturelles du pays. On peut citer toutefois un étang ou lac d'eau douce, qui fe trouve au fommet de l'une des de C e o k. 339 plus hautes montagnes, où l'on n'arrive du : bord de la mer, qu'après un jour & demi ou deux jours de marche. Ce lac efl d'une profondeur extrême, & il renferme des anguilles d'une grandeur énorme ; les Naturels y pèchent quelquefois fur de petits radeaux de deux ou trois bananiers fauvages joints enfem- ble. Ils le regardent comme la premiere des curiofités naturelles d'O-Taïti. En général, on demande tout de fuite aux Voyageurs qui viennent des autres Mes, s'ils l'ont vu. On y trouve auffi, à la même diftance de la côte, une mare d'une eau douce, qui d'abord paraît très-bonne, & qui dépofe un fédiment jaune; mais elle a un mauvais goût ; elle devient fu- nefte à ceux qui en boivent une quantité confidérable, & elle produit des pullules fur la peau lorfqu'on s'y baigne, „ En abordant à O-Taïti, nous fûmes vivement frappés d'un contrafte remarquable : habitués à la flature robufle & au teint brun de k peuplade de Tongataboo, nous ne nous ac- y, costumions pas à la délicateffè des proportions „ & à la blancheur des O-Taïtiens : ce ne fut j, qu'après un certain temps, que nous jugeâmes „ cette différence favorable aux derniers; peut- 5, être même n'arrêtâmes-nous ainfi notre opi- Y 2 1777. Dec. 55 55 y> 59 $5 55 55 55 55 55 55 *777- Dec. 340 Troisième Voyage „ nion, que parce que nous commencions à „ oublier la taille & la phyfionomie des habitans „ de la Métropole des Ifles des Amis. Lisa I O-Taïtiens, cependant, nous parurent fupé- „ rieurs à bien des égards ; nous leur trouvâmes „ tous les agrémens & toute la délicatefle de .,, traits qui diftinguent les perfonnes du fexe, „ dans un grand nombre de contrées de la terre : „ la barbe que les hommes portent longue, & „ leur chevelure, qui n'eft pas coupée fi près „ qu'à Tongataboo, produifoient un autre con- „ trafte, & il nous fembla, dans toutes les oc- „ cafions, qu'ils montraient plus de timidité & „ de légèreté de caractère. On n'apperçoit pas „ à O-Taïti ces formes nerveufes, qui font fi „ communes parmi les Naturels des Ifles des „ Amis, & qui font la fuite d'un exercice très- „ prolongé. Cette Terre étant beaucoup plus „ fertile, fes habitans mènent une vie plus in- „ dolente, & ils offrent cet embonpoint & cette „ douceur de la peau qui les rapprochent peut- „ être davantage des idées que nous avons de la „ beauté , mais qui ne contribuent pas à em- „ bellir leur figure, puifqu'il en réfulte une forte „ de langueur dans leurs mouvemens : nous fîmes „ fur-tout cette remarque, en voyant leurs com- „ bats de lutte & de pugilat, qui paroiflènt de E C O O K. 34* „ foibles efforts d'enfans, fi on les compare à „ la vigueur des mêmes combats' exécutés aux I Ifles des Amis. „ Les O-Taïtiens eftimant les avantages exté- „ rieurs, recourent à plufieurs moyens pour les „ augmenter : ils font accoutumés , fur-tout 3, parmi les Erreoes ou les Célibataires d'un „ certain rang, de fe foumettre à une opération „ médicinale, afin de blanchir leur peau : pour „ cela ils paflènt un mois ou deux fans fortir „ de leurs maifons ; durant cet intervalle , ils „ portent une quantité confidérable d'étoffes , „ & ils ne mangent que du fruit à pain, au- „ quel ils attribuent la propriété de blanchir le „ corps. Ils femblent croire auffi que leur em- „ bonpoint & la couleur de leur peau, dépen- „ dent d'ailleurs des diverfes nourritures qu'ils „ prennent habituellement ; le changement des „ faifons les oblige en effet à changer leur ré- „ gime felon les différentes époques de l'année» „ Les nourritures végétales forment, au moins „ les neuf dixièmes de leur régime ordinaire. „ Je penfe que le Mahee en particulier, ou le „ fruit à pain fermenté , V77* Dec, dont ils font ufage „ dans prefque chacun de leurs repas, les relâ- „ che, & produit autour d'eux une fraîcheur 3, très-fenfible , qu'on n'apperçoit pas en nous Y à 1777» Dec. 342 Troisième Voyage „ qui vivons de nourritures animales ; & s'ils „ ont fi peu de maladies, il faut peut-être Pat- „ tribuer au.degré de température dans lequel „ ils fe trouvent prefque toujours. „ Ils ne comptent que cinq ou fix maladies „ qu'on puifle appeller chroniques ou nationa- „ les, parmi lefquelles je ne dois pas oublier „ Phydropifie & hfefai, ou ces enflures fans „ douleur , que nous avions trouvé fi commu- „ nés à Tongataboo. Il s'agit ici de l'époque „ qui précède l'arrivée des Européens, car notjÉJ „ les avons infectés d'une maladie nouvelle, qui „ équivaut feule à toutes les autres, & qui eft „ prefque univerfelîe aujourd'hui : il parolÉj „ qu'ils ne favent pas la guérir d'une manière „ efficace. Les Prêtres la traitent quelquefois „ avec des compofitions de fimples : mais, de 3, leur aveu, ils ne la guériflènt jamais parfaite- „ ment ; ils conviennent néanmoins, que dans „ un petit nombre de cas, la nature, fans le „ fecours d'un Médecin détruit le fatal virus, „ & opère une guérifon complette. Ils difent ,3 qu'un homme infecté communique fouvent fa 3, maladie aux perfonnes qui vivent dans la 3, même maifon ; que ces perfonnes la pren- „ nent en mangeant dans les mêmes vafës que „ le malade, & même en les touchant; qu'alors de C q o k. 343 „ elles meurent fouvent, tandis que celui-là : „ guérit ; mais ce dernier fait me paroît difficile „ a croire, & s'il efl vrai, c'eft avec des mqdi- „ fications dont on ne nous a pas parlé. „ Leur conduite dans toutes les ocçafions, „ annonce beaucoup de franchife & un carac- „ tere généreux. Néanmoins Ornai , que fes 9, préventions pour les Mes de la Société, dif- „ pofoit à cacher les défauts de fes compatrio- 5, tes, nous a avertis fouvent, que les O-Tàjtiens „ font quelquefois cruels envers leurs ennemis. „ Ils les tourmentent, nous difoit-il, de,propos L délibéré ; ils leur enlèvent de petits morceaux „ de chak en différentes parties du corps ; ils 3, leur arrachent les yeux, ils leur coupent le „ nez, ôç enfin ils les tuent & ils leur ouvrent ,3 le ventre : mais ces cruautés n'ont lieu qu'en „ certaines ocçafions. Si la gaieté eft l'indice ,3 d'une ame en paix, on doit fuppofer que leur „ vie efl rarement fouillée par» des crimes ; je „ crois cependant qu'il faut plutôt attribuer leur 3, difpofition à la joie, à leurs fenfations, qui, „ malgré leur vivacité, ne paroifîènt jamais du- 33 râbles; car, lorfqu'il leur furvenoit des njal- „ heurs, je ne les ai jamais vu affectés d'une „ manière pénible 3 après les premiers momens „ de crife. Le chagrin ne fillonne point leur Y4 1777- Dec. 1777- Dec, 344 Troisième Voyage „ front; l'approche de la mort ne femble pag „ même altérer leur bonheur. J'ai obfervé des „ malades prêts à rendre le dernier foupir, ou „ des guerriers qui fe préparaient au combat, „ & je n'ai pas remarqué que la mélancolie ou 3, des réflexions trifles, répandiflènt des nuages „ fur leur phyfionomie. „ Ils ne s'occupent que des chofes propres k „ leur donner du plaifir & de la joie. Le but „ de leurs amufemens efl toujours d'accroître „ la force de leur penchant amoureux ; ils ai- „ ment paffionnément à chanter, & le plaifir 3, efl auffi l'objet de leurs chanfons : mais, 1 comme on efl bientôt raflafié des jouiflances „ charnelles ininterrompues, ils varient les fujets 3, de ces chants, & ils fe plaifent à célébrer ,, leurs triomphes à la guerre, leurs travaux du- „ rant la paix, leurs voyages fur les terres vol- y, fines & les aventures dont ils ont été les té- 5, moins, les beautés de leur Ifle, & fes avanta- $1 ges fur les pays des environs , ou ceux de |, quelques cantons d'O-Taïti, fur des cffiricts 3, moins favorifés. La mufique a pour eux beau- ,3 coup de charmes ; &, quoiqu'ils montraf- „ fent une forte de dégoût pour nos compofi- 3, tions favantes, les fons mélodieux que produi- I foit chacun de nos inftrumens en particulier^ i Coo approchant davantage de h fimplicité des leurs, ■ "■■ les raviflbient toujours de plaifir. î777* „ Ils connoiflènt les impreffions voluptueufes Dec. qui réfultent de certains exercices du corps, & qui chaflènt quelquefois le trouble & le chagrin de l'âme , avec autant de fuccès que la mufique. Je puis citer là-deflus un fait remarquable , qui s'eft pafle fous mes yeux. Me promenant un jour aux environs de la pointe Matavai, où fe trouvoient nos tentes, je vis un homme qui ramoit dans fa pirogue, de la manière du monde la plus rapide ; & comme il jettoit d'ailleurs autour de lui des regards emprefles, il attira mon attention. J'imaginai d'abord qu'il avoit commis un vol & qu'on le pourfuivoit; mais, après l'avoir examiné quelque temps, je m'apperçus qu'il s'airtufoit. Il s'éloigna de la côte ; il fe rendit à l'endroit où commence la houle, & épiant avec foin la premiere vague de la levée, il fit force de rames devant cette vague, jufqu'à ce qu'il pût en éprouver le mouvement, & qu'elle eût aflèz de vigueur pour conduire l'embarcation fans la renverfer ; il fe tint immobile alors ,* & il fut porté par la lame qui le débarqua fur la grève : il vuida tout de fuite fa pirogue, & il alla chercher une autre houle. Je jugeai 34<5 Troisième Voyage 5-—— 33 qu'il goûtoit un plaifir inexprimable à être 1777. 3, promené fi vîte & fi doucement fur les flots; Dec. „ quoiqu'il fût à peu de diftance de nos tentes 33 & de la Réfolution & de la Découverte, il ,3 ne fit pas la moindre attention aux troupes 3, nombreufes de fes compatriotes, qui s'étoient „ raflèmblés pour voir des objets auffi extraorcfB ,3 naires pour eux, que nos vaiflèaux & notre! „ camp. Tandis que je l'obfervois, deux ou „ trois Infulaires vinrent me joindre ; ils femble- „ rent partager fon bonheur, & ils lui annonce- 33 rent toujours par des cris, l'apparence d'une ,3 houle favorable : car ayant le dos tourné & ,3 cherchant la lame du côté où elle n'étoit pas, 3, il la manquoit quelquefois. Ils me dirent que ,3 cet exercice, appelle Ehororoe, dans la Ian- 3, gue du pays, efl très-commun parmi eux. Ils „ ont vraifemblablement plufieurs amufemens de 33 cette efpece, qui leur procurent au moins au- „ tant de plaifir, que nous en donne l'exercice 3, du patin, le feul de nos jeux, dont les effets „ puifîènt être comparés aux effets que je viens „ de décrire. „ La langue d'O - Taïti , radicalement h 3, même que celles de la Nouvelle-Zélande & 33 des Ifles des Amis, n'a pas leur prononcia- „ tion gutturale, & elle manque de quelques* d e C o o k, 347 „ unes des confonnes qui abondent dans les : „ deux derniers dialectes. Les recueils de mots „ que nous avons déjà donnés, montrent aflèz „ en quoi confifte principalement cette diffé- „ rence , & ils prouvent qu'elle a pris la dou- „ ceur & la mblleflè des habitans. J'avois raflèm- „ blé, durant le fécond Voyage de M. Cook, „ un long Vocabulaire , Ça) d'après lequel je „ me fuis trouvé plus en état de comparer ce dialecte au dialeéte des autres Mes : durant „ celui-ci, je n'ai laiflë échapper aucune oc- „ cafion de m'inftruke davantage fur l'idiome „ d'O-Taïti ; j'ai eu pour cela de longues con- „ verfations avec Omaï, avant d'arriver aux Mes de la Société, & j'ai fréquenté les Naturels, pendant nos relâches, le plus que J'ai pu. Cet idiome efl rempli d'expreflions figurées très- belles; & fi on le connoiflbit parfaitement, „ je fuis perfuadé qu'on le mettrait au ni- 33 veau des langues dont on eftime le plus la î777< Dec. 95 59 55 55 {a) Voyez le Vocabulaire , à la fin du fécond Voyage de Cook. L'infatigable M. Anderfon y a fait un grand nombre de corrections & d'additions; mais ce qu'on pourroit ajouter ici aux divers recueils de mots déjà publiés fur la langue d'O-Ta'ki, ne feroit d'aucune utilité réelle. 348 . Troisième Voyage s= 5, hardiefle & l'énergie des images. Ainfi, les. l777' ?•> O-Taïtiens, pour exprimer avec emphafe les. Dec. w idées qu'ils fe forment de la mort, difent que „ l'ame va dans les ténèbres, ou plutôt dans „ la nuit. Lorfque vous avez Pair de douter „ qu'une telle femme foit leur mere, ils vous ,3 répondent fur-le-champ avec furprife , oui , „ c'efi la mere qui m'a porté dam fon feiru ,5 Une de leurs tournures répond précifément à 33 cette tournure des Livres faints : Les en-* ,3 trailles font émues de douleur : ils s'en fer- 3, vent toujours, quand ils éprouvent des affec- „ tions morales qui les tourmentent : ils fuppo- 3, fent que le fiege de la douleur caufée par les 33 chagrins, les defirs inquiets & les diverfes af? 3, feétions de l'ame efl dans les entrailles, & ils „ fuppofent de plus que c'eft le fiege de toutes „ les opérations de Pefprit. Leur langue admet „ ces inverfions de mots, qui placent le latin & 3, le grec bien au-deflùs de la plupart de nos 3, langues modernes de l'Europe, fi imparfaites, ,5 que, pour prévenir les ambiguïtés, elles font „ réduites à arranger fervilement les mots les „ uns après les autres. Elle efl fi riche, qu'elle 35 a plus de vingt termes pour défigner le fruit 5, à pain dans fes différens états;,elle en a au-" i tant pour la racine de Taro, & envkon dix be Cook. 349 pour la noix de cocos. J'ajouterai, qu'outre le _. . dialecte ordinake, les O-Tàitiens ont une lan- ^777* gue, qu'on peut appeller la Langue plain- Dec. five, & qui forme toujours des efpeces de fiances ou un récitatif. „ Leurs Arts font en petit nombre & bien fimples ; néanmoins, fi on doit les en croire, ils font avec fuccès des opérations de chirur- 55 gie5 ^ue nous n avons pas encore pu imiter, „ malgré nos connoiflànces étendues fur ces ma- „ tieres. Ils environnent d'écliflès les os fractu- m rés, & fi une partie de l'os s'eft détachée, „ ils infèrent dans le vuide un morceau de bois „ taillé comme la partie de l'os qui manque : „ cinq ou fix jours après, le Rapaoo ou le Chi- 3, rurgien , examine la bleflure, & il trouve le „ bois qui commence à fe recouvrir de chair ; „ ils ajoutent qu'en général, ce bois efl entié- P rement couvert de chair le douzième jour , -3, qu'alors le malade a repris des forces, qu'il s, fe baigne & qu'il ne tarde pas à guérir. Nous 3, n'ignorons pas que les bleflures fe guériflènt „ fur des balles de plomb, & quelquefois, mais 5, rarement, fur d'autres corps étrangers; mais P je doute doutant plus de l'opération dont je % viens de parler, qu'en d'autres ocçafions, j'ai „ vu les O-Taïriens bien loin d'une fi grande 35o Troisième Voyage habileté. J'apperçus un jour une moitié de bras qu'on avoit coupé à un homme qui s'étoM laiffé tomber d'un arbre, & je n'y remarquai rien qui annonçât un Chirurgien fort habile, même en n'oubliant pas que leurs inftrumens font très-défectueux : je rencontrai un autre homme qui avoit une épaule difloquée ; il s'étoit écoulé quelques mois depuis l'accident, & perfonne n'avoit fu la remettre, quoique ce foit une' des opérations les moins difficiles de notre Chirurgie. Us favent que les fractures & les luxations de l'épine du dos font mortelles, & qu'il n'en efl pas de même de celles du crâne; ils favent auffi par expérience, en quelles parties du corps les bleflures font incurables. Ils nous ont montré plufieurs cicatrices, fuites des coups de pique qu'ils avoient reçus ; fi les coups pénétrèrent réellement aux endroits qu'on nous indiqua, nous les aurions sûrement déclaré mortels, & cependant les bleffés ont guéri. „ Leurs connoiflànces en Médecine paroiflènt plus bornées, fans doute , parce qu'il leur arrive plus d'accidens qu'ils n'ont de maladies. Les Prêtres néanmoins adminiftrent des fucs d'herbe en quelques ocçafions, & lorfque les femmes ont des fuites de couches fâcheufes, 59 55 de Cook. 351 elles emploient un remède qui femble paraître inutile fouS un climat chaud : elles chauffent des pierres, elles les couvrent enfuite d'une étoffe épaiflè par-deflus laquelle elles po- fent une certaine quantité d'une petite plante de l'efpece de la moutarde, &, après avoir couvert le tout d'une féconde étoffe, elles s'afleient defliis ; elles ont des fueurs abondantes , & elles guériflènt : les hommes infectés du mal vénérien, ont voulu pratiquer la même méthode, maïs ils l'ont trouvée inefficace. Ils n'ont point d'émétique. „ Malgré l'extrême fertilité de l'Ifle , on y éprouve fouvent des famines qui emportent, difc-on, beaucoup de monde. Je n'ai pu dé- „ couvrir fi ces famines font la fuite d'une mau* „ vaife faifon, de la guerre, ou d'une popula- „ tion trop nombreufe ; il efl prefqu'impoffible „ qu'il n'y ait pas quelquefois dans l'Ifle trop de ,*, monde à nourrir. Au refle, il efl difficile de „ douter de la vérité du fait ; car ils ménagent avec beaucoup de foin, même aux temps de l'abondance , les chofes qui fervent à leur nourriture. Dans les momens de difette, lorfqu'ils ont confommé leur fruit à pain & leurs 1 ignames , ils mangent diverfes racines qui L croiflènt fans culture fur les montagnes : ih 55 55 55 55 f5 1777- Dec. 35^ Troisième Voyage !!=r „ fe nourriflent d'abord de la patarra ; elk 1777. „ reflèmble à une groflè patate ou à une igna- Déc. „ me-, & elle efl bonne tant qu'elle n'a pas pris „ toute fa croiflance ; mais , dès qu'elle eft „ vieille , elle efl remplie de fibres dures : ils „ mangent d'ailleurs deux autres racines , l'une „ approche du Taro, & la féconde s'appelle ,5 Ehoee; il y a deux efpeces de celle-ci, l'une „ efl vénéneufe, & on efl contraint de la fen- 5, dre & >de la laiflèr macérer une nuit dans „ l'eau, avant de la cuire;.&, fous ce rapport, ,3 elle reflèmble à la caffave des V\\es d'Amé- 3, rique. De la manière dont les O-Taïtiens „ l'apprêtent , elle forme une pâte humide M 3, très-infipide au goût : cependant je les ^ vus| „ s'en nourrir à une époque où ils n'éprouJ „ voient point de difette ; c'eft une plante grim- „ pante, ainfi que la patarra. „ La claflè inférieure fait peu d'ufage des . „ nourritures animales, & ce ne font jamais „ que des poiflbns, des œufs de mer, ou d'au- „ très productions marines ; il efl rare qu'elle 5, mange du cochon, fi même cela lui arrive 3, quelquefois. h'Eree-dè-hoi Ça) feul , efl (a) M. Anderfon écrit toujours Eree de hoi. Le Capitaine Cook écrit Eree rahie* Ceft encore un des „ affez de Cook. 353 H aflèz riche pour avoir du porc tous les jours, : „ & les Chefs fubalternes, ne peuvent guères „ en avoir qu'une fois par femaine, par quin- ,5 zaine & par mois, felon leur fortune. Il y a „ même des temps où ils font obligés de fe 3, paflèr de cette friandife : car, lorfque la guerre ,3 ou d'autres caufes ont appauvri PIfle, le Roi y, défend à fes Sujets de tuer des cochons; & 3, on nous a dit qu'en certaines ocçafions, la dé- ,3 fenfe fubfifloit plufieurs mois, & même une 3, année ou deux. Les cochons fe multiplient .,, tellement durant cette prohibition , qu'on les ,5 a vu abandonner l'état de domeflicité & deve- ,5 nir fauvages. Lorfqu'il paraît convenable de 3, lever la défenfe , tous les Chefs fe rendent „ auprès du Roi, & chacun d'eux lui apporte ,5 des cochons. Le Roi ordonne d'en tuer quel- 3, ques-uns qu'on fert aux Chefs, & ils s'en re- 33 tournent avec la liberté d'en tuer déformais ,3 pour leur table, La prohibition dont je viens 33 de parler , fubfifloit lors de notre arrivée à 3, O-Taïti 3 du moins dans les diflriéts qui dé- 33 pendent immédiatement d'O-Too, & de peur exemples fans nombre, qu'on peut citer, pour faire voir que les diverfes perfonnes à bord de nos Vaif- feaux , écrivoient d'une manière différente les mots prononcés par les Naturels de la Mer du Sud. Tome IL Z 1777. Dec. §* *777* Dec. 354 Troisième Voyage ,5 qu'elle ne nous empêchât d'aller à Mat avait 1 lorfque nous aurions quitté Oheitepeha, il 3, nous aflura, par un meflàger, qu'il la révo- | querok dès que nos vaiflèaux auraient gagné „ le port. Il la révoqua en effet, du moins par „ rapport à nous ; mais nous fîmes une fi grande 5, confommation de ces animaux, qu'on la retail blit fans doute après notre départ. Le Gouvernement défend auffi quelquefois de tuer des volailles. „ UAva efl fur-tout en ufage parmi les In* fulaires d'un rang diftingué.- Ils la font d'une manière un peu différente de celle dont nous avons été fi fouvent témoins aux Ifles des Amis ; car ils verfent une très-petite quantité d'eau fur la racine, & quelquefois ils grillent ou ils cuifent au four, & ils broient les tiges fans les hacher. Ils emploient d'ailleurs les feuilles broyées de la plante, & ils y verfent de l'eau comme fur la racine. Ils ne fe réunifient pas en troupes pour la boire amicalement 5 comme à Tongataboo ; mais fes pernicieux effets font plus fenfibles à O-Taïti, car elle ne tarde pas à enivrer , ou plutôt à donner de là flupeur à toutes les facultés du corps „ & de Pefprit : ceux d'entre nous qui avoient 3, abordé autrefois fur ces Mes, furent furpris «?5 59 55 55 55 59 55 de Cook. m| y, de voir la maigreur affreufe d'une multitude e ,, d'Infulakes , que nous avions laifîes d'un em- 1777* 3, bonpokit & d'une groflèur remarquables ; nous Dec» 55 demandâmes la caufe de ce changement, & 3, on nous répondit , qu'il falloir l'attribuer à ,5 l'Ava : leur peau étoit groffiere , deflechée ,„ & couverte d'écaillés ; on nous affiira que ces ^, écailles tombent de temps en temps, & que 33 la peau fe renouvelle. Pour juftifier Pufage „ d'une liqueur fi pernicieufe , ils prétendent 33 qu'elle empêche de devenir trop gras ; il eft ,3 évident qu'elle les énerve , & il eft très-pro- „ bable qu'elle abrège leurs jours. Ces effets 5, nous ayant moins frappés durant nos premieres 33 relâches, il y a lieu de croke que les O-Taï- 3, tiens n'abufoient pas autant de cet article de 3, luxe. S'ils continuent à boire l'Ava auffi fré- „ quemment , on peut prédire que leur popu* 3, lation diminuera* . 3, Ils font beaucoup de repas dans un jour; ,, le premier (ou plutôt le dernier, car ils vont ,3 fe coucher immédiatement après) a lieu à ,3 environ deux heures du matin, & le fécond 33 à huit ; ils dînent à onze heures, &, comme 3, le difoit Omaï, ils dînent une féconde & une ,, troifieme fois à deux & à cinq heures du foir, .0, & ils foupent à huit. Ils ont, fur ce point de Z 2 356 Troisième Voyage =T= 5, leur vie domeftique, des ufages très-bizarres, 1777. » Les femmes éprouvent non-feulement la mor- Déc. „ tification de manger feules, & dans une partie „ de la maifon éloignée de celle où mangent 3, les hommes ; mais, ce qui efl bien plus étrange 3, encore, on ne leur donne aucune portion des 3, mets délicats : elles n'ofent goûter ni d'un; ,5 poiflbn de l'efpece du thon, qui efl fort ef- 3, rimé 3 ni de quelques-unes des meilleures ba- 33 nanes, & on permet rarement le porc même 3, à celles des claflès fupérieures. Les petites 33 filles & les petits garçons prennent auffi leur 3, repas féparément. En général , les femmes ,3 apprêtent les chofes dont elles fe nourriflènt; 3, car les hommes les laiflèroient mourir de „ faim 3 plutôt que de leur rendre ce fervice. 3, Il y a ici, & dans plufieurs de leurs coutu- 3, mes relatives à leurs repas, quelque chofe de 3, myftérieux, que nous n'avons jamais pu bien 33 comprendre. Lorfque nous en demandions la 3, raifon, on ne nous répondoit rien, finon que 33 cela étoit jufte & indifpenfable. „ Ce qui a d'ailleurs rapport aux femmes, 33 n'eft point obfcur ; leurs liaifons avec les 3, hommes n'offrent fur-tout rien de caché. Si „ un jeune homme & une jeune femme habi- 99 tent enfemble , le jeune homme donne au 55 de Cook. 357 père de la fille, quelques-unes des chofes réputées néceflàkes dans*le pays, telles que des cochons, des étoffes & des pirogues; la quantité de ces chofes efl proportionnée au temps qu'il paflè avec fa maîtreflè : fi le père croit qu'on ne l'a pas payé, il ne craint pas de reprendre fa fille, & de la livrer à un autre qui fera peut-être plus libéral : l'homme, de fon côté, peut toujours former un nouveau choix. Si fa maîtreflè devient groflè, il efl le maître de tuer l'enfant, & de continuer fes liaifons avec la mere, ou de l'abandonner ; mais s'il adopte l'enfant, & s'il ne lui ôte pas la vie, il efl cenfé marié, & il garde communément fa femme le refle de fes jours. Aux yeux des O-Tàîtiens, ce n'eft pas un crime de prendre une concubine plus jeune, & de l'établir dans fa maifon ; il efl toutefois bien plus commun de les vok changer de femmes, & c'eft une chofe fi ordinaire, qu'ils en parlent d'un ton fort léger. Les Erroes font des Infulaires des claflès fupérieures, qui joignant à une humeur volage, des moyens de fe procurer de nouvelles femmes, voyagent d'un canton à l'autre ou fur les Mes voifines, & qui ne fe livrant pas à un attachement particulier, n'adoptent guères la manière de vivre plus fédentake & Z 3 *777* Dec. w 35<> Troisième Voyage ï777- Dec. „ plus tranquille dont je viens de parler. Cette. 33 vie licencieufe eft IP analogue à leur difpofi- 3, tion 5 que les plus jolis hommes & lçs plus 5, jolies femmes paflènt ordinairement leur jeu- 35 neflè dans une débauche qui déshonorerait 3, les peuplades les plus fauvages, mais qui ré*l „ volte fur-tout au milieu d'une nation, qui of- 3, fre, à d'autres égards, des indices sûrs d'amé- „ nité & de tendreflè. Ça) Lorfqu'une femme (a) Je crois avoir prouvé d'une manière fatïsfai» fante, dans les notes inférées plus haut, que les Mes Carolines font habitées par une peuplade de cette nation, que le Capitaine Cook a trouvé répandue fi loin fur l'Océan Pacifique du Sud. Les Mes des Larrons ou les Ifles Marianes giflent encore plus au Nord que les Mes Carolines, mais à peu de diitan- ce ; on conjecture, au premier coup-d'oeil, que les Infulaires de ce grouppe viennent de la même race ;* êc en lifant l'hiftoire du Père le Gobien, cette conjecture paroît une vérité. La Société des Erroes efl ce qu'il y a de plus fingulier dans les mœurs d'O-Taïti; or le Père le Gobien nous apprend qu'il exifte une pareille Société aux Ifles des Larrons. Il dit : Les Urritoes font parmi eux les jeunes gens qui vivent avec des tnaîtrèjjes, fans vouloir s'engager dans les liens du mariage. Parce qu'on trouve aux Ifles des Larrons 9 comme à O-Taïti, des jeunes gens qui vivent avec des maîtreffes fans vouloir s'engager dans les liens du mariage , on ne pourroit pas en conclure que les de Cook. i59 „ Erreoe accouche, on applique à la bouche " „ & au nez de l'enfant un morceau d'étoffe 1777. 3, mouillée qui le fuffoque. Dec. mœurs de ces Ifles ont de la reffemblance ; mais les jeunes gens des Ifles des Larrons & d'O-Taïti, qui mènent une vie fi licencieufe , formant une aflocia- tion féparée, défignée par un nom particulier, & ce nom étant le même dans les. deux pays, cette conformité extraordinaire jointe à celle du langage, femble prouver, d'une manière inconteftable , que les deux peuplades viennent de la même Tribu. On fait que le dialecte d'O-Taïti adoucit la prononciation de fes mots ; & il faut obferver qu'en retranchant une feule lettre > ( la confonne T ) le mot Urritoes des Ifles des Larrons reflèmble beaucoup aux Arreoys ( felon l'orthographe^ de la Collection de Hawkef- worth), ou aux Erreoes, (felon l'orthographe de M. Anderfon. ) Cette conformité de fon, feul moyen de comparaifon entre deux langues parlées , efl fi frappante , qu'on peut y voir le même mot, fans s'expofer aux railleries des Critiques féveres. Il efl aifé de donner d'autres preuves pareilles; tirées de l'affinité du langage , en citant des mots d'un ufage très-fréquent. Le Gobien ajoute que les Habitans des Ifles des Larrons adorent leurs morts fous le nom d'Anitis. Si on ôte la confonne n, il refte un mot qui reffemble beaucoup à celui d'Ea- tooes y très-commun dans les Voyages du Capitaine Cook, où il fignifie une Divinité. Il n'eft pas inutile de remarquer, que l'objet défigné aux Ifles des Lar~ rons par le mot Aniti, «ft appelle Tahutup aux Ifles Z 4 Troisième Voyage >-■ „ de les prendre, elles foient traitées fouvent l777* ,5 avec une dureté ou plutôt une brutalité qui Dec. HawkefVorth, que les Naturels des Mes de la Société dépofent, autour des endroits où ils enterrent leurs morts , des guirlandes du fruit du palmier &- | des feuilles de cocos, ainfi que d'autres chofes consacrées particulièrement aux cérémonies funèbres, & qu'ils placent à peu de diltance des provifions & de l'eau : les Naturels des Ifles des Larrons font, dit le Père Gobien, quelques repas autour du tombeau, car on en élevé toujours un fur le lieu ou le corps efl enterré , ou dans le voifinage ; on le charge de fleurs, de branches de palmiers , de coquillages & de tout ce qu'ils ont de plus précieux. 6°. Les O-Taïtiens (voyez la Collection de Hawkefworth, tome II9 page 23e de l'original) n'enterrent pas les crânes des Chefs avec le refle des os , mais ils les dépofent dans des boîtes deftinées à cet ufage. On retrouve encore aux Ifles des Larrons cette coutume bizarre; car le Gobien dit expreflement qu'ils gardent les crânes en leurs maifons $ qu'ils mettent ces crânes dans de petites corbeilles , & que ces Chefs morts font les Ànitis auxquels les Prêtres adreffent des prières. 70. Le Capitaine Cook, en parlant du corps embaumé de Tee, obferve que les O-Taïtiens font ufage d'huile de cocos, &. d'autres ingrédiens, pour frotter les corps des défunts ; le Gobien dit que les Habitans des Mes des Larrons ont le même ufage : d'autres frottent les morts d'huile odoriférante. 8°. Les O-Taïtiens croient à l'immortalité de l'ame ; ils croient de plus qu'il y a dans l'autre monde deux endroits qui ont une forte I) E C O O K. 363 33 femble exclure la plus légère affection. Rien ■—»■»* § toutefois n'eft plus ordinaire que de les voir 1777* Dec. d'analogie avec notre paradis & notre enfer, mais Hsne fuppofent pas que les actions de cette vie influent en rien fur l'état futur. (Voyez la Collection de Hawkefworth, torn. II, page 239 6t 240 de l'original.) On retrouve cette doctrine dans les détails inférés plus haut , (tome II, page 85) fur les opinions religieufes des Habitans des Ifles des Amis. Les Habitans des Mes des Larrons ont le même fyf- fcême ; ils font perfuadés , dit le Gobien, de l'immortalité de l'ame ; ils reconnoiffent même un paradis & un enfer, dont ils fe forment des idées ajfe^ bigarres; ce nefi point, felon eux, la vertu ni le crime qui conduit dans ces lieux-là ; les bonnes ou les mauvaïfes actions n'y fervent de rien. 90. Je terminerai cette longue lifte par une autre conformité plus finguliere encore. On a vu, Livre I, Chap. VII, page 17c de ce troifieme Voyage , que feîon les Habitans de la Nouvelle-Zélande, l'homme qui a été tué ôc mangé par l'ennemi, efl condamné à un feu éternel, tandis que les âmes de tous ceux qui meurent de mort naturelle, montent à la demeure des Dieux. Les Naturels des Mes Larrones ont auffi cette idée ; felon le Gobien, fi on a le malheur de mourir de mort violente , on a l'enfer pour partage. Des rapports fi frappans ne peuvent être l'effet du hafard : lorfqu'on les ajoute à l'affinité dans l'idiome des diverfes peuplades, dont j'ai cité des exemples au commencement de cette note, on paroît autorifé à conclure que les Habitans des Mes découvertes 364 Troisième Voyage impitoyablement battues par les hommes ; & il efl difficile d'expliquer ces violences , à moins qu'elles ne foient l'effet de la jaloufie, qui, de l'aveu des O-Tàitiens , tourmente quelquefois les deux fexes. J'adopterais cette explication volontiers; car, en bien des ocçafions , j'ai trouvé les femmes plus fenfibles aux charmes de la figure, qu'à des vues d'intérêts ; mais je dois avouer que même alors „ elles paroiflènt à peine fufceptibles de ces fen- 33 timens délicats que produit une tendrefle mu- 3, tuelle 3 & qu'il y a moins d'amour platonique 3, à O-Taïti 3 que dans aucun autre pays du 3, monde. 3, Des idées de propreté firent imaginer aux „ O-Taïtiens l'amputation ou l'incifion du pré- 3, puce 3 & ils ont, dans leur langue , une par le Capitaine Cook dans l'Océan Pacifique du Sud, & ceux que les Efpagnols ont trouvés aux Ifles des Larrons ou aux Marianes , dans Phémifphere feptentrial , ont tiré leur langue, leurs ufages & leurs opinions d'une fource commune, &. qu'on peut les regarder comme des Tribus difperfées d'une même Nation. Voyez l'Hiftoire des Ifles Marianes, par le Père le Gobien Liv. II, ou l'Extrait de cet Ouvrage, dans l'Hiftoire des Navigations aux Terres Auflrahs, tome II, pages 492-512. de Cook. 365 épithete injurieufe, pour ceux qui n'obfervent : pas cet ufage. Lorfqu'il y a, dans un diftrict, cinq ou fix petits garçons d'un âge convenable, le père de l'un d'eux va en avertir le Tahoua, ou l'un des Savans du pays ; le Ta- houa, fulvi d'un domeftique, mené les petits garçons au fommet d'une colline; après avoir donné à l'un d'eux une attitude propre à l'opération, il introduit un morceau de bois au- deflbus du prépuce, & il lui dit de regarder de tel côté, une chofe bien curieufe : tandis que le jeune homme efl occupé d'un autre objet, le Prêtre coupe, avec une dent de requin, & ordinairement d'un feu! coup, le prépuce établi fur le morceau de bois ; il fépare en- fuite , ou plutôt il replie en arrière les parties divifées, & ayant bandé la plaie, il fait la même opération au refle des jeunes gens. Les nouveaux circoncis fe baignent cinq jours après; on ôte leurs bandages & on nettoie leur plaie ; le dixième jour ils fe baignent de nouveau, & I ils fe portent bien ; mais la partie où s'eft faite fincifion, offre encore une groflèur, & le Ta- j houa, toujours fuivi d'un domeftique, mené , une féconde fois les petits garçons fur la col- , line, y allume du feu, & il place le pré- > puce entre deux pierres chaudes, il le preffè 1777. Dec. %66 Troisième Voyagé doucement, ce qui détruit la grofîèur. Le| nouveaux circoncis retournent alors chez eux, la tète & le corps ornés de fleurs odoriférantes ; leurs pères donnent à l'Opérateur des co* ; chons & des étoffes, & ils proportionnent la récompenfe à fon habileté ; s'ils font pauvres, la famille fe charge du préfent. „ Le fyftême religieux des O-Taïtiens efl fort étendu & fingulier fur un grand nombre de points, mais il y a peu d'individus du bas-peu* 5, pie qui le connoiflènt parfaitement : cette con* noiflànce fe trouve fur-tout parmi les Prêtres, dont la claflè efl très-nombreufe. Ils croient qu'il y a plufieurs Dieux, dont chacun eft , très-puiflant, mais ils ne paroiflent pas admet- „ trè une Divinité fupérieure aux autres. Les différens diftriéts & les diverfes Mes des envi* rons, ayant des Dieux divers, les Habitans de chacun de ces diftriéts, & de chacune de ces 5, terres, imaginent, fans doute, avoir choifi le plus refpeétable, ou*du moins, une Divinité revêtue d'aflèz de pouvoir pour les protéger, & pour fournir à tous leurs befoins. Si ce Dieu ne fatisfait pas leurs efpérances, ils ne penfent pas qu'il foit impie d'en changer | c'eft ce qui efl arrivé dernièrement à Tiarra* boo 3 où l'on a fubftitué aux deux Divinités 95 de Cook. 367 anciennes, Oraa, Ça) Dieu de Bolabola, peut- „ être, parce qu'il efl le protecteur d'une peu- „ plade qui a été triomphante à la guerre ; & -, „ comme depuis cette époque, ils ont eu des „ fuccès contre la Tribu d'O-Taïti-nooe, ils at- „ tribuent leurs viétokes à Oraa, qui, felon ,3 leur expreflion, combat pour eux. „ Ils fervent leurs Dieux avec une affiduité 5, remarquable : outre que les grands Whattas, ,3 c'eft-à-dire, les endroits des Morai, où l'on „ dépofe les offrandes, font ordinairement char- „ gés d'animaux & de fruits, on rencontre peu 3, de maifons qui n'en aient pas un petit dans 53 leur voifinage. Les habitans des Mes de lœ „ Société font, fur ces matières, d'une rigidité „ fi fcrupuleufe, qu'ils ne commencent jamais I un repas, fans mettre de côté un morceau „ pour YEatooa.he fàcrifice humain dont nous „ avons été témoins durant ce voyage, montre „ aflèz jufqu'où ils portent leur zèle religieux & „ leur fanatifme. Il paraît sûr, que les fàcrifices „ humains reviennent fréquemment; ils ont peutr 3, être recours à cet expédient abominable, quand (a) On trouve encore ici le même mot écrit d'une manière différente, par M. Anderfon &. le Capitaine Cook, Le dernier, ainfi qu'on l'a vu plus haut, écrit QUa. W- 1777. Dec. M 1777* Dec. 368 Troisième Voyage „ ils éprouvent des contre-temps fâcheux ; car 1 ils nous demandèrent, fi l'un de nos gens, „ détenu en prifon à l'époque où nous nous ,5 trouvions arrêtés par des vents contraires, étoit „ Taboo? Leurs prières font auffi très-fréquen- „ tes 3 ils les chantent à-peu-près fur le même 33 ton que les ballades de leurs jeux. On apper- ,5 çoit encore l'infériorité des femmes dans les 33 pratiques religieufes ; on les oblige à fe dé- 3, couvrir en partie, lorfqu'elles paflènt devant 5, les Morals, ou à faire un long détour poïM 33 éviter les lieux défîmes au culte public. Selon 33 leur mythologie, Dieu n'eft pas cenfé leur ac- „ corder toujours des bienfaits fans jamais les 3, oublier, & fans permettre qu'il leur arrive 5, du mal ; cependant, lorfqu'ils efluient des „ malheurs, ils femblent y voir les effets d'un 3, être mal-faifànt, qui veut leur nuire. Ils difent 3, qu'Etée efl un efprit mal-faifant, qui leur fait 33 quelquefois du mal ; ils lui préfentent des of „ fraudes, ainfi qu'à leur Dieu ; mais ce qu'ils 5, redoutent des êtres invifibles 3 fe borne à des 33 chofes purement temporelles. 35 Ils croient que l'ame efl immatérielle & im- ,5 mortelle. Ils difent qu'elle voltige autour des ,5 lèvres du mourant, pendant les dernières an- 33 goiflès, & qu'elle monte enfuite auprès du „ Dieu, DE C O O K. tf9 ,3 Dieu3 qui la réunit à fa propre fubflance, ou, = „ felon leur expreffion, qui la mange ; qu'elle „ demeure quelque temps dans cet état ; qu'elle ,5 paflè enfuite au lieu deftiné à la réception de ,5 toutes les âmes humaines; qu'elle y vit au mi- „ lieu d'une nuit éternelle , ou , comme ils le „ difent quelquefois, au milieu d'un crépufcule „ qui ne finit jamais. Ils ne penfent pas que les L, crimes commis fur la terre, foient punis après „ la moi£d*une manière permanente; car le Dieu ,„ mange indifféremment les âmes des bons & celles des méchans. Mais il efl sûr qu'ils regardent cette réunion à la Divinité, comme une purification néceffèke,7Jpur arrivera l'état de bonheur ; .en effet, felon leur doctrine, fi un homme s'abftient des femmes, quelques mois „ avant de mourir, il paflè tout de fuite dans fil 33 demeure éternelle, fans avoir befoin de cette „ union préliminaire; ils imaginent qu'il eft aflèz „ purifié par cette abftinence, & affranchi de la ,, loi générale. 3, Toutefois ils font loin de fe former fur le ,3 bonheur de l'autre vie, les idées fublimes que „ nous offrent notre Religion & même notre 3, raifon. L'immortalité efl le feul privilege im- 33 portant qu'ils femblent efpérer ; car s'ils croient ,3 les âmes dépouillées de quelques-unes des 1777. Dec. Tome IL Aa 37o Troisième Voyage î=?^s „ pallions qui les animoient tandis qu'elles fe 1777. 55 trouvoient réunies au{corps, ils ne fuppoferît Dec. 33 pas qu'elles en foient abfolument affranchies. ,3 auffi 3 les âmes qui ont été ennemies fur la terre, ,3 fe livrent-elles des combats lorfqu'elles fe reh- ,5 contrent; mais il paraît que ces démêlés n'a- „ boutiflent à rien, puifqu'elles font réputées km ,5 vulnérables. Ils ont la même idée de la ren- „ contre d'un homme & d'une femme. Si le mari 33 meurt le premier, il reconnoît l'ame de fon I époufe 3 dès le moment où elle arrive dans la 33 terre des EfprksV il fe fait reconnoitre dans 3, une maifon fpaciêufë, appellee Tour ova, où 35 fe raflèmblent les ames/des morts, pour fe di- ,5 vertir avec les Dieux. Les deux époux vont enfuite occuper une habitation féparée, où ils demeurent à jamais, & où ils font des enfans; au refle, ils ne procréent que des êtres fpiri- tuels, car leur mariage & leurs embraflèmens \\ ne font pas les mêmes que ceux des êtres ^ corporels. 33 Leurs idées fur la Divinité, font d'une ex- 93 travagance abfurde. Ils la croient foumife au poin 33 voir, de ces mêmes Efprits, à qui elle a donné 3, l'être ; ils imaginent que ces Efprits la rnatf- ,5 gent fouvent, mais ils lui fuppofent la faculté 3, de fe reproduire. Ils emploient fans doute ici DE COO K. OY 95 59 „ Pexpreffion de manger, parce qu'ils ne peu- - „ vent parler des chofes immatérielles, fans re- 5-5 courir à des objets matériels. Ils ajoutent que 55 la Divinité demande aux Ëïprits, aflèmblés ,3, dans le Tour ova, s'ils ont le projet de l^dé* truire; que fi les Efprits ont pris cette réfolu- $$&, elle ne peut la changer. Les Habitans de la terré fë croient inflruits de ce qui fe paflè dans la région des Efprits ; car à l'époque où la lune efl dans fon déclin y ils difent que les Efprits mangent leur Eatooa, & que la reproduction de YEatooa avance, lorfque la lune eft , dans fon plein. Les Dieux les plus puiflans font , fujets a ëëî^àceïdent, ainfi que les Divinités !, fubaltérnes,rïls penfent auffi qu'il y a d'autres , endroits deftinés à recevoir les âmes après la ;, mort. Ceux, par exemple, qui:fè noient dans „ la mer, y demeurent au fein des flots ; ils y „ trouvent un beau pays, des maifons', & tout „ ce qui'petit les rendre heureux. Ils foutiennent j, de plus, que tous les animaux, que lès arbres, I les fruits & même les pierres, ont des âmes, I qui, à l'inflant de la: mort, ou de là diflblu- 33 tion 5 montent auprès de la Divinité, à la- 33 quelle ces fubftances s'incoporent d'abord, 33 pour paflèr enfuite dans la demeure particu- 3, liere qui leur efl; deftinée. Aa % 1777. D&- 1777- Dec. ^ 55 3? 55 372 Troisième Voyage Jj 33 Ils font perfuadés que la pratique exacte de I leurs devoirs religieux, leur procure toute forte d'avantages,temporels; & comme ils affurepj~3 que l'aéti^rpuiflànte & vivifiante de l'efprît jdgr Dieu efl répandue par-tout, on ne doif; pas s'étonner s'ils orffigne fbule^dée^i^g perftitieufes fur fes opérations. Ilsi difent qi$B les morts fubites, & tous les autres accidens, 2, ) font l'effet de l'action immédiate de quelque 3, Divinité. Si un homme fe heurte contre mxe 5, pierre, & fe bleflè l'orteil, ils attribuent h meurtriflure à Y Eat 00 a; en forte que, felon leur mythologie, ils marchent réellement fur une terre enchantée. Ils treflàillent pendant la nuit* lorfqu'ils approchent d'un Toopapaoo, où font expofésles morts, ainfi que les hommes ignorans & f^erftitieux de nos contrées de A'Europe, redoutent les Efprits, à la vue d'un Cimetière. Ils croient auffi aux fonges,, qu'ils prennent pour des avis de leur Dieu, .aides Efprits de leurs Amis défunts, & ils fuppofent le don de prédire l'avenir à ceux qui ont des rêves ; au refle, ils n'attribuent qu'à quelques perfonnes ce don de prophétie. Omaï prétendoit l'avoir ; il nous dit le 26 Juillet 17765 que l'ame de fon père l'avoit averti en fonge, qu'il defcendroit à terre dans trois de Cook. 373 95 jours ; mais il ne put triompher à l'occafion : de fa prophétie, car nous n'arrivâmes à Té né- rifle que le premier Août. La réputation de ceux qui ont des fonges approche beaucoup de celle de leurs Prêtres & de leurs JPrêtreffès infpirés, auxquels ils ajoutent une foi aveugle, & dont ils fuivent les décifions, toutes les fois qu'ils forment un projet important. Opoony refpeéte beaucoup la Prêtreflè qui lui perfuada d'envahir Ulietea, & il ne va jamais à la guerre fans la confulter. Ils adoptent de plus, à quelques égards , notre vieille doctrine de l'influence des Planètes, du moins ils règlent, en certains cas, leurs délibérations publiques fur les afpeéts de la Lune : par exemple, ils entreprennent une guerre , & ils comptent fur des fuccès, lorfque cette Planète efl couchée horizontalement, ou fort inclinée dans fa partie convexe, après fon renouvellement. ,3 Leur fyftême fur la création de l'univers, efl embrouillé, obfcur & extravagant, comme on l'imagine bien. Ils difent qu'une Déefle ayant un bloc ou une maffè de terre fufpen- due à une corde , la lança loin d'elle , & en répafldit aux environs des morceaux, tels qu'O-Taïti & les Mes voîfines, dont les divers habitans viennent d'un homme-& d'une Aa 1 374 l777- Dec. Troisième Voyage ,5 femme établis à O-Taïti. Il ne s'agit cepen- 3, dant que de la création immédiate de leur 33 contrée; car ils admettent une création uni- „ verfelle antérieure à celle-ci, &- ils croient à Pexiftence de plufieurs terres qu'ils ne con- . noiflent que par tradition ; mais leurs idées s'arrêtent à Tatooma ôckTapuppa, pierres & rochers mâle & femelle , qui forment le noyau du globe, ou qui foutiennent Paflèm- blage de terre & d'eau jette à fa furface. Tatooma & Tapuppa praduifirent Totorro, qui fut tué & décompofé en terre , & enfuite O-Taïa & Oroo, qui s'épouferent & qui donnèrent d'abord naiflànce à une terre, & en- fuite à une race de Dieux. O-Taïa fut tué, & Or oo, qui étoit de l'efpece femelle, époufa un Dieu, fon fils, appelle Teerraa, à qui elle ordonna de créer de nouvelles terres, les animaux & les différentes efpeces de comefti- bles, qu'on trouve fur le Globe, ainfi que le firmament, foutenu par des hommes, appelles Teeferei. Les taches qu'on obferve dans la „ Lune, font, à leurs yeux, des bocages d'une 33 forte d'arbres qui croiflbient jadis à O-Taïti; 35 ces arbres ayant été détruits par un accident, 33 leurs femences furent portées dans la Lune „ par des colombes. r> 0 ° k.. 375 „ Ils ont d'ailleurs une multitude de légendes ; religieufes & hiftoriques ; l'une des dernières a rapport à l'ufage de manger de la chair humaine , & je vais en donner le précis. Deux hommes, appelles Taheeai, feul nom qu'ils emploient pour défigner des Cannibales, vi- voient à O-Taïti il y a bien long-temps : on ne favoit pas d'où ils fortoient, ni comment ils étoient arrivés dans l'Ifle. Ils habitoient les montagnes qu'ils avoient coutume de quitter pour venir tuer les gens du pays ; ils man- geoient enfuite les hommes qu'ils maflacroient, & ils arrêtoient les progrès de la population. Deux frères réfolurent de détruire ces monf- tres formidables, & ils imaginèrent un ftrata- gême qui leur réuffit. Ils habitoient auffi les ' montagnes, un peu au-deflus des Taheeai, & ils occupoient un pofte, d'où ils pouvoient leur parler fans trop expofer leurs jours. Ils les invitèrent à un repas que les Taheeai acceptèrent de bon cœur;" ayant fait chauffer des pierres, ils les mirent dans du Mahee-, & ils dirent à l'un des Taheeai d'ouvrir la bouche : le Taheeai ouvrit la bouche ; on y laiflà tomber un de ces morceaux de Mahee & on y verfa de l'eau, laquelle, en fe mêlant avec la pierre chaude, produifit un bouillonnement Aa 4 l777> Dec, 1777- Dec. 55 55 376 Troisième Voyage qui tua le monflre quelque temps après. Les deux frères voulurent engager Pautre à faire la même chofe ; mais le fécond Cannibale, frappé du bouillonnement de Peftomac de fon camarade, les remercia; on Paflura que le Mahee étoit excellent ,. & que ce bouillonnement paflèrok bien vîte, & il fut fi crédule, qulil ouvrit la bouche & fubit le fort, du premier. Les Naturels alors les coupèrent en morceaux, qu'ils enterrèrent, & ils donnèrent, par reconnoiflànce , le gouvernement de l'Ifle aux deux frères. Les Taheeais réfidoient dans le diftrict appelle IVhapaneeoo, & on y trouve encore aujourd'hui un arbre à pain, qui, dit-on, leur appartenoît. Une femme qui vivoit avec eux, avoit deux dents d'une groflèur prodigieufe, après leur mort, elle alla s'établir à O-Taha; & les Infulaires la mirent au nombre de leurs déefies, lorfqu'elle eut rendu le dernier foupir. Elle ne mangéoit pas de la chair humaine 95 55 95 5, comme fes deux époux ; mais, d'après la gran- 3, deur de fes dents 5 on donne le nom de Ta- y, heeai à tout animal qui a un afpeét farouche „ ou de larges crocs. ,5 On doit avouer que cette Hifloire a la vrai- 55 femblance de celle d'Hercule, détruifant l'Hy- 93 dre, ou des Tueurs de Géants, dont parlent de Cook. 377 3, les Romanciers des derniers fiecles^mais j'y ; „ trouve auffi peu de moralité, qû# dans la plu- ,5 part des vieilles fables de la même efpece, 33 reçues comme des vérités par des peuples igno- 33 rans, dont la cïHlifation peut être comparée, ,5 à quelques égards, à la civilifation des Natu- ,5 rels des Mes de la Société. Elle efl d'ailleurs 33 heureufement imaginée, car elle exprime Pa- 3, verfion & l'horreur qu'infpirent ici les Canni- 55 baies. Plufieurs raifons feraient croire cepen- ,5 dant que 1er Habitans de ces Mes mangeoient 35 jadis de la chair humaine. J'interrogeai Omaï 3, fur ce point ; il foutint de la manière la plus 55 pofitive 5 que je me trompois, mais il me 55 conta un fait dont il avoit été témoin g & qui l^confirme prefque cette opinion. Un grand nom- 33 bre de fes parens & de fes alliés furent tués à „ l'époque où la peuplade de Bolabola battit „ celle de Huaheine. Un homme de fa famille 33 eut enfuite occafion de fe venger; il battit à ,3 fon tour les Infulaires de Bolabola, & cou- ,5 pant un morceau de la cuiflè de l'un de fes 35 ennemis, il le rôtit, & il le mangea. M.Cook ,5 a raconté plus haut, qu'on offre au Roi un ,3 œil du malheureux qu'on facrifie aux Dieux, 3, & nous n'avons pu nous empêcher de voir .3, dans cet ufage les relies d'une coutume qui Dec. 9? 55 5? 95 99 378 Troisième V o y a g e s „ étoit, jadis, beaucoup plus étendue, & dont l7?7* 99 cette cérémonie emblématique rappelle le fou- ,, venir. „ Le Roi efl inverti du Maro, il préfide aux fàcrifices humains; & il paraît que ce font là les privileges diftinctifs de fa Soudaineté. II faut peut-être y ajouter celui de fonner d'une conque, qui produit un fon très-éclatant. Dès qu'il donne ce lignai, tous fes fujets font obli- „ gés de lui apporter des comeftibles de diffé- „ rentes efpeces, en proportion de leurs facultés. 33 Son nom feul leur infpire un refpeét, qui va 3, jufqu'à l'extravagance, & il les rend quelque- ,3 fois cruels. Lorfqu'on le revêt du fymbole de ,5 la Royauté 5 s'il y a dans lalgngue des mots qui „ aient de la reflèmblance avec celui de Maro, „ on les change, & on en fubftitue d'autres: „ l'homme qui a enfuite la hardiefle de ne pas ,5 fe foumettre au changement, & de continuer „ à fe fervir des mots profcrks, efl fur-le-champ „ mis à mort, avec toute fa famille. On traite 3, d'une manière auffi barbare ceux qui s'avifent „ d'appeller un animal, du nom du Prince. D'a- „ près cet ufage, Omaï fut toujours indigné de „' voir que les Anglois donnent, à des chevaux „» ou à des chiens, les noms d'un Prince, ou „ d'une Princeflè. Au refle, tandis que les de Coo k. 379 33 O-Taïtiens puniflènt de mort quiconque em- 3, ploie légèrement le nom de leur Souverain, „ ils fe contentent de confifquer les terres & les 35 cabanes de ceux qui outragent fon adminif- „ tration. „ Le Roi a, dans chaque Diftrict, des mai- 53 fons qui lui appartiennent; & il n'entre jamais 33 dans la maifon d'un de fes fujets. Si un aecï- ,5 dent l'oblige à s'écarter de cette règle, on „ brûle la maifon qu'il a honorée de fa préfence, ainfi que tous les meubles qu'elle renferme. Non-feulement fes fujets fe découvrent devant lui, jufqu'à la ceinture ; mais lorfqu'il efl quel- 3, que part3 on dreflè, dans les environs, unpo- 33 teau 5 garni d'une piece d'étoffe, auquel ils „ rendent les mêmes honneurs. Les Naturels des 3, deux fexes fe découvrent également jufqu'à la 3, ceinture, devant fes frères ; mais les femmes 5, feules fe découvrent devant les femmes du fang „ Royal. En un mot, ils portent jufqu'à la fu- „ perflation, leur refpeét pour le Roi, & fa perfonne efl prefque facrée à leurs yeux. Il doit 55 peut-être, à ces préjugés, la pofîèffion traijr j, quille de fes Domaines. Les Naturels du Dif- „ triét de Tiarraboo conviennent qu'il a dra^t „ aux mêmes honneurs parmi eux, quoique leur „ Chef particulier leur paroiflè plus puiflahf!' 55 55 5? 1777. Dec. m 3&0 Troisième Voyage ■'■ " 33 quoiqu'ils le fuppofent héritier du Gouverne- *777* 35 ment de l'Ifle, en cas de Pextinétion de la fa- Déc. g mille Royale actuelle. Il efl aflèz vraifemblable 3, que Waheia-Dooa deviendrait en effet Souve- 55 rain de toute la contrée ; car outre Tiarra- 55 boo 5 il efl le maître de plufieurs diftriéts ,5 d'Opooreenoo. Ses Domaines égalent prefque, 55 en étendue, ceux d'O-Too, & la portion de 5, l'Ifle, à laquelle il dicte des Loix, efl d'ail-' „ leurs la plus peuplée & la plus fertile. Ses 3, fujets ont donné des preuves de leur fupério- rité; ils ont remporté des victoires fréquentes fur ceux d'O-Taïti-nooe ; & ils affectent de 5 parler de leurs voifins, comme d'une troupe ,, de Guerriers méprifables, qu'il feroit aifé de ,5 battre fi leur Chef vouloit déclarer la guerre. 55 Après YEre-de-Hoi & fa famille, vien- -, nent les Erees ou les Chefs , revêtus de „ quelque pouvok, enfuite les Manohoone ou „ les Vaflàux, & les Teous ou Toutous, c'eft-à- [5 dire, les Domeftiques, ou plutôt les Efclaves. „ Les hommes de chacune de ces claflès fe ,5 lient, felon l'inftkution primitive, avec des 55 femmes de leur Tribu ; mais s'ils ont des pri- „ vautés avec des femmes d'un rang inférieur, „ & s'il réfulte un enfant de ce commerce, on 33 laiflè la vie à l'enfant 3 qui prend le rang de 55 95 de Cook* 381 „ fon. père, à moins qu'il ne doive le jour à ; „ un Eree; car on le tue dans ce dernier cas. L, Si une femme de condition fe lie avec un „ homme d'une çlaflè inférieure, on tue fes en- L, fans ; & on met à mort le Teou, qui efl fur- „ pris dans une intrigue avec une femme du „ fàng Royal. Le fils de l'Eree-de-Hoi fuc- „ cede aux titres & aux honneurs de fon père, 33 dès le moment de fa naiflànce; fi le Roi meurt L, fans enfans 3 le Gouvernement paflè à fon frère. „ Dans les autres familles, les biens paflènt tou- 3, jours au fils aîné.; mais il efl obligé de four- 3, nir à l'entretien de fes frères & de fes fœurs, „ à qui on accorde une portion de fes domaines. „ Des ruifleaux ou de petites collines, qui ,, en bien des endroits fe prolongent dans la „ mer, fervent ordinairement de bornes aux di- „ vers cantons Taroa. r*g foumife à Huaheine , j A Eimeo, Oroo hadoo. AO- Taïti [O-Taïti. Nooe , 1 < >Ooroo. f que lesjl||l^îr|i Opoona & j ». ont chaffé depuis Tiarraboo, >„, " *? Peu p°ur y fubfti-- I Wat^teere. j tuer 0raa , Dieu * J [de Bolabola. A Mataia ou à l'Ifle (Tooboo, Toobooai, d'Ofndbrug, f Ry Maraiva. Aux Mes Baflès, fîtuées à PEft. f Tammaree. de Coo k. 387 33 Outre le grouppe des hautes Ifles qu'on 3, rencontre depuis Mataia jufqu'à Mourooa ,3 inclufivement, les O-Taïtiens connoiflènt une 3, Me baflè & déferte , qu'ils appellent Moo- 5, peha, & qui paraît être l'Ifle Howe, mar- „ quée à POuefl de Mourooa, dans nos demie- „ res Cartes de cet Océan. Les Naturels des ,5 Mes, qui font le plus fous le vent, y vont 3, quelquefois. Il y a auffi au Nord-Efl d'O- „ Taïti des Mes baflès , où les O-Taïtiens îlfPont abordé de temps en temps, mais par lef- ,5 quelles ils n'entretiennent pas de communica- 3, tion régulière. On dit qu'il ne faut que deux 3, jours de navigation avec un bon vent, pour 3, s'y rendre. On me les a nommées, dans Por- 33 dre que voici. Mataeeva. 1 appellee Oannah dans la Lettre de Oanaa, > M. Dalrymple au Docteur Hawkef- j worth. I Taboohoe. Awehee. Kao or a. Orootooa. Otavaoo , où l'on recueille de groflès perles. „ Les Habitans de ces Mes viennent plus fré- <,, quemment à O-Taïti, & aux Mes' élevées Bb 2 *777 > Dec. W7- Dec. 388 Troisième Voyage des environs. Ils ont le teint plus brun , la phyfionomie plus farouche , & leur corps n'eft pas piqueté de la même manière. J'ai appris qu'à Mataeeva, & fur quelques-unes des terres dont je viens de publier la lifte , les hommes font dans l'ufage de donner leurs filles aux étrangers qui arrivent parmi eux :_ mais que la jeune femme & l'étranger doi^ vent coucher enfemble cinq nuits , fans fe permettre aucune liberté. Le fixieme jour , à l'entrée de la nuit, le père de la jeune femme offre des alimens à fon hôte , & il dit à fa fille, qu'elle doit traiter l'étranger comme fon mari. Celui-ci ne peut témoigner aucun dégoût , lors même que la femme deflinée à partager fà couche efl très-défagréable ; car on regarderait fà répugnance comme une in- fulte, qui ne fe pardonne point , & on la punirait de mort. Quarante hommes de Bolabola , que la curiofité avoit amenés, fur une pirogue , jufqu'à Mataeeva ,. en firent la trifle expérience; l'un d'eux ayant montré JfcS difcrétement du dégoût pour la femme qui lui échut en partage, il fut entendu d'un petit garçon, qui alla tout de fuite en informer le père de la jeune perfonne. Les Habitans de l'Ifle fondirent fur les étrangers; ceux-ci, qui de Cook. 389. il avoient toute la valeur de leur Nation, tuèrent ,5 trois fois plus de monde qu'ils n'en avoient j, eux-mêmes ; cependant accablés par le nom- 55 bre , ils périrent fur le champ de bataille, 53 excepté cinq. Les cinq qui échappèrent au 55 carnage, fe cachèrent dans les bois, & tandis 33 que le vainqueur enterroit fes morts , ils vin- 33 rent à bout de gagner l'intérieur de quelques 3, maifons, où ils volèrent des provifions, qu'ils 155 portèrent à bord d'une embarcation. Ils mi- 5, rent enfuite en mer , & ils paflèrent devant „ Mataia, où ils ne voulurent pas relâcher, 3, & ils arrivèrent à Eimeo. On les jugea néan- 55 moins dignes de blâme dans leur patrie; car une 55 pirogue de Mataeeva ayant abordé à Bolabola 33 peu de temps après, la peuplade , loin de 33 venger la mort de fes compatriotes, reconnut 33 qu'ils avoient mérité de perdre la vie, & elle 5, accueillit les Mataevens d'une manière amicale. 3, La navigation des Naturels d'O-Taïti & „ des Mes de la Société , ne s'étend pas au- „ jourd'hui au-delà de ces terres baflès. Il paraît 35 que M. de Bougainville Ça) leur attribue „ mal-à-propos des voyages beaucoup plus longs ; • {a) Voyez fon Voyage autour du Monde, pag. 228 : il dit que ces Infulaires font quelquefois des navigations de plus de trois cents lieues. Bb 3 1777. Dec. ■ 1777- Dec. 300 Troisième Voyage 5, car on me citoit, comme une efpece de pro- „ dige, qu'une pirogue chaflee d'O-Taïti par „ la tempête , eût abordé à Moopeha , où à „ l'Ifle de Howe , terre qui efl cependant très- „ voifine , & fous le vent. Ils ne connoiflent 3, sûrement les autres Mes éloignées que par tra- „ dirion ; des Naturels de ces Mes , jettes fur 5, leurs côtes , leur en ont appris l'exiitence, 3, les noms, la pofition , & le nombre de jours „ qu'ils avoient pafles en mer. Ainfi, on peut 3, fuppofer que les Infulaires de Wateeoo , inf- 3, truits par les Voyageurs , fur lefquels j'ai „ donné plus haut des détails, ont ajouté à leur „ Catalogue O-Taïti, les Mes voifines, & même d'autres, dont ces Voyageurs avoient entendu parler. J'expliquerais encore par-là l'inflruc- tion fi étendue & fi variée, que M. Cook & les Obfervateurs qui étoient à bord de Y Endeavour, Ça) trouvèrent à Tupia. Je fuis loin de l'accufer de charlatanerie ; mais fi, comme il le difoit , il n'avoit jamais été à Oheterea , puifqu'il parvint à y conduire le vaiflèau fi directement, je préfume qu'il avoit recueilli de la même manière des informations fur le E-iflement de cette terre. „ (a) Collection de Hawkefworth , Volume II, page 278 de l'original. «6â5 DE C O O K, 39 ï CHAPITRE X. Suite du Voyage après notre départ des Ifles de- la Société, Découverte de l'Ifle de Noël. P of tion des Vaiflèaux fur la Côte. Canots envoyés à terre. Grand nombre de tortues que nous y prenons. Obfervation d'une éclipfe de Soleil. Détrefle de deux Matelots qui s'égarèrent dans l'intérieur de l'Ifle. Infeription Imjflég dans une bouteille,. Defcription de l'Ifle. Remarques fur le fol; fur les arbres & les plantes ; fur les oifeaux ; fur l'étendu^, de cette Terre ; fur fa forme ; fur fa pofition. Mouillage. Jt-j] in etjuktant Bolabola , je mis le Cap au =sr— Nord, & je ferrai le vent, qui fouffloit entre le l777* Nord-Eft & PEft; car nous ne l'eûmes pg§fgtje Dec. jamais au Sud de PEft , qu'après avoir pafle yk^ligne , & atteint les latitudes feptentrionaleg. Ainfi la route qui nous nienoit à notre but fut toujours à POuefl du Nord, & quelquefois Nord-Oueft feulement. Les dix-fept mois qui s'étoient écoulés depuis notre départ d?Angleterre, n'avoient 7|fs Bb 4 39^ Troisième Voyage été mal employés ; mais je fentois que notre 1777. voyage ne faifoit que commencer, relativement Dec. au principal objet de mes inflruétions, & je crus devoir redoubler d'efforts & d'attention fur tout ce qui pouvoit affiirer notre confervation & le fuccès de notre entreprife. J'avois examiné l'état de nos munitions durant nos dernières relâches, & dfe£ que je fus hors du grouppe de la Société , & que j'eus dépafle les parages, où fe trouvent les découvertes de ma premiere & de ma féconde expédition , j'ordonnai l'inventaire des approvifionnemens du Maître d'Equipage & du Charpentier, afin de connoître bien en détail là quantité & la qualité de chaque article , & d'en régler l'ufage de la manière la plus convenable. Durant mes relâches aux Mes de la Société, je ne perdis aucune occafion de demander aux ^Naturels, s'il y a des Mes au Nord ou au Nord- Oueft de leur grouppe; mais je ne m'apperçus pas qu'ils en connuflènt une feule. Nous ne découvrîmes rien qui annonçât le voifinage d'une terre, jufqu'au moment où nous atteignîmes le huitième degré de latitude Sud. A cette époque , nous commençâmes à voir des boubies, des oifeaux du tropique , des frégates, des hirondelles de mer & d'autres efpeces d'oifeaux : de Cook. 593 Notre longitude étoit de 205e* Efl. Mèndana **-™»™-* découvrit en 1568, durant fa premiere expédi- 1777. tion, Ça) une Me qu'il nomme Ifle de Je fus, Dec. par 6d 45I de latitude Sud, à quatorze cents cinquante lieues de Callao, c'eft-à-dire à 2ood de longitude Efl du Méridien de Greenwich. Nous traversâmes cette latitude , près de cent lieues à PEft de la longitude dont je viens de parler , & nous y rencontrâmes un grand nombre d'oifeaux des efpeces que je citois tout-à- l'heure ; on fait qu'iFëft rare de les voir s'éloigner beaucoup de la terre. Nous coupâmes l'équateur par 203d 15' Eft, la nuit du 22 au 23. La déclinaifon de l'aimant 22. 2,3. étoit de 6d 30; Efl. Le 24 , une demi-heure après la pointe du 24, jour, nous découvrîmes une terre dans le Nord- Eft-quart-Eft, un demi-rumb à PEft. Nous reconnûmes, en nous approchant, que c'étoit une des Mes baflès, fi communes dans cet océan, c'eft-à^dire, une bordure étroite de terre, qui renfermoit une lagune d'eau de mer. Nous ap- perçûmes quelques cocotiers en deux ou trois endroits, mais, en général, 'elle paroiflbit très- (a) Voyez la Collection de Dalrymphe e» Anglois, Vol, I, pag. 45. 1777- Dec. 394 T r o i s i e m e j V o y a g § ^ÊS.7 " midi, elle fe proîongeoit du Nord-Efl- quart-Eil au Sud-quart-Sud-Eft un demi-rumb- Eft, à la diflance d'environ quatre milles. Le vent fouffloit de i'Eft-Sud-Efl, en forte que nous fûmes obligés de courir de petites bordées pour atteindre le côté fous le vent ou le côté occidental, où nous eûmes de quarante à vingt & quatorze braflès d'eau, fond de joli fable. La fonde rapporta cette dernière pr§||ondeur, à environ un demi-mille des brifans, & la ; plus grande à en$|| ron un mille. Ayant trouvé des fondes, je réfo- ïus de mouiller, afin de me procurer des tortues. Cette terre fembloit devoir en fournir, & elle n'étoit pas habitée. Nous jettâmes l'ancre en effet par trente braflès, & l'un de mes canots alla voir fi le. débarquement étoit praticable, ce dont je doutois ; car la mer produifoit un reflàc terrible fur toute la côte. L'Officier-, que j'avois chargé de cette commiffion, me dit, à fon retour, qu'il n'avoit point apperçjfed'endrok où un canot pût débarquer, mais que les bas-fonds en-dehors des brifans, offraient une quantité confidérable de poiflbns. Le 25 5 à la pointe du jour, deux canots, l'un de la Réfolution, & Pautre de la Découverte , allèrent examiner de nouveau, s'il n'y avoit point de lieu propre au débarquement : un de Cook. 395 troifieme & un quatrième établirent en même- y| temps leurs grappins près de la côte, ils pêche- 3 rent, & ils revinrent, fur les huit heures, avec plus de deux cents livres de poiflbns. Encouragé par ce fuccès, je les renvoyai à la pêche après le déjeûner. Je pris moi-même un cinquième canot , j'examinai la côte , & j'eflàyai de débarquer , mais le débarquement étoit impraticable. Les deux premiers canots, qui étoient partis avec le même deffein, revinrent à midi : le Mafler, qui commandoit celui de h. Réfolution , me rapporta, qu'à environ une lieue & demie au Nord, la côte offrait une coupure & un canal dans la Lagune , que par conféquent on pourrait y débarquer, & qu'en travers de cette entrée, il avoit trouvé les mêmes fondes qu'à l'endroit où nous mouillions. D'après fon rapport, les vaiflèaux levèrent l'ancre, & ayant couru deux ou trois bordées, nous mouillâmes de nouveau par vingt braflès, fond de joli fable brun , de- yant une petite Me qui gît à l'ouvert de la Lagune , de chaque côté de laquelle il y a un canal qui mené à la Lagune, & qui efl acceffible feulement aux canots. La Lagune elfemême a très-peu de profondeur. . Le 26 au matin, j'ordonnai au Capitaine Clerke d'envoyer un canot & un Officier à la rive Sud- 526» >*777- Dec. 396 Troisième Voyage Eft de la Lagune, & d'y faire chercher des tortues. Nous prîmes enfuite un autre canot, M. King & moi, & je réfolus de gagner la partie Nord- Eft. Je me propofois d'aller jufqu'à l'extrémité la plus orientale, mais le vent fouffloit avec trop de force, & nous fûmes contraints de débarquer plus fous le vent, à une batture fablonneufe, où nous prîmes une tortue, la feule que nous vîmes. En marchant dans Peau, nous atteignîmes une Me, où je n'apperçus qu'un petit nombre d'oi- feaux ; je la quittai bientôt pour me. rendre à la terre qui borde la mer au Nord-Oueft, & j'y laiflai M. King, qui vouloir obferver la hauteur méridienne du Soleil. Je la trouvai plus flérile encore que celle que je venois de quitter ; en longeant la côte, je rencontrai cinq tortues près du rivage, je ne pus en prendre qu'une, & n'en découvrant point d'autres, je revins à bord : M. King y arriva bientôt après, fans en avoir rencontré une feule. Nous ne défefpérâmes cependant pas de nous en procurer ; car quelques- uns des Officiers du Capitaine Clerke , qui débarquèrent fur la terre au Sud du canal qui débouche dans la Lagune, n'avoient pas été fi malheureux, & ils en avoient rapporté plufieurs. Le 27, au matin, la pinnaflè & le grand canot, commandés par M. King, allèrent à la partie HSKi de Cook 39?; Sud-Eft de l'Ifle, en-dedans de la Lagune, & le petit canot fe rendit au Nord, où j'avois été la veille; quelques-uns des gens du Capitaine Clerke avoient paffé la nuit à terre, & ils avoient eu le bonheur de tourner quarante à cinquante tortues, que nous ne tardâmes pas à recevoir à bord. Les hommes que j'avois envoyés au Nord, revinrent l'après-midi avec fix autres : je les renvoyai de nouveau , & ils fe tinrent dans cette partie de l'Ifle, jufqu'au moment de notre appareillage; ils eurent, en général, beaucoup de fuccès. fe^ji Le 28, je débarquai avec M. Bayly, fur l'Ifle fituée entre les deux canaux de h. Lagune; nous voulions préparer les télefcopes, afin d'obferver l'éclipfe de Soleil, qui devoit avoir lieu bientôt. Cette obfervation ne contribua pas peu à me faire mouiller ici. M. King revint à midi, & il apporta huit tortues ; il en laiflà fur la grève fept, qui dévoient être ramenées par l'autre canot , dont l'équipage en cherchoit de nouvelles : le foir, j'envoyai de Peau & des vivres à ceux de nos gens qui étoient à terre ; M. Williamfon alla les furveiller en place de Ml King, qui demeura à bord pour obferver l'éclipfe. . M. Williamfon nous envoya le lendemain deux canots, chargés de tortues ; il me pria en même- 1777, Dec* I 1777* Dec. 30. 398 Troisième Voyage temps de les renvoyer au côté Sud-Eft de l'Ifle, où il avoit trouvé un débarquement, & où l'on prenoit le plus de tortues ; il m'avertit qu'on s'affranchirait ainfi de l'embarras de les porter par terre dans l'intérieur de la Lagune, comme on aWit été obligé de le faire jufqu'alors. J'ordonnai aux canots de fe rendre à l'endroit qu'il m'indiquoit. Le 30 , au matin , jour où l'éclipfe devoit avoir lieu, nousdefcendîmes, M. King, M.Bayly & moi, fur la petite Me dont j'ai parlé plésl haut, afin de nous préparer à l'obfervation. Le ciel fut nébuleux jufqu'à neuf heures ; les nuages fe difperferent enfuite, & l'éclaircie fut aflèz longue pour prendre la hauteur du Soleil, & comparer notre montre marine avec le temps apparent. L'atmofphere s'obfcurcit de nouveau jufqu'à environ neuf heures trente minutes, & nous reconnûmes bientôt que l'éclipfe commençoit. Nous fixâmes nos micrometres aux télefcopes, & nous mefurâmes la partie du difque du Soleil, qui n'étoit pas éclipfée. Je fuivis ces obfervations jufqu'à environ trois quarts-d'heure avant la fin, & je les abandonnai alors ; je ne pouvois plus les continuer à caufe de la grande chaleur du Soleil qu'accroifîbient encore fes rayons réfléchis fur le * iàble. de Cook. m Le Soleil fut nébuleux, par intervalles ; mais il fe trouva clair à la fin de l'éclipfe qui fut ob- 1777. fervée. Dec. M. Bayly, àoha6'3'"| Selon M. King, à o ,6 , /empS ^fïmt / Moi, ào253?Japres ;-■'■ Nous nous fervîmes, M. Bayly & moi, des grandes lunettes achromatiques, & M. King ob- ferva avec un télefcope de réflexion. Comme ma lunette & celle de M. Bayly amplifioient également , mon réfultat n'aurait pas dû être auffi différent du lien ; il faut peut-être attribuer cette différence en partie , finon en totalité, à une protubérance dans la Lune , que je n'apperçus pas, & que virent M. King & M. Bayly. L'après-midi, les canots & ceux de mes gens qui prenoient des tortues à la partie Sud-Eft de l'Ifle, revinrent à bord , excepté un matelot de la Découverte, qui étoit perdu depuis quarante- huit heures. Il y avoit d'abord eu deux de nos hommes d'égarés ; mais, ne s'accordant pas fur la route qu'ils dévoient fuivre pour rejoindre leurs camarades, l'un d'eux rejoignit en effet le détachement, après avoir été abfent vingt-quatre heures, & s'être trouvé" dans la plus grande dé- treflè ; il ne put fe procurer une feule -goutte 1777- Dec. 400 Troisième Voyage d'eau douce, car il n'y en a point dans Pille, & le canton où il étoit, ne lui offrant pas une noix de cocos pour diminuer fa foif, il imagina de tuer des tortues, & d'en boire le fang : lorfqu'il fe fentoit accablé de fatigue, il fe déshabilloit, il fe mettoit quelque temps dans les baflès eaux qu'on voit fur la grève, & il dit que cette manière de fe rafraîchir, ne manqua jamais de le foulager. Nous ne concevions pas comment ces deux hommes étoient venus à bout de fe perdre : l'ef- pace qu'ils avoient à parcourir depuis la côte de la mer jufqu'à la Lagune où étoient les canots, n'eft pas de plus de trois milles ; rien n'ob$ruok leur vue , car l'Ifle efl plate; on n'y rencontre qu'un petit nombre d'arbriflèaux, & il y a bien des points d'où ils pouvoient appercevoir les mâts de la Réfolution & de la Découverte ; mais ils ne fongerent pas à ce moyen de fe diriger ; ils oublièrent en quelle partie mouilloient les vaiflèaux ; ils furent auffi embarrafles pour gagner le mouillage ou atteindre le détachement dont ils venoient de fe féparer, que s'ils étoient tombés des nues. Si l'on obferve que les matelots , en général, font d'une gaucherie & d'une bêtife extrêmes, quand ils fe trouvent à terre, au-lieu d'être furpris que Ces deux-ci fe foient égarés, égares de Cook» 401 il faut s'étonner plutôt, que d'autres ne : fe foient pas perdus également. L'un de ceux qui débarqua avec moi, fut dans une fituation pareille; mais il eut aflèz d'intelligence pour réfléchir que les vaiflèaux étoient fous le vent, & ii arriva à bord peu de minutes après Pinf tant où nous découvrîmes qu'on l'avoit laiffé par- derriere. Le Capitaine Clerke ayant appris que l'un des traîneurs n'étoit pas revenu , envoya un détachement pour le chercher ; l'homme ni le détachement n'étoient de retour le lendemain. J'expédiai deux canots dans la Lagune , & je recommandai à ceux qui les mouraient, de prendre différentes routes & de traverfer l'Ifle entière. Le détachement du Capitaine Clerke arriva bientôt après, avec le matelot qui s'étoit ^garé , & j'avertis mes canots, par un fignaî, de revenir à bord. Le pauvre matelot dont je viens de parler, dut fbuffrir encore plus que fon camarade ; fon abfence avoit été plus longue , ,& il avoit été trop délicat pour boire du fang de tortue. J'avois à bord des noix de cocos & des ignames en pleine végétation ; & je les fis planter fur la petite Me où nous avions obfervé l'éclipfe. Nous femâmes des graines de melon dans une Tome IL C c <■■■■ 1777. Dec. 4ô2 Troisième Voyage ■ .. autre endroit ; j'y laiflài auffi une bouteille qui 1777. renferme cette infcription : Dec. Georgius tertius, Rex, 31 Decembris 1777. J Réfolution, Jac. Cook, pr. \\Difcovery, Car. Clerke,pr. 1 Le 1 Janvier 1778 , les canots allèrent cher- 1778. cher le détachement que nous avions à terre, 1 Janv. & les tortues qu'il avoit tournées. Ils revinrent fort tard dans la foirée, & je crus ne devoir appareiller que le lendemain. Les deux vaiflèaux fe procurèrent à cette Me environ trois cents tortues, qui pefoient l'une dans Pautre , quatre- vingt-dix ou cent livres : elles étoient toutes de , Pefpëce verte, & peut-être qu'on n'en trouve de meilleures nulle part. Nous y prîmes auffi, à l'hameçon & à la ligne, autant de poiflbns q^i'il nous en fallut pour notre confommation journalière : c'étoient fur-tout des cav allies, Ça) de (tf) J'ai confervé le terme de l'original. Je n'ai pu découvrir le nom de ce poifïbn dans TYctyologie 'Ftaiïçoifê : il ne paroît pas que ce foit une efpece de furmulet , appellee Cavillone dans quelques-unes de nos Provinces : je croirois plutôt que c'eft le Cabeliau. Note du Traducteur, DE C O O K. 40; différentes groflèurs, de grands & de petits fnap- .« per s, Ça) & quelques poiflbns de rochers de 1778. deux efpeces, l'une qui avoit beaucoup de ta- Janvier, ches bleues, & l'autre qui portoit des rayures blanchâtres. Le fol efl, en quelques endroits, léger & noir : il paraît clair que c'eft un compofé du détriment des végétaux, de fiente d'oifeaux & de fable. Il y a des cantons où l'on n'apperçok que des productions marines , .telles que des pierres de corail brifées & des coquilles ; ces pierres de corail brifées & ces coquilles offrent, dans une direction parallèle à la côte de la mer, des filions étroits d'une grande longueur , qui reflèmbîent à un champ labouré , & elles doivent avoir été jettées par les vagues , quoique les flots en foient aujourd'hui éloignés d'un mille. Ce fait femble prouver d'une manière incontef- table , que PIfle a été produite par le vomifïè- ment de la mer, & qu'elle augmente de jour en jour ; car les morceaux de corail brifé , & la plupart des coquilles font trop lourds & trop gros pour avoir été apportés de la grève, par ( a ) Snappers , en Anglois , fignifie Caftagnettes ; mais je n'ai pas trouvé de poiffon qui porte ce nom dans l'Yctyologie Françoife. Note du Traducteur. Ce a 404 Troisième Voyage f ' les oifeaux aux lieux où on les trouve mainte- 1778. nant. Nous avons fait divers puits pour décou- Janvier. vrir de l'eau douce , & nous n'en avons pas apperçu une goutte : mais on y rencontre plufieurs étangs d'eau falée, lefquels n'ont aucune communication vifible avec la mer; felon toute apparence , ils fe rempliflènt par l'eau qui filtre à travers le fable, dans les marées hautes. L'un des deux matelots dont j'ai parlé , trouva du fel fur la partie Sud-Efl de l'Ifle , & , quoique nous euffions un grand befoin de cet article, je ne pouvois envoyer un détachement fous la direction d'un homme qui avoit eu la mal- adreflè de s'égarer , & qui ne favoit pas s'il marchoit à PEft , à POuefl, au Sud ou au Nord. Nous n'apperçûmes pas fur l'Ifle, la plus légère trace d'un être humain, & fi Pun des habitans des terres voifines, avoit le malheur d'être jette ou abandonné fur celle-ci, il lui feroit extrêmement difficile de prolonger fon exiflence. On y trouve , il efl vrai, une quantité confidérable d'oîfeaux & de poiflbns, mais on n'y voit rien qui puifle fervir à étancher la foif, & on n'y découvre aucun végétal qui puifle tenir lieu de pain , ou détruire les mauvais effets d'un régime diététique purement animal, lequel ne de Cook. 405 tarderait pas vraifemblablement à devenir fatal. 1 Les cocotiers que nous rencontrâmes, n'étoient 1778. pas au nombre de plus de trente ; ils portoient Janvier, très - peu de fruits, & , en général , les noix que nous cueillîmes, n'avoient pas encore pris toute leur groflèur, ou leur fuc étoit falé ou faumâtre. En relâchant ici, on ne doit donc efpérer que du poifîbn & des tortues, mais on peut compter fur une quantité confidérable de ces deux articles. Il y avoit des arbres peu élevés en divers cantons de l'Ifle. M. Anderfon me fit la defcription de deux petits arbriflèaux, & de deux ou trois petites plantes que nous avions déjà vus à l'Ifle Palmerflon & à Otakootaia. Nous y apper- çûmes auffi une efpece de Sida ou de mauve de l'Inde , une efpece de pourpier , une autre petite plante qui reflèmble par les feuilles, à un Mefembryamthemum, & deux efpeces de gra- men : mais chacune de ces productions végétales étoit en fi petite quantité & d'une végétation fi foible, qu'elles ne fembloient pas devok fe perpétuer. Nous apperçûmes fous les arbres peu élevés, dont je parfois tout-à-1'heure, une multitude infinie d'une nouvelle efpece d'hirondelles de mer ou d'oifeaux d'œuf. Ceux-ci font noirs dans la Ce 3 4o6 Troisième Voyage ~—■-— partie fupérieure du corps, & blancs au-deflbus ; 1778. ils ont un arc blanc au front, & ils font un peu Janvier, plus gros que le noddy ordinaire. La plupart foignoient leurs petits, qui étoient fur la terre nue, & les autres couvoient ; ils ne font qu'uf! œuf bleuâtre, tacheté de noir, & plus gros que celui d'un pigeon : on y rencontre auffi beaucoup de noddies, un oifeau qui reflèmble au goéland, & un fécond, qui efl couleur de fuie ou de chocolat , & qui a le ventre blanc. Il faut ajouter à cette lifte , des frégates , des oi- feaux du Tropique , des courlis , des guignet- tes, Ça) un petit oifeau de terre qui reflèmble à une fauvette d'hiver, des crabes de terre , de petits lézards & des rats. Nous célébrâmes ici la Fête de Noël , & je donnai à cette Terre le nom d'Me de Noël. Je juge qu'elle a quinze ou vingt lieues de circonférence; elle me paraît deffinée en demi-cercle, ou préfenter la forme de la Lune, lorfque cette planète fe trouve dans le dernier quartier; les deux cornes font au Nord & au Sud, & elles {a) Il y a dans l'original Sand pipers ; M. de Buf- fon , Tome VIII, de l'Hiftoire Naturelle, i/2-40 s donne le nom de guignette à l'oifeau appelle Sand piper en Yorkskire, DE C O O K. 407 giflent entr'elles Nord-quart-Nord-Eft , & Sud- quart-Sud-Oueft, à la diftance de quatre ou cinq lieues. Le côté occidental ou la petite Me , fituée à l'entrée de la Lagune , fur laquellp nous obfervâmes l'éclipfe de Soleil , fe trouve par id 597 de. latitude Nord, & 20 2d 30' de longitude Efl. Cette longitude fut déterminée par un nombre confidérable d'obfervations de la Lune, qui ne différèrent du garde-temps, que de fept minutes : la déclinaifon de l'aimant, étoit de 6d 22' & demie Efl, & Pincli- naifon de l'extrémité feptentrionale de l'aiguille de nd 54;. L'Ifle de Noël, comme la plupart des autres terres de cet Océan , efl bordée d'un récif de rochers de corail, qui fe prolonge à peu de diftance de la côte. Il y a en-dehors de ce récif, . au côté occidental, un banc de joli fable, qui s'étend à un mille en mer. La profondeur de Peau y varie, & elle offre un bon mouillage, fi on le choifit entre dix-huit ou vingt braflès : fi on jettoit l'ancre à moins de dix-huit, le récif feroit trop près, & à plus de trente, on ne ferait pas aflèz éloigné du bord du banc. Durant notre relâche , le vent fut conflamment frais de PEft ou de PEft-quart-Sud-Efl, excepté un ou deux jours : nous eûmes toujours de la partie du Ce 4 1778. Janvier. 408 Troisième Voyage \\_ Nord, une groflè houle, qui caufoit un reflac 1778. prodigieux fur le récif : nous avions rencontré Janvier, cette houle avant d'arriver à la côte , & elle dura quelques jours après que nous eûmes regagné le large. DE C O O K. 409 -**Ê$$^ CHAPITRE XL Découverte de quelques Ifles. Obfervations fur les Naturels i'Atooi qui arrivèrent aux vaiflèaux., & fur leur conduite au moment où ils fe rendirent auprès de nous. Vun d'eux efl tué. Précautions pour empêcher les équipages de communiquer avec les femmes. Nous trouvons une aiguade. Réception qu'on nous fait à notre débarquement. Excurfïon dans l'intérieur du Pays. Nous allons voir un Morai. Defcription de cet édifice. Tombeaux des Chefs. On y dépofe les corps des victimes facrifiées aux Dieux. Reconnoiflànce d'une autre Ifle appellee Oneeheow. Cérémonies exécutées par quelques-uns des Naturels qui viennent aux Vaiflèaux. Raifons de croire qu'ils font Cannibales. Un Détachement envoyé à terre y paflfe deux nuits. Récit de ce qui fe pafla lors du débarquement : les Vaiflèaux s'éloignent de ces Ifles & marchent au Nord. \\\\ ous appareillâmes, le 2 Janvier, à la pointe du jour, & nous reprîmes la route du Nord ; nous eûmes un beau temps & une jolie brife de Janvier. 1778, 4io Troisième Voyage ■ PEft & de l'Eft-Sud-Eft, jufqu'au moment où nous 1778. atteignîmes le feptieme degré 45; de latitude Janvier. Nord, & le 205me degré de longitude orientale: il furvint, à cette époque, un jour de calme, qui fut fuivi d'un vent du Nord-Eft-quart-Eft, & de l'Eft-Nord-Eft. Ce vent, foible d'abord, fraîchit à mefure que nous avançâmes au Nord. Nous continuâmes à voir chaque jour des oifeaux des efpeces dont j'ai parlé en dernier lieu ; ils étoient quelquefois plus ou moins nombreux, &, entre le dixième & le onzième parallèles, nous apperçûmes plufieurs tortues , d'où nous conclûmes que nous nous trouvions près d'une terre : cependant nous ne découvrîmes une côte que le 18, au lever de l'aurore : une Ifle s'offrit alors à nos regards dans le Nord-Eft-quart-Eft; bientôt après, nous en vîmes au Nord une féconde entièrement détachée de la premiere : l'une & l'autre paroiflbient élevées. A midi, la premiere nous reftoit au Nord-Eft-quart-Eft un demi-rumb à PEft, &, felon ce qu'il nous fembla, à la dif- tance de huit ou neuf lieues; une colline élevée, fituée près de l'extrémité orientale de la féconde, fe montrait au Nord un demi-rumb-Oueft : notre latitude étoit de 2id 12' Nord, & notre longitude de 2ood 41' Efl. Nous avions alternativement de légers fouffles de vent & des calmes; DE C O O K. 4I.I en forte qu'au coucher du Soleil, nous n'étions pas à moins de neuf à dix lieues de la terre la plus voifine. Le 19, au lever du Soleil, l'Ifle que nous avions apperçue la premiere, nous reftoit à l'EÉlv à plufieurs lieues. Comme elle fe trouvoit aa vent, & que nous ne pûmes en approcher, je mis le Cap fur Pautre qui fe trouvoit à notre portée. Nous découvrîmes bientôt après une troi* fieme Me , dans la direction de POueft-Nord- Oueft ; mais à une fi grande diftance qu'on la voyoit à peine. Nous avions une jolie brife de l'Eft-quart-Nord-Eft, & je gouvernai fur l'extrémité méridionale de la féconde qui s'étendoit à midi, du Nord un demi-rumb Efl à l'Ouefl- Nord-Oueft un quart de rumb Oueft. La côte la plus proche étoit éloignée d'environ deux lieues. Nous ne Pavions pas encore fi la terre placée devant nous , avoit des Habitans ; mais nous ne tardâmes pas à en être afliirés, car quelques pirogues fe détachèrent du rivage, pour venir aux vaiflèaux. Je mis en panne, tout de fuite,afin de leur permettre de nous joindre. Ces embarcations portoient chacune de trois à fix hommes ; & nous fûmes agréablement furpris de les entendre parler la langue d'O-Taïti, & des diverfes Mes où nous venions de relâcher. Ils 4î2 Troisième Voyage »■ confèhtirent fans peine à fe placer à la hanche 1778. de la Réfolution; mais nos invitations & nos Janvier, careflès ne purent les déterminer à monter à bord, j'attachai à une corde des médailles de cuivre, |p5 que je jettai dans une des pirogues ; ils acceptèrent mon préfent, & ils attachèrent à la même corde, du maquereau qu'ils me prièrent de recevoir en retour. Je leur donnai de plus, toujours par l'entremife de la corde, de petits clous ou des morceaux de fer, dont ils faifoient plus de cas que de toute autre chofe; ils m'envoyèrent de leur côté une quantité plus confidérable de poiflbns & une patate douce, indice certain qu'ils |g| connoiflbient les échanges, ou du moins qu'ils rendoient un préfent pour un autre. Nous n'ap- perçûmes dans leurs pirogues, que de larges citrouilles & une efpece de filet de pêche ; mais l'un d'eux nous propofa d'acheter la piece d'étoffe qu'il portoit autour de fes reins, feîon Pu- fage des Mes de la Société. Ils avoient la peau brune ; &, quoique d'une taille ordinaire, ils étoient très-robuftes. Leur teint offrait peu de nuances, mais leurs traits n'avoient point du tout d'uniformité : le vifage de quelques-uns reflèm- bloit aflèz à celui des Européens. La chevelure de la plupart étoit courte, d'autres l'avoient flottante , & 'un petit nombre la portoîent relevée DE C O O K. 413 en touffe au fommet de la tête : elle paroifîbk .1 j naturellement noire, ainfi que celle des habitans 1778. des Ifles des Amis ; elle étoit chargée d'une Janvier, graiflè ou d'une fubflance, qui lui donnoit une couleur brune ou roufîè : en général, ils por- toient leurs barbes : leur corps ne fe trouvoit chargé d'aucun ornement, & nous ne nous ap- perçûmes pas que leurs oreilles fuflènt trouées, mais quelques-uns étoient légèrement piquetés fur les mains, ou près de Paine, & les morceaux d'étoffe qui leur fervoient de pagnes, préfentoient des taches rouges, noires & blanches d'un def- fein curieux. Nous les jugeâmes d'un caractère doux ; ils étoient fans armes, fi j'en excepte de petites pierres , qu'ils avoient évidemment apportées pour leur défenfe, & qu'ils jetterent à la mer, lorfqu'ils virent que nous ne les attaquerions pas. Simile Rien ne m'annonçant un mouillage à cette extrémité orientale de l'Ifle, j'arrivai fous le vent, & je longeai la bande Sud-Eft à une demi-lieue de la côte. Les pirogues nous quittèrent dès qu'elles nous virent faire de la voile ; mais, tandis que nous rangions la côte, d'autres nous apportèrent des cochons-de-lait rôtis, & de très- belles patates , qu'elles échangèrent contre ce que nous voulûmes leur donner. Nous achetâmes Wl 414 Troisième Voyage ■»—^ » plufieurs cochons - de - lait, qui nous coûtèrent 1778. chacun un clou de fix fols flerling : nous nous janvier, trouvâmes de nouveau dans l'abondance, & nous en fûmes d'autant plus charmés, que nos tortues de l'Ifle de Noël alloient finir. Nous dé- pafsâmes plufieurs villages, les uns fitués près de la mer, & d'autres plus avant dans l'intérieur du pays. Les habitans de ces diverfes bourgades, fe réunirent en foule fur le rivage, & ils eurent foin de monter aux endroits élevés , afin de voir les vaiflèaux. De ce côté, le terrein s'élève peu-à- peu, depuis la mer jufqu'au pied des montagnes qui occupent le centre de l'Ifle, excepté dans un endroit près de l'extrémité orientale, où il s'élève tout-à-coup du fein des flots, & où il ne femble offrir que de la pierre ou des rochers, difpofés en couches horizontales. On ne voyoit des bois que dans la partie intérieure de l'Ifle ; mais un petit nombre d'arbres fe trouvoient répandus autour des villages, près defquels nous remarquâmes des plantations de bananiers & de cannes de fucre, & des cantons où il nous fembla qu'on cultivoit des racines. Nous continuâmes à fonder, & nous ne trouvâmes de fond avec une ligne de cinquante brafi- fes qu'en travers d'une pointe baflè, fituée vers le milieu de ce côté de l'Ifle , & aflèz près D E C OO K. 415 ït£g de l'extrémité Nord-Oueft. La fonde y rapporta ■■■ douze à quatorze braflès fond de roche. Lorfque i77$* nous eûmes dépaflë cette pointe, d'où la côte fe Janvier, prolonge plus au Nord, la fonde donna vingt, enfuite feize & douze, & enfin cinq braflès fond de fable. Les dernières fondes eurent lieu à environ un mille du rivage. La nuit mit fin à nos recherches 3 & nous la pafsâmes à louvoyer. Le lendemain au marin, nous atteignîmes la terre, 20. & nous rencontrâmes plufieurs pirogues ; les Infulaires qui les mouraient, prirent courage, & ils fe hafarderent à venir à bord, e Je n'avois jamais vu dans mes voyages, d'hommes auffi étonnés que ceux-ci, à Pafpéct d'un vaiflèau ; leurs yeux alloient continuellement d'un objet à Pautre ; l'admiration étoit peinte fur leur phyfionomie & dans leurs gefles : nous jugeâmes que tout ce qui frappoit leurs regards étoit nouveau pour eux; qu'ils n'avoient reçu jufqu'a- lors la vifite d'aucun Européen, &, qu'excepté le fer, ils ne connoiflbient aucune de nos mar- chandifes. Il étoit clair néanmoins , qu'ils en avoient feulement entendu parler, ou qu'on leur en avoit apporté jadis une petite quantité, mais qu'il s'étoit écoulé bien du temps depuis cette époque. Ils fembloient favoir que c'étoit une fubftance beaucoup plus propre à tailler des ^^^■m 416 Troisième Voyage corps ou à percer des,trous, que celles dont ils faifoient ufage. Us nous en demandèrent fous le nom de Hamaite ; c'eft vraifemblablement le terme qu'ils emploient pour défigner un infiniment auquel on peut employer le fer d'une manière utile : ils Pappliquoient en effet à la lame d'un couteau. Nous reconnûmes toutefois qu'ils n'avoient aucune idée de nos couteaux, & qu'ils ne favoient pas du tout les manier. Par la même raifon, ils appelloient fouvent le fer du nom de Toë, qui, dans leur langue, lignifie une petite hache ou plutôt une herminette. Nous leur dîmes de nous expliquer ce que c'étoit que le fer, & ils nous répondirent fur-le-champ ; " Nous 3, n'en favons rien ; vous favez vous-mêmes ce 5, que c'eft ; nous n'en avons d'autre idée que „ celle du Toë ou de YHamaïte. ,, Lorfque nous leur montrâmes des grains de verre , ils nous demandèrent ce que c'étoit, & s'ils dévoient les manger. Nous les avertîmes qu'ils dévoient les fufpendre à leurs oreilles, & ils nous les rendirent comme une chofe inutile : ils ne firent pas plus de cas d'un miroir que nous leur offrîmes & qu'ils refuferent par le même motif: mais ils témoignèrent un grand defir d'avoir de Y Hamaite & du Toë ; & ils le voul oient en gros morceaux. Les affiettes de finance , les tafles DE COO K. 4.1: taflès de porcelaine & les autres meubles de cette » efpece, étoient fi nouveaux à leurs yeux, qu'ils 1778. nous demandèrent fi on les faifoit avec du bois ; Janvier» ils nous prièrent de leur en donner des échantillons, qu'ils defiroient montrer à leurs compatriotes. Ils avoient, à quelques égards, une po- liteflè naturelle qui nous charma : ils craignoient beaucoup de nous offenfer ; ils nous demandèrent où ils dévoient s'aflèoir, s'ils pouvoient cracher fur le pont, & ils nous montrèrent de la délicatefle de toute forte de manières. Quelques- uns répétèrent une longue prière avant de venir à bord : plufieurs chantèrent & firent avec leurs maps dés geftes pareils à ceux que nous avions vus fouvent dans les danfes des Ifles des Amis & de la Société. Ils reflèmbloient parfaitement, fous un fécond rapport, aux Infulaires de ces deux grouppes. Dès qu'ils furent au vaiflèau", ils s'efforcèrent de voler toutes les chofes qui fe j trouvoient près d'eux, ou plutôt ils les prirent fans fe cacher , comme s'ils avoient été fûrs de ne point nous fâcher , ou de ne pas être punis* Nous ne tardâmes pas à les détromper,1 & s'ils '-devinrent enfuite moins emprefles à fe rendre I maîtres de tout ce qui exckok leurs défirs, c'eft parce qu'ils fè virent furveillés de près. Nous étions peu éloignés- çfe la cote à neuf Tome IL Dd 4i8 Troisième Voyage mvBwmmm heures : j'ordonnai au Lieutenant Williamfon de 1778. prendre trois canots 5 & d'aller chercher un lieu Janvier, propre au débarquement, & de l'eau douce. Je lui recommandai de ne pas emmener plus d'un homme, s'il étoit obligé de quitter les canots pour découvrir une aiguade. Au moment où il partit 5 un des Naturels qui avoit volé le coupe* ret du Boucher, fe jetta à la mer & gagna fa pirogue ; M. Williamfon qui en fut averti, pour- fuivit le voleur fans pouvoir l'atteindre. J'avois défendu d'aller à terre, aux équipages des trois canots , parce que je voulois prendre tous les moyens poffibles de ne pas introduire la maladie vénérienne dans cette Me. Je favois que quelques-uns de nos gens en étoient infectés, & que malheureufement nous l'avions déjà répandue fur d'autres terres de l'Océan Pacifique. Le même motif me détermina à ne pas recevoir des femmes à bord des vaiflèaux : plufieurs étoient arrivées fur des pirogues ; elles avoient à-peu-près la taille, le teint & les traits des hommes, &, quoique leur phyfionomie annonçât unefranchife aimable, leur vifàge & leurs proportions manquoient de délicatëflè. Au-liei* de Maro que portoieiit les hommes , elles : avoient autour du corps , une piece d'étoffe qui tombcit d? la hauteur des reîns jufqu'à -ini-cuifle, de Cook. 419 & c'eft la feule différence que préfèntoit leur ] vêtement. Elles n'étqient pas moins empreflees que les hommes à monter à bord ; mais , ainfi que je le difois tout-à-Pheure, je cherchois à prévenir des liaifons qui leur auraient fait un mal irréparable, & qui auraient attiré une calamité aflreufe fur la Nation entière. Je ne bornai pas là mes précautions ; je défendis , de la manière la plus exprefle, d'employer à terre les hommes qui pouvoiént y répandre Pinfedtîon. Le temps feul découvrira fi ces réglemens, înfpirés par l'humanité, produifirent l'effet que j'en attendois. Je m'étois occupé de cet objet avec le même foin, lorfque j'abordai pour la premiere fois aux Ifles des Amis ; & j'ai vu depuis avec beaucoup de chagrin, que je n'avois pas réuffi. Je crahfs beaucoup que de pareilles ef- pérances ne foient toujours trompées : dans une expédition comme la où il devient né- ceflake d'avoir à terre un certain nombre d'hommes 3 les détachemens qu'on laiflè fur la côte, ont tant d'occafions & un tel defir de connoître les femmes du pays, qu'il eft bien difficile d'empêcher ces liaifons; & un Capitaine qui fe croit fur de la fanté de fon équipage, efl fouvent détrompé trop tard. Je ne fuis pas même perfuadé que le plus habile Médecin foit toujours en état Dà 2 1778. 4*o Troisième Voyage de dire avec certitude, fi un homme qui fort du traitement, efl tellement guéri, qu'il lui foit im- Janvier. poffible de communiquer le venin. Il me feroit aifé de juftifier mon opinion par quelques exemples. On fait auffi que, parmi les malades , il y en a qui, par un fentiment de honte & de pudeur , s'efforcent de cacher à tout le monde les divers fymptômes qu'ils éprouvent, & qu'on en trouve d'autres fi dépravés , qu'ils ne craignent pas d'empoifonner la compagne de leurs plaifirs. Le canonnier de la Découverte eut cette audace criminelle à Tongataboo ; on l'avoit chargé des échanges à terre : lorfqu'il fe vit attaqué de la maladie vénérienne , il continua fes liaifons avec plufieurs femmes, qu'on fuppofoit ne l'avoir pas encore contractée. Ses camarades lui adreflèrent vainement des reproches, & il fallut que le Capitaine Clerke, inflruit d'une conduite auffi dan- gereufe, lui * ordonnât de fe rendre à bord & de ne pas retourner dans l'Ifle. Tandis que les canots examinoient la côte, nous louvoyâmes pour les attendre. M. Williamfon fut de retour à midi, il me dit qu'il avoit vu derrière une grève, près de l'un des villages, un vafte étang , où les Naturels l'avoient af- furé qu'on trouverait de Peau douce, & que le mouillage feroit bon en face de cet étang. Il de Cook. 421 eflàya de débarquer dans un autre endroit ; mais les gens du pays l'en empêchèrent ; ils fe rendirent en foule au canot, & ils s'efforcèrent d'en- Janvier, lever les rames, les fufils, & tout ce qui leur tomba fous la main ; ils le prefîèrent très-vivement, & fon détachement, obligé de faire feu, tua un homme. Je ne fus inftruk de cette mal- heureufe circonflance, qu'après notre départ de l'Ifle, en forte que je dirigeai mes mefures comme s'il n'étoit rien arrivé de fâcheux. M. Williamfon me dit depuis , que les Infulaires emportèrent leur compatriote tué ; que , frappés de cette mort 5 ils s'éloignèrent, qu'ils continuèrent à lui faire ligne de débarquer, mais qu'il fe garda bien d'accepter l'invitation. Il ne jugea pas qu'ils euf- fent le projet de tuer ou de frapper aucun de fes gens; il crut que la curiofité feule les excitok à obtenir par échange des chofes utiles ; car ils étoient prêts, de leur côté, à donner en retour ce qu'ils avoient. Je renvoyai dans l'Ifle un des canots, auquel j'ordonnai de s'établir au meilleur mouillage; j'y conduifis enfuite les vaiflèaux, & je mouillai par vingt-cinq braflès fond de fable gris. La pointe orientale de la rade, qui étoit la pointe bafle, dont j'ai parlé plus haut, nous reftoit au Sud 5id Efl ; la pointe occidentale au Nord 25^ Dd 422 Troisième Voyagé TrrMmgmm Oueft, & le village derrière lequel on nous an* 1778. nonçoit de l'eau douce, au Nord-Eft-quart-Eft, Janvier, à la diftance d'un mille; mais il fe trouvoit à un quart de mille des brifans, que j'apperçus lorfque la Réfolution fut placé. La Découverte jetta l'ancre à PEft de nous, & plus loin de la terre. Je defcendis fur la'côte enq-e trqis & quatre heures, avec trois canots armés & douze foldats de marine ; je voulois gpûter l'eau de l'étang , & fonder les difpofitions des Infulaires raf- femblés au nombre de plufieurs centaines, fur une grève fablonneufe devant le village. Le fond d'une vallée étroite fituée derrière, offrit en effet une piece d'eau à mes regards. Dès l'inflant où je débarquai, tous les Naturels fe profternerent la face contre terre ; ils fe tenoient dans cette humble pollute, & il me fallut employer les geftes les plus expreffifs pour les déterminer à fe relever. Ils m'apportèrent enfuite une multitude de petits cochons, qu'ils me préfenterent avec des bananiers; ils pratiquèrent les mêmes cérémonies que nous avions vues dans des ocçafions pareilles, aux Mes de la Société , & fur d'autres Mes; l'un d'eux fit une longue prière, à la* quelle Paflèmblée prit part quelquefois. Je leur témoignai ma reconnoiflànce des marques d'amitié qu'ils me donnoient, ôc je leur offris, de D E C O O Ko 423 tiion côté, les diverfes chofes que j'avois apportées du vaiflèau. Quand les cérémonies de ma réception furent terminées, je plaçai une garde fur le rivage, & on me conduifit à l'étang. L'eau étoit bonne, & l'on pouvoit y remplir commodément les futailles. Cette piece d'eau étoit fi confidérable , qu'elle mériterait le nom de lac : elle fe prolongeoit dans l'intérieur du pays, au- delà de la portée de la vue. Après m'être afluré moi-même de ce point eflèntiel, & des difpofi- tions pacifiques des habitans de l'Ifle, je retournai à bord 5 & j'ordonnai de fe préparer à remplir les futailles le lendemain. Le 21, je defcen- dis de nouveau à terre , avec le détachement chargé de ce fervice, & je poflai fur la grève des foldats de marine qui y montèrent la garde. Les échanges commencèrent dès que nous eûmes débarqué ; les Naturels nous vendirent des cochons & des patates, que nous payâmes avec des clous & des morceaux de fer groffiérement taillés en forme de cifeaux. Nous fîmes de l'eau fans aucun obftacle ; les gens du pays nous aidèrent 5 au contraire, à rouler les futailles & ils nous rendirent de bon cœur les fervices que nous leur demandâmes. Comme tout fe paflbit à ma fatisfàction, & que ma préfence à l'aiguade n'étoit pas n ceflàire, je laiflà^ le commandement Dd4 21. 424 T R O I S I E M E V O Y A G S m*--»* à M. Williamfon, & je remontai la vallée, ac- 1778- compagne de M. Anderfon & de M. Webber: Janvier, le premier fe difpofoit à décrire, & le fécond à deffiner tout ce que nous rencontrerions digne de remarque. Une troupe nombreufe d'Infulaires nous fuivoit5 & je.choifis, pour notre guide, l'un d'eux, qui avoit mis beaucoup d'activité à maintenir le bon ordre. Il annonçoit de temps en temps notre approche, & les perfonnes que nous rencontrions, fe profternoient la face contre terre, & elles demeuraient dans cette poP ture jufqu'à ce que nous enflions pafle. Je fus, yj£ par la fuite, qu'ils obfervent ce cérémonial ref- pettueux envers leurs grands Chefs. En longeant la côte, lorfque nous arrivâmes de la partie de l'Efl, nous avions obfervé des vaiflèaux, dans chaque village, un ou plufieurs corps blancs, femblables à des pyramides , ou plutôt à des obélifques ; l'un de ces corps qui me parut avoir au moins cinquante pieds de hauteur, fe voyoit très-bien du mouillage, & il fembloit n'être pas placé bien avant dans la vallée. Le principal objet de ma promenade , étoit de l'examiner de près; notre guide comprit parfaitement, qu'il de- voit nous y mener ; mais l'obélifque fe trouvant au-delà de l'étang, nous ne pûmes l'atteindre. Un autre de la.même efpece s'offrait à nos de Cook. 425 regards à environ un demi-mille du flanc délavai- lée, & nous en prîmes la route. Dès le moment 1778. où nous approchâmes, nous reconnûmes qu'il Janvier* étoit dans un cimetière ou Morai, qui reiïèm- bloit , à bien des égards, d'une manière frappante , aux Morais que nous avions rencontrés fur les Mes de cet océan, & en particulier à' l'Ifle d'O-Taïti : nous découvrîmes auffi que les diverfes parties portoient le même nom : c'étoit un terrein oblong, d'une étendue confidérable, &,environné d'une muraille de pierre d'environ quatre pieds de hauteur ; il étoit pavé de cailloux mobiles, & ce que je nomme la pyramide, & ce qui efl appelle Henananoo, dans la langue du pays, occupok l'une des extrémités. La pyramide reflembloit exactement à une féconde plus grande, que nous avions apperçue des vaifi- féaux ; elle avoit environ quatre pieds en quarré à la bafe , & à-peu-près vingt d'élévation; des baguettes & des branchages entrelacés à de petites perches, lefquels préfentoient un mauvais treillage, creux ou ouvert en-dedans, depuis le fond jufqu'au fommet, en formoient les quatre côtés. La conflruétion tomboit en ruine, mais elle fe trouvoit aflèz bien confervée pour nous îaiflèr voir, qu'elle avoit été originairement couverte d'une étoffe mince , légère & grife. 426 Troisième Voyage f^*\""" paraît que les Infulaires confacrent à des ufages *778. religieux cette efpece d'étoffe; car nous en ap* Janvier, perçûmes une grande quantité , fufpendue en plufieurs endroits du Morai, & on m'en avoit mis quelques pieces fur le corps , lorfque je débarquai pour la premiere fois. Il y avoit de chaque côté de la pyramide, de longues pieces de treillages ou d'ouvrages d'ofier, appelles Here anee, qui tomboient également en ruine ; & à l'un des coins, près d'une planche attachée à la hauteur de cinq à fix pieds, & chargée de * quelques bananiers , deux perches minces qui s'inclinoient l'une vers l'autre. Ils nous dirent que les fruits étoient une offrande à leur Dieu. Ils donnent à cette efpece d'autel, le nom de Herairemy, d'où il réfulte que c'eft le whatta des O-Taïtiens. Devant YHenananoo, un petit nombre de morceaux de bois fculptés, repréfen- toient des figures humaines : ces fculptures, jointes à une pierre de deux pieds de hauteur, couvertes d'étoffes, appellee Hoho , & confa- crée à Tongaroa, Dieu de l'Ifle, nous rappel- lerent de plus en plus les diverfes chofes que nous avions rencontrées dans les Morals , des dernières terres où nous avions abordé : Ça) un (a) Voyez la defcription du Moral O-Taïtier: be Cook. 4ê. .feangar auffi petit qu'une loge de chiens, que ■ les Naturels nomment Hareepahoo, étoit en- 1778. dehors du Morai, & contigu à YHenananoo Janvier. & à YHoho ; il fe trouvoit précédé d'un tombeau, où l'on nous dit qu'on avoit enterré une femme. Le côté le plus éloigné de la cour du Mo* rai, offrait une maifon ou hangar, d'environ quarante pieds de long, de dix de large au milieu, c|'unev moindre largeur à chacune des extrémités, & de dix pieds de hauteur. Les Naturels du pays donnent le nom de Hemanaa à cet édifice, qui efl beaucoup plus long, mais moins élevé que leurs habitations ordinaires : l'entrée fe trouvoit au milieu, du côté qui re- gardoit le Morai. Il y avoit au côté le plus éloigné de ce hangar, en face de l'entrée, deux figures de bois d'un feul morceau, fur un pié- deftal ; elles étoient d'environ trois pieds de hauteur, aflèz bien deffinées & aflèz bien fculptées; les Infulaires les appelloient Eatooa no Vehei- fia, ou figures de Déeflès : l'une d'elles portok fur fa tête un cafque fculpté, peu différent de celui de nos anciens guerriers ; & l'autre, un où fe fit le fàcrifice humain, auquel le Capitaine m 428 Troisième Voyage ■ ' bonnet cylindrique, qui reflèmbloit au Tomou> 1778. des O-Taïtiens; des pieces d'étoffes leur enve- Janvier. loppoient les reins & tomboient fort bas. On voyoit à peu de diftance de chacune, un morceau de bois fculpté, orné également de lambeaux d'étoffe, & un amas de fougère, entre ou devant les piédeftaux. Nous jugeâmes qu'on y avoit dépofé cette fougère à différentes époques, car nous y remarquâmes tous les degrés du def- féchement, & une partie étoit entièrement flétrie , tandis qu'une autre partie confervoit fa fraîcheur & fa couleur. j^l Le milieu de la maifon, devant les deux figures de bois, offrait un efpace oblong, enfermé par une bordure de pierres, peu élevé & couvert de ces lambeaux d'étoffe , dont j'ai parlé fi fouvent. Les Infulaires donnoient à cet endroit , le nom de Heneene ; ils nous dirent que c'étoit le tombeau de fept Chefs, qu'ils défigne- rent par leurs noms. Nous remarquions des ana- S logies fi fréquentes, entre ce cimetière, & ceux des Ifles des Amis & de la Société, que nous nous attendîmes à trouver la reflèmblance portée plus loin : nous ne doutâmes pas que les cérémonies ne fuflènt les mêmes, & que cette peuplade n'eût auffi l'horrible habitude de facrifier des victimes humaines. Des indices, directs ne D E C O O K. f|| tardèrent pas à confirmer nos foupçons ; car, en fortant de la maifon, nous apperçûmes près de l'entrée, un petit quarré & un fécond moindre encore ; & ayant demandé ce que c'étoit? notre guide nous répondit tout de fuite, qu'on avoit enterré dans l'un un homme facrifié aux Dieux Taata, Ça)Taboo, Çb) & dans l'autre, un cochon immolé auffi à la Divinité. Nous obfervâmes à peu de diftance de ceux-ci, trois autres quarrés ornés chacun de deux morceaux de bois fculptés & couverts de fougère : c'étoient les tombeaux de trois Chefs. On voyoit fur le devant un efpace oblong & enclos, que notre conducteur appelloit auffi, Tangata-Taboo; il ajouta clairement, & de manière à ne pas nous expofer à une méprife, qu'on y avoit enterré; les victimes humaines, facrifiées aux funérailles! des trois Chefs. Je fus vivement affligé de rencontrer des preuves de cet ufage fanguinake dansv toutes lçs terres de l'Océan Pacifique , parmi,- des peuplades qui font fi éloignées & même qui ne fe connoiflènt pas, quoique tout annonce l'identité de leur origine. Ce qui augmenta ma 1778. Janvier. mmi ( Troisième Voyage r=s^-; douleur , tout indiquoit que ces barbares fa- 1778. crifices étoient très-communs. L'Ifle fembloif Janvier, rempli de tombeaux des victimes humaines, pareils à celui que je viens de décrire : il étoit Pun des moins confidérables, & il avoit beaucoup moins d'apparence que plufieurs autres qui frappèrent nos regards, au moment où les vaiflèaux longèrent la côte, & en particulier, qu'un fitué de l'autre côté de Pétang dans cette vallée. UHenananoo, où la pyramide blanche tirait fa couleur des pieces d'étoffe, qui la décoraient : diverfes parties de l'enclos renfermoient des arbres de Pefpece appellee Cordia Sebeflina , quelques-uns de Pefpece nommée Morinda ci- tri folia, & plufieurs Et ces ou Jeejees de Ton* gaiaboo. UHemanaa étoit couvert des feuilles de YEtee; & comme j'obfervai que les Naturels n'emploient pas les feuilles de cette plante, dans la couverture de leurs habitations, il efl: vraifemblable qu'ils les emploient toutes à des ufages religieux. Nous traversâmes des plantations pour allere au Morai, & pour en revenir. La plus grande partie du terrein étoit plat, & entrecoupé de. folles remplis d'eau, & de chemins élevés par les Naturels à une certaine hauteur. Nous y trouvâmes fur-tout des champs de Taro, lequel croit DE COO K. 431 ici avec beaucoup de force, car le fol eft au- deflbus du niveau ordinaire, & il conferve l'eau, dont cette racine a befoin. L'eau vient probablement de la fource, qui entretient l'étang auquel nous remplîmes nos futailles. Nous apper- çûmes, dans les endroits plus fees, des plantations très-régulieres de mûrier-étoffe , qu'on te- noit fort propres, & dont la végétation n'étoit pas moins vigoureufe. Les cocotiers, tous peu élevés, n'avoient pas une auffi belle apparence ; les bananiers, fans être d'une grande taille, pro- mettoient davantage. En général, les arbres qui envkonnoient le village , & les autres que nous vîmes autour de la plupart des bourgades que nous dépaffames avant de mouiller, font de l'ef- pece appellee Cordia Sebeflina, mais moins gros que dans les Mes fituées plus au Sud. La partie la plus étendue du village, fe trouve près de la grève, & on y compte plus de foixante maifons ; environ, quarante autres font difperfées plus/ûvant dans l'intérieur du pays, du côté du cimetière. Lorfque nous eûmes examiné foigneufemenç tout ce qui fe trouvoit aux envkons du Morai, & lorfque M. Webber eut achevé fes deflèins de l'édifice & du diftrict d'alentour, nous retournâmes à nos canots a en fuivant un chemin 1778. Janvier. 43£ Troisième Voyage " différent de celui par lequel nous étions venus. 1778. Il y avoit une foule nombreufe raflèmblée fur la Janvier, grève ; nos gens achetoient des Infulaires des cochons-de-lait, des volailles & des racines , & une loyauté extrême préfidoit aux échanges : je ne m'apperçus pas néanmoins qu'aucun des Naturels fît la police. A midi, j'allai dîner à bordi & M. King fe rendit à terre pour commander le détachement qui y étoit. Il devoit s'y rendre le matin, mais des obfervations de Lune le retinrent au vaiflèau. Dans l'après-dîner, je débarquai de nouveau avec le Capitaine Clerke; nous voulions examiner une féconde fois l'intérieur du pays, mais la nuit furvint avant que nous puffions exécuter notre projet : j'y renonçai pour le moment , & il ne fe préfenta pas enfuite d'occafion de l'effectuer. Je ramenai tout le monde à bord au coucher du Soleil Nous remplîmes neuf futailles durant cette journée, & nous obtinmes foixante-dix ou quatre-vingt cochons-de-lait, un petit nombre de volailles, beaucoup de patates, quelques bananes, & des racines de tara , que nous payâmes fur-tout avec des clous & des morceaux de fer. Les Infulaires font dignes de tous nos éloges, pour l'honnêteté qu'ils mirent dans les échanges ; ils n'efiàyerent pas une fois de nous tromper, foit à bord, foit à la hanche des OÙ DE COO K. des vaiflèaux : quelques-uns d'eux, il efl vrai, montrèrent d'abord une difpofition au vol, afnfi 1778. que je l'ai déjà dit, ou plutôt ils crurent qu'ils Janvier. avoient droit à tout ce dont ils pouvoient s'emparer ; mais ils ne tardèrent pas à changer de conduite, lorfqu'ils virent que nous les punirions. Parmi les chofes qu'ils apportèrent au marché, nous remarquâmes une efpece particulière de manteaux & de bonnets, qui feraient réputés élégans, même dans les pays où l'on s'occupe le plus de la parure; les premiers ont à-peu-près la grandeur & la forme des manteaux courts que portent les femmes en Angleterre, & les hommes en Efpagne ; ils defcendent jufqu'au milieu du dos, & ils font attachés, fur le devant, d'une manière peu ferrée. Le fond efl un réfeau, fur lequel on a placé de très-belles plumes rouges & jaunes, fi près les unes des autres , que la furface reflèmble au velours le plus épais, le plus moelleux & le plus luflré. Les deflèins en font très-différens ; quelques-uns offrent des ef- paces triangulaires, rouges & jaunes ; d'autres, une efpece de croifîànt ; plufieurs entièrement rouges, avoient une large bordure jaune, &, à une certaine diftance, on les eût pris pour un manteau d'écarlate , galonné d'or à la bordure. Les couleurs éclatantes des plumes, dans ceux Tome IL Ee 434 Troisième Voyage i ■ | qui étoieht neufs, n'ajouraient pas peu à leyr 1778. beauté. Les Naturels y mettaient un grand prix; Janvier, car rien de ce que nous leur offrîmes, ne put les déterminer d'abord à nous en céder un feul ; ils ne vouloient les échanger que contre un fufil : par la fuite néanmoins on nous en vendit quatre ou cinq, que nous payâmes avec de très-grands clous. Ceux de ces manteaux qui fe trouvoient de la premiere qualité, étoient rares : il paraît qu'ils s'en fervent feulement dans leurs cérémo* nies d'appareil, & dans leurs jeux ; car tous les * Naturels, auxquels nous en vîmes, firent fes geftes que nous avions vu faire auparavant aux chanteurs. Le bonnet a prefque la forme d'un çafque; le n$ieu efl orné d'une crête, qui efl quelquefois de la largeur de la main : il ferre la tête de près, & il a des trous par où paflènt les oreilles. C'eft un chaffis de baguettes d'ofier, couvert d'un réfeau, dans lequel on a tiflu des plumes de même que fur les manteaux, mais le tiflu en efl' plus ferré, & les couleurs en font moins variées. La plus grande partie efl rouge, & ils prçfentent fur les côtés quelques rayures noires, jaunes ou vertes, qui fuivent la courbure de la crête : il efl vraifemblable que le bonnet & le manteau forment un ajuftement complet; car de Cook. 435 nous rencontrâmes des Naturels qui portaient l'un & l'autre. Nous ne pouvions imaginer d'où ils tiroient une quantité fi confidérable de ces belles plumes rouges ; mais nous fûmes bientôt d'où ils en tkent du moins une efpece ; car ils apportèrent à notre marché une multitude de petits oifeaux rouges , qui formoient des paquets de plus de vingt, & qui étoient enfilés par les narines à une brochette de bois. Les premieres robes d'oi- feaux que nous achetâmes à bord , ne conte- noient que les plumes placées dans l'intervalle des ailes à la tête ; mais depuis , nous nous en procurâmes beaucoup d'autres, où fe trouvoient les plumes de derrière, avec la queue & les pieds. Les premieres nous donnèrent, tout de fuite , l'explication de la fable, adoptée jadis touchant les oifeaux du Paradis, qu'on difoit manquer de jambes. Les habitans des Mes fituées à PEft des Moluques, d'où nous viennent les robes des oifeaux du Paradis, leur coupent vrai- femblablement les pieds, par la même raifon que les Infulakes d'Atooi; ceux-ci nous dkent qu'ils font cette amputation, afin de conferver les plumes plus aifément, & fans perdre aucune des parties qu'ils regardent comme précieufes. M. Anderfon jugea que l'oifeau rouge d'Atooi, efl une Ee & anvrer. EsaszssrgKRaB! 436 Troisième Voyage efpece de Mérops ; il eft à-peu-près de la grof- 1778- feur d'un moineau, & d'un beau rouge écarlate; Janvier, il a la queue & les ailes noires ; fon bec arqué, a deux fois la longueur de fa tête, & il efl rou- geâtre, ainfi que les pieds. Ceux que nous achetâmes 5 avoient la tête vuide, ainfi que les oifeaux du Paradis ; mais il paraît que , pour les conferver, ils n'emploient d'autre méthode que %de les fécher; car les robes, quoique humides, n'avoient ni la faveur ni l'odeur qui réfultent des' fubftances antiputrides. Ça) (tf) La prédilection pour les plumes rouges, qu'on remarque dans toutes les Mes de l'Océan Pacifique, efl réellement curieufe , & ceux qui s'amufent à découvrir les migrations extraordinaires de la même Nation ou Tribu, fur les différentes terres de cette partie du monde, tireront vraifemblablement du paragraphe qu'on vient de lire, un nouvel argument en faveur de Thypothefe qui regarde la Nouvelle-Guinée, & les Ifles des Indes Orientales, d'où les Hollandois nous apportent les oifeaux du paradis, comme ayant été peuplées originairement par la race d'Indiens, que le Capitaine Cook a trouvés fur toutes les Ifles de la mer du Sud, depuis la Nouvelle-Zélande, juf- qu'au grouppe dont Atooi fait partie. Ce que M. Sonnerat dit de l'oifeau du paradis, efl parfaitement d'accord avec les détails que nous donne M. Cook touchant les oifeaux rouges , confervés par les Naturels d'Atooi. Après ayok parlé des Papous, de Cook. 437 Il plut prefque continuellement durant la nuit, =2 & la matinée du 22 ; le vent fouffloit du Sud- 177^- Efl, du Sud-Sud-Eft 6c du Sud, & la mer de- Janvier, vint clapoteufe; comme les brifans fe trouvoient 22. à environ deux milles de l'arriére de la Réfolution , notre pofitioniitoit aflèz dangereufe : le reflàc , qui battoit la côte, avoit une fi grande élévation, que nous ne pouvions débarquer en canots; mais cette journée ne fut pas entièrement perdue , car les Naturels arrivèrent en pi- m il continue ainfi : «. Ils nous préfenterent plufieurs » efpeces d'oifeaux , auffi élégans par leur forme , 3? que brilîans par l'éclat de leurs couleurs. La dé- » pouille des oifeaux fert à la parure des Chefs, qui » la portent attachée à leurs bonnets en forme d'ai- i) grettes : mais en préparant la peau, ils coupent les i pieds. Les Holiandois qui trafiquent fur ces côtes, 3> y achètent de ces peaux, ainfi préparées, les tranf- » portent en Perfe, à Surate, dans les Indes, où ils 3> les vendent fort cher aux habitans riches, qui en 3> font des aigrettes pour leurs turbans, 6c pour le 31 cafque des guerriers, 6c qui en parent leurs che- jï vaux. C'eft de-là qu'efl venue l'opinion , qu'une 33 de ces efpeces d'oifeaux, (l'oifeau du paradis) n'a 3> point de pattes. Les Holiandois ont accrédité ces 3> fables, qui, en jettant du merveilleux fur les objets 3> dont ils trafiquoient 9 étoient propres à les rendre 3> plus précieux, 6c à en rehauffer la valeur. 3> Voyage à la Nouvelle-Guinée , pag. 154, jfj|P Ee % 438 Troisième Voyage e ! j rogues, & ils apportèrent des cochons & des 1778. racines, que nous achetâmes. L'un d'eux , qui Janvier, offrit de nous vendre des hameçons, avoit un paquet d'étoffe attaché à la corde d'un de ces hameçons ; & il eut foin de le réferver lorfqu'il nous vendit l'hameçon. Nous lui demandâmes ce que c'étoit; il nous montra fon ventre, il parla de la mort, & il dit en même-temps que cela étoit mauvais : il ne parut pas difpofé à répondre à notre queftion d'une manière plus claire. Il cachoit avec emprefîèment les chofes que ren- fermoit fon paquet : nous le priâmes de l'ouvrir, il y confentit en témoignant beaucoup de répugnance , & il lui fallut un peu de temps pour nous fatisfaire; car il y avoit bien des morceaux d'étoffes : nous vîmes qu'il contenoit une tranche de chair de deux pouces de longueur, qui pa- roiflbit avoir été féchée , & fur laquelle on avoit jette de Peau falée, qui la rendoit humide: nous jugeâmes que ce pouvoit être de la chair humaine, & que les habitans de l'Ifle mangent peut-être leurs ennemis ; nous n'avions en effet que trop de preuves de l'exiftence de cet ufage parmi quelques-unes des peuplades de la mer du Sud. Nous interrogeâmes, fur ce point, l'homme à qui appartenoit le paquet ; il nous répondit que c'étoit de la chair humaine : nous demanda- de Coo k. 439 mes enfuite à un autre de fes compatriotes, qui * étoit auprès de lui, s'ils avaient coutume de 1778. manger les guerriers qu'ils tuoient da$s les ba- Janvier- tailles? & fur-le-champ il nous dit qu'oui. Il y eut quelques intervalles de beau temps dans l'après-dîner, & le vent prit alors de PEft & du Nord-Eft ; mais le foir il repaflà au Sud- Sud-Eft ; la pluie revint, & elle dura toute la nuit : par bonheur, elle ne fut pas accompagnée de beaucoup dé vent. Nous nous étions préparée à l'orage, en laiflànt tomber l'ancre d'affourche, <Çc en abattant nos vergues de perroquet Le 23, à fept heures du matin, il s'éleva une 23. briie du Nord-Eft, & je fis relever les ancres avec le deflèin de conduire la Réfolution plus au large : la dernière ancre fut à peine au boflbir, que le vent pafla à PEft, ce qui m'obligea de forcer de voile pour m'éloigner de la côte ; nous fûmes jettes fous le vent, avant que nous enflions pris une bonne pofition. Je m'éteitdis au large, dans l'intention de regagner la rade ; mais ayant peu de vent, & un courant très - fort portant contre les vaiflèaux, je vis que je ne pourrais pas exécuter mon projet. J'ordonnai à M M. King & Williamfon , de prendre trois canots, de fe rendre à la côte, & de nous rapporter de Peau & des rafraîchiflèmens : j'envoyai Ee 4 440 Troisième Voyage » auffi , au Capitaine Clerke, un ordre de mettre *77%* en mer, s'il me jugeoit dans Pimpoffibilité de Janvier. regagGer ia rade. J'efpérois en rencontrer une ou peut-être un havre, à l'entrée occidentale de PIfle, & je me confolois des obftacles qui m'é- cartoient de ma premiere ftation : mais comme j'y avois envoyé trois canots, je me tins au vent le plus qu'il me fut poffible , &, malgré tous mes efforts, j'étois à trois lieues fous le vent à midi. A mefure que nous approchâmes de l'extrémité occidentale de l'Ifle , nous reconnûmes que la côte s'arrondiflbit peu-à-peu au Nord-Eft, fans former une crique ou une anfe qui offrît un afyle contre la force de la houle, qui venoit du Nord , & qui produifoit, fur la côte, un reflac effrayant ; & les efpérances que j'avois conçues de découvrir un havre, s'évanouirent. Plufieurs pirogues qui arrivèrent dans la matinée , nous finirent, & elles échangèrent les racines & les autres articles qui formoient leur car- gaifon. Toujours éloigné de croire que cette peuplade étoit cannibale , malgré les foupçons bien fondés que nous avions conçus la veille, je profitai de l'occafion pour faire de nouvelles recherches fur cette matière. Nous avions acheté un petit inftrument de bois , garni de dents de requin ; il reflèmbloit un peu à la fcie ou au de Cook. 441 couteau dont fe fervent les Naturels de la Nou- ■ velle-Zélande, pour difféquer les corps de leurs 1778. ennemis, & nous pensâmes qu'il avoit peut-être Janvier, ici le même ufage. L'un des Infulaires nous apprit tout de fuite le nom de l'inftrument; il nous dit qu'il fervok à découper le ventre d'un homme ou d'une femme tué ; fa réponfe expliquant & confirmant les idées que nous avoit donné le Naturel qui toucha fon ventre, le 22 , je lui demandai fi fes compatriotes mangeoient la partie qu'ils découpoient ainfi , & il déclara que non d'une manière très-pofitive : je lui fis une féconde fois la même queftion ; alors il parut effrayé , & il gagna fa pirogue à la nage. Au moment où il l'atteignit, il exprima par fes geftes Pufàge de. l'inftrument. Nous demandâmes auffi à un vieillard, qui étoit affis fur le devant de la pirogue , s'ils mangeoient de la chair humaine ; il répondit qu'oui, & il fe mit à rke , comme s'il fe fut moqué de la fimplické de notre queftion. Nous lui proposâmes la même queftion une féconde fois, il fit la même réponfe, &il ajouta que c'étoit un excellent mets, ou, pour me fer- vk de fes expreffions, un manger favour eux. Les canots furent de retour à fept heures du foir 5 ils rapportèrent deux bariques d'eau , vm petit nombre de cochons, une quantité confidé- - T R O I S I E M Voyage ■" i rable de bananes, & quelques, racines. M. King 1778. me dit qu'il avoit trouvé une foule nombreufe à [Janvier, l'aiguade & à l'endroit où il fit fon débarquement. II fuppofa qu'il étoit venu des Infulaires de toutes les parties de Pïfle; ils avoient une multitude de cochons très-gras , qu'ils offrirent de vendre ; mais mon détachement manquoit de marchandifes pour en payer la valeur. Ce ne fut pas une grande perte, car nous en avions déjà à. ; bord tout ce qu'il nous en falloit pour notre con- fommation journalière ; & comme nous n'avions point de fel, nous ne pouvions les faler. M. King ajouta 5 qu'il étoit tombé beaucoup de pluie fur la côte 5 tandis que nous en avions eu fort peu en mer; que le reflac fe trouvoit fi élevé , que fes gens avoient eu bien de la peine à débarquer* & àr regagner les canots. Durant la nuit, nous eûmes tout autour de légers fouffles de vent accompagnés d'ondées de 24, pluie. Nous nous apperçûmes, le 24 à la pointe du jour , que les courans avoient porté le vaiflèau au Nord-Oueft & au Nord ; en forte que l'extrémité occidentale de l'Ifle, fur laquelle Ça) nous avions été , nous reftoit à PEft , à la dif- % tance d'une lieue. Une autre Me appellee Oree- {a) Elle efl appellee Atoei par les Infulaires, de Coo k. 443 houa 5 nous reftoit à POueft-quwt-Sud-Oueft, • ■■ - & une troifieme Me , nommée Oneeheow , fe \\77^i prolongeoit du Sud-Oueft-quart-Oueft, à l'Ouçft- Janvier Sud-Oueft. Il s'éleva une lprife du Nord bieiy$s après 5 & comme j'çfpérois que la Découverte en profiterait pour appareiller, je mis le cap fur Oneeheow, afin de mieux reconnoitre cette Me & d'y mouiller, fi j'y trouvois un ancrage convenable'. Je continuai à gouverner vers la côte jufqu'à plus de onze heures ; à cette époque , nous en étions éloignés d'environ deux lieues; mais, ne voyant pas la Découverte, & doutant qu'elle pût nous voir 5 je craignis les fuites, fâ- cheufes qui pouvoient réfulter de notre fépara- tion. Je renonçai donc pour le moment, au projet d'aborder à Oneeheow, & je repris la route d'Atooi, dont je voulois regagner la rade, pour y remplir le refle de nos ifutaiiles. A deux heures de l'après-dîner, le vent du Nord s'éteignit, & il fut remplacé par des fouffles légers & des calmes, qui durèrent jufqu'à onze heures du foir. Nous nous étendîmes au Sud-Eft jufqtfà la pointe du jour du 25 ; nous revirâmes alors, nous gou- 25. vernâmes fur la rade d'Atooi, qui nous reftoit àrpeu-près ai} Nord, & la Découverte ne tarda pas à nous joindre. Nous atteignîmes la côte à envkon deux Heues- 444 Troisième Voyage -"■ fous le vent de la rade, où nous ne pûmes ce- 1778. pendant jamais arriver; car ce que nous gagnions' Janvier, dans un moment, nous le perdions dans un au- 29. tre. Le 29 au matin , les courans nous avoient porté à POuefl, à trois lieues de Oneeheow. Fatigué d'aller à la bouline avec fi peu de fuc- cès, je ne fongeai plus à retourner à Atooi, & je réfolus d'efîàyer fi nous ne pourrions pas nous procurer à l'autre Me , qui fe trouvoit à notre portée, les chofes dont nous avions befoin. Le Mafler partit pour fonder la côte , & chercher un lieu propre au débarquement. Je lui ordonnai, s'il en découvrait un , d'exaihiner fi l'on pourrait commodément remplir les futailles aux environs. Afin de. lui laifîèr le temps d'exécuter fa commiffion , les Vaiflèaux fuivirent à petites voiles. Dès que nous fûmes en travers ou à POuefl de la pointe méridionale de Oneeheow, la fonde rapporta, à un mille de la côte, trente , vingt-cinq & vingt braflès, fond de fable de corail. Le Mafler fut de retour à dix heures; il nie dit qu'il avoit débarqué dans un endroit ; qu'il n'avoit pas découvert d'eau douce : mais qu'on pouvoit mouiller par-tout, le long de la côte. Appercevant une Bourgade , un peu plus loin fous le vent, & quelques-uns des Infulaires, qui de Cook. 445 arrivèrent aux Vaiflèaux, nous informant qu'on y .■ trouvoit de l'eau douce, j'en pris le chemin, & 1778. je mouillai en face, par vingt-fix braflès, à envi- Janvier* ron trois quarts de mille du rivage. La pointe Sud-Eft de l'Ifle, nous reftoit au Sud 6$d Efl, à trois milles ; nous avions au Notà-quart-Nord- Eft, à environ deux ou trois milles, l'autre extrémité de cette terre ; au Nord-Eft, un quart de rumb Efl, une colline à pic fituée dans l'intérieur du pays ; & au Sud, 61 Oueft, à la dif- tance de fept lieues , une féconde Me appellee Tahoora, que nous avions apperçue la veille au foir. Six ou fept pirogues étoient venues près de nous 5 avant que nous mouillaffions ; elles nous apportèrent des cochons-de-lait, quelques patates 5 & beaucoup d'ignames & de nattes. Les hommes qui les montoient reflèmbloient aux Infulaires d'Atooi 5 & ils paroiflbient connoître également l'ufage du fer, qu'ils demandoient auffi fous les noms de Hamaite & de Toe ; ils échangèrent avec empreflèment tout ce qu'ils avoient, contre des morceaux de ce métal précieux. De nouvelles pirogues nous abordèrent bientôt, quand nous fûmes mouillés ; mais les Naturels qui montoient celles-ci,ne fembloient avoir d'autre objet 3 que de nous faire une vifite en forme. 44# Troisième Voyage i, La plupart d'entr'eux fe rendirent volontiers fur i?7%• fe pont, ils s'y profternerent devant nous, & ils Janvier, ne quittèrent cette humble poflnre, que lorfque nous leur dîmes de fe relever. Ils amenèrent plufieurs femmes, qui fe tinrent dans leurs embarcations , à la hanche des Vaiflèaux , & qui fe conduifirent d'une manière beaucoup plus immo- defte que celles d'Atooi ; elles chantèrent en chœur un air qui n'étoit pas remarquable par la mélodie , mais leurs fons étoient parfaitement d'accord , & elles battoient la mefure d'une manière très-exacte, en fe donnant avec leurs mains des coups fur la poitrine. Les hommes qui paf- fërent fur notre bord, n'y demeurèrent pas longtemps , & avant de partir , quelques-uns d'entre eux nous prièrent de leur permettre de nous laif- fer des touffes de leurs cheveux. Ils nous fournirent une occafion d'examiner de nouveau s'ils étoient cannibales. Nous ne remîmes pas la queftion fur le tapis ; elle y revint d'elle-même , & d'une manière qui ne com- portoit aucune équivoque. L'un des Infulaires n'ayant pu obtenir la permiffion d'entrer par le fabord de la Sainte-Barbe, nous demanda fi nous le tuerions & fi nous le mangerions, fuppofé - qu'il y entrât ; il fit en même-temps des geftes ii êxpreffifs, qu'il étoit impofîible de ne pas le de Cook. 447 comprendre. Nous eûmes foin de demander à ■ notre tour fi c'étoit l'ufage dans le pays de man- 1778. ger des hommes. Un autre des Naturels, qui ob- Janvier, fervoit foigneufement ce qui fe difoit & ce qui fe faifoit, répondit tout de fuite , que fes Compatriotes nous mangeraient fûrement fi nous étions tués fur la côte. Il parla d'un air fi tranquille, qu'il nous parut clairement qu'ils ne nous tueraient pas pour nous manger, mais que ce repas de chair humaine, feroit la fuite de notre inimitié pour eux. J'ai profité ici des notes de M. Anderfon ; & je fuis fâché de dire que je ne vois pas la moindre raifon de héfiter à donner, comme certain, que ces horribles banquets d'antropo- phages font auffi goûtés à Oneeheow , où l'on vit dans l'abondance , qu'ils le font à la Nouvelle-Zélande. Le Lieutenant Gore partit l'après- dîner avec trois canots armés : je lui ordonnai d'examiner l'endroit le plus propre au débarquement, & lorfqu'il feroit à terre, de chercher de Peau douce. Il revint le foir, après avoir débarqué à la Bourgade indiquée plus haut ; il me dit qu'on l'avoit mené à un puits , fitué à un demi - mille dans l'intérieur de l'Ifle ; mais je Jugeai fur fon rapport, qu'il n'y avoit pas af- î^g fez d'eau pour remplir nos futailles, & qu'il I 44§ Troisième Voyage '-" faudroit y arriver par un chemin extrêmement 1778. mauvais. Janvier. Le 30, je renvoyai une féconde fois M. Gore 30. à terre ; je lui donnai une Garde de Soldats de Marine, & quelques hommes, qui dévoient acheter des rafraîchiflèmens. Je voulois débarquer moi-même bientôt après, & je quittai en effet îe Vaiflèau dans cette intention; mais je trouvai le reflàc fi fort, que je craignis de ne pouvoir pas regagner mon bord, fi je débarquois. C'eft ce qui arriva bientôt après à M. Gore & à fa petite Troupe ; il m'avertit le foir, par un lignai 5 de lui envoyer des canots; ces canots tie tardèrent pas à revenir, avec quelques ignames & un peu de fel. Ceux de nos gens qui étoient à terre, en avoient acheté une quantité aflèz confidérable, dans le cours de la journée ; mais l'impétuofité du reflàc avoit caufé la perte de la plus grande partie de ces deux articles, au moment où on voulut les embarquer. M. Gore & vingt hommes n'ofant pas affronter des vagues fi terribles, paflèrent la nuit dans l'Ifle, & ce malheureux contretemps occafionna, fans doute, des liaifons avec les femmes du pays, que je délirais fi vivement de prévenir, & que je m'ap- plaudifîbis d'avoir empêché. La violence du reflàc que nos canots ne purent furmonter, n'empêcha pas dé Côok. 449 pas les Naturels d'arriver aux Vaiflèaux , leurs pirogues. Ils nous apportèrent des pro- 1778. vifions, que nous payâmes avec des clous & Janvier, des morceaux de cercles de fer 5 & je donnai des rubans , des boutons & des bracelets aux femmes qui fe trouvoient dans les embarcations. L'un des hommes avoit un léfard piqueté fur fa poitrine, & nous apperçûmes fur celle des autres 5 des figures d'hommes groffiérement imitées. Ils nous apprirent qu'il n'y a point de Chef ou de Hairee dans cette Me, mais qu'elle efl fou- ïnife àTeneooneoo, Chef d'Atooi; ils' ajoutèrent que Atooi n'eft pas gouvernée par un feui Chef,'mais qu'elle en a plufieurs, auxquels on rend l'honneur du Moe, ou de la proflration. ïls nous nommèrent, entr'autres, Otaeaio & Te- xatotoa. Parmi les chofes qu'ils nous apportèrent , il y avoit un petit tambour, prefque fem- blable à ceux d'O-Tâïn.'; Le vent paflà au Sud fur les dix heures du foir, & le ciel fembloit annoncer une tempête. Jugeant que nous étions un peu trop près de la côte, j'ordonnai de relever les ancres; &, après avoir conduit les Vaiflèaux dans un endroit où la fonde rapportok quarante-deux braflès, nous y mouillâmes de nouveau, & nous nous crûmes plus en sûreté, Cette précaution n'étoit pas Tme IL Ff 450 Troisième Voyage , nécefîàke, car le vent tourna bientôt apiês au 1778. Nord-Nord-Eft, où il devint frais, accompagné Janvier, de rafalles & de fortes ondées de pluie. 31. S Nous eûmes le même temps durant la journée du lendemain, & la mer devint fi groflè , qu'il ne nous relia aucune efpece de communication avec notre détachement qui fe trouvoit à terre. Les Naturels eux-mêmes n'oferent pas venir aux Vaiflèaux fur leurs pirogues. Le; foir, j'envoyai le Mafler à la pointe Sud-Efl de l'Ifle,- en lui ordonnant de voir fi l'on pourrait détiïquer au-deflbus. Son rapport fut favorable^ $tais il étoit trop tard alo$H pour envoyer chercher M. Gore, qui fut obligé de paflèr une féconde nuit à terre. igp Encouragé par les détails que m'avoït donné î Févr. le Mafler, j'envoyai le lendemain, dès le lever de l'aurore, un canot à la pointe Sud-Eft, avee un ordre par lequel j'enjoignois à M. Gcrfe dé conduire fon détachement à cette pointe , s'il n'ofoit pas l'embarquer à Pendrait où il fe trouvoit. Le canot ne put atteindre la côte, & l'un des Matelots fe rendit fur la grève à la nage. Au retour du canot, j'allai moi-même à la pointe Sud-Eft, avec la pînnafiè & la chaloupe , afin de ramener le détachement à bord des Vaiflèaux. J'y portai une chèvre mâle & deux femelles, un D E C O O K. 45I verrat & une truie de race Angloife, des graines . .■ de melons, de citrouilles & d'oignons ; car je 1778. defirois beaucoup accroître les moyens de fub- Février, fiflance de cette peuplade. Je débarquai fans peine fous le côté occideif^l de l'Ifle ; quelques Naturels & mon détachement m'attendoient ; je donnai les chèvres 5 les cochons & les graines, à l'un des Infulaires, que/M. Gore avoit vu exercer une forte d'autorité fur les autres. J'aurais laifîe ces chofes précieufes à Atooi, fi le mauvais temps ne nous en eût pas éloigné. Tandis que mes gens rempliflbient quatre futailles , à un petit ruiflèau qu'avoit formé la dernière pluie, je fis une promenade dans l'intérieur de l'Ifle, accompagné du Chef dont je parfois tout-à-1'heure, & fuivi de deux hommes, qui portoient les deux cochons que je lui avois donnés. Dès que nous fûmes fur un terrein élevé, je m'arrêtai pour examineftjte pays ; & j'apperçus de Pautre côté de la vallée, où s'étoit faifomon débarquement , une femme , qui appellok fes trois compatriotes. Le Chef fe mit à marmo- ter quelques paroles; je jugeai qu'il fàifoit une prière, & fes deux camarades, qui portoient les cochons , continuèrent, durant cet intervalle, à marcher autour de moi; ils firent au moins une douzaine de tours, avant que le Chef eût achevé Mi 45^ Troisième Voyage s==^r fon oraifbn. Nous nous remîmes en route après 1778. cette cérémonie, & nous rencontrâmes bientôt Février, des Naturels qui arrivoient de tous les côtés, & qui fe proflernérent la face contre terre, tant que je fus à la portée de leur vue. Le diftrict que je traverfai, fe trouvoit dans l'état de nature & rempli de pierres, & le fol paroiflbit Wès-pauvre; il étoit cependant couvert d'arbrif- feaux & de plantes qui parfumoient Pair ; je n'avois rencontr#fur aucune des Mes de cet océan, une odeur Suffi agréable. Ceux de mes gens qui demeurèrent deux jours à terre, avoient obfervé la même chofe dans les parties de l'Ifle qu'ils traverferent ; ils avoient découvert plufieurs Warais faîins, dont quelques-uns renfermoient ^encore- un peu d'eau; mais ils y apperçurent fi peu de fel, qu'ils ne purent en recueillir une grande quantité ; s'ils n'obferverent rien qui indiquât un ruiflèau d'eau douce, on leur montra -île- petits puits prefqu'à fee, qui offraient une eau aflez bonne. Les habitations des Naturels étoient difperfées fur les environs ; \\jVI. Gore fuppofa qu'il n'y avoit pas plus de cinq cents habitans dans l'Ifle entière , car la plupart des Naturels fe raflèmblerent au lieu où fon détachement faifoit les échanges, & ceux de nos gens qui pénétrèrent dans le pays, virent peu de de C o o K, 453 monde autour des maifons : il eut occafion d'exa- Éj "" * miner l'intérieur des ménages des Infulaires, qui l77%m lui parurent décens & propres , mais il ne vit Février. pas une feule fois les hommes & les femmes manger.enfemble : les femmes fe réuniflbient ordinairement pour prendre leur repas. La noix huileufe de Dooe-dooe leur fert de flambeau durant la nuit, ainfi que parmi les O-Taïtiens ; ils cuifoient auffi leurs cochons dans un four; mais, ce qui efl contraire à l'ufage des Mes de la Société & des Amis, ils. coupent l'épine du dos clans toute fa longueur. M. Gore eut une preuve directe du Taboo, ou , felon la prononciation des Naturels, du Tafoo ; car une femme met- j toit les alimens dans la bouche d'une autre, qui fe trouvoit foumife à cette efpece d'interdit. II. remarqua d'autres cérémonies niyftérieufes ; une. femme , par exemple , prit un petit cochon qu'elle jetta dans le reflàc, jufqu'à ce qu'il fût noyé, & elle y jetta enfuite un petit fagot ; une ; autre fois , la même femme frappa , avec un bâton, fur les épaules d'un homme, qui s'affit devant elle pour recevoir cette difeipline. Les habitans de l'Ifle femblent avoir une vénération particulière pour les chouettes, qui font très-ap- privoifées, & M. Gore jugea que c'étoit parmi eux une habitude aflèz générale de s'arracher Ff Q 454 Troisième Voyage ■' ' ' une dent; Ça) il leur demanda la raifon d'une *77%\\ coutume auffi bizarre , & ils lui dirent, pour Février, toute réponfe, que cela étoit Teeha ; ils expliquèrent de la même manière un autre de leurs ufages, celui de donner un faifceau de leurs cheveux en ligne de refpeét ou d'amitié. Lorfque les tonneaux furent remplis, & qu'on les eut embarqués fur le canot ; lorfque nous eûmes acheté des Naturels une petite quantité de racines, un peu de fel & quelques poiflbns fà- lés, je revins à bord avec le détachement. Je me propofois de redefcendre à terre le lendemain; mais à fept heures du foir, la Réfolution dérapa ; comme nous avions un cable entier de filé, nous fûmes contraints de mettre l'ancre au boflbir, & de remonter la chaloupe avant de faire voile. Après cet accident, nous nous trou- 2. vâmes le lendemain, à la pointe du jour, trois lieues fous le vent de notre dernière flation; &? prévoyant qu'il faudrait, pour la regagner, plus {a) Cette coutume efl fi peu naturelle, qu'elle ne femble pas devoir fe trouver parmi deux Tribus, dont l'origine n'eft pas commune ; & , ce qui eft digne de remarque, les Habitans de cette Ifle 8c les Naturels de la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande , dont parle Dampierre, l'obfervent malgré la diftance des deux contrées. d e C o o k. 455 de temps que je ne voulois en employer, j'a- ■■ ' ' vertis la Découverte, par un lignai, d'appareil- 1778. 1er & de nous joindre. Elle nous joignit à midi, Février. & nous cinglâmes tout de fuite au Nord, afin cfarriver plutôt à la côte dHAmérique. Ainfi, après avoir paffé autour de ces Mes plus de j£urs que n'en aurait pris une relâche ordinake, nous fûmes obligés de les qukter, fans y avoir rempli toutes nos futailles, & fans en avoir tiré les provifions que les Naturels étoient en état & dans la dîfpofition de nous fournir. Au refle, la Réfolution y embarqua des vivres pour au moins trois femaines, & le Capitaine Clerke, plus heureux que moi, s'y procura des végétaux qui fervkent à fon équipage durant deux mois. Les obfervations que j'ai faites, combinées avec celles de M. Anderfon, qui m'étoit toujours d'un grand fecours dans ces ocçafions, formeront la matière du Chapitre fuivant. Ff 4 456 Troisième V o- y a g r^£§#ate**ç CHAPITRE XII. Poflthn des Ifles dont je mens de parler. Noms que leur donnent les Infulaires. Je . les ai appellees Ifles Sandwich. Defcription ^'Atooi. Remarques fur le fol, le climat, les productions végétales, les oifeaux, les poiflbns, les animaux domefliques, la perfonne des Naturels, leur çaraÛere, leurs habit s, leurç ornemens,leurs habitations % leur régime diététique, leur manière d'apprêter les alimens, leurs amufemens, leurs Manufactures, leurs outils -, la connoiflanca qu'ils ont du fer, leurs pirogues & leur Agriculture. Détails fur un de leurs Chefs. Armées dont ils fe fervent. Ufages conformes à ceux de Tongatabop & ^-Taïtû La Langue des Ifles Sandwich efl la même que celle des Ifles des Amis &■ de la Société : comment la même Nation s^efl répandue fur toute la Mer Pacifique. Avantages qu'on peyt tirer de la pofltion des Ifles Sandwich, L, ies Mes de l'Océan Pacifique, que nos des* 1778. niers voyages ont ajoutées à la Géographie, Février, font, en général, difpofées en grouppçs, & cette de C o o k. 457 obfervation efl digfte de remarque : les terres dé- ""- i*t tachées qu'on a découvertes dans l'intervalle des 1778.* différens grouppes, font peu nombreufes en pro- Février, portion de celles que forment les Archipels, quoiqu'il en refle, felon toute apparence, beaucoup d'autres également folitakes, que les Navigateurs n'ont point encore apperçues. Il faut laif- fer aux vaiflèaux qui nous fuivront, le foin de déterminer le nombre des Mes qui compofent le grouppe qui fait la matière de ce Chapitre. Ça) Nous en avons vu cinq ; voici les noms que leur donnent les Naturels : Woahoo, Atooi, Oneeheow 5 Oreehoua & Tahoora. La dernière eft petite5 mais élevée; elle gît à quatre ou cinq lieues de la pointe Sud-Eft de Oneheeow, dans la direction du.Sud 6$à Oueft : on nous a dit qu'elle efl remplie d'oifeaux, mais qu'elle efl dé- ferte d'ailleurs ; on nous parla auffi d'une Me baflè & déferte, fituée aux environs de Tahoora, & appellee Tammata-pappa. Indépendamment de ces fix Terres, les Infulaires, avec lefquels nous eûmes des entretiens, nous parurent con- noître d'autres Ifles à PEft & à POuefl. J'ai donné ^1 (tf) La reconnoiflànce, dont parle ici M. Cook, a été achevée après fa mort, èc on en trouvera les dé* fails plus bas. Note du Tjrjidu&eur^ 458 Troisième Voyage i1 au grouppe entier, le nom d'Ifles Sandwich,en 1778. honneur du Comte de Sandwich. Celles que j'ai Février, apperçues, giflent entre le 21e degré 30 minutes, & le 22e degré 15 minutes de latitude Nord, & entre le 199e degré 20 minutes, & le 261* degré 30 minutes de longitude Efl. JVoahoo, la plus orientale, gît par 2id 36', & nous n'avons rien appris fur cette terre, finon qu'elle efl élevée & habitée. Nous eûmes occafion de recueillir fur Oneeheow , quelques détails dont j'ai déjà parlé. Elle gît fept lieues à POuefl du mouillage qu'occupèrent nos vaiflèaux à Atooi, & elle n'a pas plus de quinze lieues de ckconférence : elle produit fur-tout des ignames, fi nous pouvons juger de fes productions paf celles que nous apportèrent les Naturels. Les habitans ont du fel, qu'ils appellent pat ai, & qu'ils recueillent dans des marais; ils Paient du poiflbn & du porc ; les poiflbns filés qu'ils nous vendirent, fe conferverent très- bien , & ils étoient fort bons. L'Ifle efl baflè, fi j'en excepte la partie fituée en face d'Atooi f laquelle commence, du bord de la mer, à s'élever à une aflèz grande hauteur ; il faut en excepter auffi la pointe Sud-Eft, qui fe termine en colline ronde : nos vaiflèaux mouillèrent au côté occidental de cette pointe. de Cook. 459 Nous ne favons rien fur Oreehoua, finon qu'elle efl petite & peu élevée, & qu'elle gît près du côté feptentrional de Oneeheow. Atooi efl la plus étendue; &, comme nous Pavons mieux obfervée que les autres, je vais indiquer quelques réfultats que nous nous foM& mes formés d'après nos propres remarques, tandis que nous étions à terre, ou d'après nos entretiens avec les habitans qui vinrent fans cefle k bord de nos vaiflèaux, tandis que nous étions à l'ancre. En général , ceux d'entre nous qui avoient étudié les dialectes de la mer pacifique, entendoient aflèz bien les Naturels : on doit regretter toutefois que nous ayions été obligés de quitter fi-tôt une terre qui paraît mériter une étude plus approfondie. Si je juge de PIfle d?Atooi fur ce que nous en avons apperçu, elle a au moins dix lieues de longueur de PEft à POuefl, & l'on peut de-là évaluer fa circonférence par approximation ; au refle,;elle femble être beaucoup moins large à la pointe occidentale qu'à la pointe orientale, où l'on voit une double rangée de collines. La rade ou le mouillage que nous occupâmes, fe trouve au côté Sud-Oueft, à environ fix milles de l'extrémité Oueft, devant un village appelle Wymoa. Dans tous les endroits où nous prîmes 1778. Février. 46© Troisième V o y age L . „. - des fondes, le fond de la mer efl d'un joli fable l77$' gris, & il n'y a point de rochers, fi j'en excepte- Février, un efpace peu éloigné du village & dans la par tie de PEft. où l'on rencontre un bas-fond, fur lequel il y a des rochers & des brifans; mais ces rochers & ces brifans font près de la côte. La rade feroit complètement à l'abri du vent alifé, fi la hauteur de la terre par-deflus laquelle il fouffle, ne changeoit pas fa direction pour lui donner celle de la côte : ainfi, le vent alifé fouffle du Nord-Eft fur l'une des bandes de l'Ifle, & de PEfl-Sud-Eft ou du Sud-Eft fur l'autre, en frappant la côte d'une manière oblique. La rade fituée au côté fous le vent, efl donc un peu expofée au vent alifé; mais5 malgré ce défaut, elle n'offre pas une mauvaife flation, & elle efl bien fupérieure à celles que la néceffité oblige journellement les vaiflèaux de prendre dans des pays tels que Ténériffe, Madère , les Ago-- res, &c, où les vents font plus variables & plus orageux. Le débarquement efl d'ailleurs moins difficile, & il efl toujours praticable lorfque le temps n'eft pas très-mauvais : l'eau qu'on peut le procurer dans le voifînage efl excellente, & il eft facile de l'embarquer; mais, pour faire du bois à une dif lance commode, il faudrait dé ter-, miner les Naturels k céder le petit nomlaœs de Coo K. 461 xPEtooas Ça) qui croiflènt autour de leurs villa- oi ges, ou une efpece appellee Dooe-do&e, qu'on 177$- rencontre plus avant dans le pays. Février, L'afpeét général :de cette terre, ne reflèmble point du tout aux Mes que nous avions apperçues jufqu'alors en-dedans du Tropique, au côté méridional de l'Equateur; j'en excepte toutefois les collines fituées près du centre, qui font élevées, mais qui s'abaiflènt peu-à-peu jufqu'à la mer ou jufqu'aux terreins bas : quoiqu'on n'y voie pas, comme à O-Taïti & à Tongataboo, cette bordure charmante, ou ces plaines fertiles, couvertes d'arbres, qui offrent un coup-d'œil enchanteur, un afyle contre la chaleur brûlante du Soleil, & des fruits dont on peut fe nourrir fans fe donner la peine de les cultiver; comme elle a plus de diftriéts d'une pente douce, elle leur eft fupérieure à quelques égards , puifqu'elle fe trouve par-là plus fufceptible des améliorations de la culture. La hauteur du fol dans l'intérieur de l'Ifle, & la multitude de nuages qui, durant notre relâche, la couvraient au centre, & fouvent dans les autres parties, femblent prouver d'une manière m (a) Les Naturels donnent ce nom au Cordia fa- ïeftina. 462 T r o i s i e m e Voyage t- inconteftable qu'elle renferme une quantité fuffi- 1778. fante d'eau douce : je penfe qu'il y a fur-tout dans Février, les vallées profondes, à l'entrée defquelles les villages font bâtis pour l'ordinaire, des ruifleaux que nous n'apperçûmes pas. Depuis la partie b^fty fée jufqu'à la mer, elle efl revêtue d'une herbe d'une excellente qualité : cette herbe a environ deux pieds de hauteur ; elle croît quelquefois en touffes, &, quoiqu'elle ne fût pas très-épaiflè à l'endroit où nous étions 5 il nous parut qu'on pourrait y faire des récoltes abondantes d'un t?è%1 beau foin ; maïs il ne vient pas naturellement un arbriflèau fur cet efpace étendu. Le folrât^b- vallée éfifpite que nous traverfâ- j mes pour, nous rendre xxne^Morai, efl d'un noir brun 5 un peu friable; mais 5 en nous avançant fur les terreins élevés, nous le trouvâmes d'un brun rougeâtre, plus compacte & argilleux, quoiqu'il fût toujours aifé de le rompre, à caufe de la fé- cherefle. Il efl vraifemblablement le même dans tous.les diftriéts cultivés; car le terreau qui adhérait à la plupart des patates que ngps achetâmes, lefquelles venoient fans doute de différens cantons, étoit de la même nature. Au refle, on juge.mieux.de fa qualité par fes productions, que par fon apparence; en effet, la vallée ou le terrein humide, produit du taro dont la groflèur 78. de Cook. 463 excède celui que nous avions vu ailleurs, & le r= terrein plus élevé fournit des patates douces, 1; qui pefent fouvent dix, quelquefois douze ou Février. ,4j$atorze livres, & rarement moins de deift ou tfois. D'après la pofition de l'Ifle, il efl aifé de fe former une idée de la température du climat. Je puis dire qu'il efl très-variable, fi nous en jugeons par notre expérience ; car, fjgjpn l'opinion généralement reçue, nous étions à l'époque de l'année où le temps efl le plus fixe, puifque le Soleil fe trouvoit à fa plus grande diflance. La chaleur étoit très-modérée, & on doit éprouva ici peu des incommodités auxquelles la chaleur & l'humidité rendent fujettes la plupart des terres dot-Tropique ; les habitations des Naturels, font très-près les unes des autres, & ils falent du poiflbn & du porc qui fe gardent très-bien, ce qui n'arrive pas ordinairement, lorfqu'on fait cette falaifon dans les climats chauds. Nous n'y trouvâmes pas de fortes rofées, peut-être parce que la partie baflè de l'Ifle efl dénuée d'arbres. Le rocher qui forme les flancs de la vallée, & qui paraît être le même que nous avons vu en différentes parties de la côte, efl une pierre lourde d'un noir grisâtre, difpofé comme le font les rayons de miel^ parfemé de petites particules /4Ô4 Troisième Voyage -. luifantes & de quelques taches couleur de rouille; 1778. ces taches le font paraître rougeâtre quand ort Février, le regarde de loin : il a une immenfe profondeur, mais il paraît offrir des couches, entre lefquelles il n'y a point de corps intermédiaires; car de gros morceaux fe détachoient toujours à une profondeur déterminée, & ils ne fembloient pas adherens à ceux de deffbus. Les autres pieifiéèé font probablement beaucoup plus variées qu'aux Mes Méridionales : en effet, durant notre cditfttï relâche, outre la Lapis Lydius qui paraît com* inurië fur toutes les terres de la mer dtiSùd-, nous rencontrâmes une pierre à aiguifer, Couleur 3 'de crème, tachetée , ainfi que le marbre, dé veines plus noires ou plus blanches; une féconde qui reflèmble à la brèche, Pardoife à éerjÉ1, & Une quatrième plus groflfëre; mais nous ne'-vî- mes les carrières d'aucune. Les Naturels nous apportèrent en outre quelques morceaux d'une groffiere pierre-ponce blanchâtre. Nous nous pro- curâmes de plus une Hématites bitme^- elle étoit fortement attirée par l'aifflànt ; nous jugeâmes qu'elle contenoit beaucoup de fer, & qu'elle appartenoit à la féconde efpece dont parle J Cronftedt, quoique Limiseus l'ait rangée parmi fes intra&abilia; mais nous n'avons pu eh découvrir les variétés : les échantillons que nous vîmes, DE C O 0 K. 465 •'vîmes 5 ainfi que ceux des ardoifes & des pierres à aiguifer , avoient été taillés par la main de l'homme. Indépendamment des végétaux que nous achetâmes 5 & parmi lefqueliâWl y avoit au moins cinq ou fix efpeces de bananes, l'Ifle produit du fruit à pain ; au refle, ce dernier fruit paroît rare ; car nous n'apperçûmes qu'un arbre qui en portât. On y trouve de plus, un petit nombre de cocotiers , des ignames , (nous n'en vîmes cependant aucune;) le Kappa des Ifles des Amis, ou Y Arum de Virginie, l'arbre appelle Etooa, & la Gardenia parfumée ou le jafmin du Cap. Nous rencontrâmes plufieurs arbres<, appelles Dooe-dooe, fi utiles à O-Taïti, parce qu'ils donnent des noix huileufes, qu'on embroche à une efpece de baguettes, & qui tiennent lieu de chandelles. Nos gens remarquèrent que les Infulaires de Oneeheow, en faifoient le même ufàge : nous ne fumes dans l'Ifle d'Atooi que pendant le jour ; & les habitans portoient ces noix fufpendues à des cordes & attachées autour de leur col. On y trouve de plus, une efpece de Sida ou de mauve, que le climat a rendu un peu différente de celle qui croît à l'Ifle de Noël, la Morinda citrifolia, qui eft appellee None, une efpece de Convolvulus, YAva Tome II. G g 1778. Février te 466 Troisième Voyage 1 ou le poivre enivrant, & une multitude de ci* 1778- trouilles. Les citrouilles parviennent à une grof- Février. feur confidérable , & elles prennent un grand nombre de formes, qui font probablement un effet de Part. Le fable fee qui efl autour du village devant lequel nous mouillâmes, offre une plante que nous n'avions jamais rencontrée dans ces mers ; elle efl de la taille du chardon ordinaire , & armée de piquans de la même manière, mais elle porte une belle fleur, qui approche beaucoup du pavot blanc : celle-ci & une féconde plus petite, furent les feules plantes nouvelles que notre excurfion dans l'intérieur du pays, nous donna occafion d'obferve^. Nous n'avons jamais apperçu vivans, ces oifeaux rouges ou écarlates que nous achetâmes, & dont j'ai déjà fait la defcription ; mais nous en vîmes voltiger un, cramoifi foncé, de la grof- feur d'un ferin : nous apperçûmes en outre, une grofîè chouette , deux grands faucons^ ou milans bruns, & un canard fauvage. Les Naturels nous donnèrent les noms de plufieurs autres oifeaux, parmi lefqucls nous reconnûmes l'Otoo ou le héron bleu , & le Tor at a des O-Tàitiens, qui efl une efpece de corlieu. Si l'on juge de la multitude des plumes jaunes, vertes, • noires & veloutées, que nous remarquâmes fur les man- de Cook. 46? teaux & lès ornemens des Infulaires, il eft pro- \\mm bible qu'il y a dans cette Me, beaucoup d'efpe- 1778;* ces différentes d'oifeaux. Février. Il nous parut que le poiflbn & les autres productions de la mer, itéraient pas très-variées ; car nous n'apperçûmes que le petit maquereau, le mulet ordinaire, un fécond mulet d'un blanc mat ou couleur de craie, un petit poiflbn de rocher , brunâtre & tacheté de bleu ; une tortue enfermée dans un étang, & trois ou quatre efpeces de poiflbn falé. Le peu de coquillages qui frappèrent nos regards , fervoient fur-tout à la parure des Naturels, mais ils n'étoient pas d'une forme aflèz jolie & aflèz nouvelle pour les décrire ici. Les cochons , les chiens & les volailles, les feuls animaux domeftiques dont nous ayions eu connoiflàncè, font de la même efpece que fur les Mes de la mer pacifique du Sud : nous vîmes auffi de petits léfards & des rats femblables à ceux qu'on rencontre fur chacune des Mes où nous étions defcendus. La taille des Naturels du pays eft moyenne, & leur flature robufte ; en général, ils ne font pas remarquables par la beauté de leurs formes ou par le caractère de leur phyfionomie. Leurs jKaits annoncent de la franchife & de la bonté, G g % 468 Troisième Voyage • plutôt que de la vivacité & de l'intelligence ; 1778. leur vifage, fur-tout celui des femmes, efl fim- Février. vent rond, mais il efl prefque auffi fréquemment alongé , & on ne peut pas dire qu'une coupe particulière dans la face diftingue la peuplade. I Leur teint efl prefque d'un brun de noix, & cette couleur ayant des nuances diverfes, il eft difficile d'employer une comparaifon plus exacte; celui de quelques individus efl plus foncé. J'ai déjà remarqué que les femmes préfentent des formes un peu plus délicates que les h Ifles, quelques vieux morceaux de fer, ils appar- y> tiennent de droit aux Tamolcs, qui en font faire y) des outils, le mieux qu'il efl poffible. Ces outils « font un fond dont le Tamole tire nn revenu con- 35 fidérable , car ii les donne à louage, & ce louage » fe paie allez cher, page 314. n ; 4po ; Troisième Voyage -5= l'on en aura laifle des morceaux, les Naturels l77%> s'empreflèront de s'en procurer une quantité con- Fevner. fidérable. L'application de ces remarques au point que nous examinons, n'eft pas difficile. lHjies Infulaires d'Atooi'"& de Oneeheow, ont pu tirer la connoiflànce de ce métal des Mes intermédiaires , fituées entre leurs pays & les Mes des Larrons , qui ont prefque toujours été fréquentés par les Efpagnols, depuis le Voyage de Magellan ; fi l'éloignement des Mes des Larrons , laiflè des doutes fur cette explication, ne trouve- t-on pas au vent, le vafte continent de Y Amérique , où les Efpagnols ■ font établis depuis plus de deux fiecles, & durant cette période, les côtes des Ifles Sandwich n'ont-elles pas dû recevoir fréquemment des débris de naufrage? Il paraîtra fûrement vraifemblable , que des débris contenant du fer, ont été portés de temps en temps par le vent alifé de PEft, aux Mes difper- fées fur cet immenfe Océan. La diftance d'Atooi à Y Amérique , n'eft pas une objection folide; & quand elle aurait plus de force, elle ne détruirait pas ma fuppofition : des vaiflèaux Efpagnols traverfent l'Océan Pacifique toutes les années, & il eft clair, qu'outre la perte d'un mât & de fes garnitures, des tonneaux environnés de cercles de fer, & beaucoup, d'autres chofes dans D E C O O K. 49I lefquelles il y a des morceaux de ce métal, peu- s= vent être jettes à la mer ou tomber dans les flots 1778. pendant une fi longue traverfée, & aborder en- Février, fuite fur quelque Terre. Mais ce que je viens de dire n'eft pas une fimple conjecture ; un de mes gens vit dans une maifon de Wymoa, des bois de fapin ; ils étoient mangés de ver , & on lui dit, qu'ils avoient été apportés fur la côte par les vagues ; de plus, les Naturels de cette Me, nous déclarèrent expreflement, que les échantillons de fer peu confidérables que nous trouvâmes parmi eux, leur étoient venus de PEft. Après cette digreffion, Ç fi toutefois on peut appeller une digreffion, les détails dans lefquels je viens d'entrer) je reprends la fuite des obfervations que nous fîmes durant notre féjour à Atooi, & je vais parler des pirogues de cette Ifle. Leur longueur efl en général de vingt-quatre pieds ; une feule piece de bois, ou un tronc d'arbre, creufé d'un pouce ou d'un pouce & demi, & terminé en pointe à chaque extrémité, en compofe le fond. Les flancs préfentent trois planches, chacune d'environ un pouce d'épaif- feur , ajuflées & liées au fond d'une manière très-exacte. Les extrémités de l'avant & de l'arriére font un peu élevées, affilées & taillées à- peu-près en coin, avec cette différence, qu'elles m 49^ Troisième V o y a g e mmm»mmm Vapffiftflffeit brufquement, de manière que les 1778. planches qui forment les côtés, font appliquées Février, l'une contre l'autre fur toute leur furface, Pèf- pace d'au moins un pied. Au refle, le defîèin de M. Webber donnera une idée plus exacte de leur conftruétion, que je ne pourrais la donner ici. Comme elles n'ont pas plus de quinze ou dix-huit pouces de largeur, celles qui vont feules (car ils en amarrent quelquefois deux enfemble, ainfi que fur les autres Mes ) ont des balanciers d'une forme & d'une difpofition fi judîcieufes, que je n'en avois jamais vu d'auffi heureufement imaginés : ils les manœuvrent avec des pagayes pareilles à celles que nous avions rencontrées ordinairement. Quelques-unes ont une voile triangulaire, légère, femblable aux voiles des Mes des Amis, enverguée à un mât & à un boute- hors : les cordes employées dans leurs embarcations , & les cordes plus petites dont ils fe fervent dans leurs pêches, font fortes & bien faites. Ce que nous avons vu de leur agriculture, annonce qu'ils ne font pas novices dans cet art. J'ai déjà parlé d'une de leurs vallées, qui efl une plantation continue de taro, & d'un petit nombre d'arbres à fruits , dont ils paroiflènt prendre des foins extrêmes. Les champs de patates & les carreaux plantés de cannes de fucre de Coo k# 493 ou de bananiers, qu'on trouve fur les terreins ■ plus élevés, offrent une difpofition auffi régu- 1778. liere ; on y apperçoit toujours une figure géo- Février, métrique , & ordinairement un quarré ou un rectangle : mais aucune de ces plantations n'eft environnée d'une clôture , à moins qu'on ne veuille regarder comme des clôtures, des SoY- fés qu'on voit dans les terreins bas : au relie, il efl probable que ces foffés fervent à conduire de Peau autour de la racine du taro : il faut peut-être attribuer à l'adreflè du cultivateur autant qu'à la fertilité du fol, la richefîe des récoltes & la bonne qualité de ces productions, auxquelles la terre convient mieux qu'aux arbres à pain & aux cocotiers. Le peu d'arbres à pain & de cocotiers qui frappèrent nos regards , ne venoient pas trop bien, & on ne doit pas être furpris s'ils aiment mieux s'occuper d'autres fruits, dont la culture exige plus de travaux. Quoique les Infulaires d'Atooi femblent très-habiles en ce qui a rapport à l'économie rurale, nous jugeâmes à l'afpeét de l'Ifle qu'elle efl fufceptiblç d'une culture beaucoup plus étendue , & qu'elle nourrirait une population au moins trois fois auffi nombreufe ; car la plus grande partie du terrein qui efl aujourd'hui en friche, paroît offrir un fol auffi bon que celui r 1 Sa 494 Troisième Voyage y* ■•■''" des .diftriéts cultivés. Nous pouvons conclura 1778. que, par une caufe dont notre courte relâche Février, parmi eux ne nous a pas permis de nous inf- truire, ils ne fe multiplient pas dans la proportion qui ferait néceflaire pour mettre en valeur l'Ifle entière. Je n'y ai vu aucun Chef de quelque importance ; mais, de l'aveu des Naturels, il y en a plufieurs qui réfident à Atooi , & toutes les claflès fe proflernent devant eux ; cette marque de foumiffion équivaut au Moe Moea, qu'on donne aux Chefs des Ifles des Amis , & elle eft appellee ici Hamoea ou Moe : j'ignore s'ils craignirent d'abord de fe montrer, ou s'ils étoient abfens ; mais, après que j'eus quitté l'Ifle, l'un de ces grands perfonnages parut, & il fit une vi- fite au Capitaine Clerke, à bord de la Découverte : il arriva fur une double pirogue, & ainfi que le Roi des Ifles des Amis, il n'eut aucun égard pour les petites pirogues qui fe trouve- . rent fur fon chemin ; il les heurta ou il les ren- verfa fans chercher le moins du monde à les éviter : ce n'étoit pas aux pauvres malheureux qui montoient les embarcations, à éviter la double pirogue ; car étant contrains de fe tenir couchés jufcpflà ce que le Chef fût loin d'eux, ils ne pouvoient manœuvrer. Les gens de fa fuite le de Coo K. 495 biffèrent dans le vaiflèau, & ils l'établirent fur ■ le paflè-avant. Lorfc^il y fut, les foins qu'ils 1778. prirent de lui, ne finirent pas encore ; ils fe ran- Février, gèrent autour de lui, en fe donnant la main les uns aux autres, &, excepté le Capitaine Clerke, ils ne permirent à perfonne d'en approcher. Il étoit jeune & couvert d'étoffes de la tête aux pieds ; une jeune femme que nous prîmes pour fon époufe , Paccompagnoit ; il s'appelloit Ta- mahano. Le Capitaine Clerke lui fit des préfens, & il en reçut une jatte de bois foutenue par deux petits hommes, dont la fculpture, relativement au deflèin & à l'exécution, annonçoit une forte de talent. Les Infulaires nous dirent, qu'elle avoit été fouvent remplie de kava ou d'ava, felon la prononciation des O-Taïtiens ; ils préparent & ils boivent cette liqueur de la même manière que fur les autres Mes de l'Océan Pacifique. Le Capitaine Clerke ne put déterminer le Chef ni à defcendre dans les chambres, ni à quitter l'endroit où on l'avoit placé d'abord. Lorfqu'il eut pafle une heure far la Découverte, il fut reporté dans fa pirogue ; il retourna à la côte, & les gens du pays qu'il rencontra en chemin, lui rendirent les honneurs qu'ils lui avoient rendu quand il étoit venu près de nous. Plufieurs mef- fagers arrivèrent le lendemain ; on invitoit le 1778. Février, 496 Troisième Voyage Capitaine Clerke ù aller dans l'Ifle, & on Paver- tiflbit que le Chef fe difpofoit à lui offrir un préfent confidérable ; mais, empreffé de remettre en mer & de me rejoindre s il ne crut pas devoir accepter l'invitation. Nous avons vu les Naturels fi peu de temps, & notre entrevue a été fi imparfaite, que nous ne pouvons expofer, d'une manière exacte, la forme de gouvernement établie dans l'Ifle ; mais , en général , les coutumes d'Atooi reflèmblent finguliérement à celles des autres terres de l'Océan Pacifique où nous avons abordé ; les hommages en particulier qu'on y rend aux Chefs, font abfolument les mêmes. Il efl probable que les guerres ne font pas moins fréquentes à Atooi, qu'aux Mes de la Société & aux Ifles des Amis: on peut, en effet, le conjecturer d'après la multitude de leurs armes, & le bon état dans lequel nous les trouvâmes : ce qu'ils dirent eux-mêmes, nous le prouve d'une manière plus directe encore ; nous comprîmes qu'ils font la guerre à leurs voifins de Oneeheow & Oreehoua , & que les divers diftriéts de l'Ifle fe battent auffi entr'eux. Cette caufe efl prefque la feule que nous puiffions affigner de la foibleflè de la population en proportion de l'étendue du terrein fufçeptible de culture. Indépen- de Cook. 497 Indépendamment de leurs piques ou lances, qui font d'un très-beau bois couleur de cha- 1778. taigne, bien poli, & dont quelques-unes ont Février, une extrémité barbelée & l'autre applatie, ils fe fervent d'une arme que nous n'avions jamais rencontrée auparavant, & qu'aucun Navigateur n'a trouvée parmi les Naturels de la mer du Sud. Elle reflèmble un peu à un poignard ; elle eft d'environ un pied & demi de longueur, terminée en pointe à l'une des extrémités, & quelquefois aux deux : on Paflùjettk fur la main avec un cordon : ils en font ufage lorfqu'ils fe battent corps** à-corps, & elle efl très-propre à poignarder un ennemi. Quelques-unes de leurs dagues peuvent être appellees de doubles poignards ; le manche de celles-ci efl au milieu, & il donne plus de moyens de frapper de différens côtés. Ils ont auffi des arcs & des traits ; mais comme nous en vîmes peu, & qu'ils étoient très-foibles, on peut prefque afîurer qu'ils ne les emploient jamais dans les batailles. Le couteau ou la fcie dont j'ai parlé plus haut, & avec lequel ils dépècent les morts, peut auffi être mis au nombre de leurs armes ; car il leur fert à porter des coups d'eftoc ou de taille, lorfqu'ils fe battent de très-près : c'eft un petit infiniment de bois applati, d'une forme oblongue, d'un pied de Tome IL Ii 49s Troisième Voyag longueur, arrondi aux coins, garni d'un man- 1778. che & reflèmblant, à bien des égards, à quel- Février, ques-uns des Patoos de la Nouvelle-Zélande ; mais fes bords font environnés par-tout de dents de requin fortement attachées à la monture, & pointant en-dehors : le manche offre ordinairement un trou dans lequel paflè un long cordon , qu'on entortille plufieurs fois autour du poignet. Nous jugeâmes qu'ils fe fervent de la fronde ; car nous achetâmes des morceaux de Hématites ou de pierre fanguine , taillés dans la forme d'un œuf coupé longitudinalement, & offrant un fillon étroit au milieu de la partie convexe : l'un des Infulaires appliqua une corde de peu d'épaifièur fur la rainure de l'un de ces morceaux de Hématites , mais il ne voulut pas vendre la fronde, quoiqu'il confentît à nous ce-, der la pierre : cette pierre, lancée avec force, devoit porter un coup dangereux, car elle pe- foit une livre. Nous vîmes, d'ailleurs, des pierres à aiguifer ovales, bien polies, terminées en pointes vers chacune des extrémités, & reflèmblant beaucoup à des pierres que nous avions apperçues en 17745 à la Nouvelle-Calédonie, & que les Naturels de cette terre jettent avec leurs frondes. - J'ai déjà dit ce que nous avons pu découvrir .17-8. de C o o k. 499 des inftitutions religieufes des habitans d'Atooi, & de la manière dont ils difpo.fent de leurs morts. ♦Comme rien ne montrera mieux l'affinité qui exifte Février. entre les mœurs de ces Infulaires & les mœurs des Ifles des Amis & de la Société, je vais y ajouter de nouveaux détails qui éclairciront ce point, & qui feront voir en même-temps, comment quelques-unes des modifications infinies, dont les principes généraux des habitudes humaines font fufceptibles, peuvent diftinguer une nation particulière. Les Naturels de Tongataboo enterrent leurs morts d'une manière très-décente, & ils enterrent auffi les victimes humaines qu'ils facrifient aux Dieux. Je ne fâche pas qu'ils offrent à la Divinité ou qu'ils pofent fur les Autels aucun animal, non plus que des végétaux. Les O-Taïtiens n'enterrent point leurs morts, ils les laiflènt en "plein air où le temps & la putréfaction les confument ; mais ils dépofent enfuite les oflèmens dans une foflè, & ils enterrent les corps entiers des victimes humaines : ils offrent d'ailleurs à leurs Dieux des animaux & des végétaux , mais ils ne foignent point du tout les lieux où fe font ces offrandes & ces fàcrifices ; la plupart de leurs Morals tombent en ruine, & annoncent une extrême négligence. Les Naturels d'Atooi enterrent, ainfi qu'à Tongataboo, ceux ïi a i s n m I 5oo Troisième Voyage iimi qui meurent de mort naturelle, & ceux qu'on 1778. facrifie ^ux Dieux, mais leurs Temples font fa- Février, les, & ils offrent des végétaux & des animaux m à leurs Dieux comme à O-Taïti. Le Taboo eft connu à Atooi, dans toute fon étendue ; il paraît même qu'il y efl encore plus rigoureux qu'à Tongataboo ; car les gens du pays nous demandoient toujours avec empreflè- ment, & d'un ton qui annonçoit la crainte de nous offenfer, fi ce qu'ils déliraient de voir, & que nous ne voulions pas leur montrer, étoit Taboo , ou , comme ils prononçoient ce mot, Tafoo ? Le lecteur fe rappelle qu'aux Mes de la Société, on donne le nom de Maia raa, aux chofes dont l'ufàge efl interdit; mais les Infulaires d? Atooi ne paroiflènt pas auffi fcrupuleux fur le Taboo, que le font les O-Taïtiens fur le Maia raa ; j'en excepte toutefois ce qui regarde les morts, article fur lequel nous les jugeâmes plus fuperflitieux que les autres peuplades. Au refle, ces obfervations n'ont pas été faites d'une manière aflèz précife, pour les citer comme très-exactes. Afin de montrer jufqu'où va la conformité des ufages des divers pays, en d'autres points liés à la Religion, je remarquerai que les Prêtres ou Tahounas, ne font pas moins nombreux à Atooi que fur les autres Ifles, fi tous de Cook, 501 les Infulaires que nous avons vus difant des poor es \\ ou des prières, étoient de cette claflè. 1778. Si les mœurs des Infulaires dHAtooi reflèm- Février, blent à celles d'O-Taïti, la conformité du lan- \\ gage efl encore plus frappante : en effet, on peut dire que les idiomes des deux Mes font prefque mot-à-mot les mêmes. Nous remarquâmes auffi, des mots prononcés abfolument de la même manière qu'à la Nouvelle-Zélande & aux des Ifles des Amis ; mais quoique les quatre dialectes foient inconteflablement les mêmes, les Naturels d'Atqoi, en général, n'ont ni l'articulation forte & gutturale des Zélandois, ni l'articulation un peu moins rude des habitans de Tongataboo , & des terres voifines : non-feulement ils ont adopté la prononciation plus douce des O-Taïtiens, qu'ils imitent d'ailleurs, en évitant les fons âpres, mais encore l'idiome entier. Us donnent à leurs mots les mêmes affixes & les mêmes fuffixes , & leurs chants offrent la même mefure & la même cadence, quoique d'une manière un peu moins agréable : nous crûmes d'abord y appercevoir quelque différence, mais il faut obferver que les O-Taïtiens ayant eu de fréquentes liaifons avec nous, daignoient, en bien des ocçafions, adapter les mots & les tournures dont ils fe feryoient , à notre connoiflànce IiS C02 Troisième V o y a g fe~ imparfaite de leur langue , qu'ils employoient 1778. les termes les plus ordinaires, & même des ex- Février, preffions corrompues, lorfqu'ils caufoient avec nous : s'ils converfoient entr'eux, & s'ils fe fer- voient des tournures de phrafe, & des mots qu'exigeoit leur fyntaxe , ils étoient à peine entendus de ceux d'entre nous qui avoient fait le plus de progrès dans l'étude de leur vocabulaire. M. Anderfon ne laiflànt échapper aucune occafion de rendre notre voyage utile à ceux qui s'amu- fent à fuivre les migrations des différentes tribus ou familles qui ont peuplé la terre , d'après le plus décifif de tous les argumens, celui qu'on tire de l'affinité des idiomes, raflèmbla un catalogue de mots à Atooi. Il n'eft pas aifé de dire comment une feule Nation s'efl répandue dans toutes les parties de l'Océan Pacifique, fur un fi grand nombre d'Ifles féparées les unes des autres par un intervalle fi confidérable ! on la trouve depuis la Nouvelle- Zélande au Sud, jufqu'aux Mes Sandwich au Nord, & du Levant au Couchant, depuis l'Ifle de Pâques jufqu'aux Nouvelles - Hébrides , c'eft-à-dire, fur une étendue de foixante degrés de latitude , ou de douze cents lieues du Nord au'Sud, & de quatre-vingt-trois degrés de longitude ou de feize cents foixante lieues de PEft à an DE C O O K. 5°2 POuefl. On ne fait pas encore jufqu'où vont fes . Colonies dans chacune de ces directions; mais, 1778. d'après les obfervations faites durant mon fécond Février. Voyage, & durant celui-ci, je puis aflùrer que fi elle n'eft pas la nation du globe la plus nom- breufe, c'eft certainement la plus étendue. Ça) Si les Efpagnols avoient découvert, dans le dernier fiecle , les Mes Sandwich, il paraît sûr qu'ils auraient profité de Pheureufe pofition de ces terres, & quils auraient fait dZAtooi, ou d'une des terres voifines, un lieu de rafraîchiflè- ment pour les vaiflèaux qui vont, chaque année, d'Acapulco k.Manille; elles fe trouvent prefque à mi-chemin entre Acapulco & Guam9 l'une des Larrones , le feul port où ils relâchent dans la traverfée de l'Océan Pacifique, & ils n'auraient pas alongé leur route d'une fe- maine ; ils auraient même pu s'y repofer fans courir le moindre danger de perdre leur paflàge ; car le vent alifé de PEft, exerce fon action fur l'efpace qu'elles occupent. La connoiflànce de cet Archipel n'eût pas été moins favorable à nos flibufliers, qui fe rendirent quelquefois de la côte m m ( a ) Voyez , dans l'Introduction , de nouveaux détails fur la vafle étendue des Colonies de cette Nation. Ii * 504 Troisième Voyage de Cook, d'Amérique aux Mes des Larrons, ayant à 1778. peine aflèz de vivres & d'eau pour ne pas mourir Février, de faim & de foif; ils y auraient trouvé des vivres en abondance, & dans un mois d'une navigation sûre, ils auraient atteint la partie de la Californie, que le gallîon de Manille efl obligé de reconnoitre ; s'ils n'avoient pas rencontré le gallion, ils auraient pu retourner bien radoubés à la côte d?Amérique, après une abfence de deux mois. Enfin, combien le LorcVAnfon fe feroit cru heureux, & de combien de fatigues & de peines il fe feroit affranchi, s'il eût fu qu'il y avoit à mi-chemin entre l'Amérique & Tinian, un grouppe d'Mes en état de fournir à tous fes befoins ! L'élégant Hiftorien de fon voyage en aurait fait une defcription plus agréable que celle dont je viens de donner l'efquifle. Fin du Tome fécond. 5°5 T A B L E DES CHAPITRES CONTENUS DANS CE VOLUME. SUITE DU LIVRE SECOND. Chap. IX. Defcription d'une grande Fête, appellee Natche, relative au Fils du Roi. Proceflions & autres cérémonies qui eurent lieu le premier four. Nuit paflëe dans la Maifon du Roi. Continuation de la Fête le lendemain. Conjectures fur fon objet. Départ de Tongataboo & arrivée à Eooa. Defcription de cette Ifle, & récit de ce qui nous y arriva. Page i Chap. X. Avantages que nous procura notre féjour aux Ifles des Amis. Remarques fur les articles les plus propres aux échange» 'avec les Naturels. Rafraîchijfemens qu'on peut s'y procurer. Nombre des Ifles & leurs noms. Les Ifles de Keppel & de Bofcawen en dépendent. Remarques fur Vavaoo, Hamoa, Feejee. Voyages de long cours que les Naturels font fur leurs pirogues. Combien il efl difficile d'obtenir des informations exaCtes. Détails fur la perfonne des Infulaires de l'un <3? de 506 Table l'autre fexe, fur la couleur de leurpeaur, leurs maladies, leur caraCtere; de quelle manière ils^ portent leurs cheveux ; piquetures de leur corps ; habits & orne- mens dont ils fe parent; propreté per- fonnelle. 41 Chap. XL Occupations des femmes des Mes des Amis; occupations des hommes ; agriculture; conflruCtion des maifons; outils, cordages & inflrumens de pêche; infiru- mens de mufique ; armes, nourriture & manière d'apprêter les alimens; amufemens ; Mariages ; Cérémonies funèbres ; Divinités du Pays ; idées fur l'ame Ci fur une autre vie. Temples ; Gouvernement ; hommages qu'on rend au Roi. Détails fur la Famille Royale. Remarques fur la Langue, & petit Vocabulaire de cet idiome. Obfervations nautiques & autres. 80 LIVRE III. Relâche à O-Taïti & aux Ifles de la Société ,- fuite du Voyage jufqu'à notre arrivée fur la côte cVAmérique. Chap. I. Obfervation d'une éclipfe de lune. Découverte de rifle Toobouai. Sa Situation , fon étendue & fon afpeCt ; entrevues avec les Habitans ; defcription de leur figure , de leurs vêtemens & de leurs des Chapitres. 507 pirogues. Arrivée à Oheitepeha, l'une des baies ^'O-Taïti. De quelle manière Omaï efl reçu; imprudence de fa conduite. Détails fur les Vaijfeaux Efpagnols qui ont relâché deux fois à O-Taïti, Entrevue avec le Chef du diftriCt ^'Oheitepeha. L'Olla ou le Dieu de Bolabola : fou qui contrefait le Prophète. Arrivée dans la baie de Ma- 127 tavai. Chap. II. Entrevue avec O-Too , Roi d'O-, Taït-L Conduite imprudente d'Omaï. Nos occupations à terre. Débarquement de nos quadrupèdes /f Europe. Détails fur un des Naturels qui avoit fait le voyage de Lima. Détails fur (Edidee. Révolte d'Eimeo., Guerre contre cette Ifle réfolue dans un Confeil des Chefs. Sacrifice humain qui eut lieu à cette occafion. Defcription particulière des Cérémonies pratiquées au grand Morai, ou l'on offrit la victime. Autres coutumes barbares de ce Peuple. 156 Chap. III. Conférence avec Towha. Defcription de quelques Heevas. Omaï & (Edidee nous donnent à dîner. Feux d'artifice. Magnifique préfent d'étoffées qu'on nous fait. Manière de conferver les cadavres des Chefs. Un autre fàcrifice humain. Promenade à cheval. Soins d'O-Too pour nous fournir des provifions & empêcher les vols. Quadrupèdes que je lui donne. Etary & les Députés d'un Chef du pays obtiennent une audience. Combat (imulé de 5o§ T A B L E deux pirogues de guerre. Force novate dé ces Ifles ; comment elles font la guerre. 192 Chap. IV. Le jour de notre appareillage fixé. O-Taïti fait fa paix avec Eimeo. Débats fur ce point. La conduite d'O-Too efi blâmée. Cérémonies pratiquées au Morai en cette occafion, & décrites par M. King. Remarques fur ces Cérémonies. Trait d'artifice de la part d'O-Too. Omaï obtient une pirogue de guerre. Réflexions fur fa conduite. Préfent que m'offre O-Too pour le Roi de la Grande-Bretagne, & ce qu'il me chargea de dire à Sa Majeflé. Obfervations fur les échanges que nous fîmes, & fur la manière dont nous fûmes reçus à O-Tàiti. Détails fur les voyages qu'y ont fait les Efpagnols : ce qu'ils ont imaginé pour donner mauvaife opinion des Anglois. Combien il efl à defir er qu'on ne forme point d'établijfemens à O-Taïti. Jaloufie qu'un autre Voyageur infpire à Omaï. 214 Ciiap. V. Arrivée à Eimeof On y trouve deux havres. Defcription de ces deux havres. Nous recevons une vifite de Maheine, Chef de l'Ifle. Defcription de fa perfonne. Les Infulaires nous volent une chèvre ; ils la renvoient enfuite avec le Voleur. Vol d'une autre chèvre que les Naturels ont foin de cacher. Mefures que je pris à cette ^occafion. Expédition militaire dans l'Ifle. Nous brûlons des maifons & des pirogues. On nous rend la chèvre, & la paix fe rétablit. Détails fur l'Ifle , &c, 24i des Chapitres. 509 Chap. VI. Arrivée à Huaheine. Conflit des Chefs. Préfens Ci difcours d'Omaï aux Chefs du Pays. Son établiflèment dans cette Ifle efi décidé. Nous lui bâtiffbns 'une maifon Ci nous lui formons un jardin. Remarques fur l'état oh il fe trouvoit. Mefures que nous prenons pour le mettre en sûreté. Dégât fait par les blattes à bord de nos Vatjfeaux. Voleur découvert & puni. Feux d'artifice. Animaux que nous laifsâmes à Omaï. Obfervations fur fa Famille. Ses Armes. Infeription que nous mîmes fur fa maifon. Sa conduite lors de notre départ. Obfervations générales fur fa conduite & fon caraCtere. Détails fur les deux jeunes gens qu'il avoit pris à la Nouvelle-Zélande. 258 Chap. VII. Arrivée à Ulietea. Obfervations afironomiques. Un Soldat de Marine defer te , d les Infulaires le ramènent, ^e reçois des nouvelles d'Omaï. InfiruCîions ■ que je donne au Capitaine Clerke. Autre défier tion d'un Midshipman Ci d'un Matelot. Trois des principaux Perfonnages de l'Ifle emprifonnês à cette occafion. Découverte d'un complot des Naturels, qui for- moient le projet de m'arrêter, ainfi que le Capitaine Clerke. On me ramené les deiix Déferteurs, Ci je rends la liberté aux Gens du Pays, que je tenois en prifon. Les deux Vaiflèaux appareillent. Rafraî- chijfemens que nous prîmes à Ulietea. Etat 4e cette Ifle, comparé à l'état où nous fa* 5i° Table vions trouvée autrefois. Détails fur un de fes Rois qui fut détrôné, d fur le dernier Régettf de Huaheine. 287 Chap. VIII. Arrivée à Bolabola. Entrevue avec le Roi Opoony. Raifons qui me déterminent à acheter l'ancre de M. de Bougainville. Départ des Ifles de la Société. Détails fur Bolabola. Hifioire de la conquête *fOtaha c^ ^'Ulietea. Terreurs qu'infpirent les Habitans de Bolabola. Animaux que nous laifsâmes dans cette Ifle, ainfi qu'à Ulietea. Supplément de vivres que nous y embarquâmes , <^ manière dont nous falâmes des cochons. Obfervations relatives à O-Taïti Ci aux Ifles de la Société. Obfervations afironomiques Ci nautiques fur ces Terres. 309 Chap. IX. Les détails fur O-Taïti font encore imparfaits. Vents dominons dans le parage de cette Ifle. Beauté du Pays. Culture. Remarques fur les curiofités naturelles du Pays ; fur la perfonne des Naturels ; fur leurs maladies ; fur leur ca- raCtere ; fur leur amour pour le plaifir ; fur leur tangue ; fur la Chirurgie Ci la Médecine qu'ils pratiquent. Leur régime diététique. Effets de /'Ava. Epoques de leur repas, Ci manière de manger. Liaifons avec les femmes. Circoncifîon. Syfiême Religieux. Idées fur l'ame d fur une vie future. Superfiitions diverfes. Traditions fur la création. Légende hifiorique. Honneurs qu'on rend au Roi. DifiinCtion des D E Chapitre «ui rangs. Châtimens des crimes. Particularités des Ifles voifines. Noms de leurs Dieux. Noms des Ifles fréquentées par les Naturels des Ifles de la Société. Etendue • de leur Navigation. 331 Chap. X. Suite du Voyage après notre départ des Ifles de la Société. Découverte de l'Ifle de Noël. Pofit ion des Vaiflèaux fur la Côte. Canots envoyés à terre. Grand nombre de tortues que nous y prenons. Ob- fervation d'une éclipfe de Soleil. Détrefle de deux Matelots qui s'égarèrent dans l'intérieur de l'Ifle. Infeription laififée dans une bouteille. Defcription de l'Ifle. Remarques fur le fol ; fur les arbres d les plantes ; fur les oifeaux ; fur Vétendue de cette Terre ; fur fa forme ; fur fa pofition. Mouillage. 391 Chap. XI. Découverte de quelques Ifles. Obfervations fur les Naturels d'Atooi qui arrivèrent aux vaiflèaux , d fur leur conduite au moment où ils fc rendirent auprès de nous. L'un d'eux efl tué. Précautions pour empêcher les équipages de communiquer avec les femmes. Nous trouvons une aiguade. Réception qu'on nous fait à notre débarquement. Excurfion dans l'intérieur du Pays. Nous allons voir un Morai. Defcription de cet édifice. Tombeaux des Chefs. On y dépofe les corps des victimesfacrifiées aux Dieux. Reconnoiflànce d'une autre Ifle appellee Oneeheow. Cérémonies exécutées par quelques-uns des mi Table des Chapitres. Naturels qui viennent aux Vaiffeauiïé Raifons de croire qu'ils font Cannibales. Un Detachment envoyé à terre y pafle deux nuits. Récit de ce qui fe pafla lors du débarquement : les Vaiflèaux s'éloignent de ces Ifles d marchent au Nord. 409 Chap. XII. Pofition des Ifies dont je viens de parler.f Noms que leur donnent les Infulaires. Je les ai appellees Ifies Sandwich. Defcription d? Atooi. Remarques fur le fol, le climat, les productions végétales , les oifeaux, les poiflbns, les animaux domeftiques , la perfonne des Naturels , leur caraCtere, leurs habits , leurs ornemens, leurs habitations, leur régime diététique, leur manière d"apprêter les alimens, leurs amufemens , leurs Manufactures , leurs outils, la connoiflànce qu'ils ont du fer ,- leurs pirogues d leur Agriculture. Détails fur un de leurs Chefs. Armes dont ils fe fervent. Ufages conformes à ceux de Tongataboo d de O-Taïti. La Langue des Ifles Sandwich efi la même que celle des Ifles des Amis d de la Société : comment la même Nation s'efi répandue fur toute la Mer Pacifique. Avantages qu'on peut tirer de la pofition des Ifles Sandwich. 456 Fin de la Table des Chapitres. m I ■ ■"""@en, "Page 316 is misnumbered as page 516
Volume 2 of 4 and an atlas
French translation
Alternative title taken from Strathern and Edwards (1970)
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