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edm:dataProvider "CONTENTdm"@en ;
dcterms:alternative "Voyage dans les États-Unis d'Amérique"@en ;
dcterms:isReferencedBy "http://resolve.library.ubc.ca/cgi-bin/catsearch?bid=1733430"@en ;
dcterms:isPartOf "British Columbia Historical Books Collection"@en, "Voyage dans les États-Unis d'Amérique"@en ;
dcterms:creator "La Rochefoucauld-Liancourt, François-Alexandre-Frédéric, duc de, 1747-1827"@en ;
dcterms:issued "2016-07-06"@en, "[1799]"@en ;
dcterms:description "\"La Rochefoucauld travelled in the eastern United States and in Upper Canada where his remarks caused great annoyance, reI. Story. Vol.3, P.19 et seq. contain an account of the voyage of the Jefferson Captain Robert, which spent six months of 1793 in the vicinity of Nootka and Barkley Sounds and the Queen Charlotte Islands.\" -- Strathern, G. M., & Edwards, M. H. (1970). Navigations, traffiques & discoveries, 1774-1848: A guide to publications relating to the area now British Columbia. Victoria, BC: University of Victoria, p. 165."@en, ""@en ;
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skos:note """ 1
1
VOYAGE
DANS
L E S E T AT S-U N I S
D'AMERIQUE.
yOYAGE
^ANS
LES :etats-uni s
D'A MERIQUE,
FAIT EN 1795, I796 ET 1797.
Par LA ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT.
TOME SECOND.
A PARIS,
( Dd Post, Imprimeur-Libraire, ruedelaLoi, N.° J23l,
Chez < Buissoir, Libraire , rue Haute - feiiille.
( Charles Powgews , Libraire, rue St-TJhomas du Louvre.
LAN VII DE LA REPUBL1QU E,
TABLE
DU SECOND VOLUME.
SUITE DU VOYAGE
AU NORD-OUEST ET AU NO RE)!
EN 1795.
EXCURSION DANS LE HAUT-CANADA.
■^j-RRiviE dans le Ham-Canada, Pages' i
Fort Erie. Etat des garni sons anglaises sur les lacs, 4
Commerce du Lac Erie, 7
Voyage en bateau dufort Erie aufort Chippawa, 10
Chute de Niagara, 12
Fort Chippawa, xj
Autre aspect de la chute, 18
Moulins pies de la ckdte , si
Route de Chippawa a Navy-Hall, 2.3
Arrivee a Navy-Hall: attention du Gouverneur Sim-
coe. Lettre a Lord Dorchester, 26
Administration generale et division du Canada, 28
Constitution des deux Canadas , 3v
Vues, projets, espoir du gouverneur Simcoe sur le
Haut-Canada: obstacles qu il peut rencontrer, 3g
Impositions du Haut-Canada, - 61
Tribunaux , Districts, Pages 65
Cpmtes et Milices, 65
Depenses de VAngleterre poixr le Haut-Canada, 67
Conseil executif: Concession des terres, 70
Newarck: cherte, 7a
Jndiens Tuscororas: leur vislte au General: leurs
Danses, ft
Etablissement du Colonel Brant, 8z
Autre visite des Jndiens Senecas au General, 82
P6che, 84
Newarck; maisonst ouvriers, soldatst 85
Ouverture de VAssemblee du Haut-Canada, 88
Fort de Niagara, go
Courses autour du Lac, 92
Gazettes: Esprit public : Religion , io3
Village indien des Tuscororas, io5
Yorck, m
Depart de Navy-Hall, 113
Passage du Lac, 117
Arrivee a Kingston, 12a
Difference d'opinion du Lord Dorchester et du Gouverneur Simcoe sur Kingston, 12S
Kingston. Ville, District; Commerce, Agriculture,
Prix, etc., i3i
M. Steward. Religion. Ecole. 140
Soixantieme Regiment: accueil que nous en recevons.
Opinion des Officiers , 145
Canadiens, 148
Etablissement naval, i$o
Desertion. Jndiens, i5^
M
Riz et Chanvre sauvages , Pages i55
Promenade h Guansignougua creek, et moulins, 156
Communication entre les Lacs et la Riviere des Illinois, 160
Comptoiraux Illinois. Commerce des fourrures, i63
Depart de Kingston. Reflexions, 166
Oswego: son Fort, sa Douane, 169
Informations ultirieures sur le Canada , 178
Commerce des Pelleteries, et approvisionnemens
d'Europe, 189
rJwitfes renseignemens, igi
Renseignemens sur le commerce des Pelleteries,
extra:ts dun Journal de M. le comte Andriani,
de Milan, qui a voyage dans I'intirieur de VAme-
rique en 1791, 216
Valeur des marchandises de la Province du Canada,
dans le courant de Vannee 1786, 228
Depart d'Oswego, 23a
HETOUR DU CANADA JUSQu'a BOiSTON.
Route depuis Oswego jusqu'aux chutes, oSft
Chutes d'Oswego. ekJPenjfrs^ . 240
Three-rivers poifte,'Et squire Bingham, „r^4
Rbtterdam, et Lac Oneyda. M. de Vatines , 25a
JVood - creek, 263
Canada-creek, 265
Fort Stanurix, 267
Riviere des Mohawks, Mayers-tavernex 271
Schuylertown, 273
German's-Flats, 276
1
;es 279
282
286
288
289
299
3o6
3o8
3og
Canal et Ville de Little-falls: Palatine
Shenectady,
Route d'Albany',
Observations mineralogiques,
Albany,
Saratoga,
Stillwater,
M. Thompson,
Cohoes-fall,
New-city et Troy, 3xo
Observations mineralogiques et Q^UjreSj. 5n
Sur le Traite de Commerce cntre I''Amcrique et l'Angle ter re, 3i3
M. et Madame de la Tour-du-Pin, M. le CouUeux,
etc., 516
Potasse et Pearlasse, 3ig
Route d'Albany a Lebanon, ZzS
Eaux de Lebanon. Shakings-quakers,
Pitt&ffitMst '<'■
Northampton,
Route a Spencer,
Marlboroug. Maladie. La Famine ffluttamit,
Rencontie du G£tiefaXfinox,
SzG
■3%
339
340
347
.VOYAGE
DANS
LES ETATS-UNIS
D'AME RIQUE.
SUITE DU VOYAGE
AU NORD-OUEST ET AU NORD
EN 179^.
EXCURSION
DANS LE HAUT-CANADA.
Arrivee dans le Haut-Canada.
C'est le samedi 20 juin 1795, que nous
somraes entres dans le Haut-Canada. Les
bateaux sur lesquels nous avons passe la riviere
de Niagara, appartiennent aux Anglais ;
et par cela meme ils sont mieux soignes que
la plupart des bacs ou. bateaux d'Amerique,
Tome II. *A
ma&mxmaiP* <&8mM -~^^i
( 2 )
laisses a la direction des propri&aires, sans
qu'aucun officier public s'occupe de leur soli-
dite , ni de la surete des voyageurs.
Le bac est ici un bateau creux , dont les
bords ont un pied et demi de hauteur, et assez
fort, assez grand , pour porter cinq chevaux ,
sans apparence de danger.
Le maltre de ce bateau a commission de
prendre les noms des voyageurs ; les n6tres
e^taient connus : depuis long-tems nous £tions
annonces aux postes par le general Simcoe,
gouverneur du Haut-Canada, qui avait ete
prevenu de notre arrivee par M. Hammond ,
ministre d'Angleterre pres les Etats - Unis.
M. Guillemard , qui etait passe la veille , avait
dit que nous arriverions le lendemain; et le
capitaine d'une fregate anglaise, en reparation
a l'autre bord , nous avait envoy^ son canot,
des qu'il nous avait appereus.
Notre guide Poudrit nous avait precede" au
bord. de la riviere, pour appeler le bateau public ; de maniere qu'arrivant avant le canot,
dont la destination nous ^tait d'ailleurs incon-
nue , nous y sommes montes.
Le passage est de quatre a cinq minutes de
la cote de l'Amerique a la c6te anglaise ; il est
d'un quart d'heure en Yenant de la cote anglaise
a la cote americaine.
1;
(3)
Le fort Erie est sur le lac, a deux milles
plus haut que le point ou se passe la riviere.
Le commandant avait charge le capitaine de la
frigate de nous faire ses complimens , en,
attendant qu'il put nous venir voir lui-meme.
Nous avons juge" devoir repondre a,cette poli-
tesse , en lui portant sur le champ nos passe-
ports ; nous nous sommes done mis en route :
nous n'etions pas vetus cependant pour une
visite de ceremonie , et la pluie rendant notre
tenue plus mauvaise encore , nous nous sommes determines a aller nous secher a la taverne,
et y attendre quele terns, qui paraissait devoir
s'eclaircir , nous permit d'aller au fort.
Nous n'etions pas encore habille's, que le
commandant etait chez nous ? et que, nous
annoncant qu'il avait ordre de nous faire toutes
les honnetete"s qui etaient en son pouvoir , il
nous priait a diner. Cette politesse etait fort
de notre gout : apres avoir pass6 trois jours
dans les bois , le diner d'un commandant etait
une vraie fete. Nous avons done accepte" sans
difficult^ et nous nous sommes achemines
avec lui vers le fort.
( 4)
Fore JErie. Elat des Garnisons
anglaises sur les lacs.
Le fort Erie est appele fort on ne sait
pourquoi ; e'est une reunion de maisons de
bois tres-grossieres , entourees de palissades
branlantes, sans rempart , sans chemin cou-
vert, sans aucun mouvement de terre. Des
maisons construites en troncs d'arbres , (log-
houses ) sont le logement des officiers et des
soldats , et d'un cqmmissaire du gouvernement
pour les approvisionnemens; quatre autres
malisons pareilles pour loger les ouvriers , et
un grand magasin appartenant au roi, sont
hors de cette enceinte , celui-ci a son rez-de-
chaussee construit en retraite, de facon que
par des ouvertures faites au premier e"tage ,
on en pourrait facilement defendre l'approche
a coup de fusil. C'est ce genre de consti-uc-
tion , fort commun dans l'Amerique libre et
dans l'Amerique anglaise , que Ton nomme
block-house. Le fort n'a done jamais pu etre
considere" que comme point de protection
contre les Indiens, pour le commerce du lac
a la pointe duquel il se trouve , et jamais
comme fort, dans l'acception generalement
donnee a ce mot. II est d'ailleurs a present
plus neglige1 que jamais, parce que la reddi-
tion prochaine aux Americains des forts sur
l'autre rive , met les Anglais dans 1'alternative
indispensable ou de n'en avoir point de ce
c6te-ci, ou d'en batir d'une defense respectable.
Une compagnie du cinquieme regiment est
en garnison au fort Erie ; le capitaine de cette
compagnie a le commandement de la place.
C'est aujourd'hui le capitaine Pratt; il a par
son anciennete commission de major, et il
en porte le titre. Le service militaire des sol-
dat's est, dans cette garnison , borne" a une
sentinelle ; mais ils doivent faire celui des
bateaux appartenant au gouvernement.
Presque toutesles provisions , les munitions
de toute espece arrivent d'Angleterre et par
les lacs. La navigation Unit dans la riviere de
Niagara , a sept milles plus haut que le lac
Ontario; de la , portage a Chippawa pour neuf
autres milles; puis la navigation recommence
par des bateaux jusqu'au fort Erie" , ou les
effets destines au fort du Detroit sont embar-
ques dans des navires. C'est la navigation des
bateaux du fort Erie au fort Chippawa , et
le retour de-la au fort Erie , dont sont charges
les soldats; elle est tres-penible en remontant,
et ils ne recoivent pour cette fatiguanre corvee
A 3
(6)
que quinze schellings a partager entre cinq
hommes , dont est corriposee l'expedition.
Les soldats ont d'ailleurs un jardin ou ila
peuvent cultiver les legumes, dont il leur
serait impossible de se pourvoir autrement;
le roi d'Angleterre leur fournit en nature leur
ration , composee par jour d'une livre de fa-
rine , d'une livre de pore, sale, cle quatre
onces de ris et d'une petite quantite de beurre;
cette ration , qui sans aucun dou'te , coute au
roi fort cher, est donnee aux soldats pour
deux pences et demi, qui leur sont retenus
sur les six qui composent leur paie; il en est
ainsi dans toute l'etendue du Canada. Une
autre compagnie du meme regiment est a
Chippawa et huit au fort Niagara. Le vingt-
cinquieme regiment est au' fort du Detroit,
et fournit a quelques petits forts en avant,
retenus aussi par les Anglais, et deslines a
etre bientot delivres aux Americains. Le fort
du Detroit est au bout du lac Erie" , et sur
la riviere qui le separe du lac Saint-Clair.
L'etablissement du Detroit a e"te fait en
1740 ; il est presqu'entierement compose de
Eran$ais, etreunitenvirontrois mille families;
il est, dit-on , en bon etat de prosperite.
Une centaine d'hommes d'artillerie sont
encore distribuds entre le Detroit , le fort
(7)
Niagara el quelques autres places dont j'aurai
occasion de parler.
La residence des troupes en Canada est or-
dinairement de sept annees , pendant lequel
tems elles doivent changer annuellement de
garnison; la guerre de l'Europe , la crainte
de la guerre en Amerique , a change ces dispositions ordinaires, et les regimens sont de-
puis trois ans dans les memos places , circons-
tance qui ne plait pas a ceux qui ont les pe-
tits forts en partage; les regimens sont > pour
la meme cause , rdduits aujourd'hui a la
moitie de leur complet.
Comn
I du Lac Erie.
Un magasin appartenant a un particulier
est aussi au fort Erie ^ detached cependant des
batimens dont la propriete" appartient au roi.
Dans ce magasin sont placees les marchan-
dises , qui, venant d'en bas , sont destinees
pour le Detroit, et qui, venant d'en haut ,
doivent passer a Niagara , Kingstown, Mont-r
R^al, Quebec, etc. Elles sont mises sur le
chemin de leur destination a la premiere occasion , c'est-a-dire , en bateau pour en bas ,
et dans des navires pour le Detroit. Quatre ou
cinq batimens marchands font le service dvi
A4
f g^EAngwummi
• (8)
lac Erie1, independamment de trois a quatre
sloops armes appartenant au roi.
Les fourrures sont les marchandises qui
viennent, en plus grande quantite , du cote
du Detroit. Nous avons cependant vu quelques
barriques de beau sncre d'erable fait par les
Indiens ; on nous a dit que la quantite qui
en passait annuellement pour le commerce ,
C"tait considerable , sans que nous ayons pu
savoir precisement ce qu'elle etait. Le maitre
du magasin loue par saison une vingtaine de
Canadiens qui chargent et dechargent les batimens , emmagasinent les marchandises , et
conduisent les bateaux au portage d'en bas.
Ces Canadiens, en apprenant que nous etions
Francais , nous out temoign^ une bienveil-
lance , un plaisir et un respect dont nous
avons cru devoir, a notre position, la prudence
d'eviter les expressions repetees.
Le Chippawa , capitaine Haro , sloop appartenant au roi, est arrive pendant notre
sejour au fort; il avait mis sept jours dans la
traversee depuis le Detroit; elle se fait sou-
vent en deux.
Le numeraire est extremement rare dans
ce coin du monde; c'est du Bas-Canada qu'il
doit y arriver; mais a Quebec et a Mont-Real,
cm n'aime pas a s'en desaisir , et sous le pre-
(9)
texte des dangers de son transport, le treso-
rier meme des troupes n'en envoye pas pour
la solde ; comme il recoit lui-meme cette
solde en monnaie , il ne pourrait se refuser de
la distribuer telle aux tresoriers des regimens ,
s'ils venaient la chercher, soit a Mont-Real,
soit a Quebec, ou il reside , mais le voyage
aux frais des corps serait une taxe un peu
chere sur cet argent, dont toutes les parties
doivent arriver entieres a leur destination; il
envoie done des lettres de change , qui sont
payees en papier que chacun fait a sa fantaisie,
et qui est pris par tout le monde avec une
confiance semblable a celle que nous avons
vue en France dans la seconde ann^e de la
revolution ; il est de ces billets qui ne valent
que deux sols; tous sont depetits chiffons de papier imprimes ou ecrits a la main, souvent sans
aucune signature, la plupart effaces ou dechires.
Des Indiens etaient arrives dans plusieurs
pirogues pendant notre diner ; ils ont dresse
sur le bord de la riviere de petits camps que
nous avons trouves en revenant. Nous avons
eti cordialement accueillis par eux, et la situation d'un de nos compagnons, peu diffe-:
rente de celle ou nous avons trduve le plus
grand nombre de ces buveurs de rhum, a pu
n'etre pas inutile a notre bonne reception.
f
( io )
'J^oyage en bateau du fort Erie au
fort Chippawa.
Apres un bon dejeuner sur la fregate Lo-
towha, ou nous avons eir occasion de savoir
que ce batiment, du port d'environ 40 ton-
neaux , perce pour 16 canons , avait coiitede
construction plus de 5ooo liv. st. ( ce qui peut
donner quelqu'idee de l'enormite" des prix de
ce pays). Nous nous sommes embarques pour
Chippawa le dimanche 21. Le major Pratt a
insiste pour que nous prissions un bateau du
gouvernement;c'etait, disait-il, ses ordres ;
il l'a garni de six soldats bons rameurs , et
a voulu encore que le lieutenant Faulkner
nous accompagnat jusqu'a Niagara. Aucune
resistance n'a pu empecher ce compliment,
qui m'eut embarrasse dans le terns de ma
splendeur , et qui aujourd'hui ressemble plus
encore a une plaisanterie. II a done fallu s'y
soumettre , et faire comme si j'etais encore
quelque chose , dans le sens dont l'entendent
les faiseurs de complimens. Nos chevaux ont
ete" nous attendre au lieu ou nous devions
debarquer.
Nous approchions de la vue de cette grande
chute de Niagara, qui &ait un des objets
(11)
principaux de notre voyage, que j'avais de-
puis long - terns le desir extreme de voir ,
don't chacun de nous se composait dans l'en-
thousiasme de son imagination , une idee
particuliere. Chaque coup de rame nous
avancait vers elle , et tout entiers a l'avidite
d'en appercevoir la vapeur et d'en entendre
le bruit, nous donnions peu d'attention aux
bords de ce fleuve passablement habite du
cote du Canada , au cours majestueux de ses
eaux , a la vaste largeur de son lit. Enfm ,
nous avons entendu ce bruit, nous avons vu
cette vapeur; le terns n'etait pas favorable
pour nous donner de bien loin ce charme
precurseur; la rapidite du courant qui commence a se faire sentir plusieurs milles avant
le lieu meme de la chute , nous a bient6t
amenes a Chippawa; il faut, un mille avant
d'y arriver, ne pas quitter le bord du fleuve;
on serait, sans cette precaution, prompte-
irient conduit dans les courans , qui entrai-
nent irresistiblement dans le gouffre tout ce
qui les approche ; il faut meme un grand effort de rames pour remonter le creek de
Chippawa , qui donne son nom au fort. Nous
n'y avons pas plutot aborde" , que l'impatience
de courir a la chute est devenue un besoin
imperieux; a peine avons nous donne aux
(12)
politesses du capitaine Hamilton , qui coni-
mande dans ce fort, toute l'attention qu'elles
meritaient. Nous avons seulement accdpte
pour quatre heures un diner qu'il a bien voulu,
a notre consideration , retarder autant, et
imontcs sur nos chevaux , nous nous sommes ,
avec le lieutenant Faulkner, diriges vers la
chute. Chippawa en est a un miile et demi
en ligne droite ; mais les bords de la riviere
font un si grand detour que le chemin qui
les suit parcourt une distance de plus de
trois milles.
Chute de Niagara.
C'est a Chippawa meme que ce grand spectacle commence. Le fleuve qui depuis le fort
Erie s'est toujours etendu, est large en cet
endroit de plus de trois milles ; mais il se res-
serre promptement; la rapidite de son cours
deja considerable redouble encore, et par la
grsande inclinaison du terrein sur lequel il
coule , et par le retrecissement de son lit.
Bientot la nature de ce lit change ; c'est un
fond de roc , dont les debris amonceles ne
presentent des obstacles a ces eaux impe-
tueuses que pour en augmenter la violence.
Apres un pays presque plat, une chaine de
( i3)
n
rocs tres-blancs s'eleve ici aux deux cote's du
fleuve , reduit a la largeur d'un mille; ce sont
les monts Alleganys qui ont, pour arriver
a ce point, travers6 tout le continent de l'Amerique depuis la Floride. Le fleuve Saint-
Laurent, ici nomme" riviere de Niagara, resserre
par les rochers de sa droite, se divise ; une
branche suit les bords de ces rochers, dont la
projection la jette elle-meme fort en avant;
l'autre , et c'est la plus considerable, separee
de la premiere par une petite lie, se jette brus-
quement sur la gauche , s'y fait au milieu des
pierres une espece de bassin , qu'elle remplit
de ses tourbillons, de son e"cume et de son
bruit; enfin arretee par les nouveaux rochers
qu'elle trouve a sa gauche, elle change son
cours plus brusquement encore , a angle
droit, pour se pre"cipiter en meme-terns que
la branche de droite, de 160 pieds de hauteur par-dessus une table de rochers presque
demi circulaire , applanie sans doute par la
violence de cette immense masse d'eau qui
roule depuis la naissance du monde.
La elle tombe en formant une nappe pres-
qu'egale dans toute son etendue, etdontl'uni-
formite n'est^interrompue que par l'ile qui,
separant les deux branches, reste inebranlable
sur son roc, et comme suspendue entre ces
( i4)
deux torrens, qui versent a-la-fois dans cet
enorme gouffre les eaux des lacs Erie, Michigan, St. Clair, Huron, Superieur, et celles
des rivieres nombreuses qui alimentent ces
especes de rners, et fournissent sans relache
a leur immense consommation.
Les eaux des deux cascades tombent a pic
sur les rocs ; leur couleur en tombant, sou-
vent d'un vert fonce, souvent d'un blanc ecu-
meux, quelquefois absolument limpide, re-
^oit mille modifications de la maniere dont
elles sont frappees par le soleil, de l'heure
du jour, de l'etat de l'atmosphere, de la force
des vents. Precipitee sur les rocs, une partie
des eaux s'eleve en une vapeur epaisse qui
surpasse souvent de beaucoup la hauteur de
leur chute, et se mele alors avec lesnuages.
Les autres se brisant sur des monceaux de
rochers, sont dans une continuelle agitation ;
long-tems en £cume, long-tems en tourbillon,
elles jettent contre le rivage des troncs, des
bateaux, des arbres entiers, des debris de
toutes les especes queues ont recus ou en-
traine"s dans leur cours prolonge. Le lit du
fleuve maintenu entre les deux chaines de
montagnes d'un roc vif qui continuent assez
loin au-dessous , est encore plus resserre apres
la chute, comme si une partie de ce fleuve
Ci5)
immense s'^tait evanouie dans cette chute t
ou engloutie dans les entrailles de la terre ;
le bruit, l'agitation, le cours irregulier, les
rapides s'en prolongent sept a huit milles plus
loin ; et ce n'est qua Queenstown, distant de
neuf milles de la chute, que le courant ayant
repris plus de largeur et de calme, peut-etre
passe avec securite.
J'ai descendu jusqu'au bas de cette chute;
les abords en sont difficiles; des descentes a
pic, des echelles pratiquees dans les arbres ,
des pierres roulantes, des rocs menacans, et
qui par les debris qui couvrent la terre aver-
tissent les voyageurs du danger auquel ils s'ex-
posent, aucun appui pour se retenir que des
arbres morts prets a rester dans la main de
1'imprudent qui oserait y prendre confiance,
tout y semble fait pour inspirer l'effroi. Mais
la curiosity a sa folie comme toutes les autres
passions , et elle en est une veritable ; ce
qu'elle me faisait faire dans ce moment, la
certitude d'une grande fortune n'eut pu, j@
crois , m'y determiner. Enfin , me trainant
souvent sur les mains, d'autres fois trouvant
dans mon ardeur une adresse que j'etais loin
.de me soupconner ; souvent m'abandonnant
au hasard, je suis parvenu, apres un mille et
demi de marche dans le plus penible travail
r
(16)
sur ces bords difficiles, au pied de cette immense cataracte ; l'amour-propre de l'avoir
atteint y compense seul la peine des efforts
que le succes a coute" ; il est plus d'une situation pareille dans la vie.
La on se trouve dans un tourbillon d'eau
dont on est perce. Les vapeurs qui s'elevent
de la chute se confondent avec les Hots qui
en tombent; le bassin est cache par cet epais
nuage ; le bruit seul, plus violent que par-tout
ailleurs, est une jouissance particuliere a cette
place. On peut avancer quelques pas sur les
rocs entre l'eau qui tombe , et le pied du ro-
cher d'ou elle s"e precipite; mais on est alors
se^pare du monde entier, meme du spectacle
de cette chute , par cette muraille d'eau qui
par son mouvement et son epaisseur inter-
cepte tellement la communication del'airex-
terieur, qu'on serait entierement siiffoque,
si on y restait long-tems.
II est impossible de rendre l'effet que cette
cataracte nous a fait eprouver; notre imagination long-tems nourrie de l'esperance de
la voir, nous en tracait des peintures qui nous
semblaient exagerees ; elles £taient au-dessous
de la realite : chercher a decrire ce beau phe-
nomene et l'impression qu'il cause, ce serait
tenter au-dessus du possible..-
J'etaia
( 17 )
J'^tais tellement rempli de l'enthousiasme
qu'il avait produit en moi, que cette emotion
m'a adouci. la difficult^ du retour, et que ce
n'est qu'arrive au fort chez le capitaine Hamilton, que je me suis appercu de ma fatigue,
de mes contusions, de ma faim, du deplor
rable etat de mes vetemens, et que j'ai pu
soupgonner l'heure qu'il etait; il e"tait huit
heures.
Le pauvre lieutenant Faulkner, qui avait
cru devoir accompagner ma grace , n'avait
pas, malheureusement pour lui, partage mon
enthousiasme • il n'avait ete associe" qu'aux
difficultes , aux contusions, a la fatigue, et
son extreme politesse n'a.pu l'empecher de
conserver une tristesse vraiment profonde ,
jusqu'a ce que quelques verres de vin aient
releve ses spirits.
Fort Chippawa.
Le capitaine Hamilton commandant du fort
Chippawa, moins fort encore que le fort Eri£,
avait eu le bon proce'd-ii de nous garder a diner. II est soutenu, contre le degout de ce
' poste ispjejjj le plus ennuyeux de tous.les posies, par la compagnie d'une femme jolie, douce,
aimable, de laquelle il a six enfans, dont il
Tome II. B
(I)
est entoure; sa femme et lui nous ont regus
avec la simplicite, la cordialite et l'aisance
d'excellentes gens de la meilleure compagnie.
Chippawa etait jadis le chef-lieu d'une nation d'Indiens, etablie maintenant sur les con-
fins de la Virginie ; il est aujourd'hui le lieu
ou se termine le portage que la cataracte et
ses longs effets rendent necessaire. Le portage
avant la pais de 1782 se faisait de l'autre cote
de la riviere, les denrees s'embarquaient et se
debarquaient au fort appele a present Sckuyler
yis-a-vis Chippawa.
Il y a ici, comme au fort Erie, ind^pen-
damment des casernes, des magasins appar-
tenans au roi d'Angleterre, et des magasins
pour les negocians , une assez bonne taverne;
quelques autres maisons en tres- petit nom-
bre composent ce village, mal sain par la nature des eaux tres-puantes du creek, a laquelle
on attribue les fievres dont cette place est an-
nuellement infestee.
Autre aspect de la chute.
Le lundi 22 , en quittant de bonne heure
Chippawa, nous nous proposions bien de re-
voir la chiite ; la pluie qui tombait a verse ne
nous en a pas detourne. M. de Blacons nous
( i9)
a conduits a un point d'oii il l'avait vue la
veille , et dont il a voulu nous procurer le
plaisir; cette place est connue dans le pays
sous le nora de tablerock ; c'est une partie du
rocher d'ou le fleuve se precipite; on s'y trouve
a la hauteur de son lit, et presque dans ses
eaux, de maniere que Ton voit dans une entiere
securite le torrent fondre sous ses pieds, et
qu'on y serait entraine soi-meme , si Ton avan-
gait deux pas de plus. La on jouit a-la-fois du
beau spectacle de ces eaux ecumantes, arrivant
a grand bruit par-dessus les rapides de cette
etonnante cascade dont rien ne separe, etdu
bassin tournoyant oh elle s'engloutit. C'est cex-
tainement de ce lieu que cette merveille de la
nature doit etre contemplee, si on ne veut la
voir que d'un seul; mais il faut la regarder
de tous les points , et de tous on la trouve plus
belle, plus merveilleuse, on en est plus etonne
•plus frappe d'admiration, de stupefaction.
Les abords de la tablerokc sont aussi beau-
coup plus faciles que les autres. On regrette
que le gouvernement de la nation la plus voya-
geuse, la plus curieuse n'ait pas fait prati-
quer des moyens commodes d'approcher des
divers cotes de cette chute vantee dans le
monde entier. On dit a sa justification que le
nombre de voyageurs que la curiosite seule-
B a
(20)
ment amene est presque nul; que le nombre
meme de ceux qui passant sur le chemin pour
affaires s'arretent pour regarder la chute, est
tres-peu considerable ; que les sauvages allant
a la chasse et les enfans desceuvres ont seuls
la fantaisie d'y descendre , et qu'en consequence les depenses faites pour ces chemins
ne seraient profitables a personne. Toutes ces
raisons ne peuvent pas servir d'excuse a l'eco-
nomie d'une depense de trente dollars, pour
rendre accessible la premiere curiosite peut-
istre de l'univers.
On n'a pas besoin de dire que malgre la se*-
verite des hivers la chute ne gele jamais ; la
partie de la riviere qui la precede ne gele pas
davantage; mais les lacs qui la fournissent,
les rivieres qui s'y jettent se prennent souvent , au moins en partie, et des monceaux
enormes de glace qui sen echappent tombent
continuellement pendant l'hiver par cette cataracte , et ne se brisent pas entierement sur
les rocs ; ils s'elevent en masse souvent jus-
qu'a la moitie de sa hauteur. Le bruit que fait
la chute nous a cependant moins surpris que
nous ne nous y attendions; M. Guillemard
et moi, qui avions vu celle du Rhin a Sha-
fousen, nous nous sommes accordes a trouve^
que son fracas avait quelque chose de plus
( 21 )
^tonnant; mais encore une fois, la chute de
Niagara ne peut etre comparee a rien; ce n'est
pas de l'agreable, ni du sauvage, ni du roman-
tique , ni du beau meme qu'il faut y aller cher-
cher ; c'est du surprenant, dumerveilleux, de
ce sublime qui saisit a-la-fois toutes les facul-
tes, qui s'en empare d'autant plus profonde-
ment, qu'on le contemple davantage, et qui
laisse toujours celui qui en est saisi dans rim-
puissance d'exprimer ce qu'il eprouve.
Moulins pres de la chiite.
A un mille en avant de la chute , et dans le
grand bassin que la riviere se fait a gauche ,
sont deux moulins a bled et deux moulins a
scie. Nous avons vu avec soin celui qui en est
le plus eloigne; etqui est aussi le plus curieux,
en ce que les arbres qu'il exploite jetes dans
le creek de Chippawa, a son confluent, sont
par le moyen d'une petite ^cluse , introduits
dans un canal ingenieusement forme dans le
lit m£me du fleuve par une double ligne de
pieces de bois flottantes , attachees les unes
aux autres, et prdservdes de se briser contre
le rivage par d'autres grandes poutres flottantes
aussi, placees de distance en distance, et qui
servent pour ainsi dire de coussin a ce canal
B 3
( 22 )
artificiel. Les eaux y conservent la rapidite
de celles du courant , et conduisent les
troncs au pied du moulin, ou par le meme
mouvement qui fait agir les scies, ils sont amends sur le chantier, ou ils sont mis en planches. Deux seules scies sont aujourd'hui employees dans ce moulin. La force de l'eau est
telle qu'elle n'aurait pas de bornes dans ses
pouvoirs ; mais les besoins actuels du pays re"-
duisent a ce petit nombre les scies aujourd'hui
en activite ; et le proprie"taire intelligent qui a
construit ce moulin l'a fait de manure a pouvoir
par la suite en ajouter un beaucoup plus grand
nombre, a mesure que la consommationcrois-
sante le necessitera. II a dispose" dans la meme
intention son moulin a bled, qui aujourd'hui
n'a que deux paires de meules. Le prix de la
mouture, fixe par la loi, est, dans tout le
Haut-Canada , du douzieme ; celui du sciage
est de la moitie des pieces a scier.
Une source d'eau sulfureuse trouvee l'annee
derniere a,quelques toises du bord de la riviere , et enfouie depuis par l'eboulement des
terres , vient de reparaitre dans le canal meme
qui amene les arbres au moulin ; une pierre
que Ton a percee et placee sur son orifice,
empeche que ses eauxne soient melees a celles
du fleuve ; l'approche d'un tison en enflamme
(23)
la vapeur, lui donne la couleur de l'espritde
vin allume, et la fait bruler jusques dans la
terre. Probablement il se passera bien du terns
encore, avant qu'on cherche a connaitre si
cette source a ou non des vertus medicinales.
On a decouvert dernierement aussi une
mine de fer abondante pres le creek de Chippawa ; une compagnie se propose pour l'ex-
ploiter, et veut construire aupres de la chute
une usine r^ecessaire a son travail. Mais il faut
la permission du gouverneur ; car la mere-
patrie veut fournir toutes ses colonies de ses
propres manufactures; elle n'est pas corrigee
encore de ce monopole, qui deja lui a coute
l'Amerique. On se flatte pourtant que la permission pourra etre accordee.
Route de Chippawa a Navy-Hall.
Les terres , dans toute la route de Chippawa a Navy-Hall ou Newarck, semblent
bonnes , sans paraltre toutefois de la premiere
qualite. Elles sont peupiees d'habitations assez
multipliees: ces terres sont donnees, depuis
plus ou moins long- terns , par le Gouverne-
ment. Les premiers etabiissemens n'ont pas
dix ans d'anciennete , et presque tous ne sont
commences que depuis trois a quatre ans. Les
B I
( 24 )
maisons, toules construites en troncsd'arbres,
sont mieux banes, plus propres que celles que
Ton voit communement dans les Etats-Unis.
Le genre de culture semble a-peu-pres le meme;
un pound de New-Yorck, ou deux dollars
et demi, est le prix commun de l'acre dans
dans tout le canton, quand toutefois la pro-
gprtion entre la partie cleared et celle sous
bois , est de 4o a 200 ou environ. Certaines
circonstances de positions favorabl«s, de batimens plus considerables, etc. etc., en haussent
le prix. Les ouvriers sont, dans tout ce tra-
jet, extremement difficiles a trouver, et sont
payes cinq a six schellings par jour , inde-
pendamment de la nourriture. L'hiver ne dure
ici que depuis la moitie de decembre jusqu'au
commencement d'avril.
Les chemins du fort Erie a Newarck, sont
bien ouverts , et dans un terrein de sable
leger , qui les rend plus aises a entretenir.
Le passage assez frequent des voitures, dans
tout le trajet du portage, ne les gate pas.
Queenstown est le lieu ou les marchandises
destinees pourle haut-pays , sont debarquees,
et ou celles qui en viennent recommencent
leur navigation. Cette reunion de maisons ,
commenceeilya trois ans , est composee d'une
assez bonne taverne, de deux a trois maga-
(25)
sins , de quelques petites maisons d'une
block-house de pierre , couverte d'un toit de
fer , et de barraques construites pour recevoir
le regiment de chasseurs du gouverneur Simcoe,
et abandonees depuis , parce que le regiment a ete envoye dans une autre partie de
la province.
M. Hamilton, riche negociant , interesse
dans tout le commerce interieur de l'Amerique, possede, a Queenstown , une tres-jolie
maison dans le style anglais ; il reunit encore
autour de lui , une ferme , une distillerie ,
une tannerie : on dit beaucoup de bien du
caractere de ce negociant; il est de l'espece
d'hommes la plus precieuse pour un nouveau
pays ; il a ete nomme membre de la legislature
du Haut-Canada , mais il est a present en
Angleterre.
Le portage etait aussi autrefois de l'autre
cote de la riviere , mais depuis qu'il est evident qu'en vertu des traites , ces terres de-
viendront americaines, le Gouvernement l'a
change de cote. Tout ce pays, quoiqu'assez
sablonneux , est couvert de clones , de cha-
taigniers , de tres-beaux hicorys. Les parties
plus humides, y sont, comme dans tout le
reste de l'Amerique, chargees de frenes et
durables.
I
( 26 )
C'est dans ce point que M. de la Jonquiere,
charge par la coiir de France d'assurer au
commerce frangais la liberie des lacs,, fit son
premier etablissement, qu'il porta ensuite a
Niagara , avec la permission, et sous la protection des Indiens Yiiowshouans , qui ont
aussi disparu de cette partie du Monde.
Arrivee a Navy-Hall : attention du
Gouverneur Simcoe. Lettre a lord
Dorchester.
Nous pouvions , apres l'accueii que nous
avions regu , en arrivant sur les limites du
Gouvernement de M. Simcoe , nous attendre
a une obligeante reception chez lui; elle l'a
ete plus encore que nous ne 1'avions espere.
Des qu'il nous a su arrives , il nous a envoye son adjudant-general, pour nous inviter
a diner. II descendait de cheval, et ne pou-
vait venir lui-meme.
Nous nous sommes rendus a son invitation ,
et bientot apres le diner , il nous a prie de
rester chez lui , d'y prendre nos lits, et de
nous regarder comme dans notre propre rnai-
son. Refuser , eut ete mai repondre a cette
politesse, qui avait tout le caractere de la
sincerity ; accepter , etait encore agir pour
( 27 )
notre commodite , puisque nous n'avions per-
sonne a voir k la ville , qu'elle est distante
d'un grand deari-mille de l'habitation du gouverneur , et que c'etait de lui que nous atten-
dions, et la plus agreable compagnie , et les
meilleures informations sur ce pays, tres-in-
teressant pour notre curiosite.
Nous n'avons pas tarde d'ailleurs a savoir
que nous etions destines a rester plus long-
tems a Niagara , que nous ne Favions pro-
jette en arrivant,le gouverneur Simcoe may ant
dit, en apprenant mon projet d'aller a Quebec , qu'il ne pouvait laisser penetrer aucun
etranger dans le Bas-Canada , sans la permission expresse de lord Dorchester ; il m'a
meme montre 1'ordre positif du gouverneur-
general , date du mois d'octobre de l'annee
derniere , et dont la conduite de quelques
francais , etait donnee pour motif. Tout en ap-
plaudissant aux sages precautions de ce gou-
verneur-general, et de tous ceux qui cher-
chent aecarter une revolution de leur pays , je
n'ai pourtant pu m'empecher de regretter que
M. Hammond m'eut assure avec tant de con-
fiance , qu'il etait convenu avec lord Dorchester, et a la demande de celui-ci, que son
passe-port serait le seul moyen , et le moyen
suffisant pour un stranger, d'entrer des Etats-
( 28)
Unis dans le Sas-Canada. Je l'avais prie d'en
ecrire d'avance a lord Dorchester , qui , en
donnant des ordres pour nou^daisser passer,
nous aurait evite un delai aussi long dans
notre voyage , et 1'inquietude d'etre aussi
long-tems importuns au gouverneur Simcoe.
Quoiqu'il en soit, il a fallu taire ce mecon-
tentement, en attendant le moment favorable , ou lord Dorchester aurait pu envoyer
sa lettre a Kingston : je le priais. par la
mienne de l'y adresser. J'ai profite de ma
longue residence a Niagara, pour satisfaire
mon desir de connaitre le pays, et la loyale
ouverture du gouverneur Simcoe m'en a
donne tous les moyens.
Administration generale et division
du Canada.
C'est seulement en 1791 que le Haut-Canada
a ete separe du Bas-Canada, pour l'adminis-
tration. Il faisait auparavant partie de la province de Quebec. Son administration etait
alors , comme celle de toutes les colonies
anglaises , conduite d'apfes la volonte arbitrage du gouverneur ; plus menagee sans
doute, et parce que lord Dorchester, d'apres
,ce que nous en apprenons , est un homme
(29)
doux, juste , et parce que la legon de l'Amerique ne peut pourtant pas etre tout-a-fait
inutile. Depuis la division de ces deux parties de la province de Quebec, sous le nom
de Bas et de Haut-Canada, le Parlement an-1
glais leur a donne, a 1'une et aj'autre, une
constitution representative, dont tous les res-
sorts sont bien a present dans les mains des
gouverneurs ; mais telle cependant que , ces
pays devenans plus peuples , plus riches , plus
edaires , pourront se sou&traire en partie ,
pour l'administration de leurs affaires , a cette
influence aujourd'hui si forte , et peut-etre
jusqu'a present necessaire.
Lord Dorchester est le gouverneur general
des possessions anglaises dans l'Amerique
Septeiitrionale. Les gouverneurs de toutes les
provinces particulieres ne sont que lieutenans-
gouverneurs. Par-tout ou il arrive, il rend
nulle l'autorite des gouverneurs - lieutenans ;
mais, en son absence, ceux-ci n'ont cle compte
a lui rendre que relativement aux troupes ,
et cela quand ils sont commandans militaires ,
ce qui n'est pas toujours une consequence de
la place de gouverneur. Pour tous les rapports
civils , de quelque nature qu'ils soient ,
lieutenant-gouverneur correspond directement
avec les ministres en Angleterre ; il en recoil
■ (3o)
les ordres , sans etre tenu meme d'en informer
le gouverneur general, qui n'a pas le droit de
laisser, en quitrant, les differentes parties de
son gouvernement, s'il y va, le moindre ordre
pour ce qui doit etre fait dans son absence ;
d'ou il resulte , qu'a moins de dispositions
militaires tres-urgentes, le gouverneur general
reste au chef-lieu de son gouvernement, ou
le lieutenant - gouverneur n'a rien a faire ,
et dont il s'absente tant qu'il peut. Cependant
comme aucunes depenses ne se font que par
la signature du gouverneur general, il a, par
ce seul fait, une autorite sur tous les projets ,
sur toutes les entreprises , qui rend au moins
son approbation necessaire , et qui lui donne,
plus reellement-que tout le reste, le pouvoir
dans toutes les parties de son gouvernement.
Les divisions dfes possessions anglaises dans
l'Amerique du nord, sont le Haul et le Bas-
Canada, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-
Ecosse. Les deux premieres provinces seule-
ment sont gouvernees en vertu de la nouvelle
constitution ; les autres le sont comme elles
l'etaient precedemment.
Les limites entre les deux Canada sont a une
centaine de milles plus haul que Montreal;
l'etendue du Haut-Canada etant, sans comparison, beaucoup plus grande que celle da
( 3i )
Bas , puisqu'elle n'a du cote de l'ouest, pour
bornes, que celles dela souverainete anglaise ,
qui, dans l'opinion des Anglais, embrasse tous
les pays connus et a connaitre , jusqu'a la mer
pacifique; et n'admet pas , du cote du nord ,
des limites plus precises. La population du
Bas-Canada est evaluee a cent quarante mille
ames , celle du Haut a trente mille , cette
evaluation parait forte.
Constitution des deux Canadas.
Les principaux points de la nouvelle constitution pour le Canada sont:
« Article \\^r. L'erection d'un conseil legis-
33 tif, et d'une assemblee, par l'avis desquels
» le roi d'Angleterre pourra faire des loix pour
ji le gouvernement de la province.
33 Art. 2. Le gouverneur , ou lieutenant-
i gouverneur de la province, aura la nomi-
» nation du conseil legislatif qui ne peut etre
33 compose de moins de sept membres dans le
33 Haut, et de moins de quinze dans le Bas-
j) Canada.
33 Art. 3. Les conditions necessaires pour
y> etre membre da conseil legislatif, sont:
33 i°. l'age de vingt et unan; z°. la naturalisa-
3> tion par l'acte du parlement d'Angleterre,
» ou la naissance canadienne.
(32 )
33 Art. 4- Les places au conseil legislatif
33 seront'a vie, a moins de cas ci-apres
33 Art. 5. Le roi pourra a l'avenir annexer
33 aux titres hereditaires d'honneur dont il gra-
33 tifiera aucun de ses sujets , la place de mem-
33 bre du conseil legislatif, (comme les pairs
33 en Angleterre sont membre de la chambre
» haute. )
33 Art. 6. La personne appeiee, par sa nais-
33 sance , a 1'heritage de ce titre accorde par
33 le roi a sa famille, en perdra le droit, si ,
33 entre le moment ouelle aurale titre, et celui
33 ou elle fera aupres du gouverneur les de-
33 marches necessaires pour en etre mise en
33 jouissance, elle s'absente quatre annees con-
33 secutives de la province sans la permission
33 du gouverneur; le tout a partir de l'aere de
' raire les demarches nei
ce titre, elle a prete
auc une autre puissanc<
33 Art. 7. Les possesse
au conseil perdront le
sentent de la provinc
aires pour obtenir
nent de ficlelite a
actuels des places
places, s'ils s'ab-
mce pendant deux ans
33 sans l'autorisation du gouverneur, ou pen-
53 dant quatre sans la permission du roi, si-
33 gniflee au gouverneur , ou s'ils pretent
33 serment
(33 )
» sermentde fideiite a aucune autre puissance.
Art. 8. Les droits hereditaires a ces places,
>3 ou ces places memes , perdues par les causes
33 ci-dessus, par les possesseurs et titulaires
>3 actuels , seront recuperables apres leur mort,
33 par ceux de leurs heritiers qui *y auront
33 droit, en se conformant aux conditions
>3 exigees.
33 Art. 9. La conviction du crime de haute
» trahison detruit le titre entierement pour
33 celui qui le possede et pour ses heritiers.
33 Art. 10. Les discussions pour les litres^
33 des membres du conseil legislatif, doivent
33 etre jugees par le conseil lui-meme, l'affaire
» rapportee par le gouverneur , sauf a la per-
33 sonne interessee dans le jugement ou a
33 1'attorney general de la province , d'en ap-
3) peler au roi dans son parlement de la Grande-
33 Bretagne.
33 Art. u. La nomination et demission de
33 l'orateur dependra du gouverneur.
33 Art. 12. Le gouverneur doit convoquer
» l'assembiee.
33 Art. i3. Il est, en consequence, autorise>
33 a publier une proclamation qui divise la
33 province en comtes, districts ou cercles ,
33 a nommer l'officier qui doit, dans chaqu^
33 district, verifier les votes d'election.
Tome I. C
(34)
>3 Art. i4- Ce pouvoir ne doit rester que
33 deux anS dans la main du gouverneur , et
33 passera ensuite dans celles de l'assembiee ,
33 en consequence des loix proposees. par elle"!:j
33 et ratiiiees par le roi.
33 Art. i5. L'officier charge de verifier les 1
33 votes d'election , ne pourra etre astreint k
» cet office pour plus de deux ans.
33 Art. 16. Le nombre des membres de l'as-
33 sembiee ne peut etre moindre de seize dans I
33 le Haut-Canada, et cinquante dans le Bas. I
33 Art. 17. Les writs ou ordonnances pour I
33 l'eiectiort des membres , doivent etre entie- 3
33 rement executes dans l'espace de cinquante
33 jours au plus; ils sont adresses a roflicier I
33 charge du depouillement des votes d'elec- 1
n tion par district.
33 Art. 18. Celui-ci ne peut tarder plus de
3> six jours a faire executer les writs d£s qu'il
33 en a connaissance.
33 Art. 19. Les qualites requises pour etre 1
33 eiecteursont, i°. de posseder un bien-fonds
33 de la valeur annuelle de quatre schellings ,
33 franc de toutes rentes , ou d'en louer un I
33 de la valeur annuelle de cinq livres sterlings, I
33 ou une maison dans la ville du district, du
33 loyer de dix livres sterlings , avec domicile I
» depuis quatre ans dans le district.
( 35 )
» Art. 20. Les membres du conseil legis-
i latif et les ministres , de quelque religion
> que ce soit, ne peuvent etre eius a l'assem-
1 biee.
33 Art. 21. Les conditions d'age , de nais-
> sance et de naturalisation , requises pour
1 etre membre du conseil legislatif, seront
» exigees pour voter ou etre elu a lassem- r
> blee.
33 Art. 22. Les personnes convaincues de
> haute trahison, ou declares incapables par
> acte du conseil legislatif et de l'assemblee,
3 approuve par le roi, sont exclus du droit
) de vote et de celui d'election.
33 Art. 23. Les votans doivent faire serment
3 qu'ils ont l'age requis. qu'ils n'ont pas en-
3 core vote dans cette election, et qu'ils sont
3 dans toutes les circonstances requises par
3 le roi.
33 Art. 24. La Exation du terns et du lieu
3 des elections est laissee au gouverneur.
33 Art. a5. II en est de meme pour l'indi-
3 cation du lieu de la tenue des assembiees ,
3 leur convocation , leur prerogative , leur
3 dissolution.
33 Art. 26. Cependant, une assemble doit
3 etre tenue au moins une fois chaque annee.
3 La duree des memes assembiees est con-
C a
i
(36)
» firmee pour quatre ans , a moins de disso-
33 lution.
33 Art. 27. La question passant a la majo-
33 rite, l'orateur, en cas d'egalite, les depar-
33 tagera.
33 Art. 28. Chaque membre du conseil less gislatif ou de l'assembiee doit, avant de
33 juger , preter par ecrit serment de fidelite
33 au roi d'Angleterre.
33 Art. 29. Le gouverneur a le droit de
33 donner son approbation au nom du roi ,
33 aux bills passes par les deux chambres , ou
33 de les retenir jusqu'a ce qu'il connaisse les
33 intentions du roi a leur egard,
33 Art. 3o. Le roi a la facuke de donner
33 son desaveu a un bill consenti par le goux
33 verneur , dans les deux annees gui suivent
33 la notification a lui faite de ce bill. Le de-
33 saveu renvoye avec le certificat de la date
33 de sa reception annulle le bill.
33 Art. 3i. Tout bill auquel le gouverneur
33 n'a point donne son approbation , est de
33 nul effet, jusqu'a ce que le roi l'ait approuve
33 et ait fait connaitre son approbation ; ce
33 qu'il ne peut faire que pendant l'espace de
33 deux annees de la date de sa reception ,
»3 comme ci-dessus.
33 Art 3a. Les loix en force, a 1'epoque
( 37)
< de l'acte actuel, continueront tant qu'elle^
■ ne seront pas revoquees par les formes in-
i diquees ci-dessus.
33 Art. 33. Le gouverneur et son conseil
> executif, nomme par le roi, composent la
> cour de jurisdiction civile pour entendre et
i determiner les appels dans certains cas men-
> tionnes, en une ordonnance passee il y a
> dix-huit ans dans la province de Quebec.
33 Art. 34- Des ordonnances et instructions
> du roi, qui appliquant les dixmes ci-devant
> recueillies par le clerge catholique au profit
> du clerge protestant, sont rappeiees.
33 Art. 35. Le roi pourra autoriser le gou-
> verneur a faire des concessions de terre pour
1 le maintien du clerge dans chaque province.
33 Art. 36. Les rentes en provenant seront
1 fideiement payees au profit du clerge.
33 Art. 37. Le roi pourra autoriser le gou-
> vernement a creer des cures , des bene-
> fices.
3» Art. 38. Et a les nommer comme en
> Angleterre.
33 Art. 09. Les cures et benefices seront
■ soumises aux formes , etc., anglieanes; le
) clerge sera soumis a la jurisdiction de l'e-
> veque de la nouvelle Ecosse.
33 Art. 4o. La concession des terres pour le
C 3
L
(38)
). clerge , faite par le gouverneur , sera sou-
> mise a la censure des deux chambres et a
3 l'approbation du roi.
33 Art. 4i- Dans ce cas, cette affaire sera
» soumise a l'examen des deux chambres dix
> parlement d'Angleterre.
33 Art. 42. Les terres concedees dans le
i Haut-Canada et dans le Bas, si on le desire,
1 le seront en franc et commun souage , (*)
1 et sujettes aux loix generates qui pourront
1 avoir lieu par la suite a ce sujet.
33 Art. 43. Les personnes deja pourvues dans
> le Haut-Canada de terres concedees, pour-
> ront, sur leur demande , avoir de nouveaux
I litres en commun souage.
■ souage' veut dire franc de
la revient a ce qu'oii appelait
(*) Franc et comm,
toute rente en sujetion :
ten France le franc-aleu.
Le traite de pais, de 1763, assurant la jouissance des
. seigneuries dans la province de Quebec, a ceax qui en
etaient pourvus , il faut le consentement du seigneur dominant pour que les terres tenues de lui feodalement , le
soient en franc et oommun souage. Voila pourquoi la
clause , si on le disire, est exprim^e pour le Bas-
Canada.
Alors la partie qui forme aujourd'hui le Haut-Canada
n'etait pas habitee ; ainsi le desir seul des possesseurs de
terre , dans la concession desquels cette clause n'est pas
exprimee, suffit pour la faire comprendre^
(39)
.» Art. 44- Le nouveau titre n'affaiblira en
33 rien le droit de telle ou telle personne sur
33 les terres.
33 Art. 45. Cet acte n'empechera point ropers ration d'aucuns actes du parlement etablis-
33 sant des prohibitions ou imposant des droits
33 pour le reglement de la navigation et du
3j commerce, etc.
33 Art. 46. Les droits de cette nature seront
33 appliques a l'avantage des provinces respec-
33 tivement. 33
Telle est la substance de Facte du'parlement
de la Grande-Bretagne , passe en 1792, pour
fixer la constitution des deux Canadas.
Vues, projets, espoir du gouverneur
Simcoe sur le Haut- Canada : obstacles qu'il peut rencontrer.
Le Haut-Canada est un pays absolument
nouveau , ou plutot un pays entierement a
faire. C'est dans I'intention de le creer que le
general Simcoe en a pris le gouvernement.
Il prevoyait de quelles ressources une telle
colonie , conduite au degre de prosperity
dont elle est susceptible , pourrait etre a son
pays; il a cru possible de la mettre promp-
tement dans la voie de cette prosperite. Cette
C4
(4o)
esperance a pu seule determiner un homme
d'une fortune independante , de desirs bornes,
au moins a ce qu'il dit, a quitter les beaux
et grands etablissemens qu'il avait en Angle-
terre , pour venir se confiner dans un desert,
entre les ours .et les sauvages ; car j'ai peine
a croire que l'ambition puisse seule produire
un pareil effort; ce serait une ambition mal-
adroite ; et le general Simcoe avait tant de
moyens de deployer avec succes une ambition ordinaire , ou meme elevee, sans s'expa-
trier aussi loin , ce qui assure presque tou-
jours d'etre oublie , que Ton doit croire qu'il
n'a eu que celle de faire des choses bonnes
et utiles.
Les vues du general Simcoe , pour peupler
et utiliser le Haut-Canada , telles qu'il nous
les a developpees , semblent grandes et sages.
C'est entre la riviere du detroit et les etablissemens deja faits dans le Bas-Canada, sur
Fespece de carre forme par le fond du lac
Ontario, le lac Erie , la riviere du detroit et
la saillie que fait le lac Huron dans la partie
sud-est, que M. Simcoe veut placer le foyer
de cette population, le centre des etablissemens.
Newarck avait ete le premier lieu choisi par
lui pour la capitale; alors il croyait sans doute
(4i )
que l'Angleterre conserverait le fort de Niagara ; depuis qu'elle est enfin decidee a le
rendre , ses projets ont da changer, j
Une metropole ne doit pas etre sur une
frontiere , et moins encore sous le canon d'un,
fort etranger ; il avait pense a Yorck sur la
rive nord du lac Ontario , a-peu pr£s vis-a-vis
Niagara. C'est-la qu'il a etabli son regiment;
c'est-la qu'il va se placer actuellement lui-
meme pour s'eioigner de la frontiere.
Yorck presente une rade admirable par son
etendue , sa surete , sa position ; quelques
rivieres et de petits lacs rendent la communication facile entre le lac Huron et le lac
Ontario. Les terres qui l'environnent sont
fertiles ; sa position donne les moyens de
profiter de tout le commerce du lac. Cette
position est bonne aussi militairement, puisque
les cotes du lac Ontario seront les premieres
et les plus abondamment peupieesparles Americans ; que le Bas-Canada devant etre, plus
que le Haut , l'objet envie par eux, la position qui met le plus a portee de lui porter
secours , est tres-importante. Cependant, le
gouverneur Simcoe semble renoncer a present a fixer a Yorck le lieu de sa residence
et de sa metropole. C'est aux bords d'une
riviere qu'on trouve sur toutes les cartes sous
(42 )
le nom de riviere de la Tranche, et qu'il a
appeiee Tamise, qu'il veut le placer. Cette
riviere, dont la source entre le lac Huron
et le lac Ontario , non encore preeminent
connue , ne parait pas fort eioignee de celles
de la grande riviere, coule du nord a l'ouest,
dans un cours de quatre a cinq milles, et se
jette dans lelac Saint-Clair. C'est a deux cents
milles environ de ce lac , que le gouverneur
pense a placer sa ville, qu'il appelle deja
Londres. La, pouvant etablir facilement une
communication de cette riviere meme a une
autre, qui se jette dans le lac Huron a la
pointe de Glocester , et pouvant , par un
portage , communiquer au lac Ontario; il
peut agir a la fois sur ces deux lacs et sur le
lac Erie , dont il n'est distant que de quinze
milles, avec un seul portage de trois milles.
Le point meme du lac Erie , dont cette metropole projettee est plus rapprochee , ( la
longue pointe ) est le plus important pour la
defense du lac. Le gouverneur y projette un
port de construction et une fortification considerable pour le couvrir; ce point se trouvant
d'ailleurs vis-a-vis letablissement de Pres-
cju'ile. La metropole ainsi placee , a done
tous les avantages qu'elle aurait a Yorck, et
d'autres encore, puisqu'elle est plus au centre
I
(43 )
de la population esperee; que les terres appar- >
tenant aux Indiens sont moins rapprochees ,
et que les projets du general placentles troupes
garnissant aujourd'hui les forts, qui doivent
etrerendus f'annee prochaine a cette pointe de
Glocester sur le lac Huron, a la longue pointe
sur le lac Erie , a la pointe du lac Michigan ,
a deux ou trois postes dans des villes a batir
sur la Tamise , et enfin a Yorck ; de sorte que
cette metropole se trouvera au centre meme
de tous les moyens de defense, avec,la faculte
de porter promprement ceux qu'elle renfer-
mera par-tout ou le besoin le demanderait.
La facilite qua le gouvernement de donner
des terres pour rien, ne laisse au general au-
cun doute d'une grande population meme
prochaine ; plusieurs families entrances au
commencement de la guerre d'Amerique dans
le parti du roi, ont depuis la paix ete etablies
sur des terres qui leur ont ete donnees. Les soldats americains qui avaient suivi ces etendarts
malheureux, ont ete aussi gratifies de terres;
beaucoup en ont pris possession. Les officiers
qui ont servi dans cette guerre ont aussi droit
a un nombre quelconque de centainesd'acres;
quelques-uns en ont mis deja une certaine
quantite en valeur.
Le gouverneur se flatte de recevoir beau-
(44 )
coup de colons des Etats -Unis. Il se fie sur
la disposition de ces habitans a Temigration ,
et sur I'attachement qu'il leur croit pour le
gouvernement anglais; un assez grand nombre
de families arrivent effectivement tous les ans
des differentes provinces americaines ; toutes
ne restent pas , mais quelques-unes se fixent;
il compte encore recevoir beaucoup de colons , qui etablis dans le Nouveau-Brunswick,
en trouvent le climat insupportable. Enfin,
Immigration considerable d'Europe qu'il pre-
voit, lui offre encore l'assurance d'une grande
population par cette voie. Mais la disposition
generale de l'esprit du peuple , le rend, dit-il,
difficile sur l'admission des nouveaux habitans
qui se presentent, sur-tout de ceux qui vien-
nent des Etats-Unis. C'est dans cette opinion
qu'il envoie les colons, sur lesquels les ren-
seignemens sont les moins positifs , dans les
derrieres du pays , et qu'il place les soldats en
avant sur les bords des lacs ; il desire admettre
tous les anciens soldats de l'armee anglaise et
tous les anciens'officiers a demi paie, au partage
des terres dont le roi peut disposer; il vou-
drait que tout soldat a present en garnison en
Canada , qui pourrait fournir un jeunehomme
connu pour le remplacer, regut son conge et
cent acres de terre.
( 45)
II joint dans ce projet, a l'intention d'ac-
croitrela population, celle d'attirer au service
du roi d'Angleterre beaucoup de jeunes ame-
ricains, et d'accroitre par eux le nombre des
families americaines attachees au roi. II place
au milieu de ces families militaires qu'il veut
etablir sur les lacs, et sur toutes les frontieres
du cote de l'Amerique , des officiers qui,
comme je l'ai dit, ont droit a recevoir des
terres. II compose ainsi une milice attachee
au roi par habitude et par reconnaissance, et
qu'il regarde comme un moyen sur de repri-
mer les mouvemens que les nouveaux colons
de mauvais esprit, places dans l'interieur des
terres, pourraient faire, et de defendre le pays
s'il etait attaque. Par cet etablissement d'offi- ,
ciers au milieu des soldats, et d'hommes de
bonne famille qu'il espere encore attirer d'Angleterre, il place le fondement d'une espece
de noblesse, qui d'aprfes ses idees-et celles du
gouvernement anglais, facilitera plus ou moins
le projet mis a decouvert dans la constitution,
d'etablir des pairs hereditaires dans les deux
Canadas.
Le Canada, malgre sa faible population et
sa vaste etendue, ne fournit pas encore suffi-
samment de bled pour sa consommation : les
troupes sont nourries de farines du marche
(46)
de Londres', et de bceuf sale d'Irlande. Le
gouverneur Simcoe veut non-seulement que
le Haut-Canada suffise aux besoins de tout
ce qui l'habite, mais qu'il soit encore le gre-
nier de l'Angleterre; que ses exportations dans
cette denree lui donnent de grands moyens
d'echange ; et il ne doute pas que l'exemple
de cette activite, qu'il espere etablir dans la
culture du Haut-Canada, ne reveille la nonchalance des habitans du Bas. Il voitdans l'a-
bondance du poisson des lacs, et p'articulie-
rement des esturgeons du lac Ontario, des
moyens de rivaliser avec avantage la fourni-
ture considerable, qu'en fait la Russie a l'Angleterre.
Le commerce des fourrures lui semble un
objet tres-secondaire a celui des bleds. II le
regarde comme peu utile a la Grande-Bre-
tagne et comme un moyen d'oppression pour
le Canada , parce que concentrant tout le
commerce dans les mains des compagnies, il
les rend maitresses des marchandises qu'elles
tirent en retour d'Angleterre ;-il desire et il
espere que des negocians s'etabliront sur le
lac Ontario, meme a Montreal et a Quebec,
qui par le moyen du commerce des bleds deV
truiront le monopole que celui des fourrures
a introcluit, etcontre lequel il est justement
revoke.
(47)
Les principes de gouvernement qu'annonce
le gouverneur Simcoe sont liberaux et bons.
II hait l'arbitraire, et Je gouvernement mili-
taire hors les murs des forts. II veut la liberte
dans toute l'etendue ou 1'obeissance a la constitution et aux loix du pays peut le permettre.
En consequence, peu jaloux de' reunir dans
ses mains toute l'autorite, il laisse aux lieu-
tenans qu'il nomme par comte le droit de
choisir les juges de paix et les officiers de mi-
lice. Il croit ainsi attacher les hommes prin-
cipaux au gouvernement , les subalternes a
eux, et multiplier les moyens d'entretenir le
bon esprit et la fideiite au gouvernement anglais. Chaque juge de paix , et ils sont en
grand nombre, a le droit de donner dans son
district au nom du roi un lot de deux cents
acres de terre a tout nouveau colon, dont il
connait la conduite et les principes. L'arpen-
teur du district averti par umbillet de ce juge
de paix de la donation faite au coneession-
naire, et du serment d'aliegeance pris par lui,
delivre a ce nouveau colon un certificat qui
lui indique dans quelle partie du district est
le lot auquel la donation du magistral lui
donne droit de prendre. S'il desire une plus
grande quantite de terres , c'est au conseil
executif qu'il doit se presenter.
( 48)
Le peu d'habitans qui sont encore dans le
Haut-Canada dont le nombre, quelle que sOit
1'emigration , sera encore long - terns disproportion^ avec l'etendue a peupler , ne per-
met au gouverneur Simcoe aucun desir d'en-
vahissement sur les Indiens. II regoit au con-
traire avec bonte ceux que les Americains re-
poussent de leur territoire, et agit ainsi tres-
prudemment ; car , quand la politique des
Etats-Unis les porte a ne pas vouloir conser-
ver entre les Anglais et eux un peuple dan-
gereux par sa facilite a etre seduit , inutile
par son petit nombre, et auquel il faut comme
peuple chasseur, une vaste etendue de territoire pour subsister , le gouverneur Simcoe
voit sans inquietude ce peuple derriere les
etablissemens anglais; il resserre ainsi leurs
liens avec i'Angleterre , et les anime d'autant
contreles Americains, pour mettre cette haine
a profit dans le besoin : sur, comme il i'est
d'ailleurs, d'avoir d'eux toutes les portions de
terre dont il aura envie.
• Quoique le gouverneur Simcoe n'estime
pas que le commerce des pelleteries soit aussi
avantageux a I'Angleterre que beaucoup d'An-
glais le pensent, il n'en voudrait pas laisser
partager les profits aux Etats-Unis, qui asso-
cies a la navigation des lacs par la cession des
forts,
—
( 49)
foi'ts, ayant sur leurs cotes des havres excel-
lens, sont appeles a prendre une bonne part
dans ce commerce. II pense qu'une communication peut aisement s'ouvrir du lac Huron
avec le lac Ontario par la riviere St.-Joseph;
qu'en raccourcissant pour les marchands le
trajet de tout le circuit de la riviere du detroit,
du lac Erie , de la riviere de Niagara, et d'une
grande partie du lac Ontario , elle frustrerait
necessairement les Etats-Unis de tout ce qui
arrive aujourd'hui par les lacs des Bois, Supe-
rieur, Huron, et empecherait cette navigation
anglaise de passer sous les forts du Detroit et
de Niagara, qui vont appartenir aux Americains. Il pense meme que la communication
directe du lac Huron avec le fleuve St.-Lau-
rent par la baie de Quenti pourrait etre operee
a quelques portages pr£s, que la grande quantite de rapides qui se trouvent dans ce fleuve
et les petits lacs qu'il traverse rendraient ne-
cessaires.
Les projets militaires du gouverneur dans le
cas d'une guerre avec les Americains, sontcfe
les attirersur les terres anglaises pour les com-
battre avec avantage , assure de la protection
de ses forts; d'etablir une marine considerable
de petits batimens charges de gros canons ,
qui ne permit a aucune chaloupe americaine
Tome II. D
(5o )
de se montrer , et qui donnat la facilite de
proteger une descente a force ouverte dans
les Eiats-Unis, si on la voulait operer. Alors
il compte sur les forces de sa milice militaire
et sur les moyens qu'elle lui donnera de porter
des partis considerables fort avant dans le
pays ennemi. En tems de guerre cette communication du lac Huron au lac Ontario lui
semble plus necessaire encore ; car il espere
faire arriver par elle dans ce dernier lac les
gaieres , galiotes a bombes , chaloupes - ca-
nonnieres, qu'il construira dans une autre ville
projetee sur la Tamise, et qu'il nomme deja
aussi Chatham.
Les vues du gouverneur Simcoe, je ne parle
ici que de celles pour l'administration civile ,
sont sans doute vastes et bien congues ; je
pense meme que dans sa position de gouverneur anglais elles ne peuvent letre mieux ;
leur execution est egaiement possible ; il
a la confiance du gouvernement , beaucoup
d'argent a sa disposition; il aurait d'ailleurs de
tiombreux moyens par les soldats qu'il a dans
la province ; il sent avec sagesse la necessit6
de les faire travailler dans un pays ou Von ne
peut esperer de faire les regimens manou-
vriers, et ou le travail les prepare au genre
de guerre propre a leur petit nombre, aux
(5i )
ennemis qu'ils auraient a combattre, et aux
difficukes qu'ils doivent rencontrer.
Mais je vois cependant encore beaucoup
d'obstacles a 1'execution de ces projets. Le
.plus grand de tous est dans la determination
annoncee par le gouverneur de retourner au
bout de ses cinq annees en Angleterre. Un
plan aussi vaste, qui embrasse une telle cora-
binaison d'idees , ne peut etre execute que par
celui qui a ete capable de le concevoir. II est
entretenu dans le courage et la suite neces-
saires a une telle execution, par les principes
qui la lui ont fait imaginer, par la connais-
sance qu'il a de la connexion de toutes les
branches de son projet, par un amour de gloire
bien entendu. Tout cela n'est rien pour un
successeur.
Si ce successeur est un homme tout-a-fait
mediocre, il n'est capable, ni de suivre, ni
d'entendre un tel projet; et celui du general
Simcoe n'est pas de nature a etre suivi par
des sous-ordres.
Si ce successeur n'est qu'un peu au-dessus
du mediocre , ( ce qui est le plus ordinaire )
il met son amour-propre a ne pas suivre les
erremens d'un autre. Et les instructions du
ministere, fussent-ellespositives, sont,a deux
mille lieues , plus aisees a eluder qua suivre;
D a
I
( 52 )
d'ailleurs l'amour du pouvoir arbitraire, celui
du commandement militaire, sont dans tous
les pays du monde la maladie de ceux qui
ont l'autorite.
Si done le gouverneur Simcoe quitte le
Haut-Canada dans deux ans, comme il l'assure,
il n'aura pas seulement le tems de poser tous
les fondemens du plan, dont il espere, avec
raison , j J crois, la prosperite de ce pays
et un grand avantage pour I'Angleterre; mais
dont toutes les branches sont si etendues, si
multipliees , qu'il faudrait pour amener a bien
son vaste ensemble, une longue succession
d'annees employees dans le meme esprit.
Je pense d'ailleurs qu'il trouverait lui-meme
des difficultes dans cette execution. Bien qu'in-
dependant du lord Dorchester, pour tous les
objets civils, le gouverneur Simcoe ne Test
pas pour les objets militaires. Dans ces objets militaires, sont compris l'emplacement
des troupes ; il dit lui-meme qu'il craint d'etre
contrarie a cet egard, et je pense qu'il ne
dit pas tout ce qu'il en sait. Si les troupes ne
sont pas placees aux points qui doivent cou-
vrir et defendre la metropole projettee, et les
differens etablissemens que le Gouverneur
compte faire ; si les soldats sont appliques
plutot aux exercices qu'aux travaux; si les
(53)
conges ne sont pas accordes a ceux qui peu-
vent fournir un homme a leur place, voila
des parties essentielles du projet manquees,
et qu'il semble difficile de ^emplacer.
Lord Dorchester est vieux ; comme tous les
vieillards, il repugne aux idees nouvelles. II
est partisan de l'autorite absolue. La situation
des esprits , dans le Bas - Canada , peut lui
faire desirer d'y rassembler plus de troupes,
et le langage du gouverneur Simcoe me fait
penser qu'il lui croit ces dispositions. Le
Gouverneur lui-meme peut done se tromper
dans quelques-unes de ses esperances.
L'emigration des Etats-Unis, vers le Haut-
Canada , j'entends une emigration bien considerable, ne me semble pas aussi probable qu'a
lui. Sa donation de terres, presente au premier cOup-d'oeil plus d'avantages qu'elle n'en
a reellement. Les terres sont bien donnees
gratuitement ; un certificat de l'arpenteur,
delivre par ordre du Conseil executif, met
Bien ceux qui les obtiennent en jouissance
de ces terres ; mais ils n'en regoivent pas
. promptement les titres; ils ne leur sont remis
qu'apres un terns plus ou moins prolonge, par
la volonte du Conseil; et je ne sais si aucune
donation entiere est encore revetue deses titres
de propriete. Cependant si un concessionaire
D 3
(54 )
meurt sans enfans , avant d'avoir recu ses
titres, le bien rentre dans le domaine du
roi; aucun heritier collateral, aucun ami ne
peut y succeder ; les capitaux et le travail
restent enfouis dans cette terre , au profit de la
couronne. Ainsi lorsque , dans les Etats-Unis,
un nouveau colon calcule ,* en achetant un
certain nombre d'acres de terres, sous condition de les payer a des epoques eioignees ,
qu'il s'acquittera en revendant une petite par-
tie de son acquisition , dont son defrichement
aura double la valeur, le colon du Canada
n'a pour esperance d'une jouissance assuree
que la volonte du Gouverneur ; s'il est prudent, il ne s'y fie qu'avec reserve. La protection , la connaissance des bons colons , fait
sans doute deiivrer quelquefois ces titres , et
facilite ainsi les secondes ventes , mais ces
faveurs sont partielles et toujours arbitraires.
Tant qu'il n'y aura pas de loi qui fixe l'epoque
et les conditions pour la delivrance des titres,
il y aura toujours inquietude dans les posses-
eeurs, incertitude dans la propriete, et par consequent lenteur dans les ameliorations. II est
d'ailleurs , dans ces donations , des reserves"
au profit du roi , pour les mines de toute
nature, depuis for jusqu'au charbon , qui se
trouveraient dans ces terres concedees, comme
(55 )
aussi pour les bois juges par l'arpenteur-general , propres a la marine du roi. Toutes
ces restrictions chagrinent un bon settler.
L'avantage d'une donation gratuite peut
done etre balance dans l'esprit de beaucoup
de gens disposes a emigrer, par toutes ces
inquietudes assez bien fondees.
Compter, dans les motifs d'emigration,
I'attachement au gouvernement du roi d'Angleterre, c'est ce qui peut s'appeler un veritable reve. La marotte de tous les Anglais , employes par le gouvernement, est de beaucoup
vanter cet attachement d'un grand nombre
d'habitansdes Etats-Unis de toutes les classes,
au roi d'Angleterre; je ne sais quelle preuve
ils en ont, mais le langage des Etats-Unis
est bien contraire a cette opinion, et il est
si ouvert, si continuel dans la disposition
opposee, qu'il semble devoir etre un meilleur
garant des sentimens americains, que l'asser-
tion des employes de la Grande - Bretagne.
On dit ici que la presque totalite des families qui y arrivent des Etats Unis, viennent
parce qu'elles sont la, sujettes a une taxe qui,
toute petite qu'elle soit, leur deplait. S'il en
etait ainsi, cette disposition ne serait pas favorable a I'Angleterre pour l'avenir. On nous
dit aussi que l'ardeur qua le gouverneur Sira-
D 4
( 56 )
coe, de peupler le Haut - Canada , lui fait
trouver facileriient, dans les emigrans qui se
.presentent , les conditions qu'il desire , et
que, malgre son aversion pour la speculation
des terres, et son irrecusable desinteresse-
ment personnel, un township entier est souvent concede a la meme personne , qu'il en
est meme quelques-unes qui en ont obtenu
deux ou trois.
Le Gouverneur pense encore que le commerce du Haut - Canada s'enrichira des productions du Genessee, auxquelles il ne voit
pas d'autre debouche que par le fleuve St.-
Laurent. Il semble difficile a croire que cette
opinion soit fondee , quand on connait les
moyens que le lac Oneyda , le Wood-creek et
la riviere des Mohaucks donnent pour la
communication du lac Ontario, avec la riviere du Nord, aujourd'hui interrompue par
trois portages seulement, et quand on connait l'ardeur , l'intelligence et l'activite des
Etats americains , dans tout ce qui tient a
ia facilite des communications par la navigation.
Mais les erreurs de compte du Gouverneur,
qui tiennent a des prejuges nationaux , ne
feraient que retarder le complement de ses
projets, et n'en aneteraient point l'execution.
(57)
Les vrais obstacles sont les premiers dont
j'ai parie , et sur-tout le retour du Gouverneur en Angleterre. i
Quant a present , l'etat de la population,
est, a ce que Ton nous a dit, de 3o,ooo ames,
et sans doute elle est tres inferieure a cette
estimation. Le settlement le plus considerable,
est celui du detroit ; il est encore unique-
ment compose de families francaises ; la plus
grande partie de ce settlement est sur des terres
que le traite rend americaines; les Anglais
se fiattent que les families , qui y sont eta-
blies, repasseront de leur cote : mais si le
gouvernement americain se conduit avec elles
comme il est de son intent de le faire ,
il n'est pas vraisemblable qu'elles quittent
leurs J proprietes depuis long - terns culti-
vees, pour le seul attrait de passer sous la
domination anglaise. Les autres settlemens ,
dans le Haut-Canada , sont : un assez considerable , depuis le fort Erie jusqu'a Newarck,
le long de la riviere , et ce settlement, ou
les habitations ne sont pas contigiies , n'a
pas beaucoup de profondeur ; quelques-uns ,
mais en petit nombre , sur les creeks , qui
tombent dans le lac Ontario, depuis Newarck
jusqu'a la tete du lac; un leger commencement a Yorck; enfin a Kingston, et le long
r
. (58)
du fleuve Saint-Laurent, jusqu'aux confins
du Bas-Canada, et ceux -Ik sont les plus
peupies.
Quant aux projets militaires du gouverneur, ceux pour la defense*sont precis, et
semblent tres-bien calcuies ; ceux pour l'at-
taque sont si vagues et d'une telle nature ,
qu'on n'en peut parler.
La haine du gouverneur pour les Etats-
Unis , le fait sortir quand il parle de tout ce
qui y a rapport, de la sagesse et de la con-
venance d'expression qui ne l'abandonnent
jamais sur tout autre sujet. Il etait ardent
promoteur de la guerre d'Amerique ; il y a ete
acteur tres-violent et tr6s - malheureux. Les
mauvais succes n'ont faitqu'envenimer sa disposition ; et c'est avec une vraie peine que je
l'ai entendu se vanter du nombre des maisons
qu'il avait bruiees dans cette malheureuse
guerre , de celles qu'il brulerait encore si la
guerre se renouvellait ; enfin de projets que
l'esprit de parti, pousse au point ou il le porte
peut seul expliquer. Il est determine , nous
a-t-il dit, a faire d'ailleurs une telle depense
dans la guerre qu'il ferait contre les Americains , qu'il obligerait ceux-ci a des depenses
equivalentes qu'ils ne pourraient pas soutenir
ni meme fournir ; il voudrait jen faire une
C~59)
guerre d'argent. II assure cependant sans
cesse qu'il desire la paix avec les Etats-Unis
plus que personne; il y voit avec raison un
grand moyen de succes pour sa nouvelle colonic Mais sa haine pour les rebelles est si
forte , son chagrin de remettre les forts si
apparent, qu'ils rendent plus vraisemblables
les reproches que lui fait le gouvernement
des Etats-Unis , d'avoir fait secourir l'annee
derrnere les Indiens de tous les conseils et de
tous les moyens qu'il pouvait donner sans
trop se compromettre ; d'avoir provoque au-
tant qu'il pouvait une guerre dont les succes
certains a ses yeux flattaient a la fois son
amour de la gloire , et ses sentimens de haine
et de vengeance. Il ne nie meme pas les dispositions qu'il avait deja faites pour porter
sur-le-champ dans le Genessee tous les Indiens dont il pouvait disposer , et qu'il assure
etre au nombre de cinq mille ; d'ou s'en
suivait 1'incendie de toutes les habitations et
le massacre de toutes les families. Et ce serait
I'Angleterre a la fin du dix-huitieme siede qui
ferait une telle guerre ; et c'est le fondateur
d'une colonie , homme d'ailleurs genereux et
bon qui la medite et \\sl prepare longuement.
Si je n'eusse pas entendu ces projets de la
bouche meme du gouverneur, je n'y aurais
r
( 60 )
pas cru , ets'ilne les avait pas expliques plus
d'une fois devant differentes personnes , je ne
les repeterais pas.
A l'inconvenient pres de cette haine ar-
dente trop hautement avouee contre les Etats-
Unis , et qu'il porte extremement loin, il me
semble que le gouverneur Simcoe est un de
ceux qui pouvaient etre places ici avec le
plus d'avantages. Actif, eclaire, juste, bon,
ouvert, il a la confiance du pays; il a celle
des troupes, et de tout de qui coopere avec lui
a 1'administration du gouvernement; il s'oc-
cupe sans relache des affaires, conserve au
roi d'Angleterre ses amis , et ne perd aucun
moyen de lui en faire de nouveaux. C'est, ce
me semble , reunir toutes les qualites neces-
saires a sa position, toutes celles qui peuvent
conserver a I'Angleterre l'importante propriete
du Canada, s'il est vrai qu'elle puisse long-
tems etre conservee.
Dans la vie ordinaire le gouverneur Simcoe
est simple et sans complimens ; il loge dans
une mauvaise petite maison de bois , jadis oc-
cupee par les commissaires a la navigation du
lac. Il y est garde par quatre soldats qui vien-
nent du fort tous les. matins , et qu'il ren-
voie tous les soirs. La il vit avec generosite ,
hospitalite et sans faste; son esprit est facile
( 6i )
et eclaire , il parle bien sur tous les sujets 9
plus volontiers sur ses projets que sur toute
autre matiere, et avec plus de plaisir encore
sur la guerre qui semble etre en lui une passion dominante. II connait bien l'histoire mi-
litaire de tous les pays ; il ne voit pas une
elevation qu'il ne songe a la feme du fort
qu'il faudrait y etablir , qu'il ne lie a cette
construction le plan de la campagne , etsur-
tout de celle qui le conduirait a Philadel-
phie ; et l'on peut croire , en l'entendant dire
qu'il desire la paix, que sa raison a un grand
empire sur ses passions, ou qu'il se trompe
lui-meme.
Madame Simcoe , femme de trente-six ans ,
est timide , a de 1'esprit , est obligeante et
bonne , parle peu , est occupee de ses devoirs de mere et de femme, qu'elle pousse
jusqu'a etre le secretaire de confiance de son
mari; son talent pour le dessein qu'elle
applique au trace des cartes lui donne aussi le
moyen de lui etre tres-utile.
Impositions du Haut-Canada.
Le Haut-Canada ne paie point d'impositions
a I'Angleterre. Une taxe sur les vins , de quatre
pences par galon; pour le yin de Madere; de
( 62 )
deux pences pour tout autre vin ; et un droit
de trente-six schellings sterlings pour les licences des aubergistes , auquel il en a ete
ajoute dans la sebsion de 1793 un autre de
vingt schellings currency (1) ( quatre dollars)
sont les seules levees au-profit du Haut-Canada
meme. La totalite monte a environ neuf cents
livres sterlings, et est appliquee au payement
des emolumens de l'orateur de la chambre ,
des commis, et de tout ce qui est a payer
pour le service et l'entretien du local de l'as-
sembiee.
Les juges.de paix dans les quarter sessions
determinent, comme en Angleterre, le mon-
tant des impositions necessaires pour les edifices publics , l'entretien des chemins et le
soulagement des pauvres (jusqu'icice dernier
article est inconnu. ) Les impositions se levent
par une capitation taxee sur la richesse pre-
sumee des habitans presens des districts : la
(1) La valeur de la monnaie dans le Canada est, par la
loi, celle d'Hallifajc, cinq schellings pour le dollar; mais
cette maniere de compter, fidelement observed dans toutes
les depenses du gouvernement, ne Test pas toujours dans
les transactions particulieres, et la division de la monnaie
nsitee dans 1'Etat de New-Yorck, prevaut sur-toutdans les
parties du Canada qui avoisinent cet Etat.
(63)
plus forte ne monte pas au-dessus de quatra
dollars.
Cette meme base sert a la levee des deniers
necessaires pour les salaires des membres de
l'assembiee qui, retournant chez eux apr6s la
session , et porteurs d'un certificat de l'ora-
teur de la chambre qui constate le nombre
des jours de leur presence , l'envoient au juge
de paix de leur district ; et regoivent en consequence de la levee faite dans ce district
a cette intention , deux dollars par jour , y
compris ceux de leur voyage pour aller et
revenir.
Tribunaux . Districts.
Les quarter sessions se tiennent par district;
cette division par district est celle qui se rap-
porte a la distribution de la justice. Les juges
de la cour superieure , civile et criminelle,
tiennent cour quatre fois fan dans le lieu de
la residence du gouverneur. Ils sont trois , y
compris le chef de justice; ils tiennent aussi
annuellement des assises dans les differens
districts de la province. Des juges de district
jugent dans des sessions plus rapprochees les
causes de moindre interet, et les juges de paix
ont la meme jurisdiction qu'en Angleterre.
(64)
Une cour compose du gouverneur et de deux
membres du conseil executif, est cour d'appel
pour les causes jugees par la cour superieure.
Le gouverneur assiste de qui lui plait, tient
aussi la cour pour les testamens , intestats ,
orphelins , ect., etc.
M. White , attorney general de la province , que j'ai questionne sur la nature des
crimes et sur leur punition , m'a dit qu'il n'y
avait pas de district ou il n'y ait eu deja au
moins une accusation de meurtre, et deux
dans plusieurs ; qu'aucuns de ces accuses
n'avaient ete trouves coupables par les ju-
res , quoique toutes les apparences fussen.t
contre eux; que ces meurtres avaient pour
causes, rancune inveteree pour argent du , et
ivrognerie ; que les loix anglaises etant suivies
en Canada , la peine de la corde y etait ou
y serait appliquee dans les cas de conviction;
que les prisons n'etant pas baties , les petits
crimes punis d'apres les loix anglaises par la
detention , le sont par des amendes, qui ge~
neralement ne sont pas payees , parce que
les moyens coercitifs manquent ; que les
dettes etaient le sujet le plus commun des
causes civiles , qui en avaient aussi dans les
batteries, parce que l'ivrognerie est commune
dans lejpays.
La
fl.
(65)
La province du Haut-Canada est divisee en
quatre districts : le Detroit , Niagara ,
Kingston et Saint-John. Les juges de paix
. sont choisis parmi les hommes les plus ca-
pables d'en remplir les fonctions ; mais dans
un pays aussi nouveau , ceux vraiment dignes
de cette confiance ne peuvent pas abonder.
Comtes et Milices.
La division du Haut-Canada par comte est
purement militaire, et relative seulement a
1'inscription , a l'incorporation et au rassem-
blement de la milice. Les comtes sont au
nombre de douze : leur nomenclature que
d'ailleurs j ignore, ne serait ici d'aucune uti-
lite ; un lieutenant, un depute - lieutenant
par comte assemblent et commandent cette
milice; elle doit etre divisee par regimens
et par compagnies ; elle est rassemblee par
comte une fois par an le premier juin, et par
les capitaines des compagnies, au moins deux
jours dans 1'annee.
Tout homme est milicien depuis l'age de
seize ans jusqu'a celui de cinquante. S'il ne
se fait pas inscrire sur les roles, il est con-
damne a une amende de quatre dollars ; un
officier en paie une de huit, et un sous-offi-
Tome II. E
(66)
1
cier une de deux , s'ils ne se rendent pas k I
l'assemblee de la milice convoquee.
L'officier qui en tems d'invasion ou d'insur-
rection, refuserait de se rendre au poste qui 1
lui est assigne , ou se caohsrait pour ne pas
servir, serait condanme a une amende de 5o> :
liv. sterlings ; le sous-officier dansle memecas ,
le serait a une amende de 20 liv. sterlings. Le
milicien qui aurait vendu en tout ou en par-J
tie ses armes, son equipement, ses munitions, I
paierait une amende de 5 liv. sterlings , ouk|
serait condamne a une detention de deux mois
s'il ne pouvait pas payer l'amende.
Les quakers, les memnonistes , les dunkersjk
doivent payer vingt schellings par an en terns
de paix, cinq livres en tems d'invasion ou|
d'insurrection , pour etre exempts de porter
les armes. Les amendes ou compensations!
sont applicables au paiement d'un adjudant-|
general de la milice ; le surplus est a la dis-|
position du gouverneur.
Telle est la substance du premier acte du
corps legislatif du Haut - Canada , rendu
en 1793 pour la milice ; la crainte de la
guerre en a fait ajouter un autre en 1794 I
dont les principales dispositions ont pour
but de mieux organiser l'interieur des regi-1
mens , des bataillons et des compagnies ; de
**
(67
rendre 1'appel des detachemens plus facile et
plus prompt; de porter jusqu'a soixante ans
en tems de guerre l'age ou chaque habitant
est requerable pour le service de la milice,
et celui, par consequent, oil les quakers, etc.,
doivent payer la dispense de porter les armes;
de rendre la milice sujette au service sur les
vaisseaux, les bateaux hors de l'enceinte de
la province , et meme a chevai, sans pour-
tant que les memes hommes puissent etre
employes plus de six mois de suite; le tout
dans les cas juges necessaires par le gouverneur.
Les exceptions k l'enr61ement de la milice
sont bornees aux officiers de justice, aux
employes de l'administration , et sont peu
nombreuses. On estime la totalite de cette
milice a neuf mille hommes, dans un espace
bien etendu a la verite, mais ou la communication des lacs donne la facilite du rappro-?
chement.
Depenses de VAngleterre pour le
Haut - Canada.
Toutes les .depenses pour l'administration
civile et militaire du Haut et Bas - Canada,
sont payees par I'Angleterre. Il faut y ajou-
E a
(68)
ter celles de l'administration politique ; c'est-
a-dire , l'argent destine aux negociations avec
les Indiens. La totalite de la depense de I'Angleterre pour le Haut-Canada, est de cent
mille liv. sterlings par an; celle des Indiens
est, dans cette somme totale , la plus considerable , puisqu'elle se monte a pr£s de soixante
mille liv; sterlings , en y comprenant les trai-
temens des agens generaux , agens particuliers,
interpretes, etc. , employes a ce service. Le
surplus de cette depense est en presens , de fusils , tomahawks , poudre, balles , couteaux ,
couvertures , bagues , boucles , chapeaux ,
miroirs , et plus que tout en rhum. Les agens
sont charges de ces distributions , qui se font,
les unes annuellement, d'autres selon les cir-
constances. C'est ainsi que Ton gagne les Indiens, ou qu'on croitles gagner. On donne plus
de presens aux chefs dont on connaitl'influence;
h l'aide de ces presens et du rhum repandus
avec profusion, on entretient, ou Ton capte
leur amitie; on leur peint les Americains
comme leurs plus grands ennemis ; on leur fait
jurer de les bruler, de les scarpeler tous au premier mot. C'est ainsi que, d'aprfes le compte
rendu par tous les agens, le gouverneur croyait
l'annee derniere pouvoir compter sur cinq
mille hommes qui avaient jur£ de ne pas
—~
( 69 )
laisser un scarpel sur aucune tete Americaine
qu'ils rencontreraient. En entendant de tels
recits, on croit lire une relation exageree des
mceurs de quelques peuples antropophages ;
et cependant cela est vrai a la lettre. Les Anglais assurent ici que les Americains en font
autant de leur cote.
Avouons que les Blancs , par leur basse et
barbare politique , apprennent bien aux Indiens
a les mepriser ; et esperons que le tems n'est
:pas eloigne ou ceux-ci auront le bon esprit
de prendre l'argent, les presens , de I'Angleterre et des Etats-Unis , et de se moquer de
ces deux grands pays, sans servir plus long-
tems d'instrumens a leur querelle.
Apr6s la depense des Indiens , la plus considerable , dans le Haut-Canada , est celle des
surveyors , ou ingenieurs - arpenteurs. J'en
ignore precisement le montant , qui varie
annuellement selon le travail dont ils sont
charges. Les depenses relatives au militaire
doivent etre revetues de la signature du lord
Dorchester , independamment de celle du
gouverneur Simcoe. Lord Dorchester eleve
la meme pretention sur plusieurs depenses
relatives au civil , et entr'autres , sur celles
qui ont pour objet la navigation des lacs ,
qui sont aussi tres - considerables ; le gouver-
■ E 3
( 7<> 5
neur Simcoe n'est pas encore sans co«ntrariet&
a cet egard.
On nous a dit ici que la depense totale des
deux Canadas s'eleve a quatre ou cinq cents
mille livres sterlings pour le tresor d'Angle-
rerre. J'ignore si dans ce total sont compris
les traitemens et les secours donnes par 1 An-
gleterre a divers habitans des Etats-Unis ; je
n'ai pu en connaitre ici le montant, mais des
personnes dignes de foi m'ont certifie qu'ils
s'eievent fort haut: est-ce la ce que veulent
dire MM. Hammond et Simcoe, en parlant des
nombreux amis qua le roi d'Angleterre
dans les Etats-Unis ? C'est une grande bas-
sesse que d'entretenir de tels amis. Cest unfe
grande infamie que d'en jouer le role.
Conseil executif: Concession des
terres.
Un conseil executif compose de cinq membres est place pres du gouverneur. Celui-ci
doit suivre la majorite des opinions pour son
refus aux bills passes dans les deux chambres ;
mais il nomme et peut demettre ce conseil,
forme en totalite de membres qui dependent
de lui, et qui sont, pour la pluparf , pris dans
le conseil legislatif.
T»
I 7i )
Un bureau pour la concession des terres
preparait les affaires de cette nature pour le
conseil ; il a ete recemment supprime , le
^conseil executif s'etant reserve la premiere
investigation, comme la decision de cette
sorte de transaction.
II y a une immense quantite de demandes
de terres ; les titres exiges pour en obtenir
sont: attachement au roi d'Angleterre, ennui,
lassitude , et s'il se peut, aversion du gou-
. vernement des Etats-Unis.
Ces conditions couvrent souvent les projets
de speculation ; et malgre le soin que le
bureau et le conseil disent mettre a distin-
guer la verite , bien des terres sont accor-
dees sans la realite d'aucun de ces titres de
favour.
On n'en peut obtenir par le texte de la loi,
quelquefois elude, comme je l'ai dit , que
1200 acres ; mais comme dans la concession
la clause de defrichement, dans un tems li-
mite , n'est pas prononcee , les speculations
trouvent leur place , et le pays, pour etre
concede , n'acquiert pas la certitude d'en etre
plutot habite.
J'ai dit plus haut que les officiers qui avaient
servi dans la guerre d'Amerique , avaient droit
a cette concession de terres; elle est de douze
E4
( 72 )
cents acres pour le lieutenant, et n'excede pas
cinq mille pour le colonel. Beaucoup ont et&J
donnees a des officiers qui n'avaient pas iaitl
la guerre d'Amerique , et dans la plus forteA
quantite, quoiqu'ils ne fussent pas du plus
haut grade. La plupart de ces terres placees>\\
dans les lieux les plus favorables , ne sont pas-
et ne paraissent pas devoir etre bientdt de-
frichees.
Newarck : cherte.
Tout est a Newarck d'un prix exhorbitant;
les stores sont en petit nombre; les marchands
s'entendent, et vendent aux prix qu'ils veu-j
lent.
Les droits mis par I'Angleterre sur les marchandises exportees dans ses colonies, donnent;
dans tout le Canada un grand attrait a la
contrebande avec les Etats-Unis, ou, pour
plusieurs articles, la difference est ici de deux
tiers en sus. Le gouvernement du Haut-Canada veille avec beaucoup de soin a empecher
cette contrebande ; mais ou il y a grande
esperance de gain, il y a toujours grand effort,
et souvent succes pour eluder la loi et la surveillance; les marchands etles suryeillans eux-
memes sont habiles k favoriser cette contre-
(73 )
bande; le seul moyen de la detruire serait
de baisser les nj»x. Aussi le gouverneur s'oc-
.cupe til d'animer des manufactures d'objets
qui, fabriques daisg les Etats-Unis, sont intro-
duits ici frauduleusement enabondance ; tels,
par exemple, que les chapeaux; mais il ne
pourra rien pour les sucres, po'ur les cafes,
pour les thes, tout ce qui arrive enfin direc-
tement dans les Etats-Unis sans y payer des
droits aussi considerables qu'en Canada,
Indiens Tuscororas : leur visite au
General: leurs Danses.
Pendant le long sejour que nous avons fait
a. Naxvy-Hall un village entier d Indiens, de
la nation des Tuscororas, est vena complimen-
ter le gouverneur sur sa recente arrivee; toutes
ces visites, tous ces complimens ont pour ob-
jet de venir boire, recevoir des presens, men-
dier quelqu'argent, et de sen aller. Ces Indiens sont arrives le matin en bateau de l'autre
cote de la riviere ou ils habitent; leur parure
etait recherchee ; car ils s'etaient vetus de
haillons de toute espece, couverts de plumes
de toutes sortes d'oiseaux et de crins de che-
val ; leurs oreilles , leurs nez etaient charges
d'anneaux de toutes les formes, de toutes les
( 74)
Couleurs. D'autres etaient en habit europeen ;
•d'autres avec des chape auxrAordes , d'autres
tout nuds , hors le double tablier, et peints depuis la tete jusqu'aux piedajpCest a cette pein-
ture que s'exerce leur gertie ; les couleurs les
plus fortes sont generalement celles qu'ils pre-
ferent, ils se peignent souvent une jambe en
blanc, l'autre en noir ou en verd, le corps
raye en brun, en jauhe, le visage rempli de
placards de vermilion et de noir de fumee,
un ceil d'une couleur, un autre peint diffe-
remment, enfin tout ce que la bisarrerie peut
presenter de plus contrastant , de plus dur,
ils le reunissent dans leur parure; aucun n'est
peint de meme, et tous sont pourvus d'un
petit rniiroir , qu'ils consultent dix fois dans
nn/a^ttact-d'heureavec plus d'attention que la
plus jolie coquette ; ils se peignent et repei-
-gnent, retablissent les couleurs que la sueur
ou le mouvement effacent. Plusieurs d'entre
eux ont des bracelets d'argent, des chaines
autour du col, autour des bras; d'autres ont
sur leur habit une chemise blanche a longues
manchettes ( et c'est une des parures les plus
elegantes). Ils y ajoutent la plus grande quantite de petites boucles d'argent qu'ils peuvent
rassembler ; enfin ils rappellent par leur accoutrement ces masques dont les rues de Paris
(75)
sont inondees dans les jours gras. II faut direl
cependant que dans leur parure bisarre , il
entre une quantite d'ornemens faits par eux-
memes , avec des crins de chevaux , des poils
de buffalo ou d'autres animaux, avec des
pointes de pore-epic, avec des ecorces d'arbres dont ils font des cordes, enfin avec des
herbes qu'ils tressent. Beaucoup de ces ou-
vrages qui servent a orner leurs habillemens,
leur poche a tabac, leur fourreau de scarpel,
leurs jarretieres, leurs souliers f mockissonsj
etc., sont tissusavec une symetric, uneadresse,
et meme on peut dire un gout qui ne seraient'
pas surpasses en Europe. Cet ouvrage est
encore celui des femmes; c'est sur-tout dans
la varieta et dans la richesse des couleurs
qu'elles excellent. Elles les tirent generalement
des feuilles, des racines, des herbes; mais elles
ont encore le talent de les tfrer de toutes les
etoffes teintes soit de laine, soit de soie, dont
elles peuvent attraper un morceau; elles les
font bouillir avec je ne sais quelle preparation
vegetale , et elles decolorent l'etoffe au profit
du crin, du poil, de l'ecorce qu'elles teignent
ainsi d'une couleur tres-solide.
Ces Indiens etaient a-peu-pres quatre-vingt
le matin quand ils sont arrives : le gouverneur
occupe,a remis a l'apres-midi a recevoiiTeur
(76)
visite; alors ils n'etaient plus que trente; car
tous les autres etaient ivres , hors d'etat de
marcher. C'est sur une grande pelouse que
cette visite a ete regue : aucun compliment
n'a ete fait de part ni d'autre ; le gouverneur
s'est montre, mais il s'est tenu a l'ecart; les
Indiens ont danse, ont joue entr'eux. Quel-
ques-unes de leurs danses sont assez expres-
sives , et ne sont meme pas sans grace : un
air triste, monotone , chante par un d'eux, et
accompagne dun petit tambour de trois pouces
de diametre et de six de haut; voila leur mu-
. sique : souvent elle est accrue d'un baton sur
lequel un des enfans bat en cadence ; ils dan-
sent autour de cette musique , qu'ils inter-
rompent souvent par des cris pergans ; la danse
de la chasse, celle de la guerre sont les plus
expressives ; la derniere sur-tout. C'est 1'image
de la surprise d'un ennemi que l'on tue et que
l'on scarpelle ; le danseur est seul; les autres
nccroupis , le talon sous leur derriere comme
les singes , sont ranges en demi cercle, et
pretent une avide attention a tous ses mouve-
mens. Le moment ou l'ennemi est cense tue,
porte sur tous les visages l'expression de la
joie ; le danseur fait des cris pergans et terri-
bles ; il revient conter en pantomime ses succes aux autres , et un cri general les couronne;
C 77 ) .
la fink la danse pour celui-la, un autre lui
succede , puis un autre encore, jusqu'a sa-
tiete.
Apres la danse ils ont joue a la balle; c'est
un jeu ou toute leur agilite se deploie ; ils ont
chacun une raquette, dont le manche de trois
a quatre pieds de long, se replie a son ex-
tremite de maniere ^fc donner a la palette la
Forme d'un arc : les cordes de cette raquette
sont d'ecorces d'arbres ; ils la tiennent a deu^
mains , et courant apr6s la balle par-tout ou
ils la voient, ils n'ont d'autre objet que de
l'enlever avant les autres. Cette balle est souvent jetee a des distances considerables ; ils
s'elancent a l'envi pour la rattraper soit en
1'air, soit a terre. Les buissons, les fosses, leS
barrieres, rien ne les arrete; ils passent au tra-
vers de tout, franchissent tout, et developpent
dans ce jeu une souplesse, une legerete, une
activite vraiment agreables.
Pendant cesjeux, 1 agent s'est approche du
general avec un des chefs, et lui a dit que sa
nation de Tuscorora le consultait pour savoir
si elle irait a un conseil tenu par les Indiens
Oneydas a Onondago pour vendre leurs terres
de reserve, que l'Etat de New-Yorck desirait
acheter. Le gouverneur a repondu ttes-vague-
xnent a cette question; l'agent a traduit comme
(7«)
il a voulu cette reponse ; mais il a replique
au gouverneur de la part des Indiens, que
comme ils croyaient etre plus agreables au roi
d'Angleterre en n'y allant pas , ils n iraient
pas.
Je ne sais si cette farce politique a ete jouea
par l'agent 6eul, ou si le chef 6tait de moitie;
mais je sais que ce chef venait un moment I
plut6t de mendier deuoc schellings de moi,
pour lesquels, si j'avais voulu, il m'aurait pro- \\
mis d'aller ou de n'aller pas a tous les conseils j
du monde. Je remarquerai k cette occasion |
sans m'etendre davantage sur ce sujet, que 1
toute la pohtique de I'Angleterre avec les In- ■
diens est absohiment dans les mains des agens, |
qui seuls en entendent la langue ; et qui seuls 1
sont les distributeurs des presens; qu'ainsi il \\
ne tient qua ces agens de disposer toutes ces ;]
nations ou quelques-unes d'elles a, la guerre ;
de les animer plus ou moins fortement contra ]
l'Amerique, de les brouiller entr'elles, sans I
que le gouverneur puisse se douter de cette
derogeance aux instructions de son cabinet, I
autrement que par les effets. II en est sansl
doute de meme dans les Etats-Unis.
L'agent anglais dont il est ici question, est
le colonel Buhtler, famenx par ses inoendiesJ
ses pillages et ses meurtres dans la guerre d'A-j
Mammmm— ■ ■■ -^
(79)
• merique. II est lui-meme Americain d'aupres
de Wilkesbarre ; son pretendu loyalisme qu'il
a su se faire payer de brevets et de traitemens,
lui a fait commettre plus de barbaries, plus
d'infamies contre sa patrie, qu'a qui que ce
soit. II conduisait les Indiens, leur indiquait
les fermes, les maisons a briiler, les victimes
a scarpeler, les enfans a dechirer. L'Angleterre
a recompense son loyalisme de cinq mille acres
de terre pour lui, d'une quantite pareille pour
ses enfans, d'une pension de deux a trois cents
liv. sterlings, d'une place d'agent aupres des
Indiens , qui lui en vaut cinq cents autres,
avec la facilite de puiser a volonte dans les
magasins de presens. Il est tres-bien traite du
gouverneur, qui joue ainsi le r61e qu'il doit
jouer, mais qui, j'aime a le croire , ne Ten
estime pas davantage.
Cette nation des Tuscororas est, comme je
crois l'avoir deja dit, celle ou les hommes par-
tagent le plus le travail avec les femmes. Le
gouverneur parle du projet de tenter de lui
donner une demi civilisation ainsi qu'a toutes
les nations indiennes sur lesquelles il croit que
I'Angleterre a quelqu'influence.
Est-il avantageux ou non pour les Indiens
d'etre civilises ? Cette question est trop grande
k traiter, peut-e>tre pour mes talens , et sur-
(8o)
tout pour ce moment; mais il me semble ,
qu'oblige de prononcer promptement sur elle
je prononcerais la negative ; sur-tout tant
qu'ils ne seront pas trop entoures des blancs ,
et qu'ils pourront jouir d'un territoire assez
grand pour chasser et ne pas manquer de gi-
bier. Mais encore une fois, on ne peut re-
soudre d'une maniere absolue une question si
difficile a i scuter.
La condition des sauvages, abandonnes en-
tierement a leur vie de nature , n'est pas la
meme que celle des sauvages places pr6s des
blancs, ou communiquant avec eux. La reflexion peut porter a croire que la creation des
besoins, la necessite de la prevoyance, i'usage
de la pensee , le developpement de l'esprity
et la sensibilite raffinee du cceur. etant plus
souvent des causes de malheur que de bon-
heur, la civilisation qui en est le principe doit
etre ecartee des sauvages pour leur propre
avantage. Mais peut-on arriver a la meme
conclusion pour ceux des sauvages qui par leur
communication avec les blancs appartiennent
deja a la civilisation, seulement il est vrai par
ses vices, consequemment par les malheurs
dont elle est la source , et qui ne peuvent
qu'acquerir des moyens d'adoucissement et de
bonheur en l'obtenant plus complette.
La
(Si)
La'question de la qj^Uisation des.gaj&yaggS}
g§n$\\$.&ree dans le rapport de l'avantage qui
en resulterait, pour la partie du Monde .d$j4
civilisee, devrait peut-etre aussi etre decide©
a l'afiirmative.
Quoiqu'il en soit, le gouverneur n'a pai
uniquement en vue, dans ce projet decivi&ssa-
tion , le bonheugrde ces IndiehSj.naasBBieaaieoaie
l'utilite qu'il peut en tirer; il veut les[J0kirfa\\
civiliserpar des pretres: ilprefererait.des mis-
sionnaires catholiques. La politique du gengasiqL
lerapproehe dune religion , dont les ministres
voyant leur interet attache au pouvoir des
jtrones , ont eu toujours pour systeme de sou-
tenir et de propager l'autorite arbitraire. , .
Ce qui est constant, c'est que le^um ex-
tenue les Indiens, qu'il abr£ge leur vie, qu'il
rend tous les jours leurs mariages moins f£-
conds , qii'il fait naltre des enfans chetifs ,
et que^^Sj,nations diminuent sensiblement
par ce poison , dont il n'est pas plus possible
de detruire , parmi elles, le besoin que
l'effet.
Etablissement du Colonel Brant.
A quatre rvingt milles d'ici, sur la grande
riviere, est un etablissement) que j'aurais ete
Tome II. E
( 82)
curieux de visiter ; celui du colonel Brant,
Mais le colonel n'y est pas , et d£s - lors on
m'assure que je n'y verrais que ce que j'ai vU
dans ceiix que j'ai deja visites.
Le colonel Brant est un Indien qui a fait
la guerre pour les Anglais, qui ay ant ete en
Angleterpe, a ete brevete par le roi, bien traits
-de>B0iut le monde, et en a rap^torte des mceurs
jfciiiemi europeennes. II est servi par deux
38
mecontentement. des troupes , que le projeH
leur est deja connu.
Ouverture de I'Assemblee du Haut-M
Canada.
C'est encore pendant notre sejour a Navy-
Hall, que s'est faite l'ouverture de I'assembiee du
Haut-Canada. L'attente d'un.ehef de justice, an-
nonce d'Angleterre, l'esperance d'etre instrjsjtM
sur les details duitraite avec les Etats-Unisjy ont
determine le gouverneur a'eloigner cette ses-
sion jusqu'a presentijomais ce moment est
celui de la moisson, qui, en Haut-Canada
comme ailleurs, occupe plus que les aff^dtcejl
publiques, Deux: membres du. co®seilriiegi&«
latif, au lieu de:sept; pointfijje. chef de jus-?
tice, pour, etre orateur du. conseil legislatif;
cinq raejttbres de faissembiee aU lieu de;,§eizfiJB
■s^sliadfe^glee qui a ppei^&ii&UBhi La loi exigw|
un plus grand.nomrjoreode.meinbres7-d#JiiSqcbi^
que xhaj»b«b^)jf»©«r. lui donner. droit dead^a|
liberer; cepen4ain'i)',>Jk'&nee complete detp^jraa
la derniere assepibiee. , ex-pitoit jSahs deux
jours. Le gouvdrneur a done ^juge\\q«jij fallai|
; tmWr'ir la session , sauf jaiix, deux chambres, Jl
s'jaourner de jour a jour, en. at$e$$rt^ qjjfl|
'(89)
les vaisseaux du Detroit et de Kingston ,
apportent, comme on l'espere , les membres
' desires, ou au moins la certitude qu'on ne doit
pas compter sur leur arrivee.
Une garde de cinquante hommes de la-garnison du fort, etait tout l'appareil du gouverneur qui, en habit de soie, accompagne de
son adjudant et de deux secretaires, a passe
dans la salleje chapeau sur la tete. Les deux
membres du conseil ont fait avertir I'assembiee
par son orateur ; elle a parue a la barre , et le
gouverneur a delivre son discours, caique,
pour les affaires d'Europe , sur celui du roi;
congu dans de bons termes pour les Etats-Unis,
a i'occasion du traite , et tr^eWconcis sur les
affaires du Canada ; car la ou il n'y a ni impositions a discuter, ni comptes a recevoir, ni
arrangement militaire a examiner, il y a peu
d'affaires ; et quand tous ces points seraient k
traiter, les affaires ne seraient gueres plus
ifefiSgues , ni plus embarrassantes, a moins que
le gouvernement ne rencontrat une opposition.
Or la composition des deux chambres du Haut-
g6MSfada ne permet pas d'en supposer. La cons-
i^rftSon du Haut-Canada est bonne pour le
moment present; les membres des chambres
de Tad ministration sont tous de l'espece la
meilleure qui put etre choisie a i'epoque ac-
(90 )
tuelle. L'influence du gouverneur n'est pas
aujourd'hui sans utilite ; peu-a-peu les chan-
gemens necessaires , ceux qui assureront da-
vantage la liberie , le bon ordre , dans tous les
points, etc. etc. auront sans doute lieu.
Fort de Niagara.
Le fort de Niagara est, comme je l'ai dit,
sur la rive droite de la riviere, a la pointe
opposee a celle de Mississogas, ou est bati
Newarck. II avait ete originairement place ,
par M. de la Jonquiere, a trois milles plus
pres de la chute ; mais il a ete reporte , quel-
ques annees apres , au lieu ou il est a present,
et ou M. de Denouville avait construit une
redoute. Ce fort, ainsi que. ceux diOswego>
du Detroit, de Miami et de Machilimaehi-
nac , doivent rentrer aux Americains.
Celui de Niagara est, dit-on , le plus fort;
il a ete mis, l'annee derniere , dans un mejilf
leur etat par quelques nouveaux ouvrages ,
,et sur-tout par des batteries couvertes qui le
dependent du cote du lac et de la riviere; tous
les parapets , les talus, #tc, sont revetus en
pieces de bois ; c'est du' cote de la terre une
courtine flanquee de deux demi-bastions for-r
tifies chacun d'une block-house garnie de.ca-
(9* )
nons. Ce fort, comme tous les petits forts du
monde , ne peaaiflfamais faire une grande resistance , s'il est bien attaque, mais peut couter
bien du monde aux assiegeans ; tous les ifaitfcb-
mens qui se trouvent dans son enceinte sont
en pierres , et ont ete faits par lesFrangais.
Le gouverneur , par une politesse tres-
recherchee , nous a conduit a ce fort; car
il n'aime pas beaucoup a le voir depuis qu'il
a la certitude d'etre oblige de le rendre aux
Americains : il4*pus en a fait voir tous le&jA&r
tails, beaucoup au-dela de ce que noutfrate-
lions jamais ose en exprimer le desir. Ttente
hommes d'artillerie, et huiftijCjOmpagnies du
cinquieme regiment, en composent la ga«pi-
son; les canons et munitions pour I'&rj&ee, que
peut lever le Haut - Canada , y sont reunis
et prets a etre employes. Nous avons , deux
jours apres cette visite , ete diner encore a ce
fort, chez le major Seward , commandant
l'artillerie , homme aimable , poli, obligeant,
et qui d'ailleurs me semble tres-estime dans
son etat;lui et M. Pilckms@m, capitainB^dji
genie, sont les officiers que noustavons vu
le plus souvent pendant notre sejour; ce
sont ceux que le gouverneur voit et caresse
davantage. En Angleterre , comme en France,
les officiers du genie et de l'artillerie sont les
(9* )
plus instructs, par consequent les plus agrea-
bles a rencontrer. Ce que nous avons vu des
officiers du cinquieme regiment, nous les a
-montres polis, obligeans et de bonne compagnie.
Les glaces que la riviere de Niagara charrie
en morceaux enormes , sans pourtant jamais
se prendre entierement, empechent, pour
deux ou trois mois d'hiver, la communication
du fort a Newarck. Dans tout ce tems elle est
libre quelquefois pendant une demi-journee
seulement , et devient impraticable sur-le-
champ. Quelques Indiens en tentent le passage , en sautant de glace en glace; mais le
nombre de ceux qui s'aventurent a cette ris-
quable entreprise n'est jamais considerable.
I Courses autour du Lac.
Dans quelques petites courses que nous
avons faites autour de la ville, et plus particu-
lierement dans un voyage de quatre jours,
avec le gouverneur, sur les bords du lac, nous
avons pu voir l'interieur du pays. Ce voyage
- avait pour objet d'arriver a la^tete du lac. Un
canot d'ecorce, qu'il a fait construire pour
faire toutes ses courses du Detroit a Kingston,
contenait toute la compagnie , composee du
(93)
gouverneur, du major Seward, de M. Pilckin-
son, denous trois, (carM. deBlacons nous a
quitte deux jours apr6s notre arrivee a Navy-
Hall ) et de M. Richard , jeune anglais, arrive^
de son cote par la riviere duNord , et que nous
avions eu occasion de voir k Philadelphie ;
douze chasseurs du regiment du gouverneur ,
pagayaient ce canot qui etait suivi d'un bateau
portant tentes et provisions de toute espece.
Nous nous arretions pour diner, puis, avant
le soir, pour dresser la tente et pour souper.
Le matin, avant de partir, nous nous prome-
nions, nous dejeunions, et nous reprenions
ensuite notre route, mt^gjt
Notre voyage a ete contrarie par un peu de
pluie : un des points principaux de notre route
a ete le Forty-mile'creek. Ce creek, passant au travers de la chaine de montagnes qui
vient de Queenstown, tombe en cascade dans
la plaine, et presente quelques points de vue
sauvages , effrayans , et par consequent agrea-
bles dans les montagnes. Avant de parvenir au
lac, il fait tourner deux moulins a scie , et un
moulin a bled, tous appartenant a M. Green ,
loyaliste du Jersey, etabli depuis six a sept ans
dans cette partie du Haut-Canada.
Ce M. Green na pas quitte le gouverneur
pendant tout le tems qu'il a passe a Forty-.
II
(94)
mile-creek; il paralt bonhomme, et superieur,
par ses connaissances, a la classe ordinaire
des colons de ce pays. Il est possesseur de trois
cents acres de terre, dont environ quarante
sont cleared: il n'a pas plus de titres que les
autres de cette concession; mais ayant voulu,
l'hiver dernier, vendre quelques-uns de ses
acres , et en acheter d'autres , il a obtenu'
promptement les titres pour ces deux parties.
II a donne 125 dollars pour quarante acres ,
traversees par le creek qui fait tourner son
moulin. II a ainsi paye un peu la convenance,
le prix commun dans ce canton etant de cinq
schellings l'acre. La les terres nouvellement
degagees de bois , donnent, dans la premiere
annee, vingt boisseaux de bled; elles y sont
bonnes sans etre de la premiere qualite. On
ne laboure qu'apres les trois ou quatre premieres annees de recolte ; on laboure peu pro-
fondement, on ne fume jamais. Le prix de la.
farine est de vingfc-deux schellings le cent pe-
sant, du boisseau de bled sept a huit, et le
boisseau pese toujours soixante et deux livres^
1'ouvrier est paye six schellings par jour, et se
trouve difficilement.
L'hiver est compte pour la nourriture des
bestiaux a cinq mois et demij souvent six pres
le lac ; il est moins long d'un mois sur la*
(95)
inontagne : cette partie de pays reunit quelques habitations; le bled est la, comme dans
tout le Haut-Canada, la culture la plus habi-
tuelle ; tous les grains s'y cultivent aussi. On
y seme le bled et le seigle en septembre, l'a-
voine en mai, l'orge en juin , les turneps en
juillet, les pommes-de-terre se plantent en
mai; les recoltes de foin se font du 20 juin
'SnTO juillet, celles de seigle au commencement de juillet, celles de bled, a la fin du
meme mois; les pommes-de-terre et les turneps sont recoltes en octobre et novembre;
le foin ne se coupe generalement qu'une fois ;
on seme aussi des prairies artificielles de thy-
mothy. Les bestiaux sont nourris l'hiver de
foin conserve dans les granges , sous des bara-
ques hollandaises (1), ou dans des meules a la
maniere anglaise , mais mai faites. Tant que
l'hiver n'est pas bien rude, on laisse courir les
bestiaux dans les bois; il y a, dit-on, dans
tout le Haut-Canada , rarement deux pieds de
neige sur terre. Tous ces renseignemens sont
communs aux points cultives du lac Ontario
et du lac Erie. ,
(1) On appelle baraque hollandaise , dans cepays.etdans
tout le nord des Etats-Unis , un toit rond, quarre, ou k
plusieurs c6tes, couvert de paille, et soutenu sur de
|ong»es perches. Ce toit s'abaisseet se hausse a. volonte..
1 ;
$M)
M. Green, qui a un grand nombre d!e^||
fans, projette de les etablir tous , ( c'est-a-dire
les gargons ) en leur faisant batir a chacun un
moulin sur son creek, ou sur un autre creek
voisin. II moud pour la garnison de Niagara ,
Ou, ainsi que dans tous les points militaires
du Haut-Canada, le general Simcoe a ordonne
d'acheter toute la bonne farine proposee par
les meuniers , dans une quantite de plus de six
boisseaux.
La route de Forty-mile-creek , au bout du
lac, que nous avons faite a cheval, est a-peu-
pres aussi mauvaise qu'aucune que nous ayons
rencontree dans les Etats-Unis; si quelques
troncs d'arbres couches ne se fussent pas
trouves de tems en tems dans les terres mare-
cageuses, nous n'en serions jamais sortis. Dans
tout le trajet de quinze milles , nous avons
traverse de tres-bonnes terres , mais a peine
quatre habitations ; au bord du lac, a son
extremite et dans les plus belles terres du
monde, il n'y .en a que deux.
La baie de Burlington termine le lac Ontario. Cette baie a cinq milles de profondeur;
mais quoique communiquant avec les eaux du
lac par un detroit de trente toises de large I
la navigation est interceptee dans les trois
quarts de l'annee par les sables qui sont jettes
ayec
(97)
avec abondanee vers cette extremite du lac,
et qui forment une barre dont le talus s'etend
en avant a pres d'un demi mille. A ce seul
passage-pres , cet;e baie est separee des eaux
du lac par une langue de terre large de cent ou
deux cents toises ;"a la naissancede laquelledu
cote sud^egtvle portage d'environ cinquante pas
de largeur ; les petits bateaux sont portesdans
un. petit a-cul de la baie , et arrivent de-la sans
obstacle, a tous les points de sa circonference.-
Les montagnes qui approchent si pres du lac ,
a Forty-mile-creek, et qui depuis s'en eloi-
gnent a cinq ou six milles , s'en rapprochent
a la tete de la baie de Burlington. Leur circuit , la nature de la terre entr'elles et le lac,
■portent a croire qu'elles en ont ete les vraies
Jimites , et que le terrein couvert de bois
tres-anciens , tres-beaux , qui les separe du lit
actuel , n'a ete forme que par des alluvions.
Ces montagnes, apres avoir donne passage k
une riviere assez considerable \\ quoique peu
etendue dans son cours , qui se jette dans la
baie, recontinuent , entourent encore fedao
pendant environ un quart de sa longueur,
et de-la se dirigent Yesseje lac Huron , aupr6s
•duquel elles se divisent; on n'en sait pas da-
vantage. La geographie de ce pays pour la
direction des montagnes, la forme des val-
Tome IL G
(98)
lees, le cours des rivieres , est extremement
circonscrite. Le gouverneur Simcoe sent la
necessite de l'etendre ; mais que de choses |
necessaires a faire dans un nouveau pays ?
Dans toute cette course , nous avons traverse des bois remplis de fleurs tres-belles ,
trfes - odorantes , dont nous n'avons pas pu
savoir le nom. Les arbres odorans y sont
aussi tres-multiplies , et d'une elevation in-
connue en Europe.
Les bords du lac sont assez mal-sains ; les
fievres intermittentes y sont presqu'aussi communes que dans le Genessee. II y a peu de
chirurgiens dans les campagnes ; ils ne peu-
vent exercer qu'apres avoir ete exaamines par
le medecin du gouvernement. Cette precaution sera bonne un jour ; mais en attendant,
elle ne sert a rien : car comme il y a peu de
postulans , les ignorans sont acceptes sans dif-
ficulte, quand ils veulent bien se presenter.
J'ai appris par l'un d'eux que le commun
des habitans etait extremement ef&aye de leur
oohseil dans les fievres intermittentes, parce
qu'ils leur ordonnent toujours le quinquina ;
et que les pauvres gens , au lieu de prendre
leur avis , ont recours a une espece de sortilege, dans lequel la confiance du pays est
generate. Quand ils sont attaque« de la fieyre,
(99)
ilsvont dans les bois, choisissent une branche
d'orme ou de sassafras poussee l'annee pre-
cedente , et sans la detacher de l'arbre , ils
la tiennent avec un fil qui ne doit pas etre
neuf, font autant de noeuds qu'ils consen-
tent a avoir d'acces , et reviennent religieu-
sement a la maison , persuades qu'ils n'en
auront pas plus que le nombre auquel ils se sont
abonnes. Ceux qui les premiers ont invente
ce secret, ayant fait si peu de nceuds que
la fievre a trompe leur esperance , il arrive
que les superstitieux d'a-present en font un
si grand nombre , que la fievre meurt presque
toujours de vieillesse avant que le nombre
des nceuds soit atteint. Il est bien difficile
que ce secret, et sur-tout ce dernier raffi~
nement , ne soient pas l'invention de quelque
pretre.
Cette promenade sur le lac est interessante
et belle; la vue de cette immensite d'eau
est majestueuse; les commencemens de de-
frichemens faits generalement sur de bons
principes , offrent un tableau plein de douceur pour l'oeil et pour la pensee. Le gouverneur est bon , simple , uni, aimable ; la compagnie etait agreable , et nous avions nos
aises , autant qu'il est possible de les avoir
dans un tel voyage. Cependant, il est reel
G 2
( soo )
que je n'y ai pas eu un moment de vrai plaisir ,
de jouissance entiere; que je n'en ai pas eu !
un seul pendant tout le tems que nous sommesH
restes a Navy-hall, combles des attentions les
moins genantes , du gouverneur , et de tout 1
ce qui l'ento.ure.
Je suis embarrasse de me rendre compte a
moi-meme , des differens sentimens qui m'op-
pressaient et m'empechaient de me livrer en-^j
tierement a la reconnaissance et a la douceur I
qui en resulte. J'aime les Anglais plus peut-i
etre qu'aucun Frangais ne les aime ; j'en ai -\\
toujours ete tres bien traite ; j'ai des amis parmi |
eux; je reconnais a ce peuple beaucoup de
grandes qualites et de talens. Je hais les
crimes infames dont la revolution frangaise
a ete souiliee , qui m'ont d'ailleurs ealeve des
objets chers a mon affection et a mon estime; I
je suis banni de France , mes biens sont con-
fisques ; je suis traite par le gouvernement de
mon pays comme si j'etais un crimine! ou un
mauvais citoyen ; separe de tout ce qui m'est
cher, Roberspierre et les autres brigands par
qui ma nation s'est laissee tyranniser , m'ont
rendu excessivement malheureux ; et mes
malheurs sont loin de finir : he bien 1 ce sentiment de la patrie , ce sentiment aujourd'hui I
sipenible, si contradictoire ayec ma position,
( toi )
domine tous les autres et vient me poursuivre
ici plus que jamais. Ce pavilion anglais sous le-
quel je navigue , sur des lacs ou a si long-tems
flotte le pavilion frangais; ces forts , ces canons
enleves a notre puissance , ce temoignage per-
petuellement sous mesyeux de notre ancienne
faiblesse etde nos adversites ^megenent, m'ac-
cablent, et medonnent un exces d'embarras ,
dehonte , que je ne puis trop bien demeieret
moins encore definir. Les succes que le lord
Howe a eus l'annee derniere , dont les Anglais
parlent d'autant plus librement devant nous ,
qu'ils croient notre cause attachee a la leur ;
cette avidite d'annoncer de nouvelles defaites
des Frangais , d'y croire , et d'oser nous en
complimenter, en nous assurant que nous
rentrerons dans nos proprietes par les efforts
Britanniques; tous ces sujets habituels d'une
conversation dans laquelle l'intention de mes
hdtes semble toujours bonne , ont quelque
chose d'autant plus penible , qu'il faut cacher
sa pensee dans le silence;, qu'en ladisant, on
passerait pour un sot aux yeux du tre.s-petit
nombre , par qui on ne serait pas juge un
Jacobin , un Roberspierre, et qu'on en est
pour ainsi dire embarrasse avec sOi-meme. Et
cependant, il est enmoi, il est profondement
en moi de preferer de garder toute ma vie
G 3
l
r
( 102 )
mon etat de banni, de pauvre diable, a mo j
voir rappeler dans mon pays et dans mes biens
par rinfluence des puissances etrangeres et J
par l'orgueil anglais. Je n'entends pas parler
d'une defaite des troupes frangaises sans una
grande peine , de leur succes sans un sentiment d'amour-propre satisfait que je ne cherche
pas toujours assez a cacher. Et cependant encore , a c6te de tous ces sentimens ridiculeiH
a s'avouer dans ma position, je ne puis entre voir l'epoque ou l'anarchie cessera dans
notre infortunee patrie , et ou la liberte regie© I
par des loix bien obexes, rendra heurenx au
moins ceux qui n'en sont pas bannis , et assu-
rera sa gloire sur des bases solides et durables.
Je ne sais si mes amis qui liront ceci m'en-
tendront bien; s'ils demeleront mieux que moi
cette confusion d'idees et de sentimens si
contraires en apparence. Mais ehfin les voila ,
tels que j'en suis penetre et tourmente.
Parmi les differens temoignages d'obligcance
qu'a regus ici notre petite caravanne, du Petit-H
Thouars en a eprouve un plus particulier par
l'offre de terres dans le Haut - Canada. La
proposition lui en a ete faite par le major
Seward , qui sans lui dire qu'il y etait direct
tement autorise par le gouverneur , nous la
laisse croire. La reponse polie mais tres-psaM
( io3 )
noncee de du Petit-Thouars , n'a pas permis
que cette negociation allat plus loin.
Gazettes : Esprit-puhlic : Religion.
L'amour des nouvelles est loin d'etre aussi
repandu dans le Haut-Canada que dans les
Etats-Unis. Une seule gazette s'imprime a
Newarck, et le gazetier, s'il n'etait pas solde
par le gouvernement, ne pourrait, par ses
souscripticsns, payer le quart de ses frais;
c'est un extrait tres- court et choisi dans les
principes du gouverneur, des papiers de New-
Yorck ou d'Albany , et sur-tout de Quebec ,
precede et snivi d'annonces de ventes. Ce papier paralt toutes les semaines ; on en envoie
en petit nombre au fort Erie , en petit nombre
au Detroit. La presse de cette gazette sert a
imprimer les actes de I'assembiee , les proclamations du gouverneur , et c'est son em-
ploi le plus habituel: d'ailleurs , Niagara est,
par sa position, tres-recuie pour les nouvelles ,
sur-tout en tems de guerre.
Les vaisseaux d'Angleterre ne sont pas encore arrives a Quebec , et nous sommes au
six de juillet; l'on n'est instruit a Niagara
que de ce qui se passait a Philadelphie avant
notre depart; car on ne s'appelle pas instruit
G4
( io4)
ici de ce qu'on n'apprend pas pai la voie di-
recte de Londres,
Le peu de renseignemens qu'il nous a ete
possible de nous procurer sur l'esprit general j
du pays, et ceux-la sont venus nous trouver , I
(ils etaient d'une nature trop delicate pour .;
que nous nous en mdritrassions cuirieux ) ont i
ete que generalement il est tranquilie ; True a
les loyalistes Americains , qui reellement ont jj
souffert de la guerre , conservent quelque j
rancune contre leur patrie et leurs compa-J
triotes ; que ce nombre est peu considerable I
en comparaison des emigrans venant cle-iEtats-
Unis , de la Nouvelle-Ecosse , du Nouveau- \\
Brunswick, et quine partagent pas les ressenti- j
mens des premiers, ressentimens qui, d'ailleurs, jj
s'eteignent tous les jours; qu'il ne laisse pas que ]
d'y avoir quelques mecontens dans le pays j 1
que , pa"r exemple , beaucoup de nouveaux
colons venant des Etats-Unis , qui, pour ob- .
tenir des terres gratuites , damnent tout haut
le gouvernement federal, ne sont que des
hypocrites du royalisme anglais ; que la cherte .
des denrees, et par suite, la prohibition du
commerce avec les Etats- Unis, sont un des .
sujets de murmures; que le retard perpetuel )
de la delivrance des titres de propriete. en est
un autre j mais que ces mecoatentemens n'ont
( io5)
encore rien qui puisse in quieter , au moins
pour le moment , le gouvernement qui s'a-
buse meme sur leur realite , et qui , dans des
circonstances de guerre avec les Etats-UniS ,
pourrait cependant se trouver mai de leurs
effets.
La religion est, dans tout le Haut-Canada,
anglicane episcopate. Au Detroit, la presqne
totalite des colons est cependant catholique;
il y a bien aussi quelques families de quakers ,
de menmonistes et de dunkers, repandues dans
la province, mais en petit nombre.'
Le septieme des terres est destine a payer
le clerge protestant ; car au Detroit pres , il
n'y a point de culte catholique paye ; il n'y
a encore meme a Newarck aucune eglise
batie , et la les memes salles servent au
culte, au conseil legislatif, au conseil executif, et aux bateleurs quand il s'en egare
dans ce pays perdu.
Village indien des Tuscororas.
Notre derniere course autour cle Navy-
hall nous a menes au village des Tuscororas
par Queenstown. Ce village en est a quatre
milles et dans les terres americaines; un des
chemins pour y arriver passe par les mon-
( io6)
tagnes qui bordent la chute. Leur passage
presente des vues remarquables , comme precipices , deserts , lieux sauvages , quand ces
montagnes dominent sur le lit du fleuve ,
serre encore entre cette double ligne de rochers eieves , et toujours tourmente par l'im-
pression de la cascade ; il en presente d'admi-
rables quand ces montagnes s'abaissant vers la
plaine qui les separe des bords du lac , lais-
sent l'ceil embrasserala fois et cet intervalle
et le fort de Niagara, et toutes les rives du
lac et le lac lui-meme , enfin une partie de
ses bords opposes. Toutes les terres de ce
pays semblent bonnes.
Quand au village de Tuscorora , il presente
le meme aspect de salete , de pauvretequ©
tous les villages indiens que nous avions vus
jusqu'ici; seulement comme le gouverneur y
etait attendu, les habitans en etaient peints
avec recherche ; tous les atours les plus a la
mode etaient au jour ; on croyait qu'il ve-
nait pour y tenir conseil , et une feuillee
toute arrangee a la porte du chef, et sur
laquelle le drapeau anglais flottait, etait le
lieu prepare pour la ceremonie. La bourgade
a ete desappointee, quand le general leur a dit
qu'il venait sans autre projet que celui de les
voir ; cependant il s'est assis sous la feuillee
( 107 )
preparee; les Indiens assis en demi cercle sur
des bancs , et fumant dans de longues pipes ,
les jeunes gens assis au bout tant qu'il y avait
de la place , ou debout, et reposes sur leur
raquette , le general et nous au centre du
demi cercle , les femmes et les enfans rte
s'approchant pas.
Paterson ne americain , et fait prisonnier
par les Indiens a l'age de dix ans /( il en a
aujourd'hui vingt-cinq) , etait l'interprete du
gouverneur; tous les discours de celui-ci et
des agens anglais aux Indiens Ont toujours le
meme objet; ainsi cette fois encore il leur a,
ete dit « que les Yankees leur voulaient du
33 mai; qu'ils n'avaient d'autre idee que de
33 les depouiller de leurs terres ; que le bon
33 pere (le roi George) etait le seul veritable
33 ami de leur nation. 33II leur a repete encore
33 que Voiseau noir (Timothy Pickering)
33 etait un mechant et un menteur. 33
Mais tout ce langage n'a pas trouve grace
aupres des Tuscororas. Les Senecas en se
rendant , il y avait huit jours, a Navy-hall,
avaient passe chez eux, et leur avaient dit
qu'ils allaient chez le gouverneur sans s'expli-
quer davantage sur le sujet de cette visite.
Les Tuscororas en avaient conclu qu'il y avait
entre les Senecas et le gouverneur quelque
( io8)
grande negociation dont eux Tuscororas se
trouveraient probablement mai ; car la defiance , le soupgon et finquietude sont les
bases fondamentales de -toute la politique
indienne , et il faut convenir que ces dispositions sont les consequences les plus justes
de la conduite des blancs avec eux.
Le gouverneur a nie toute negociation
particuliere avec les Senecas , a employe
pour les dissuader tous les complimens , toutes
les assurances d'affection qu'il croyait capable de les flatter; il leur a reparle et des
-Yankees et de l'oiseau noir, et du roi George,
il ne les a pas satisfaits. Ses offres de terres
dans le Canada, quand les Yankees les auront
chasses de leur place actuelle , ne leur ont pas
fait plus d'effet; rien n'a pu animer d'aucune
maniere l'expression froide et un peu sombre
de leur visage , expression qu'ils conservent
imperturbablement toutes les fois qu'ils s'oc-
cupent d'affaires ; soit que ce soin de cacher
toutes leurs impressions, tienne a une dissimulation reflechie , dont leur commerce avec
les blancs leur a fait sentir la necessite ,
soit qu'on ne doive y voir que l'effet du ca-
ractere et de l'habitude. Cette petite anecdote
peut montrer a quel point la jalousie des dif-
ferentes nations indiennes entre eiles. est
( iog )
prompte a s'eveiller et s'anime aisement. On
ne peut pas douter que les Anglais et le3
Americains ne profitent au besoin de cette
disposition comme de toutes les autres fai-
blesses des Indiens.
Il est peu de ces villages indiens ou il n'y
ait quelques blancs etablis , et presque toujours ils y ont de 1'influence. Cette vie de fai-
neantise, de libertinage et d'ivrognerie con-
vient a bien des caracteres ; ce ne sont pas
pour I'ordinaire les meilleurs ; aussi remar-
que-t-on que ces blancs habitant parmi les
Indiens , sont toujours les plus vicieux , les
plus cruels , les plus avides, les moins bons
peres , ect.
Il y a une assez grande quantite de fievres
intermittentes dans ce village. Souvent les
Indiens consultent le medecin paye par le
gouvernement anglais pour les soigner; mais
plus souvent ils prennent des breuvages de
jus d'herbes qu'ils font eux-memes. Quoique
les serpens-sonnettes soient assez communs
dans leurs environs , aucun de ceux qui ha-
bitent actuellement ce village , n'en a jamais
ete mordu ; leur remede serait du sel et de
1'eau ; ils le croyent suffisant et sur.
Nous afcons rencontre dans cette course une
famille americaine, conduisant quelques boeufs,
( no )
vaches et moutons, et venant en Canada. Nous
venons , ont-ils dit au gouverneur, qu'ils ne
connaissaient pas , voir si l'on veut nous donner des terres ici. « Ah oui! » leur a repondu
le gouverneur, 33 vous dtes las du gouverne-
33 ment des Etats , vous ne voulez pas avoir
33 tant de rois? vous regrettez le gouverne-
33 ment du vieux pere « (c'est le nom qu'il
donne au roi d'Angleterre en parlant aux
Americains) vous faites bien, vous savez
33 qu'il est juste et bon; allez , nous aimons
33 les bons royalistes comme vous ; on vous
3) donnera des terres. »
Le retour de Queenstown dans le canot du
gouverneur nous a fait redescendre cette
belle riviere de Niagara, dont l'imagination
se plait a voir les rives telles qu'elles seront
quand les habitations et les cultures les auront
tirees de l'etat de desert ou elles sont a
present; et elle les voit alors animees de tableaux rians et riches; mais l'imagination'
jouira probablement bien long-tems seule en-
, core de ces agremens et de cette richesse.
I
l""rf-
(111)
Yorck.
Pendant notre sejour a Navy-hall , MM.
du Petit - Thoujgs-et Guillemard ont profite
du retour d'une chaloupe canoniere pour aller
faire une course a Yorck. La paresse , la cer-
Utetud©; du peu d'objets intiatessans que j'y
trouverais , la.ipoiliffeesse pour le gouverneur,
se sont reunis pouMne faire rester a la maison.
Mes amis m'ont rapporte de leur voyage que
r^tjemplacement qui, comme je l'ai dit, avait
ete choisi par le gouverneur pour la capitale
du Haut-Canada, avant qu'il pensat a s'etablir
sur la riviere de Tranche , offrait une ttes-
belle et tres-vaste rade separee du lac par
une langue de terre irreguliere pour sa lar-
geur , depuis un mille jusqu'a soixante
4gjils.es:; que f eaala?e.e de cette rade ouverte d'un
mille environ , etait obstruee dans son milieu par un banc , et que les deux passages
que le banc laissait etaient tres-aises a d€-
fendre par les i&eux pointes de 1'entree, sur
; •tesquelks^deja deux block-houses etaient construites ; que cette rade etait de deux milles et
demi de profondeur sur un de large; qu'elle
etait saine dans tous ses points ; que l'elevsah
-tion de ses bords domaae la facilite de la de-
sfoia«dre par des fortifications.
**sk
( 112 )
Yorck est le point que le gouverneur Sin
coe se propose de 'rendre le centre des forces
navales du lac Ontario ; il y a maintenant
quatre chaloupes-canonnieres, dont deux sont
de nature a/transporter des marchandises et
y sont constamment occupees; les deux autres uniquement propres a porter des troupes
et du canon, navigables a rames et a voiles:; 1
jresteront sous des hangards tant qu'elles ne
seront pas employees a leur destination. Dans
le projet du gouverneur, il en etablit dix de
cette espece sur ce lac , et dix sur le lac Erie.
Les charpentiers qui y travaillent sont des |
habitans des Etats-Unis , et retournent chez
eux chaque hiver.
Quant aux maisons deja construites a. Yorck,
elles se bornent a une doirzaine , baties au ,
fond de la baie, pres la riviere Dun ; les habitans n'y sont pas, dit-on, de la meiiyurajB
espece; l'un d'eux est le nomme Batzy, chef
des families allemandes , que le capitaine! ^WfiaB
. liamson accuse les Anglais de lui avoir debauchees pour nuire' aux progres de son etablissement.
Malgre la navigation de: eetsehrivjiere, ilya
encore trente milles de portage entre Yorck
et lelac Simcoe, par ou les marchandises. ve»-
nant du lac Huron pourraient y arrivjerle plus
directement; %
(n3)
directement. Les barraques oil est etabli le regiment du gouverneur , sont baties a deux
milles de la ville, sur la rade pres le lac ; on
dit que les soldats en desertent assez frequem-
ment.
Les Indiens sont a i5o milles a la ronde
les seuls voisins de Yorck. C'est la nation des
Missassogas, et je prendrai occasion de dire
que tous ceux qui dans le Haut-Canada fre-
quentent les Indiens nous confirment que le
pere Charlevoix avait parle de leurs mceurs
avec une grande verite : on reconnait dans son
ouvrage la meme fideiite pour les descriptions
de tous les pays qu'il a parcouru.
Depart de Navy -hall.
Apres dix-huit jours desejour a Navy-hall,
nous avons pris conge du gouverneur le ven-
dredi 10 juillet. II avait bien le desir de nous
garder quelque-tems encore, mais le moment
probable de la reponse de lord Dorchester a.
Kingston etait venu ; et malgre l'obligeante
et agreable civilite du gouverneur , nous ne
pouvions pas etre sans inquietude de le gdner.
J'espere qu'il aura ete aussi content de la
simplicite et de la franchise de M. du Petit-
Thouars et de moi, que nous l'avons ete de
Tomelh &
fl
( u4)
sesbontes ; je ne parle.point deM. Guillemard I
qui, comme Anglais, n'etait pas dans la memeJ
position que nous. Nous avons joui dans sal
maison de cette liberte entiere d'opinions™
qu'un homme aussi distingue que lui se -pialli
a encourager, et sans -laquelle nous n'auridnM
putester aussi long-tems a Navy-hall- que nouaB
l'avons fait.
Tout ce que nous avons vu et entendu
sur cette partie du Haut-Canada , nous
laisse l'idee que cette province ne restetaB
pas long-tems dependante de l'Anglete^ejB
L'esprit d'independance des Etats-Unis, qua
deja n'y est pas etranger, s'y etablira plus encore quand le voisinage sera plus immediate
La comparaison que les habitans duHaut-CaJ
nada feront du prix de toutes les marchandises
sujettes aux droits des douanes d'Angleterre,
avec celui des memes. objets sur la rive oppo-
see , sera un sujet tres-suffisant d'envio et de
murmures. La contrebande sera impossible a
empecher, puisque la navig^fipn se fera!p^3
les memep'lacs, par les mdmes canaux^i'fl
cette contrebande sera un grand mai pour
I'Angleterre, au moins dans le systemersuivaiw
lequel elle gouverne ses colonies. Elle sera una
matiere constante de querelles entre les deux
gouvernemens , et fournira chaq»*e>jo»"r",fH
( n5)
gouverneur du Haut-Canada des moyens de
provoquer , de commencer la guerre. Or
une guerre qui aurait pour motif le desir
d'entretenir les demies pour les sujetsde I'Angleterre a un prix immod£re en comparaison
de leurs voisins, ne serait pas populaire ; ce
serait encore un renouvehement de la guerre
d'Amerique, de Facte de timbre , des droits
sur le the ; et les suites en seraient probable-
ment les memes.
D'ailleurs l'ordre naturel des choses dans ce
j moment, la disposition generale des esprits de
tous les peuples annonce la separation du Canada d'avec I'Angleterre comme necessaire. Je
ne sais si quelque chose au monde peut l'empe-
cher. Mais ce ne pourrait etre que par un grand
etat de prospirite, de gloire, par de grands succes dans ses guerres, par une tranquillite par-
faite dans son interieur, que I'Angleterrepour^
rait en imposer ace pays; tandis que les depenses
pourlepeupler et le faire fleurir ne seraient pas
suspendues; que l'affranchissement de tous les
droits de la metropole s'opererait dans toute
l'extension possible, et que le gouvernement le
plus doux pourrait, par des secours prompts
et bien appliques, par des etablissemens publics, utiles,et desires,par des encouragemens
soigneusement repandus dans toutes les classes
H a'
( i*6)
des citoyens, faire sentir les avantages d'une I
monarchic prompte dans l'execution de ses
vues liberales , a ce peuple appele deja par une
constitution sage a jouir de tous les bienfaits
de la liberte civile.
Mais toutes ces conditions ne sont pas et
ne peuvent pas etre remplies ; et I'Angleterre
perdra encore de nos jours , peut-etre pro-
chainement, ce fleuron de sa couronne. Elle
aura pour le Canada le sort qui lui est reserve
tot ou lard pour l'lnde ; qui Test a l'Espagne
pour sa Floride et son Mexique ; au Portugal
pour son Bresil ; enfin a toutes les puissances
europeennes pour toutes leurs. colonies au
moins continentales , si edairees par l'expe-
rience, elles ne changent pas promptement
le regime par lequel elles les gouvernent.
Avant de, finir l'arricle de Niagara, j'ai besom de parler des honnetetes toutes particu-
lieres que nous avons regues du major Little-
hales , adjudant , et premier secretaire du
gouverneur ; c'est un homme doux , aimable
obligeant; toute la partie de correspondance
du gouvernement roule sur lui, et est suiyie
avec une grande activite. A en juger par l'ap-
parence, le major Lhtlehales a la confiance
du pays ; cette apparence accompagne toujours ceux qui ont le credit et l'autorite; mais
If
(117)
il nous semble que la rectitude, l'obligeancei
la sagesse dans les opinions en meritent la
realite a cet officier.
Passage du Lac.
C'est sur YOnondago , une des goelettes
appartenant k la marine militaire du lac, que
nous nous sommes embarques pour aller a
Kingston ; cette goelette est percee pour douze
canons de six livres de balles, et n'en monte
que la moitie en tems de paix. Quand ces
sortes de batimens ne sont pas charges d'ef-
fets pour le service du roi, ils portent des marchandises pour les negocians, qui paient en
consequence ou qui chargent une autrefois
pareille quantite d'effets du roi sur leurs batimens.
L'Onondago est du port de quatre-vingt ton-
neaux ; elle etait cette fois chargee de deux
detachemens, l'un du cinquieme regiment,
qui allait a Kingston chercher de l'argent;
l'autre des chasseurs de la reine, qui allaient
a Montreal chercher des habits. Quarante-un
Canadiens, qui avaient remonte de Montreal
dix bateaux pour le service du roi et qui les
avaient laisses a Niagara, etaient aussi sur ce
batiment; les passagers de la Cabine etaient
H 5
r
y
( n8 )
M- Richard, M. Seward, dont j'ai deja parie ,
M. Bellew, officier commandant le detache-
ment du cinquieme regiment allant chercher
de l'argent; M. Hill, autre officier du meme
regiment, malade , allant a Kingston pour
changer d'air ; M. Lemoine, officier du soi-
xantieme regiment, en garnison a Kingston,
et nous.
Le vent a ete tr6s-modere dans notre navigation ; elle se fait ordinairement en trente-
six heures, quelquefois en seize ; nous l'avons
faite en quarante-huit : elle dure souvent cinq
jours, dans ce tems-ci sur-tout, ou le calme
est habituel. A peine pouvait-on appercevoir
le moindre mouvement dans les eaux du lac.
Cette navigation n'offre rien de bien interes-
sant; elle est de cent cinquante milles; on perd
bientot les cotes de vue, sur-tout quand le
hale de la chaleur obscurcit l'horison , ainsi
que nous l'avons eprouve. Les lies aux canards appelees par les Anglais Ducks-islands,
sont dans les tems ordinaires le seul petit danger de cette navigation. Elles sont trois, a-peu- :
pres sur la meme ligne; entre la cote et file
de la gauche, et entre celle - ci et celle du
centre , il n'y a point de passage pour les na-
vires ; des rochers sous l'eau rendeht le nau-
frage certain a celui qui ferait cette route;
( ii9)
c'est entre File du centre et celle dela droite
qu'il faut passer ; la largeur du canal est de
quatre a cinq milles, bon, profond par-tout.
Le danger n'existerait done que si un gros vent
qui se leverait au moment ou on approche de
ces lies, poussait le vaisseau. dans le mauvais
passage ; mais il n'y a je crois, de memoire
d'homme, qti'un seul exemple de ce malheur;
on n'approche pas la nuit de ces lies quand le
tems n'est pas sur , et quand la nuit n'est pas
claire. Un danger plus veritable et plus commun est celui des tempetes qui s'eievent sur
le lac avec une violence subite ; les eaux de-
viennent alors plus agitees, dit-on , que celles
de la mer; et le peu d?etendue du lac qui en
rend les vagues beaucoup plus courtes, tient
le vaisseau dans des mouvemens plus frequens
et plus violens. Le danger des cotes est toujours imminent; et les vaisseaux ne pour-
raient pas l'eviter, si les tempetes se prolon-
geaient; mais elles sont ordinairement de
peu de duree, sur-tout en ete , ou le beau
tems reparait avec la meme promptitude ; ce
n'est alors proprement que de fort coups de
vent. En automne, elles tiennent souvent deux
jours de suite et se repetent frequemment.
Un vaisseau a peri en totalite, corps et biens
il y a cinq k six ans, et de tels naufrages ne
II 4
r
1
( 120 ) j
sont pas rares en cette saison. La navigation
du lac cesse d'ailleurs entierement de novem-
bre en avril.
Nous avons eu , dans ce court passage ,
beaucoup a nous loueT du lieutenant Earl,
notre capitaine et de tous nos co-passagers;
mais le tems a ete extremement chaud ; il
est tel depuis huit a dix jours. Le thermo-
metre de Farenheit a souvent ete a Navy-
hall , a 92 degres ( 26 degres deux tiers de
Reaumur). Sur le batiment et dans la cham-
bre , il n'a pas ete plus haut que 64 ( 23
degres demi-quart de Reaumur ). Ce n'esta
pas tant la violence de la chaleur que son
genre, qui la rend insupportable ; elle est
lourde , oppressive, encore plus la nuit que
le jour; car le jour, il y a souvent des brises,
qui rafratchissent fair; la nuit, il n'y en a
presque jamais; les fenetres laissees ouvertes
ne donnent pas de fraicheur ; on ne sue pas,
mais on est accable; On respire avec peine ;
on dort mai; on est agite; et on se leve ,
presque plus fatigue que quand on s'est mis
au lit.
J'ai dit qu'un detachement de soldats, du
cinquieme regiment, etait a notre bord ; ils
ont fait leur toilette avant que d'arriver a
Kingston. Nous avions vu, huit jours plutot,
( 121 )
les Indiens se peindre les yeux de noir da
fumee ou de vermilion, avant de paraitre de-
vant le gouverneur, et se nouer les cheveux
sur le haut de la tete, pour y planter des
plumes de coq , ou des crinieres peintes en
rouge ou en bleu. Ce jour-la , nous avons
vu des soldats europeens , s'enduire les cheveux , ou la tete quand ils n'avaientpas de cheveux , d'un epais mortier blanc, mis au pin-
ceau et gratte ensuite , comme un jardin,
avec un peigne de fer ; s'appliquer apres cela
contre la tete un morceau de bois grand
comme la main, fait en cul d'artichaud, et
s'en fabriquer un catogan, en le remplissant
de ce meme mortier blanc , passe au rateau
comme le reste de la tete. Voila le spectacle
que nous ont donne, pendant les deux der-
nieres heures de notre traversee, ces soldats
qui , quoiqu'ils ne fissent pas leur toilette
eux-meraes , comme les Indiens, n'en con-
sultaient pas moins soigneusement leur miroir.
Ce n'est point une censure que je pretends
faire ici de l'ajustement militaire , ni de la
puerilite des soins qu'on y consacre dans
presque tous les pays du monde, mais seu-
lement .une observation que je presente a
ceux qui sont tentes de ridiculiser les mceurs
et les manieres qui ne sont pas les leurs.
( 122 )
Car, entre le Turc, qui couvre sa tete rasee
d'un turban plus ou moins plisse , plus ou
moins orne, selon qu'il est homme de plus
ou moins de consequence , les femmes de
l'lle de Melos , dont les jupons ne tombent
qu'a demi-cuisse, tandis que leurs manches
descendent jusqu'a terre, et nos elegantes ,
qui, serrees, il y a dix ans, dans des grands
corps de baleines, chargees de fausses handles et montees sur de hauts talons, rac-
courcissent aujourd'hui, dit-on, leurs tailles
jusqu'au milieu du sein, qu'elles coupent d'une
ceinture qui tient plus de la corde que du
ruban, decouvrent leurs bras jusqu'a l'epaule,
et laissent voir d'ailleurs , par une robe trans-
parente, tout ce qu'elles se croient obligees
de couvrir un peu , le tout pour ressembler
a des grecques ; l'lndien sauvage serait sans
doute embarrasse de savoir desquels il aurait
a rire davantage.
Arrivee a Kingston.
"Le 12 Juillet, vingt milles environ apres
avoir passe les iles aux Canards , le lac se
resserre, les iles se multiplient, aucune n'est
habitee , toutes sont couvertes de bois; elles
sont presque toutes vers la rive droite du lac:
( 123 )
a la gauche est la baye de Quenty, qui se
prolonge environ cinquante milles dans les
terres, est cultivee sur tous ses bords , et a
une profondeur, dit-on, considerable. L'ceil
retrouve avec plaisir des cotes habitees ; les
campagnes sont agreables, les maisons sont
plus rapprochees que dans aucun des nouveaux
pays que nous ayions encore parcourus dans
le Haut-Canada. A l'epoque actuelle s les dif-
ferentes couleurs des grains, embellissent ,
enrichissent le paysage, et charment la vue
et la pensee; enfin , la ville de Kingston se
decouvre; elle est a l'entree de la baye de ce
nom , a laquelle les Frangais avaient toujours
laisse le nom indien de Cadarahwe. Cent-vingt
,a cent-trente maisons la composent; le terrein
derriere elle, s'eleve doucement, et presente
depuis le lac , un amphitheatre de champs
dont les bois ont ete arraches, mais qui sont
encore sans culture. On ne distingue aucun
batiment beaucoup plus soigne que les autres;
le seul plus considerable , un peu en avant
duquel est plante le pavilion anglais, est le
corps de caserne, batiment de pierres , en-
toure de palissades.
Toutes les maisons sont baties sur le cote
Hord de la baye , qui s'enfonce d'un mille
encore au ~ dela. Sur le cote du midi, sont
( 124 )
l'etablissement naval militaire , le chantier f
le logement de tout ce qui tient a cette
petite partie de la marine. Les batimens du
roi sont a l'ancre dans la riviere en avant
de ces etablissemens , et ont ainsi leur port'
et leur rade, separes de ceux du commerce.
Nous sommes debarques au port dit Royal;
notre capitaine , tout royal que lui et son
vaisseau etaient, a regu notre argent. II nous
avait ete recommande , par le gouverneur
Simcoe, de ne point payer, parce que les
batimens appartenaient au roi; nous avions,
par ses soins apporte notre nourriture ; cependant , il repugnait tant a mon ami du
Petit-Thouars et a moi, de passer au compte
du roi d'Angleterre, que nous avons risque de
proposer, au capitaine Earl notre tribut;
ces propositions reussissent rarement mai;
elles ont eu cette fois encore leur succes
ordinaire. Le capitaine Earl est d'ailleurs un
bien excellent homme, poli, attentif, toujours
sur le pont, et paraissant aimer et entendre
son metier.
Point de lettre arrivee de lord Dorchester,
et grande incertitude sur le moment ou elles
parviendront; les calculs de Kingston, pour
le retour des reponses , ne nous sont pas si
feyorables que ceux de Niagara; il nous faudra
( 125 )
attendre peut-etre huit jours encore. Que de
tems perdu pour notre voyage, et cela parce
que le gouverneur Simcoe est mai avec le
lord Dorchester , et qu'il se tient dans la plus
- ftezrotuelle exactitude , dont, dans toute autre
occasion, les lettres que nous apportions au-
raient pu , auraient du peut-etre le faire sortir.
Notre ami M. Hammond aurait bien du aussi
prevoir tous ses petits desagremens , en ecri-
vant d'avance a lord Dorchester, comme je
1'en avais prie';" mais on ne peut malheureu-
sement pas aller en arriere des evenemens.
.Que de choses on deferait 'dans la vie ! II
faut done attendre. Patience , patience , et
toujours patience.
Difference d'opinion du Lord Dorchester et du Gouverneur Simcoe,
sur Kifigston*.
Kingston est la place on lord Dorchester
voudrait que le gouverneur Simcoe etabllt sa
capitale du Haut-Canada; il semble lier a ce
choixTavantage d'avoir, en cas d'attaque ,
toutes les troupes plus rapprochees de Quebec , seul point que ce gouverneur general
regarde comme possible a defendre dans lo
Bas-Canada, pour de la envoyer des partis en
r
( 126)
avant, si la guerre peut devenir offensive. H
pense que le siege du gouvernement du Haut-
Canada etant etabli a Kingston , plus rappro-
che de Quebec qu'aucun autre point, les ordres,
les nouvelles arrivans d'Europe , y parvieijH
draient avec une promptitude plus certakiM
et seraient aussi plus promptement repandus;
il croit sur-tout que tous les approvisionne-
mens navals venant d'Europe, la reparation des
vaisseaux se ferait plus surement, et a meifUjM
marche a Kingston, ouils arrivent directement
de Quebec dans tous les tems, que dans tout
autre point du lac , ou l'inconvenient de la
longueur et l'incertitude de la navigation, de«
vrait etre ajoute a celui de la depense d'un
nouveau chargement dans le vaisseau.
Le gouverneur Simcoe, au contraire, pense
que le Haut-Canada peut etre facilement de-
fendu par toutes ses dispositions ; que la ri-
chesse de ce pays, qu'il voit etre la suite de
ses projets, tentera l'ennemi; que s'il s'erS
pare du Haut - Canada, rien ne pourra Ten
chasser ; que d'ailleurs , en tems de guerre,
de forts partis peuvent etre diligemment en-
voyes, par le moyen de la navigation, depuis
le Haut-Canada .jusques dans tous les points
des Etats-Unis, meme en Georgie ; que le
Haut-Canada est la clef du pays des Indiensi
( 127 )
et que les secours en seront aisement porres
dans tous les poini s du Bas-Canada , qui ne
pourrait jamais en envoyer dans le Haut ,
avec la promptitude que les circonstances
. pourraient rendre necessaire.
Quant a la consideration de la plus grande
promptitude des ordres et des informations
a recevoir et a repandre , le gouverneur, en
en convenant, repond que l'etendue immense
du Canada , ne permet pas de croire que,
s'il se peuple , il puisse etre borne a deux gou-
vernemens ; que la methode la plus sure d'en
peupler la partie aujourd'hui connue , est de
favoriser beaucoup la population des deux
extremites , qu'alors le centre prosperera plus
surement et plus promptement; que dans ce
cas , Kingston deviendra capitale d'une nou-
velle division ; que quant a la difficuke et a
la depense plus grande pour 1'approvisionne-
ment des vaisseaux>, elles ne pourraient balancer l'ayantage de tenir toutes les forces du
lac dans son centre, et sur-tout dans le point
ou elles pourraient etre plus en surete contre
tout evenement.
Chacun cherche des raisons pour etendre
son cercle; ici comme ailleurs, les argumens
bons ou mauvais, arrivent en foule a l'appui
du systeme, des projets et sur-tout des in-
It
E
I
( M
ierets d'amour propre; mais ici comme ail-
leurs, l'autorite est la meilleure, au moins
la plus determinante des raisons; et si lord
Dorchester ne fait pas placer a Kingston la
capitale du Haut-Canada, il empechera qu'elle
en soit recuiee jusques entre les lacs Erie ,
Huron et Ontario , selon les desks du gouverneur Simcoe. II s'explique , sur le choix
de Yorck , de maniere a lui donner peu de
faveur ; il a pour lui, dans cette derniere opinion , tous les habitans de Kingston , qui , au •
chagrin de renoncer a voir leur ville devenir
capitale, joignent celui de perdre par ce
projet , le chantier de la petite marine mi-
litaire du lac. On ajoute ici que le sejour de
Yorck est extremement mal-sain , et que la
nature du terrein qui separe la baye du lac,
doit prolonger bien long-tems cette insalubrite.
Du Petit-Thouars, qui est tres - partisan de
Yorck, comme etablissement de marine , ne I
peut pas disconvenir que cette place n'ait tous
les caracteres qui doivent la rendre long-tems
mal-saine. Tout ce qui est ici, habitant et
militaire, semble aimer le gouverneur Simcoe,
sur-tout avoir confiance en lui; mais on y
paralt porte a croire ses projets beaucoup trop
etendus, et sur-tout, trop dispendieux pour
l'ayantage qu'en peut tirer I'Angleterre.
Le*
( 129 )
Les negocians du lac , a l'avidke desq«'ejta
le gouverneur cherche a mettre obstacle | ap-
puient beaucoup plus encore sur ces deux in-
conveniens; et donnent beaucoup d'eloges k
la sagesse et a la profondeur des vues du lord
Dorchester , tandis que d'autres, au contraire ,
en parlent comme d'un homme qui fut utile ,
mais qui est fini.
Quant a moi, qui ne connais point lord
Dorchester, et qui ne puis ainsi avoir d'avis
sur sa capacke , qui ne connais ni l'etendue
des depenses auxquelles entrainerait l'execu-
tion du plan du gouverneur Simcoe, ni les
ressources de I'Angleterre pour y satisfaire ,
il me semble que les projets et les vues du
gouverneur presentent une grande apparence
d'utilite pour I'Angleterre et une grande pro-
balite de succes : que c'est un systeme entier
bien complet, bien suivi dans toutes ses branches , et je le crois fait pour honorer celui
qui l'executerait.
Aureste, tout ce que nous apprenons ici
nous confirme dans 1'opinion que le gouverneur Simcoe est tres-contrarie dans ses projets ;
que 1'espece de jalousie d'autorite qu'a lord
Dorchester, suite naturelle de son age et de
ce qu'on dit de son esprit, est extremement
animee par ceux qui sont sous ses ordres, et
Tome II. I
^T^=
( i3o)
^utegx concessions de terres pres , pour les
quelles le gouverneur du Haut-Canada est in-
dependant, ainsi que pour les affaires de son.1]
regiment, il ne peut agir, ordonner, sur quoi |
que ed 93*5 au monde, sans l'approbation du
gouverneur general, qui , souvent, lui est f
refusee.
J'ai entendureprocher encore au gouverneur I
Sitntoe, meme par des militaires, son indisposition trop prononcee contre les A mericains.
On lui accorde d'ailleurs de vrais talens militaires. Je relate toutes ces partieularkes, j
parce que c'est de leur reunion que se compose le caractere d'un homme , et que le
gouverneur Simcoe, qui n'est certes pas un J
homme ordinaire, peut devenir interessant a
bien connaltre. (*)
(*) Depuis cette epoqae, le gouverneur Simcoe a quitte
le Haut-Canada, est rejourne^n Angleterre, puis a eta
envoye" a Saint-Domingue, oil il n'a pas eu l'occasion 11 'agir
militairement; mais ou il a cherche a de"truire les depre-
dations d'argent qui avaient lieu dans la petite armeeffe
soldee par I'Angleterre, ce qui lui a vain Pinhnitie" des
Anglais et des Francaisqui en profitaieut outrag<
I p)
Kingston. Ville , District ; Com*
merce, Agriculture; Prix, etc.
Kingston, comme ville, est tres-inferieure
a Newarck ; le nombre des maisons est a peu-
pr6segal entre les deux villes, peut-etre meme
un peu plus grand a Kingston; ^ mais elles
sOnt plus petites , plus vilaines ; il y en a
beaucoup en troncs d'arbres ; celles en nie-
•nuiserie sont mai faites et mai peintes ; on
en batit peu de nouvelles ; il n'y a point encore de maison de ville, point de cour de
Justice , point de prisons.
Deux ou trois negocians sont commodement
places pour les chargemens et les dediarge-
mens de leurs vaisseaux ; mais leurs maisons
n'ont rien de mieux que les autres. Leur commerce est en pelleteries qui arrivenSides lacs,
et en denrees d'Europe , dout ils approvisroHfc i
nent le Haut-Canada. Ils sont rouvsfifti^eresies''
comme commissiorinaires dans la/Ocbhtpagnie
de Montreal, qui a besoin d'eritr'epots a tous
les points ou la navigation change de moyens'.
II resulte de tout cela , que le commerce
qui se fait a Kingston est tres-peu considerable. Les batimens marchands , qui n'y sont
qu'au nombre de trois, ne font pas plulMj|F-
( » )
onze voyages par an. Kingston est un des
points de depdt; il est sur la riviere a douze]
milles au-del&^lu point qui est regarde comme j
la fin du lac. Plus loin , la navigation des!
vaisseaux serait j-ugee' dangereuse , et c'est-lIB
jqu'arrivent les bateaux qui -remontant le fleuveH
Saint-Laurent, amenent toutes les denreew
que les vaisseaux d'Europe appor tent a QuehetiM
Les casernes-^ettt baties a la meme place ou
du tems des Frangais etait le fort FrontenacW
detruit par les Anglais; ceux-ci n'ont construit
les casernes actuelles que depuis dix ans,
leurs troupes avaient ete en mouvement pendant la guerre d'Amerique , et depuis etaiena
etablies a un fort dans file , appeiee par les
Frangais Vile t>t^lx;', ^fei » Sn£$»
Kingston est aujourd'hui le chef-lieu dur
district du Milieu du HauteQ&nada. La,plus,
grande population de ce district est , comme
je crois favoir dit, dans la baie de - QLuM^is
Ce canton fournit non-seulement a sa con-
sommation , mais," encore a-une exportation de
trois a quatre mille boisseaux de bled. Ce bled ,
apporte l'hiver en traineaux sur.la riviere , est
achete par les negocians , q;ui-d/q>nnent aux ferr
miers une prome,sse de les payer ,1'ete suivari.t
avec les marchandises donfoilsfjauront b,es£j&|f)
quand les batimens d'Europe seront. e^MisiB
-•JSjaSjiiegocians tiennent ce bled ait-service du
gouvernement, qui le paie comptant, l&pi||
courant du marche a Montreal. rLe ccynmisT
I 3
(m >
sake du gouvernement en fait moudre und
S&rjEie , qu'il eftveie en farirrePflaris les postes5!
du Haut-Canada , ou le service peut en man- '
qtter'', -et feiV^afBet le surplus en Angleterre
err%&ture de bled ; sans doute pour favoriser
fefe^aoulinsde la metropole. Le prix actuer|
SteW^krines , a Kingston, est de six dollars!
le barril. ' '"
Le'disflifc"* de Kingston a fourni 1'anneeB
derniere^ T#he''ql3Sntite considerable de pois a
la cons'Omim&tS*m) du reste du Canada; cette
d^u^r;':S^fddaite^deJpWs^deirix:ans seulementl
dans ce pays , reussit et s'etend beaucoup.
M^ll^-felrrrMl-delporc au pr-itf cfe-dix-huit dol-
feffejlS^baPtS^i^Se^268 liv. , ont aussi les deux
de¥n~i£rJes Ja#ri£e8*y^te envoyes de Kingston |
a Quebec. Tout ce commerce se fait par les J
n4g9dfem# a£48*fn<*me maniere, c'est-a-dire , •
qfe'lt^est doitbl^ffyent profi'table'a leur interet \\ j
pln^de^r^fcevant seuls les denrees d'Europe,
ils les estiment au prix qu'il leur plait sans I
craindre la concurrence, tant pour les vendre
*lans leur voisinage que pour les envqyer I
dans les parties les plus eloignees du Haut-
Canada. ;;Lt3M
Les fermiers , pour etre plus multiplies ici
que ddns3(^a|j|&§t q^g Niagara , n'en soignent
pas-mieux la.giandel^uatntite de terres qu'ils
——
(p)
peu vent cultiver. La difficulte de trouven-des
ouvriers, et leur cherte qui en est la :suite$
encouragent cette disposition a la routine trop
generale dans cette precieuse classe d'homMfes>
Les defrichemens se font, ici comme dans
toute lAmerique; on herse deux , trois a
quatre annees de suite, pendant lesquelles on
seme du bled, puis on laboure imparfaitement,
on seme des pois ou de l'avoine , pufeodSi
bled , etc. Les terres rapportent, en cet etat,
de vingt a trente boisseaux par acre : voila le
trantran commun.
Les bleds d'hiver se sement depuis le commencement d'aout jusqu'a la fin de septembre;
la neige arrive generalement vers la fin de
novembre , et reste sur terre jusqu'au commencement d'avril. Alors les grains qui ont
pousse sous son abri paraissent deja grands;
ils murissent en juillet, et sont coupes vers
la fin du meme mois. Le defaut de mois-
sonneurs les fait couper a la faulx a rateau ;
il s'en egraine ainsi beaucoup que personne
ne pren*$ la peine de raiflSfeser , et qu'on
laisse'' manger aux cochons. L'ouvrier qui ,
dans un tems ordinaire , est paye trois ou
qbawrQiJ&ellings ( monnaie -d'H&lifftx ), se
paie dans la moissonnSiieldollar ou six schellings. Quelques fermiers engagentt^our plu-
14
r
( PKj )
sieurs.mois des Canadiens, ils les paient seu-
lement sept a* huit dollars par mois , et les "
naurrissent; mais ces Canadiens sont souvent
iene©fntres par des gens moins prevoyans que
ieu% maltre; ils regoivent d'eux la proposition
d'unsalaice beaucoup plus considerable; ils
ne peuvent, a la verite , accepter ces offres , I
,puisqu'ils sont engages.' par ecrit; mais ils se
croient t^ompes dans leur premier marche ,
sont mecontens , et travaillen^ moins bien.
II faut d'ailleurs se les procurer des environs I
de Montreal; c'est encore un soin assez difficile
pour un grand nombre de fermiers qui n'y ont |
point de connaissances ; et toutes ces difficukes |
degoutent plusieurs d'entr'eux d'avoir recours
a cette ressource., dont ils pourraient tirer
un grand avantage. Alors la moisson se fait I
par la famille ; elle se fait plus lentement;
mais enfin elle se fait: et alors, le fermier
jouk plus des embarras qu'il evite et des dollars qui ne sorterit pas de sa poche ,:qu'il ne
souffre de la perfte, beaucoup: plusfgraride qu'il
eprquve par une recolte moins; 6©mplette
gH'-eJle ne l'aurait j&j&Kftj la moissonrreut .ete
faite plus a propes, Le>s terresTassea jmediocres
aupres de la vilJef,ss^o^c]ell^t^«htour.de.W|
baie ; la , plusieurs'/yrmiers cultivfint jusqu'a
cent cinquante arpertsyentie'teraeptvdgfriches.
I
( »37 )
Le climat de l'Amerique, celui du Canada
particulierement, entretientTimprevoyance et
l'avidite des cultivateurs; on n'y craint pas,
comme en Europe , d'y voirlesfoinspourrisou
les bleds germes par la pluie , s'ils ne sont pas
promptement rentes ;le soleil estrarementun
jour sans paraitre; rarement meme est-il cache
par les nuages ; les pluies ne tombent que par ■
orages, etnedurentgueresplusde deuxheures;
les maladies des bleds n'y sont pas communes.
Le betail n'est sujet non plus a aucune epi-
zootie; il est assez abondant dans cette partie
sans etre d'une belle race. C'est du Connecticut que les plus beaux bceufs sont fires, et
ils ,couteut de 70 a 80 dollars la pake ; les
vaches viennent ou de l'Etat de New-Yorck ,
ce sont les plus belles , ou du Bas-Canada ;
les premieres content vingt dollars , les
autres seulement quinze. Celles-ci sont pe-
tites , donnent de faibles eieyes , mais sont
estimees au moins aussi bonnes lakieres
que les autres, et sont preferees par beaucoup
de fermiers. Point de beaux taureaux dans le
pays ; personne ne parait sentir l'avantage
des veaux. En ete , les bestiaux sont envoyes
dans les bois ; en hiver , c'est-a-dire, pendant
a pen-preo six mois , ils sont nourris au sec ,
avec de la paille de bled et de seigle, des pois,.
( i58 )
du foin de marais dans la plupart des fermes ,
et avec de bon foin par les cukivateurs plus
riches et plus prevoyans f souvent ils passent
l'hiver dans des especes d'enceintes fermees
et couvertes de grosses branches qui n'em- 3
pedhent pas la neige d'y tomber. Les bonnes
granges, au moins pour le foin, n'y sont pas
pus communes que les bonnes etables ; le foin
est generalement conserve en mauvaises meules
ou sous des' barraques hollahdaises, les pres
en donnent quatre milliers par acre; jamais
de seconde coupe : le cukivateur ne trouve
pas facilement a vendre ce qu'il en conserve
au-dela de sa consommalion. Oh ne fait point
de beurre ni de fromage au-dela des besoins
de la famille, qui, communement, des le
mois de mai, s'en approvisionne pour l'hiver^
suivant. Tres-peu de fermiers aussi fabriquent
chez eux les etoffes grossieres dont ils se ve-
tissent; c'est au store qu'on s'en fournit ; le
fermier est trop occupe , a trop peu d'aides,
etcalcule encore avec trop peu de reflexion
pour se kV*gr a tous ces travaux.
Les moutons sont plus nombreux ici que:
dans presque tous les cantons des Etats-Unis
que nous avons parcourus ; ils viennent ou du
Bas-'Cahada, ou de l'Etat de New-Yorck,
-couteat trois dollars, et profitent. beaucoup
(pi)
dans le pays ;■ mais ils sont hauts sur jambe9
et malfaits ; leur laine grossiere se vend deux
schellings et demi la livre netoyee. Point ou peu
de loups dans cette contree , point de serpens-
sonnettes , aucun animal malfaisant. Les fer-
miers font peu de sucre d'erable , quoique
l'arbre soit abondant; les Indiens en appor-
tent environ deux a trois mille livres qu'ils
vendent aux marchands un schelling la livre.
Le sucre d'erable se fait en plus grande quantite dans le Bas-Canada; la les Canadiens le
mangent sur leur pain, ou en font des gateaux
en le meiant avec de la farine de froment ou
de mais. Il croit souvent sur les erables a sucre
une espece de loupe qui, quelquefois, devient
fort grosse ; cette excroissance enlevee, e£
sediee au soleil , fait un amadou excellent
dont les Canadiens et les Indiens allument
leurs pipes : on n'a point fait encore de resine,
malgrela multiplicke des pins. La culture du
lina deja ete tentee, ainsi que celle du chan-
vre; elle n'a pas encore reussi, mais les essais
en sont continues.
Le prix du bled est d'un dollar le boisseau,
il etait beaucoup moindre l'annee derniere ;
mais la recolte ayant ete mauvaise , comme
par-tout ailleurs , la valeur en est haussee. Le
hois a bruler, rendu dans la ville, coute un
( 140 )
dollar la corde; il est apporte l'hiver en trai-
neaux de toutes les iles , de tous les bords du
fleuve qui en sont couverts.
Le fleuve gele vingt milles encore au-
dessus de Kingston.
Le prix des terres est depuis deux schellings
et demi, jusqu'a un dollar l'acre , un vingtieme
cleared. Le prix s'est eleve en proportion de
la quantite d'acres degages de leurs bois et de ;
plusieurs autres circonstances. Deux cents
arpens , dont i5o cleared, se sont recemment
vendus 1600 dollars. Il en coute huit dollarsrj
par acre pour abattre les gros arbres , et en-
tourer de cloture de meme nature , et aussi
grossierement faites que dans les Etats-Unis.
Enfin il n'y a pas encore de marche regulier
a Kingston; chacun pourvoit, comme il peut,
a se procurer de la viande fraiche ; mais on
en manque souvent.
JM. Steward. Religion. Ecole.
La plupart de ces renseignemens me sont
donnes par M. Steward , ministre de Kingston , qui exploite lui-meme soixante-dix acres,
partie d'une concession de deux milles qui lui a
ete faite comme americainloyaliste. Il est Pen-
sylyanien d'Harrisburg , et parait avoir epouse-
(i40
:1a cause du roi d'Angleterre K dans la guerre
d'Amerique, avec une grande chaleur; i5ooliv.
.sterl. qu'il avait dans les fonds des Etats-Unis,
du chef de sa femme, lui ont ete confisques.
Aujourd'hui, toujours attache k la cause du
roi, il est beaucoup plus modere dans sa politique ; il a conserve des amis qui ont epouse
la cause republicaine; un d'entr'eux est le
docteur White , eveque de Philadelphie.
M. Steward est un homme eclaire, doux, d'un
'caractere ouvert et affable , generalement
estime ; il compte beaucoup sur l'eievation
du prix des terres pour doter ses enfans qui
sont nombreux. Sans etre un bon fermier lui-
meme , il entend assez tous les details de l'a-
griculture , pour que j'aie droit de croire a la
bonte de ses informations, qui, d'ailleurs ,
m'ont ete confirmees par d'autres cukivateurs.
Les tenans se trouvent difficilement aupres
de Kingston: c'est a moitie frais que se font
communement les marches qui , dit M\\
Steward , ne s'executent pas frequemment de
Jjonne-foi. C'est pour avoir ete trompe dans
de pareilles conventions, qu'il vient, l'annee
derniere , de louer 43oo acres, dont 40 clea-.
red, qu'il a sur le bord de la baie , pour i5o
boisseaux de bled annuellement payes, a la
condition que son tenant lui paiera mille dol-
( i4a>
lars comptant apr6s trois annees revolues s'il
en veut avoir la propriete , sans quoi il en doit
sortir, et perdre tous les fruits des defriche-
xnens etc., qu'il pourrait avoir faits.
La seule religion payee par l'etat est en
Haut-Canada la religion anglicane. Les sec-
taires des autres religions paient leur culte
s'ils en veulent ; il y a dans le district de
Kingston quelques anabaptistes, des presby-
teriens, des catholiques, des quakers , mais ils
n'ont pas d'edifice pour leur culte. Quelques uns
des habitans de Kingston et de la baie sont
des Americains loyalistes; un plus grand nombre sont Ecossais, Anglais, Irlandais , Alle-
mands , Hollandais.
L'emigration des Etats-Unis n'est pas considerable ; elle a ete nulle pendant les trois ou
quatre dernieres annees; on assure qu'elle recommence cette annee-ci ; beaucoup d'ou-
vriersnous ont confirmecette information, qui
nous avait ete donnee aussi par des hommes
attaches au gouvernement anglais. C'est de
Connecticut, de 1'Etat de Vermont et de New-
Hampshire, qu'arrivent la plupartde ces nou-
. veaux colons. II y a bien quelques emigrations du Canada dans les Etats-Unis; mais elles
sorit beaucoup moins considerables.
II parait, si nous devons croire au jnoinS
( i43 )
quelques hommes venus il y a quatre ans de
la riviere des Mohaw'cks, que les families aux-
quelles dans les Etats-Unis on suppose de l'at-
tachpment pour I'Angleterre y sont mai vues;
mais peut-etre le disent-ils pour etre mieux
regus dans les possessions britanniques.
Le peuple du district de Kingston est encore moins occupe de politique que celui du
district de Newarck. II ne s'imprime aucune
gazette dans la ville; celle de Newarck est la
seule imprimee dans tout le Haut-Canada, et
comme elle n'est qu'un extrait imparfait de
celle de Quebec , personne ne la prend ici.
Jene sais meme s'il y a plus de deux personnes
dans la ville qui regoivent celle de Quebec ;
aucune nouvelle n'arrive, ni n'est de.skee dans
l'interieur des terres.
Quelques ecoles , mais en petit nombre,
sont etablies dans ce district: on y montre a
lire et a ecrire, et il en coute un dollar par
mois pour chaque enfant. Un de ces maitres,
un peu plus instruit que les autres, enseignait
le latin ; il est parti, et n'est pas remplace.
Peudechirurgienssont encore etablisdansce
district; ceux qui prennent ce nom font payer
cher leurs soins ; aux fievres intermittentes
pres, qui sont tres - frequentes a Kingston,
ie climat est sain. Les maisons comme je l'ai
( i44 )
dit, s'y construisent en bois, on ne sait pour-
quoi; car la ville est sur un terrein de roc, et
l'on ny eieve pas une baraque qu'il ne faille
creuser le fondement dans la pierre ; cette"|
pierre a le double avantage d'etre tendre a j
couper et de durcir a l'air, sans jamais se fendre
a la gelee. Les habitans conviennent que memeM
en faisant venir des magons de Montreal, car il f
n'y en a pas ici, la batisse en pierres couterait I
moins cher que celle en bois; ils conviennent ;
encore qu'a une plus grande solidke elle join-
drait l'avantage de procurer plus de chaleur en
hiver et de fralcheur en ete; mais l'habkude ici I
comme ailleurs a plus de force que la raison.
La journee d'un charpentier sepaie seize schellings. Les domestiques sont aussi rares , au
moins qu'a Newarck , par consequent aussi
chers et aussi mauvais. .
II n'y a point de pauvres dans'ce district ,M
ainsi il n'y a point de taxe pour eux ; et le re- a
gime pour les impositions est le meme qua
Newarck.
Les routes sont k Kingston comme a Newarck , entretenuespar douze jounces de travail , auxquelles chaque habitant sans distinction est oblige. L'ouvrier se plaint de ce que
la masse de propriete n'est pas la mesure pro-
portionnelle de ce genre detaxe ; il est diffi- ,
cila
(m)
oile de trouver qu'il ait tort, et il calcule avee
un commencement de mecontentement que
les douze journees de travail equivalent a une
imposition de douze dollars, et meme plus ,
car alors le corveable est oblige de pourvoir
a sa nourrkure.
II y a a Kingston une eglise, qui pour etre
recemment batie n'en ressemble pas moins a
une grange.
Soiscantieme Regiment: accueil que
nous en recevons. Opinion des Officier s.
Nous etions porteurs d'une lettre du gouverneur Simcoe pour l'officier commandant
a Kingston. Cet officier, quand nous ysommes arrives , etait le capitaine Parr du 6oe.
regiment. Six heures apres , le detachement
commande par le capitaine Parr a ete relevd
par un autre du meme regiment commande
par le major Dobson. Les embarras du deme-
nagement n'ont pas empeche le capitaine Parr
de nous donner beaucoup de-marques de prevenance et de civilke ; il est fils de l'ancien
gouverneur de la Nouvelle-Ecosse ; c'est un
homme froid au premier abord, serieux, reserve , mais dont les manieres deviennent
Tome IL K.
m
( i46)
gaies , faciles et ouvertes, a mesurequ'on le
connalt da vantage ; bientot il a ete a son aise I
nous a traite sans complimens , et a paru sew
plaffi^e/ avec nous ; le diner sur tout a com-
plettej jftinfim i te.
Ce diner qu'il donnait aux officiers qui ar-
xfrlt&mnt, sera pour nous d'epoque memorable. 1
On sait comment les Anglais^ sontl*r>ge»ieuxil
pour trouver des toasts qu'il faut boire e#j
bumper(rasade) ; s'y refuser serait desobligean-1
ce, et quoiqu'il vaille mieux etre desobbgeant I
de cette mani^ei.qa^e)de se rendre malade, on
garde pour une autre occasion cet effort de .1
caractere ; car e'en est un red; on ne veut 1
p^f*&eurter cette volonte gei^ifeley-qlii devient |
plus imperieuse a mesure que le^^ietes s'e-
cha*affent, on triche un petr suV la^uaMtSfe M
on espere ainsi*8&nver la catastrophe ; mais 1
aucun de nous, Frangais et Anglais , n'avionsf-1
triche assez, et j'ai eu a regretter tout le reste1 I
de la soiree, d'avoir pris autant de part a?^H
rencontre de ces detaehemens.
Le soixantieme regiment auquef ils appar-
tiennent estle seul au service de I'Angleterre
excepte celui des gardes, qui soit compose de
quatre bataillons. Ce regiment qui n'en avait
que deux lors de la guerre de 1757, a ete forme
en Amerique , et a du dans sa composition
( i47 )
Trecevoir antan¥!r]'elrnngers que d'Anglais, les
officiers ont pri^re choisis de meme. II a ete
ensuite porte a quatre bataillons ; il a ete con-
^flere , et Test encore a quelques egards ,
comme etranger. Les deux premiers bataillons
ne sont jamais sortis d'Amerique ; les deux
autres ont c'te tenus dans les iles de Jersey ,
Gemesey, ou dans les Antilles ; et ce n'est
que dernierem'ent et avec grande peine qu'ils
*fcat,,ete" r'egus en Angleterre. Le general Am~
heret en est le colonel; mais chacun de ces
qualre bataillons est in dependant de l'autre
pour le service, l'avancement, le commande-
raent.
Les officiers que nous avons vu ontun tres-
bon ton et sont fort polis. Nous nous croyons
en droit de penser que tous sont bien loin d'etre
ce qu'on appelle aristocrates., Beaucoup d'eux
desapprouvent la guerre actuelle, ainsi que la
derniere guerre d'Amerique , et montrent de3
seniimens de liberte et de politique qui me
semblent etre justes , liberaux et honnetes ;
mais qui certes ne sont pas ceux que professent
M. Pitt et son parti. On nous dit que ce genre
d'esprk est tres-repandu dans, farmee. Comme
nous ne' sommes pas en situation de pousser
fort loin ce-genre de conversation, nous n'en
avons pas su tout ce que nous aurions peut-etra
K a
( >48)
pu en apprendre. Au reste, aucun de ces offif
ciers ne sait un mot de la revolution frangaise,
dont cependant chacun veut parler autant par
obligeance mai eniendue pour nous, que par
curiosite et par amour-propre.
Canadiens.
L'opinion qui prevaut le plus sur le Canada
parmi les officiers, est que ce pays n'est et ne
sera jamais qu'une charge onereuse pour I'Angleterre, qu'il lui serait plus avantageux de le
declarer independant que de l'entretenir co-
ldnie anglaise a tant de frais. Ils disent que les
Canadiens ne seront jamais un peuple attache
a I'Angleterre; qu'ils laissentVa chaque instant
pCrcer leur attachement pour la France, tout
eri convenant qu'ils sont mieux traites par le
gouvernement anglais ; que s'il fallait lever
une milice pour marcher en tems de guerre ,
la moitie ne s'armerait pas contre les Americains , aucun peut-etre contre les Frangais;
que c'est done une grande erreur du gouvernement anglais de tant depenser pour un pays
qui tot ou tard abandonnera I'Angleterre, et
qui, lui fut-il attache , ne lui serait pas utile
de bien longtems.
Ces messieurs ajoutent, contre l'opinion d«
( i49)
gouverneur Simcoe, que la plupart des settlers du Haut-Canada , venant des Etats-Unis,
et qui passent pour etre loyalistes , donne-
raient bientot la main a ces Etats, s'ils y en-
voyaient des troupes. Je ne suis pas a meme
d'apprecier la valeur de tous ces discours, qui
peuvent n'etre que 1'effet de l'humeur qu'ont
les officiers d'etre en garnison aussi loin de
I'Angleterre ; mais qui cependant me semblent
n'etre pas tout-a-fak depourvus de fonde-
ment.
Quoiqu'il en soit, tout ce que nous voyons
de Canadiens habitans ou matelots, et nous
n'avons pas laisse que d'en voir en assez grand
nombre, exprime une extreme satisfaction
de retrouver des Frangais de la vieille France,
et nous montrent un respect et une prevenance, auxquels depuis long-tems nous nations plus accoutumes. Je ne puis rien dire
du caractere de ce peuple chez qui nous ne
sommes pas encore ; mais tous ceux que nous
rencontrons sont vifs , actifs , ardens, gais ,
chantans. La dixieme partie d'entr'eux ne sait
pas un seul mot d'anglais , et se refuse a l'ap-
prendre ; leur figure est expressive, ouverte,
bonne, ct je les vois avec plus de plaisir que
je n'ai vu aucun peuple depuis trois ans.
K 3
n
C i5o)
Etablissement naval.
L'etablissement de la marine du' roi mcrite
peu d'etre vu ; six vaisseaux sont toute la
force du lac ; deux d'entr'eux sont les petites
chaloupes-canonnieres que nous avons trou-
vees a Niagara, et qui restent a Yorck. Deux
goelettes de douze canons, dont l'Onondago
sur lequel nous avons passe , et le Mohawck
qui vient d'etre construit , un petit sloop de
quarante tonneaux , monte de six canons ;
enfin le Missassoga de la force des deux goe-.
lettes, a-present en reparation sur les chan-
tiers , complettent le nombre. Tous ces vaisseaux sont faits de bois verd , aussi ne durent-
ils pas plus de cinq a six ans. Encore pour
les faire autant durer, leur faut-il un radoub,
un carenage, une reparation entiere, qui coute
au moins de mille a douze cents guinees : ils. .
reviennent a quatre mille avant de naviguer,
j'entends le plus gros de ces batimens; ceprix j
quoiqu'exhorbitant, est moins cher qu'au lac
Erie, parce que sur ce lac il faut apporter
toutes les provisions de Kingston., et que
la main-d'ceuvre y est plus chere. encore. Le
Missassoga bati depuis trois ans, est pourri dans
presque toutes ses parties. II serait si aise cle
( i5i )
s'approvisionner de bois, pour an grand nombre
d'annees, puisqu'il ne coute que la peine de le
-couper, a une distance bien rapprochee du chan-
tier, que l'on ne peut concevoir comment ce
soin n'est pas pris. Deux chaloupes - canon-
nieres, de celles que le gouverneur Simcoe"
destine a ne servir qu'en tems de guerre, sont
aussi surle chantier ou huit charpentiers seu-
lement sont employes. On congoit quelles
malversations doivent avoir lieu a une telle
jdistance de la metropole ; on en fait le re-
proche aux commissaires de la marine. Une
cour d'eaquete a ete tenue l'hiver dernier a
Kingston sur une pareille accusation ; il a
paru , dit-on, evident que le commissaire et
le maitre charpentiers'etaient entendus contre
les interets du roi ; mais les protections ont
plus de force, meme dans ce nouveau monde,
que l'evidence des malversations , et le com-
jjjtnfesaire et le maitre charpentier sont toujours
en place.
Le capitaine Bouchotte, commodore de la
marine du lac Ontario, est a la tete de tous
ces etablissemens , mais sans rien ordonner
pour les depenses. C'est un homme en qui lord
Dorchester et le gouverneur Simcoe ont une
grande confiance. Canadien d'extraction, reste
au service d'Angleterre quand le Canada a passe
K 4
(m)
sous sa domination ; c'est lui qui clans le
moment oil Arnold et Montgommery assie*«
geaient Quebec , y a fait entrer sur son bateau, lord Dorchester deguise en canadien;
il a dans cette occasion donne une grande
preuve d'activite, d'audace et de courage;
on ne peut s'etonner que lord Dorchester n'ait
pas oublie ce service signaie. Ses propos sont
ceux d'un homme pur en fait d'argent et dun
officier facile pour ses subakernes.
Les salaires de la marine royale du lac Ontario sont dix schellings par jour par capitaine,
six par lieutenant, trois schel. six pences par
sous-lieutenant. Les matelots ont huit dollars
par mois; les negocians paientleurs capitaines
»5 dollars et leurs matelots neuf a dix.
Le commodore Bouchotte est un des plus
grands detracteurs du projet de faire de Yorck
le centre de la marine du lac, mais il a sa fa-
mille et ses terres a Kingston ; de pareilles
raisons sont assez commun^ment influentes
pour determiner les opinions politiques.
Desertion. Indiens.
La desertion est moins considerable a Kingston qu'aux forts Oswego, St. John \\ Niagara, et du Detroit, et a. tous les autres pos-
m
( i53 )
tes plus voisins des Etats-Unis ; cependant die
est assez frequente dans toutes les garnisons
de l'Amerique anglaise. Les officiers nous di-
sent que les regimens en arrivant d'Europe
sont deux a trois annees sans desertion, mais
qu'alors l'envie et l'habitude leur en prend.
La discipline me semble a plusieurs egards
plus dure dans les regimens anglais qu'elle ne
l'a jamais ete dans les notres ; les hommes
y sont traites avec moins de soin , moins
d'affabilite.
Plusieurs regimens se servent des Indiens
pour ratrapper leurs deserteurs ; ils ajoutent
aux huit dollars que le roi d'Angleterre ac-
corde a celui qui amene un deserteur , l'appat
de huit autres dollars tkes de leur caisse,
et les animent de quelques verres de rhum.
Ces Indiens passent sur le terrkoire americain,
connaissent tous les senders, suivent sans se
tromper les pas, dont tout autre qu'eux ne
decouvrirait pas la trace, rejoignent assezor-
dinairement le deserteur avant qu'il soit arriv6
a la partie habitee des Etats, l'arretent, le lient
et le ramenent. Quand ( ce qui n'est pas rare ) ■
le deserteur est accompagne de quelques habitans des Etats-Unis , les Indiens ne font aucune tentative pour l'arreter; les officiers anglais croient assez a la bonne-foi de ces In-
m
fl
( i54)
diens pour penser que le rhum ou l'argent qu€HJ
leur proposeraient les deserteurs ne les cor-
rompraient pas.
Aucune habitation reguli6re d'Indiens n'est
rapprochee de Kingston de plus de quarante I
milles , et ce'sont des Mohawcks ; il y a aussi |
a la meme distance de la'ville quelques villages de Missossogas; mais des tribus vaga- I
bondes de cette nation errent continuellement i
sur tous ces rivages ; passent quatre nuits dans
un endroit, quatre dans un autre , traversent I
la riviere, vont aux bords des Etats-Unis, ;
s'arretent dans les iles ; leurs occupations sont
la pedie et la chasse ; c'est de tous les Indiens I
que nous avons rencontre , l'espece la plus I
sale, celle qui a encore fair le plus abrutL I
On dit qu'ils sont medians et voleurs , ils
Vivent miserablement et sont toujours ivres ,
hommes, femmes et enfans; les rigueurs de I
l'hiver, excessives ici, n'apportent aucun chan-
gement. dans leur maniere errante de vivre.
Ils portent dans leurs petits canots quelques
rouleaux d'ecorce dont ils couvrent les huttes
coniques qu'ils font pour dormir, et qui n'ont
d'autre soutien que de legeres perches sur les-
quelles s'appuient ces murailles portatives, qui
laissent au sommet un passage a la fumee. Les
ecorces roulees dont se seryent ces Indiens
( i55)
pour couvrir leur hutte pyramidale sont du
bouleau, connu en boranique sous le nom de
betula lenta; ce.sont les memes dont ils font '
leurs pirogues.
Rii
Ch
ianvre sauvages.
Les Indiens apportent, dans le mois de
septembre, a%K^gston , du riz sauvage , qui
croit sur les rives du lac, mais particuliere-
ment sur la cote americaine. Le riz qui pousse
dans les terreins marecageux , y vient aveo
abondance. Les Indiens en apportent par an
quatre a cinq cents Hvres , que beaucoup
d'habitans de Kingston achetent pour leur
usage. Le grain en est plus petit , plus noir
que celui que produisentla Caroline, i'Egypte ,.
etc. , mais il se blanchit aussi parfakement a.
l'eau , il a le meme gout et nourrit aussi bien.
La culture de ce riz pOurrait etre extremement
avantngeuse en Europe, parce qu'en y natu-
ralisant une production de la premiere utilite
pour la nourriture du pauvre , elle y serait
depourvue de tous les inconveniens d'insalu-
brite , dont elle est accompagnee dans les ri-
zieres des pays chauds. On dit que le riz sauvage est la meme plante que les Canadiens
nomment folle avoine.
( i56 )
Les memes bords du lac Ontario , ou crolt
ce riz sauvage , produisent aussi sans cultarej
un chanvre tres-eieve , et qui paralt suscep«
tible de la meme utilite que celui que nousl
cukivons. II est plus fort , plus fourni de
graines , et sa transplantation en Europe, peuS
encore n'etre pas sans avantage.
Promenade a Guansignougua : creek
et moulins.
Pour amuser nos ennuis , et aussi pouij
prendre conge de notre ami le capitaine Parr J
nous l'avons reconduit jusqu'a six lieues de
Kingston; son detachement occupait sept'bkw
teaux; il en avait un pour lui seul. Les soldatsM
etaient en general plus ivres qu'aucun de ceusM
que j'aie jamais vu dans les regimens de France 9
au jour du depart ils pouvaient a peine ramer M
ce qui a rendu notre route tres-longue. Les
vents et le courant contraires , ont aussi mis
beaucoup d'obstacles a notre retour ,mais noW
etions ramenes par des Canadiens qui, seldfB
leur coutume, n'ont pas cesse une minutealM
chanter. Un d'eux entonne une chanson qdeM
les autres repetent, et la mesure de ces airs
r6gle le coup de rame , toujours donne en
cadence. Les chansons sont gaies, souvent un
T?
(m)
peu plus que gaies ; dies ne sont interrom-
pues que par les ris qu'elles occasionnent,
et dans toutes les navigations dont sont charges les Canadiens , les chants commencent
des qu'ils prennent la rame, et ne finissent
que quand ils la quittent : on se croit dans
les provinces de France , et cette illusion fait
plaisir.
Notre journee, depuis six heures du matin
jusqu'a neuf heures du soir, a ete uniquement
employee a ce voyage : tant mieux, c'est une
journee de passee. Elles sont longues a Kingston , ou la civilke constante des officiers nous
procure bien un diner et de la compagnie,
depuis quatre heures jusqu'a huit, mais ou ,
d'ailleurs , ni conversation agreable, ni homme
instruit, ni livres n'abregent la longueur du
tems.
Notre position est desagreable , et nous serious enclins a faire du noir , si nous nous y
laissions aller. M. Guillemard est descendu a
Montreal avec le capitaine Parr, et il a bien
fait; il aurait partage notre ennui sans le
soulageruneminute. C'estunexcellenthomme,
auquel les qualkes du cceur , Jes agremens
et les ressources de l'esprit m'attachent tous
les jours davantage ; je n'en suis pas moins
aise qu'il ait pris le parti de nous quitter; je
r
I i58 1)
m'ennuie moins , en pensant quufl autre ne !
s'etosraie pasp^ur'Hioay eiJ.&ui^dtat un homme
quel j'estimei et que j'aimev
Notre separaMi©iBiidu -capitaine Pfi#fc^ ne s'est
pas?faite sahsiun facra 'dejeuner, qui a eu liedl
dania une place un peu epafiee1 du reste de
lantnoupe. Leioapi»ayife'> du >Hstta*Olanada. It^etabli ,' siifl^fM
creek de Gip&ftsigTtOugua, un moulin arse^M
qui a deux mouvemens , dont un^lfait' alleS
quatorze scie^-a4a-fois , et Mutrfe une seuie»
Les quats&reeL scies sont suscepftbles d'etrerapS
prochee^©.alt&o'i§fr$6¥,les unes des autres a
volonte ji§(^v%M4ftngro§seur' de la'^ie'ce'^^'gH
lepaisseur demandee des planches , ne^pl^H
.jajettBbt p&s que touted des scies rnordertt a-
.^aafois, mais dies le peuvent, quand tOuVejB
les circonstances de 1'ouvrage le requierentj
nous en avons vu agir treiz©'; %ne poutre de
quinze pieds de long, coupee par les quatorze scies , eMOdebitee en trente-^ept ttffl
tua&S ;' le meme mouvement qui meutfltm
scies ,>^fla©!comme a la cliMe>1de' Niagkr^|
monter les logs sur le c"hahtieri~ Le prix dii
Hife^t^'tyffltfddts la lnoMHdes bois de-
( i59 )
bkes; le prix des planches est de trois schellings le cent de pieds , pour l'epaisseur d'un
pouce ; de quatre schellings et demi , pour
l'epaisseur d'un pouce et demi , et de cinq
schellings et demi pour celles de deux pouces.
Les memes planches d'un pouce d'epaisseur, se
vendent cinq schellings a Kingston.. De 1'autre
cote du creek , et vis - a - vis ce dutch- mill,
( c'est le moulin du capitaine Store ) est un
autre moulin a scie , appartenant a M. Johnson, qui jouit de la moitie des eauxdu creek.
Nous ne l'avons vu que du bord du capitaine
Store; toute cette situation est agreable, sau-
vage romantique , et m'a donne , comme
beaucoup d'autres , le regret de ne savoir pas
dessiner. Les terres sont ici de la meme nature qu'a Kingston.
Quoiqu'il soit possible de communique? ,
par terre, de Montreal a Kingston, et que
le chemiti soit meme tres-bon, pour plus
de la moitie de la distance , la communica-
iwja habituelle est par bateaux ; la rapidite
du fleuve n'emj>eche pas de le remonter, et
la longueur de cette navigation est p|ejgj
jee , meme pour les troupes , a la marche
par terre. Toutes les denrees d'Europe, qui
vont approvisionner le Haut-Canada, n'ont
pas d'autre voie; c'est par elle que la corres-
( i6o )
pondance est etablie , et elle Test ainsi tresM
irregulierement. Quelquefois huit joura se
passent, meme en ete, sans qu'un bateaql
monte ou descende ; en tout, ce pays est J
neuf pour toutes les ressources, et il n'est I
pas de ceux dont l'habitation m'aurait tentJ I
de preference.
Communication entre les Lacs et la
Riviere des Illinois.
Pendant notre long sejour dans le Hautu
Canada, nous avons eu occasion de voir la |
earSvanne d'une famille de Canadiens , emigrant pour la riviere des Illinois; le madlj
avait ete reconnakre, fete d'avant, letabliwl
sement; il allait alors y fixer toute sa famiHel!
Cet homme , sa femme et quatre enfans j|
etaient embarques dans un canot d'ecorftiHl
long tout au plus de quinze pieds , et largl|j
de trois. Le uexe et la mere pagayaient a
chacun des bouts de la pirogue ; les quatre
enfans etaient assis ou couches sur les ma*
lelats et autres effets de ces bonnes gehsfijH
le plus age pagayait aussi, et tous poursuiw
vaient en chaaitant , ce voyage de onze
cents milles au moins. C'est a Newarck qnl|
nous les avons rencontres ; ils cotoyent les
bords
(m)
bords des lacs et des rivieres, s'arretent tous
les soirs, eleveut une espece de tente qu'jls
forment avec un de leurs draps de lit , et
qu'ils assujettissent avec deux perches qu'ils
coupent ; its font leur petite cuisine , souoent
s'enveloppent dans leurs couvertures jusqu'au
fendemain , rejfertent sur les huit heures, s'arretent dans le jour une fois pour manger, et
se remettent en cherain jusqu'au soir. lis font
generalement quinze a vingt milles par jour,;
quand ils eprouvent des mauvais tems , quand
ilsrencontrentdesrapides ou des portages , ils
en font moins, quelquefois ils se reposent un
jour eniier. Ils etaient partis de Montreal; leur
route est par le lac Ontario, le lac £rie; ils re-
I
montent la riviere de Miami,
puis, par un por
tage de six a sept milles, ils regagnent la Thea*
hikiriver , qui donne dans celle des Illinois ,
ou celle deWabach, qui y communique par
plusieurs petits creeks , separes par des courts
portages ; enfin ils se dirigent vers la partie
du pays des Illinois , ou ils veulent s'etablir.
C'est ordinairement le long de la riviere de
ce nom, que se font ces etablissemens; ils
sont presque tous composes de Frangais canadiens.
II y une autre route pour aller aux Illinois
depuis Montreal, que l'on dit plus frequen*
Tome II. L
1
(III
tee ; on remonte la riviere des Ottawas ou
la grande riviere jusqu'au lac JSipissin, et
de-la par la riviere des Frangais ( French
mom's river) on arrive au lac Huron. Dans
cette seule navigation on rencontre trentej
six portages , a la verite tous tres-courts. DM
lac Huron on entre dans le la« Michigan par
le detroit de Michilimackinack, ensuite dans la
green bay, du fond de laquelle on passe dan|H
la riviere du Crocodile , puis par le lac du ris
(rice lakej, et par la riviere Saxe , on parvienM
apres un court portage a la riviere OuisconsiaM
qui se jette dans le Mississipi, que l'on descend!
jusqu'a la riviere des Illinois , qu'alors on
remonte ; cette route est plus longue , man
elle est generalement preferee , sur-tout par
les agens du commerce des fourrures. QuaneH
on se dirige vers l'ouest, c'est encore lamemfl
route , que l'on prend de Montreal, jusqu'aiS
detroit de Michilimackinack, on le laisse a
gauche pour entrer dans le lac superieur , et
le traverser jusqu'au grand portage , et de-l8
au lac des bois , ect., ect.
( i63 )
Comptoir aux Illinois. Commerce des
fourrures.
L'etablissement des Illinois est un des grands
comptoirs pour le commerce des fourrures ;
c'est meme le dernier comptoir principal dans
cette direction, dont le chef-lieu est au fort
Michilimakinack ; mais. les agens poussent a
cent milles plus loin , et se meient pour leur
trafic avec les Indiens de la Louisiane. Ce
genre de commerce se fait principalement en
rhum , mais aussi en fusils, en poudre, en,
balles , en'couvertures , sur-tout en petits colliers de porcelaine , en petites boucles d'ar-
gent, en bracelets cu pendans d'oreilles, dont
se chargent les Indiens en raison de ce qu'ils
sont plus riches.
La mesure commune de la valeur des fourrures pour les Indiens, est la peau de castor;
tant de peaux de rats, de chats , etc. , valent
une peau de castor; une peau de loutre en
vaut deux, ect. Les boucles, les fusils , cer-
taine quantite de rhum valent aussi une peau
ou plusieurs peaux de castor , ou telle partie
aliquotte d'une peau de castor. Presque toujours les marchands donnent a credit dans
4'ete aux Indiens une partie de ce qu'ils leur
L a
( i64)
fournissent , mais les peaux qu'ils regoivent
sont achetees par eux a un si bas prix, et
celui qu'ils donnent a leurs denies d'echange
est si eleve , qu'ils attendent avec securite lafl
rentree du credit qui quelquefois manque, et
qui plus souvent ne manque pas. Les Indiens
chassent, vivent plus en families qu'en tribus,
et d'aprestout ce qui nous enaete dk , ontles;
jnemes vices , les memes qualkes, les memes
ananieres que ceux que nous avons vus auprea
des lacs.
Le commerce dans cette partie ne se faifl
pas par la compagnie patentee du Nord , mais]
par une ou deux maisons de Montreal, par-
tic ulierement par la maison Tode , a qui je
dois ces renseignemens. La seule riviere de
Missouri est jusqu'ici interdite par les Espa-i
gnols qui y ont un fort. Independammenii
des habitations canadiennes qui se trouvent
ou eparses le long dela riviere des Illinois et|
des rivieres voisines, ou reunies en village!
ou en villes , celle des Illinois contient environ trois milles habitans ; quelques CanadienJ
sont meies avec les Sauvages et en menent la
vie. Tous ces etahlissemens sont dans les tefJ
ritoires de l'ouest , appartenant aux Etats-
Unis; car les bords espagnols, a Saint-Louis et
$ainte~Genevibve pr£s , ne sont habites qu'4
( i65)
quatre-vingt milles de la nouvelle Orleans, et
le sont peu jusqu'ici.
Les fourrures que se procure le commerce sont rapportes a Montreal par la meme
route que suivent les marchands pour arriver
a ces points. L'ouverture du Mississipi ac-
cordee aux Americains par leur nouveau
traite avec FEspagne , et les facilkes que deja
le gouverneur Espagnol accorde a ce commerce, leur donne un debouche plus prompt
et moins dispendieux par ce fleuve, au point
que les frais par cette voie sont reduits a
neuf dixiemes. Par ce debouche les pelleteries peuvent aussi etre envoyees , ou dans
les Etats-Unis ou dans telle partie de 1'Eu-
rope , a la volonte du negociant , tandis
qu'arrives a Montreal dies ne peuvent, d'apres
les loix Anglaises etne envoyees qu'en An-
gleterre ; les denies d'echange seront aussi
dorenavant prises par-tout ou elles seront
trouvees a meilleur marche , tandis que prises
a Montreal, leur valeur etait augmentee des
droits immenses que payent les marchandises.
arrivees en Canada , et qui ne peuvent etre
fournies que pap I'Angleterre.
Les fourrures sont dans toutes ces parties
moins belles qu'au nord des lacs ou la compagnie du Nord seule fait le commerce. M»
L 3
( iG6 )'
Tode nous a dit que de Montreal on pouvait
se rendre aux Illinois facilement en quinze
jours, et en vingt des Illinois k la Nouvelle-.
Orleans. La navigation du Mississipi est bonne
quoique rapide, mais elle exige quelques pre-i
cautions et une attention continuelle pour
eviter les troncs d'arbres dont son lit estJ
rempli en beaucoup de points. Tout le paysi
qu'elle arrose est de terres excellentes.
Depart de Kingston. Reflexions.
La reponsedu lordDorchescher, tant atten-*
due , est enfin arrivee le mercredi 22 juillet M
et certes elle. a du nous etonner. C'est undH
defense formelle qui nous est faite , d'apres les
regies etablies , d'entrer dans le Bas-CanadaM
II nous etait difficile de nous attendre a pa-S
reille aventure. Presses de venir en Canada par
M. Hamond , ministre d'Angleterre , qui avait
detruit les inquietudes que m'avaient donne
d'autres Anglais d'un refus du gouverneujjjH
general, assure par lui que lord DorchesteJH
1'avait prie de donner seul a l'avenir les passilB
ports pour le Bas-Canada , parce qu'il pouvaftl
mieux connaitre que lui-meme les voyageurs
venant des Etats-Unis, et que ses lettres dont
il me ferak porteur, independamment meme
1
( 167 )
de toute convention entre lord Dorcherster
et lui, me mettraient a l'abri de tout desagre-
ment, il me semblait que je ne devais pas le
craindre ; car pouvais-je soupgonner M. Ha-
mond , qui m'avait comble de prevenances,
de vouloir'gratukement me le procurer.
Son Excellence m'a done fait donner un
ordre d'exclusion par son secretaire , car il
n'a pas meme pris la peine de signer la lettre,
et a ajoute ainsi la grace des formes a l'agre-
ment de la chose. On me dit pour me consoler
que son Excellence est un radoteur, qu'il ne
fait rien lui - meme , etc. ; que sans doute ,
quelque pretre frangais emigre m'aura rendu
ce bon office aupres de quelque secretaire ou
de sa maitresse; cela est possible; car quoique
grace au ciel, je n'aie jamais fait de mai a
personne , je ne laisse pas de trouver des gens
qui voudraient m'en faire. Quoiqu'il en soit,
il faut prendre son parti, et rire de ce desap-
pointement; puisse-t-il etre le dernier ou le
plus grand de ceux qui me sont encore reserves.
En arrivant en Canada, ma grace etait com-
biee d'honneur, des officiers pour me suivre,
des hommages de respect, etc. ; aujourd'hui
j'en suis chasse comme un vaurien;
exces d'honneur ni cette indi£
aite.
L4
( i68)
Sur tout cela , comme'en beaucoup d'autres
circonstances de la vie, il faut sentir quel'aiB
ne peut etre honore ou mortifie que par le
sentiment de soi-meme; c'est par-la qu'on est
au-dessusde tousles medians , grands etpetitSM
detous les radoteurs et de tous les barbouiljM
leurs.
II est aise de juger que cette lettre m'fjfl
donne le violent besoin de quitter prompte-B
ment les po sessions anglaises , quoiqu'en general je ne puisse assez repeter que dans notrM
srjour a Kingston , comme a Niagara , nous
n'avons eu qua nous louer de la delicatessiM
des officiers anglais , et de leur obligeancej
pour nous.
Le major Dobsona compris a quel point jejH
devais etre presse de sortir du gouvernement du
Canada , etavec une civilke vraimentloyale, il
s'est hate de nous en donner les moyens , qu«|
nous ne pouvions tenir que de lui , puisqu'il
ne part pas deux fois par an de bateau de
Kingston pour la cote americaine; il nous en
a donne un, ou nous sommes montes quatrilH
heures apres avoir regu la lettre du secretaire,
et sur lequel nous nous sommes aeheminej
ardemment vers les Etats-Unis, ou aucun conJH
mandant , gouverneur ou ministre , n'ont le
droit d'offenser des hommes honnetes.
( log)
Oswego : son Fort, sa Douane.
C est vers Oswego que nous nous sommes
diriges ; nous devions esperer d'y trouver le
moyen de nous rendre bientot a Albany. Les
quatre soldats qui formaient l'equipage de,
notre bateau , etaient ivres au point que nous
avons a peine avance de quinze milles
mais en payant, d'un commandant a son successeur.
Les jardins sont multiplies et bons aux environs du fort ; 16 poisson est tres-abondant
dans la riviere et dans le lac : la chasse fournit constamment des ressources ; les officieraB
vivent done bien dans ce desert , qu'ils ap-
pellent Botany-Bay, et qu'ils sont bien im- I
patiens devoir dans les mains des Americains. I
Nous avons regu de tous un excellent accueil,
Les terres aux environs d'Oswego sont assez
jnauvaises, les arbres d'une mediocre venue,
les bois ties maigres.
Infarwmtion>9^uh&pifewres sur le
Canada.
Puisqu<%,je ne suis plus destine a aller en
^a^jada, je veux consigner ici quelques le-
g$re,$ ;informatijOQ§ sur ce pays. Je comptai3 '
les y verifije*, et les placer dans leur ordre;.
rions-rtous nous battre contre nos fibres? j>
Ces propos , que je tiens d'officiers anglais ,
et qui, a ce titre, ne peuvent etre revoque*
en doute , n'etaient l'effet d'aucune suscita-
tion jacobine, car, en meme tems , on &s-
M .
I
( i84)
sure que des emissaires de la convention se
piaignaient de ce que le caractere canadien ne
pretait a aucune insurrection ; ils etaient dontM
1'expression de leur. disposition naturelle et
habituelle , qui n'a pas ete changee encore , ni
par le tems , ni par la douceur du gouvernement anglais. L'idee de liberte, d'indeperM
dance , est, dans les rapports polkiques, au-
dessus de leur entendement ; ils ne paienM
point d'impots ; vivent bien , a bon marche et
dans l'abondance : que pourrait leur raison
'reflechissante dcsirer de plus? Ils connaissenfjB
meme si peu les principes de la liberte , qu'ils
ont vu avec peine, chez eux , l'etablissement
des juris ; qu'ils y ont mis opposition , et que
les juris civils n'y sont point encore en*usage.«
Mais ils aiment la France; ce nom tient une
grande place dans leur souvenir. Un Frangais
est pour eux quelque chose de tres-superieur
a un Anglais , qui est son ennemi. Les Francais
sont le premier peuple du Monde , puisque ,
attaques par le Monde entier , ils battent et
"repoussent le Monde entier. Les Canadiens se
croient frangais, s'appellent frangais; la France
est leur patrie. Certes il est impossible de
ne pas trouver ces sentimens estimables et
touchans, sur-tout quand on est Frangais,
et de ne pas aimer le peuple canadien. II est
( i35 )
facile de concevoir comment cette disposition deplait aux Anglais ; comment souvent
ils laissent percer le mecontentement qui en
resulte ; comment l'officier anglais , vif et
impatient, traite souvent avec durete et m.e-
pris le Canadien : a Les Frangais leur don-
| naient des coups de baton , les faisaient
» mourir de faim et les mettaient aux fers,
r> done il faut ne les traiter qu'avec des coups
» et des fers ». Voila ce qui se dit de cette
nation aimable et genereuse , dans les diners
anglais; ce que j'ai entendu plusieurs fois ,
ce qui m'a souvent indigne , et ce que ne
clisent pas tout haut les gens plus reserves ,
mais ce qui ne peut pas etre entierement
ignore du Canadien.
Le Bas - Canada qui ne paie pas plus que
le Haut - Canada de taxes a l'Etat , vient
d'etre impose a une somme de cinq mille
livres sterling , pour le maintien de sa justice , de sa legislature , et quelques frais
particuliers a cette province. Les taxes sont
etabiies sur les vins , les eaux~de-vie, en excises et douanes ; c'est done un impot indirect , bien leger, et par la somme, et par la
maniere dont il est percu , qui le rend peu
sensible ; mais deja il excite des murmures
contre les representans qui l'ont vote , etc.
( i86)
C'est le point juste de toutes ces disposjM
tions que j'aurais cherche a connaitre , si
j'etais arrive dans le Bas-Canada. Quant a
leur verite , je n'en ai et n'en puis avoija
aucun doute. On m'a certifie que sur le refusl
fait par les Canadiens , l'an dernier, de s'en-
regimenter en milice , lord Dorchester avait
demande son rappel en Angleterre; je ne puis
precisement assurer que ce soit la veritable
raison de cette demarche, qu'il a indubita-
blement faite, mais qui peut avoir aussi pour
motif le mecontentement de ce que son dis-
cours aux Indiens n'a pas ete approuve par le
ministere, lequel cependant n'a point accepte
la demission du gouverneur. Lord Dorchester
se croyait cheri des habrtans avec lesquels il
s'est constamment bien conduit; son administration k toujours ete douce ; c'est lui qui a
sollicite la nouvelle constitution ; il aime les
Canadiens, et son amour-propre, autant que
son patriotisme anglais , ont regu un grand
desappointement de la disposition qu'a montre
Ce peuple l'an dernier.
J'ai rendu compte d'une conversation ou
plusieurs officiers avaient manifeste l'opinion
de futilite qu'il y aurait pour I'Angleterre de
renoncer au Canada; cette opinion est ici celle
de tous les Anglais, a qui des places et de
( i87 |
bons enrolemens n'en font pas avoir une autre?
Mais ceux attaches au gouvernement, a l'administration de ces deux provinces, les nego-
cians et le? families anglaises qui s'y sont eta-
blies , et qui sont devenues canadiennes, sont
loin de precher cette doctrine, et voyent, dans
favenir, une utilite considerable resultante
pour la Grande-Bretagne de la possession du
Canada. Cette idee n'est la mienne, ni dans
la meme amplitude , ni dans la composition
actuelle de l'administration et du gouverne-*
ment anglais pour cette partie du monde; mais
je crois que les depenses excessives que fait ici
I'Angleterre ne sont pas toutes necessaires , et
que 1'etat de dependance dans lequel die veut
tenir le Canada, n'est pas non plus celui qui
lui peut rapporter les plus grands et les plus
durables avantages.
Que dirak-on d'un ministre qui« montrant
a I'Angleterre que le profit retire par son commerce et ses excises de sa navigation exclusive dans le Canada, est loin d'etre equivalent
aux depenses annuelles, que le maintien du
pays et ses consequences
lui coutent, lui
proposerait de declarer ce pays independent , de l'assister encore pendant les premieres annees de quelques subsides, et de faire
sur-le-champ, avec lui, un traite d'amitie et de
( iS8 )
commerce ? Sans doute on le trakerak de
jacobin. Cependant il est probable qu'en sau-
vant a I'Angleterre une grande depense an-B
nuelle, il ne ferait rien perdrea son commerce^
qu'il lui assurerait l'alliance solide du Canada ,
dans toute l'etendue qu'elle peut desirer, et
lui evkerait un nouveau decbirement et uneB
nouvelle mortification. Mais il faudrak que ceB
parti fut pris sans aucune vne secrette, sansB
projets caches , et avec la loyaute et la fran-B
chise, qui ne laissassent aucune inquietudeB
au Canada ainsi gratifie. Ce langage, tout
insense qu'il puisse paraitre encore, est peut-B
etre le seul qu'aient a tenir a l'epoque pi-esenteB
toutes les puissances europeennes, a toutes
leurs colonies continentales , sous peine d'en .
eprouver bient6t pis : il n'en faudrait peut-etreB
meme pas excepter les Antilles , sauf quelqueB
modifications. Mais laissons la politique spe-fl
culative.
- Les pretres catholiques sont, en Canada, de
1'espece de nos anciens cures de campagne'jB
sachant tout juste lire et ecrire , par consequent tressots et tres-bigots : la revolutions
frangaise en a envoye d'une espece un peu plus
relevee , et probablement aussi d'une disposijB
tion d'esprit plus active et plus intoierante.
Je ne les connais pas; mais les officiers anglais
( i89 )
sont si etonnes de voir des pretres frangais
avec un peu de sens, qu'ils disent que ceux-la
sont (very cleversj tres-eclakes.
Commerce des Pelleteries, et Appro-
visionnemens d'Europe.
Le seul commerce propre du Canada est
celui des fourrures. Si j'eusse ete a Montreal,
j'avais Fespoir de trouver des moyens de con--
naitre son etendue et son produit. Je sai-s, par
le gouverneur Simcoe, qu'il est beaucoup
moins considerable qu'on ne le croit; que
deja il s'en fait dans les Etats-Unis une contrebande dont les negocians du Canada sont les
agens principaux ; que cette contrebande ,
qu'ils favorisent par la riviere Saint-Laurent,
se fait aussi, sans leur concours , par le lac
Erie, et par quelques points des cotes du lac
.Ontario , directement avec les Americains-
Unis; que la reddition des forts aux Etats-
Unis, et les etablissemens americains formes
sur les limites , rendront cette contrebande
journaliere, et impossible a empedier; enfin
que les negocians du Canada etant les seuls
qui envoyent des fourrures en Angleterre, sont
les seuls qui en apportent; qu'ainsi ils sont les
maitres absolus du commerce du pays ; mais
( i9° )
avec un esprit de monopolequi, tenant IeurH
prix tres-hauts , est le plus grand aiguilloiM
pour la contrebande.
Tous les vaisseaux qui font le commerce du
Canada sont anglais, aucun n'appartient aux I
negocians du pays ; au moins ils n'en ont J
qu'un ti£s-petk nombre qui se construisent a |
Quebec; encore sont - ils peu employes aul
commerce d'Europe : il ne se batit d'ailleurs, I
dans toutes les possessions anglaises en Ame
rique, d'autres vaisseaux , que ceux qui navi- ■
guent sur les lacs ; a Hallifax meme on ra-
doube , on repare , mais on ne construit pas.
La navigation europeenne est interdite en
Canada a tout autre vaisseau qu'aux vaisseaux
anglais ; d'ou il arrive que , quand la navigation dans ce pays est interrompue, ou retar-
dee , on y est: dans la disette enriere des
denrees europeennes. Cette arinee-, par exem-
ple , ou les vaisseaux qui , commraiement,
arrivent vers le i5 mai, ne sont arrives que
le 20 juillet, les magasins etaient vuides dans
tout le Canada ; il n'y avait pas , d6s le 1"
juillet, une seule bouteille de vin k vendre a
Quebec, nia Montreal, pas une aune de drap;
Les officiers du soixantieme regiment, qui
arrivaient de ces deux villes , et qui n'avaient
pu faire leur pro vision1, seplaignaient beaucoup
( i9i I
de cette impossibilke de se fournir en Canada;
ei. j'ai entendu dire que le murmure ne se
llljrnait point a eux.
Autres renseignemens.
On s'accorde a reconnaltre que I'agriculture
est extremement recuse en Bas-Canada, que
les Canadiens sont mauvais fermiers, et que
les Anglais n'y ont rien apporte a cet egard de
leurs lumieres, et de l'habilete europeenne.
Les terres y sont generalement bonnes ; les '
meilleures sont dans File de Montreal, et elles
ne se vendent qu'entre 20 et 24 dollars 1'acrei
Cette information certaine peut donner la me-
sure de la richesse du pays.
La rigueur du froid fait tellement gercer le
mortier enhiver a Quebec, que les reparations
de la ckadelle sont anmrellement tres-dispeii'-
dieuses , et jamais solides. Les constructions
des autres places fortes des possessions anglaises
en Amerique se font en bois , et toujours en
boisverd, employe des qu'il est coupe; aussi
se pourrissent-ils promprement, pas un mor-
ceau n'en est entier dans le fort d'Oswego ,
construit il y a onze ans, et la citadelle
d'Hallifax, faiteil yen.asept, est aujourd'fri#'
(g?)
errreconstruction totale pour la meme raisonjB
Ces renseignemens, les seuls que j'aie pu ras-
sembler , peuvent, toutincomplets qu'ils sont M
guider dans les informations que l'on pourrait,
par la suite, etre a portee de prendre.
Les bords qui entourent du cote du nowB
le bassin qui contient les eaux du Niagara ,
precisement au - dessus de leur chute , sonB
d'une terre rougeatre, tres-grasse et visqueuseB
au-dessous est la pierre a chaux.
Les rochers au travers desquels se predpitB
• cette admirable cataracte de Niagara , sonB
aussi des pierres calcaires , ainsi qu'une injB
mense quantite de rocs qui se voient danB
l'abime du bassin, et qui ne sont que des
debris des rochers d'en haut, que les eauxB
dans leur violence, ont entralnes avec dies.
Au fond du bassin se trouvent aussi de grandeB
masses d'une pierre blanche a grain fin , que
les gens du pays assurent etre lecume petrifi^B
de cette chute , mais l'ecume ne se petrifie
point, et cette pierre semble n'etre qu'un
sulfate de chaux; elle ne fermente pas avec
les acides ; je ne l'ai point soumise a d'autres
experiences.
Le pays entre la chute et Queenstown est
mn plateau eleve de quelques cents pieds au-
dessuf"
( *95,)
dessus de la plaine qui joint au lac Ontario ,
et ou sont baties la ville de Newarck et le
fort de Njggara.
Ce plateau semble par-tout compose de
pierres a chaux, et de pierres sablonneuses
contenant des depouilles de mer.
A Newarck , on voit sur la plaine de grandes
masses eparses d'un granit rougeatre , isolees
sur la pierre a chaux comme les blocs de
granit qui se voient a la montagne de Saleve,
pres Geneve ; de sorte.qu'il est impossible de
se former une idee de leur origine.
Le pays , dans les environs de Toranto ou
Yorck , est, dans quelques endroits , sablon-
. neux , et dans d'autres c'est un argile biger;
on n'y voit point de rochers.
A Kingston ou Kataraqui, k 1'extremke
nord-est du lac Ontario , on retrouve encore
de la pierre a chaux de l'espece argilleuse ,
.^grain fin, et d'un gris-fonce. La, ainsi que
sur la plupart des cotes du lac , les cajlkgix
nsont des differentes especes , des schistea-djtrs;,
des couches de quartz et de granjt.jgrj^j.
A Kingston , on voit pres du rivage de
grosses pierres^jojres , rouiees , resseinbJart£.«JL
des basaltes , et beaucoup de pierres sablonneuses , contenant des imprj^siG^j^asJ|ma)ux
de mer. ih&f au&i-'i'
Tome II. N
( 194 )
Les arbres et plantes que j'ai remarques
dans le Haut-Canada, sont a-peu-pres les
memes que celles du nord de Genessee. J'y
ai vu cependant le bonduc , que les Canadiens appellent bois chicot; le ecoomanthus,
ou bourreau des arbres , que j'ai vu s'elever
autour d'un chene , a plus de trente pieds ,
et developper de belles grappes vertes ; le
cedre rouge ; le ragdumimex, le bouleau noir;
je n'y ai vu ni frangier ni magnolia. La racaB
du ginseng , assez commune dans tout le ter-
ritoire des Etats - Unis , est tres - abondante
dans celui du Canada, mais n'y est pas un
objet de commerce aussi considerable. Les
habitans du Canada en emploient l'rnfusion
pour les maux d'estomach provenant sur-tout
de debilite , pour les rhumes, et pour tous
les cas^, oula transpiration est jugee necessairej
a provoquer. Ils emploient aussi , comme
the , les feuilles de capillaire , dont la plante
se trouve abondamment aupres de Kingston.
M. Guillemard m'ayant communique le
journal de son voyage dans le Bas-Canada,
je complette par son extrait les information
que j'en avais donne. Ce journal confirme tous
les renseignemens generaux que j'ai rapportes,
et ne laisse par consequent aucun doute sur
leur verite. Si les informations de M. Guille-
( 195)
mard n'ont pas porte sur autant de details
que j'en aurais desire , la bonte de son juge-
ment et la scrupuleuse veracite de son ca-
ractere, garantissent l'exactitude de ce qu'il
a recueilli.
La navigation de Kingston a Quebec se
fait de Kingston a la Chine dans les bateaux
Canadiens , de 10 a i5 tonneaux; dela Chine
a Montreal, les chutes de Saint-Louis empe-
chent la navigation , le trajet se fait par terre;
des vaisseaux de toute grandeur naviguent de
Montreal a Quebec.
Les rapides sont de differentes natures; ce
sont, ou des tourbillons occasionnes par les
rocs que les eaux rencontrent dans leur
cours , ou de fortes inclinaisons du lit du
fleuve, dont le mouvement rapide n'est anete"
que par peu et souvent point d'obstacles ; dans
ce genre de rapides , le bateau peut faire seize
milles par heure ; ceux de la premiere espece
sont les plus dangereux , quoique les accidens
n'y soient vas frequens ; le passage des cedres
es*celui ou ils le sont davantage.
Le cours du fleuve de Montreal a Quebec
est vif, mais sans aucun de ces rapides. Au
lac Saint - Pierre , les vaisseaux doivent se
maintenir soigneuseinent dans un canal na-
turel de ra a i5 pieds de profondeur ; par-
N 2
( 196 )
tout ailleurs , il n'y a pas plus de 4 a 6 pieds
d'eau. On projette un canal de la Chine a
Montreal, au moyen duquel la navigation
cessera d'etre interrompue.
Les settlemens sont presque nuls de Kingston a Johnstown , capitale du district inferieuf
du Haut-Canada , qui se trouve a moitie
chemin de Kingston a Montreal. Dela jusqu'a
Montreal , il y en a davantage , mais bieM
peu encore.
Le cote droit , qui appartient aussi a I'Angleterre, est moins habite encore que le cote"
gauche. Le petit nombre d'habitations qui si
trouvent sont presque toutes sur les bords
du fleuve : de Montreal a Quebec elles sont pliB
rapprochees , le pays meme' est habite a' troj
ou quatre milles dans les terres , et presque
toujours le long des rivieres , ou desruisseaux
qui se jettent dans le fleuve. Ces settlemens
sont, pour la nature des maisons et des defrB
chemens, de l'espece des plus mauvais dans les
pays nouveaux des Etats-Unis ; ils s'etendent
toujours a une moins grande profondeur du
cote droit du fleuve.
La nature des terres est bonne presque par-
tout , plus particukerement dans les iles ; les
arbres y croissent avec abondance et richesse ,
les herbes y sont epaisses et s'y elevent' a.
( *97 5
[line grande hauteur. Les terres de 1'ile de
[Montreal sont, comme je l'ai dit, reputees
les meilleures de toutes ; pres des habitations
elles se vendent au plus cinq dollars l'acre ;
dans l'lle de Montreal vingt a vingt-quatre.
Quelques fermes aupr£s de Quebec , cukivees
avec un peu plus de soin, ou ornees d'une
belle maison et de bons batimens , sont payees ■
beaucoup plus encore : en tout, il se vend
peu de terres et par la pauvrete des habitans ,
et par la difficuke des ventes , dont les raisons
se trouveront ci-apres.
La culture est, dans le Bas-Canada; aussi
mauvaise qu'elle puisse l'etre. On n'emploie
de fumier que dans les environs de Quebec
et de Montreal, encore n'est-ce que le fumier
d'ecurie, qu'il n'y a pas long-tems les fer-
miers jettaient dans la riviere pour s'en de~
barrasser; on n'y connalt pas d'autre engrais.
Ce qu'on appelle les terres en culture, meme
sur le bord de la riviere , sont des champs
defriches d'une etendue de quarante a cinquante acres , plus ou moins , entoures de
cl6tures grossieres, au milieu desquels sont
differentes cultures par petites portions, bled,
mais,seigle, pois ,prairie;mais remplissantra-
rement la totalite du champ enclos ; le fermier
est frugal I mais ignorant et paresseux. Le gou-
N 3
( 198 )
vernement anglais ne fait rien pour encourage™
l'extension et Tameiioration de la cultureB
et il faudrait qu'il fit beaucoup , avec ufaB
grande prevoyance et une longue patienceB
pour obtenir des succes en ce genre ; carB
aux inconveniens des prejuges communs aux
fermiers de tous les pays , les Canadiens ajouB
tent une grande defiance pour tout ce qui vieriB
des Anglais; elle tient a leur idee constanteB
que les Anglais sont leurs conquerans , et lesl
Frangais leurs freres.
II y a quelques exceptions a. cette mauvaisB
culture , mais en petit nombre , et le meilleuil
etat des fermes , est lefait de quelques propria J
takes venus d'Angleterre. M. Fouze , ministrB
de l'eglise anglicane de Quebec , arrive rel
cemment du comte de Suffolk , en Angle-
terre,. s'occupe a present de defricher et dm
mettre en grand etat de culture anglaisea
sept a huit mille acres qu'il tient du gouverS
nement, ou au moins une partie de cette do*
nation; s'il a le courage de l'achever et le bon-
heur de reussir, il sera tres-utile a cette partfl|
du monde; en attendant on s'etonne a Quebec,
qu'il puisse aller cukiver si loin de la ville ,
et il en est a quinze milles.
Dans la route de Montreal a Quebec , les
habitations sont quelquefois ou de pierrailles I
( i99>
i de bois, 1 ilanchies exterieurement avec de
la chaux , dont le pays' abonde ; mais inte-
rieurement ces habitations sont sales, vilaines;
je parle de celles du peuple canadien. Dans
presque toutes celles qui sont sur le bord du
chemin, et ou la mort du roi de France n'est
plus ignoree , on voit son portrait, la gravuie
de ses adieux a sa famille , et de son supplice,
avec son testament en entier. Toutes ces images sont, chez les Canadiens une esp6ce de
devotion , qui ne change rien d'ailleurs a leur
disposition d'attachernent pour les Frangais.
Montreal et Quebec ressemblent a deux
villes de province de France ; la premiere est
dans une positionagreable et riante; la seconde
est batie moitie sur le bord de la riviere,
moitie au haut du roc qui la borde. C'est dans
la partie. basse quest tout ce qui tient au
commerce ; tout le militaire est dans la ville
haute, dont la position naturelle, entouree
de montagnes, et les fortifications qui y ont
ete ajoutees, font une ville de defense du
second ou du troisieme ordre.
A Quebec il paralt que la presence du gouverneur general et la grande quantite d'offi-
ciers et de personnes employees pour l'ar mea
domient dans la societe la preeminence au
N 4
tuS
( SOO )
ttiilitaire; elle est a Montreal pour le negociant.
La classe des Canadiens gentlemen habitant les villes est plus pauvre que celle des
Anglais, que de bons emolumens ou de grandes
affaires y ont amenes. Ils vivent generalemerw
entr'eux, et comme ils depensent moins que
les Anglais , ceUx-ci leur patent le caracterfB
d'avarice et de vanite , que les autres lemB
rendent d'une autre maniere sans doute. Le»
negocians anglais sont riches, et ce qu'ils ap>B
pellent hospitaliers,
Les mceurs anglaises pour les ameublemens,
les repas, etc. prevalent dans les maisons anglaises; quelques families canadiennes plus
riches, et tenant a l'administration , les okfB
aussi adoptees. Les autres families canadiennesB
aisees ont conserve les mceurs frangaises.
Le commerce du Canada emploie environ
trente batimens pour ses importations et ses
exportations. C'est settlement avec l'Angle^B
terre et par elle qu'il a lieu ; un etat de la
douane pour 1786, qii'a obtenu M. Guille-
mard , porte les exportations a 325,116 liv.
monnaie d'Hallifax, et les importations dans'
dans la meme annee a 243,262 ; il y avait des-
lors une assez grande quantite de grains ex-
( 201 )
portes. Elle est siirement accrue aujourd'hui,
et par l'augmentation quelconque de la culture meme du Bas -Canada^ et par la plus
grande augmentation de celle du Haut.
On estime aujourd'hui a 4>ooo boisseaux
la recolte generate en bled du Bas - Canada ,
qui en consomme les trois quarts. Le commerce des fourrures a son principal entrepot
a Montreal.
Je place a la fin de cet article quelques
renseignemens certains sur ce commerce, ex-
traits d'un journal dont la verite m'est assume.
La navigation du fleuve Saint-Laurent est
fermee par les glaces sept mois de l'annee.
Une fabrique de fer aux Trois rivieres , et
une distillerie uxes Quebec sont les seules
manufactures du Canada ; encore sont-elles
sur une tres-petite edielle. La manufacture
de fer ne suffit pas pour fournir meme le Bas-
Canada ; elle appartient a des negocians de
Quebec et de Montreal, qui n'y emploient
pas les machines usitees en Angleterre pour
un tel travail. La mine se trouve dans les
rivieres voisines , et eh grain sur la surface
de la terre, elle est abondante et assez riche;
elle est eonnue sous le nom de mine de St,
Maurice; une vingtaine d'ouvriers, tous Canadiens , y sont bccupes; ils forgent le fer
( 202 )
en saumons, et en ustensiles de differentes
especes, outils, marmites , etc. ; ils gagnent
trois quarts de dollar par jour, et ne sont pasT
nourris.
La distillerie fait du whiskey , et un peu
d'eau de genievre ; mais tout cela en petite
quantite ; peu d'ouvriers y travaillent; ils
y gagnent deux schellings par jour et sont
nourris ; d'ailleurs les Canadiens fabriquent
dans leurs maisons, comme les habitans des
pays de derriere des Etats-Unis, l'etoffe ne-
cessaire a leur famille.
La religion dominante en Bas-Canada est
la religion catholique ; les ministres en sont
entretenus par les dimes , les donations et les
biens acquis du clerge : toutes les eglises sont
catholiques dans la province , et sont assez
frequentees. par le peuple. Les ministres de la
religion anglicane sont payes par le roi, ainsi
que l'eveque protestant, qui est aussi eveque
du Haut-Canada. Le culte de cette religion
se fait dans, des eglises ou chapelles catholiques
dotees a cet effet; et il n'a lieu qua Quebec
a Montreal, a Saurel et aux Trois-rivieres.
Dans les campagnes, le cuke est seulement
catholique.
Un couvent d'ursulines a Quebec et a Montreal, et un etablissement de sceurs de lacha-
( 203 )
rite pour le scin des h6pkaux et hotels-die a
de ces deux endroks , sont les seules maisons
religieuses de femmes qui restent dans le
Canada; une partie des revenus des hotels-
dieu, etait en rentes sur l'hotel-de-ville de Paris ; elles ont ete supprimees en vertu des de~
crets des assembiees nationales de France, et
ce deficit dans leur revenu n'a pas encore ete
remplaee'. Deux seuls moines recollets et un
seul jesuite , restent des maisons nombreuses
de ces ordres qui existaient lors de la conquete
du Canada ; encore assure-t-on qu'un de ces
recollets a ete regu a faire ses vceux depuis
cette epoque, contre la clause du traite; et
que le jesuite seul existant est plutot un pretre
qui se dit jesuite, qu'un religieux de cet ordre.
Les biens appartenans aux jesukes en Canada
doivent revenir apres leur extinction a lord
Amherst , en vertu d'une donation du roi
d'Angleterre lors de la conquete ; et on assure
que l'inimkie du lord Dorchester pour lord
Amherst est la veritable cause de la jouissance
laissee au faux moine usurpateur. Le revenu
des jesuites est estime a i,5oo liv. sterlings.
Le seminaire de Quebec est tenu parl'es-
pece de congregation connue sous le nom de
pretres de St. Sulpice de Paris, qui avant
conquete du Canada entretenaient trois mai-
( 204)
sons; une a Siam, une a Pondichery, et l'autre,
a Quebec. Depuis cette epoque, le seminaire
se renouvelle et s'entretient lui seul. Ses biens
sont considerables , au moins en etendue,
puisqu'ils contiennent environ cinquante a
soixante mille acres: mais comme le seminaire ne peut pas aliener, et ne jouit de ces
terres qu'en faisant des concessions , pour les-
quelles on lui paie a-peu-pres une rente d'un
boisseau ou d'un boisseau et demi de bled
pour chaque 90 ou 100 acres en culture, le
revenu qu'il en tire ne s'eleve pas a plus de
5oo dollars. Le moulin qu'a le seminaire sur ]
l-'ile de Montreal , dont il est seigneur , lui
rapporte davantage.
Outre l'instruction thedogique donnee au
seminaire , on y enseigne aussi le latin , et
meme a lire ; ces soins sont confies aux jeunes
ecclesiastiques qui etudient pour etre pretres,
et qui sont ainsi dispenses de certains exer-
cices, de certaines assidukes, sans lesquels
ils ne pourraient pas obtenir leurs grades, s'ils
n'etaient pas employes a l'instruction de la
jeunesse. Cette maison est la seule ressource
qu'aient les families canadiennes pour donner
une sorte d'education a leurs enfans, qui encore n'a lieu qu'en payant.
L'education d'ailleurs est nulle dans le Bas-
( 205 )
Canada; quelques basses ecoles sont tenues
par des religieuses a Saurel et aux Trois-ri-
vieres, quelques autres le sont ailleurs par
des hommes, et encore plus par des femm.es
qui se font payer; mais dies sont en si petit
nombre, qu'un Canadien qui sait lire est une
J espece de phenomene; et comme la plupart
de ces ecoles sont entre les mains de reli-
;gieuses ou d'autres femmes , il en resulte ,
contre l'usage commun de tous les pays, que
"le nombres des femmes qui savent lire est en
Canada beaucoup plus grand que celui des
hommes.
On attribue au gouvernement anglais la vo-
lonte de tenir le peuple canadien dans 1'igno-
rance ; mais dans'ce point, comme dans celui
de l'ameiioration de l'agriculture , dont j'ai parle
plus haut, il aurait de grands obstacles a vain-
cre, s'il voulait meme de bonne foi provoquer
un changement en mieux.
La feodalke est dans le Bas-Canada ce qu'elle
etait avant la conquete. Les seigneurs , pos-
sesseurs originaires des terres les ont alienees,
ou les ahenent par concession, dont comme
je l'ai dit plus haut, la rente est depuis un
jusqu'a deux boisseaux de bled par an.
A c'haque mutation, hors le cas d'heritage
en ligne directe, le seigneur a deux pour cent
( 206 )
de droit; il a un douzieme en cas de vente ,
et le droit de retrait: il a seul le droit de ba-1
tir des moulins, et ces moulins ont droit de
bannalite dans l'etendue de.sa seigneurie.
Les moulins sont en si petit nombre, que
souvent les fermes en sont eioignees de trente-
six milles ; le prix de la mouture est par la I
loi du quatorzieme, mais les meiiniers aussi i
adroits dans le Bas-Canada qu'ailleurs , en 1
prennent par leur savoir-faire jusqu'au dixieme; j
le blutage est fait par les fermiers a leur mai-1
son. Les moulins sont tres-multiplies pres
Quebec et Montreal; il appartiennent au se-1
minaire.
Les seigneuries qui se vendent donnent a
la couronne un cinquieme du prix de la vente; I
on congoit que tous ces droits sur les ventes
les rendent tres-rares.
Quant a la distribution de la justice , elle
est la meme que dans le Haut-Canada; leBas-if
Canada est. a cet effet divise en trois districts^
Les loix criminelles , les loix de commerce
sont les loix anglaises ; les loix civiles sont la
coutume de Paris,, avec les alterations que facte
qui a forme la constitution du Canada et les
loix faites posterieurement par la legislature,
y ont apportees. Les dix-neuf vingtiemes des
proprietes soumises au jugement des cours
(207,)
appartiennent aux negocians. Les crimes sont
"txes-rares en Canada.
Les cinq mille livres imposees l'annee derniere dans le Bas-Canada pour le paiement de
la legislature, etc. sont levees par des taxes
sur les boissons.
Le climat du Bas-Canada est sec, extremement froid en hyver, mais le ciel y est toujours beau. Le thermometre descend en Janvier et fevrier.communement a vingt degres
de Reaumur au-dessous de la glace. En 1790
il a descendu au-dessous de toute graduation,
qui est a quarante, et le mercure est rentre
dans la boule. En ete, les chaleurs sont tres-
fortes pendant quelques jours, et le thermometre s'eleve a 24 degres ; il s'est eleve cette
annee a 28; on observe que les chaleurs de l'ete
deviennent annuellement plus fortes et plus
longues , et les froids de 1'hy ver plus moderes ;
ce climat est sain ; i!. y a peu de maladies epi-
demiques ; l'exces du froid rend les cancers au
visage et aux mains assez communs. La variation de l'aiguille aimantee est a Quebec de
douze degres ouest.
A Quebec et a Montreal il n'y a pas de
municipalke incorporee ; la police de ces
villes est faite par les juges de paix, qui fixent
le prix dupain, qui ordonnent toutes les dis-
-1
( 208 )
positions relatives a l'appn&Yjisionnement de
cette denree. Les juges de paix indipendam-"|
-gpfent de cette police, tiennent todies les se- I
maines une coHKou ils jugent Jespetits.deiits. |
Les etablissemens charitables consistent en
un hopital a Montreal, un a Quebec, un hotel-1
dieu a Quebec, tout cela est peu considerable, J
-ettntar soigne, particulierement dit-on, quant
au savoir des medecins.
II n'y a de bibljotheque puhjique, dans tout
le Canada, qu'a Quebec ; elle esfe petite ,,;eB
i generalement composee de livres frangais. OnB
est etonne d'y voir les ouvrages des assembiees nationales de France, quand on connailB
les dispositions politiques des directeurs. de
cette bibliotheque. Elle est entretenue pajB
souscription.
II n'existe, dans tout le Canada, aucune so-
; ciete savante; on n'y connait pas trois hommesB
qui s'occupent des sciences pour leur propre
compte. A l'almaiiach de Quebec pres , il ne
s'imprime pas un seul volume dans tout le
pays : les observations meteorologiques y
sont faites avec soin par le docteur Knott, ■
anedecin de larlmee , homme reellement savant, mais elles le sont pour sa propre satisfaction, f/sjiiisira
Le prix des comestibles est beaucgup plus
bas
( 209)
bas dans le Bas-Canada que dans les Etats-
Unis ; le bceuf y vaut trois a quatre sols la
livre , le mouton six, le veau cinq , le pore
■sale huit a douze , le dindon un schelling et
•demi ou deux schellings et demi, le poulet six
a huit sous, le bled six a sept schellings le boisseau, 1'avoine trois , le mais de cinq a sept
le boisseau, le minot de sel un dollar,, ( le
tout argent de Canada , a cinq schellings par
dollar) la livre de pain deux sous, celle du
beurre huit sous ; le prix de la journee d'un ou-
vrier commun est de deux schellings six sous,
celle des femmes est de la moitie; tout cela en
ete, l'hiver la moitie moins : les gages d'un
domestique male sont d'environ cinq dollars par
i mois; le prix commun du loyer d'une bonne
(maison, est de i3o dollars a. Quebec, de i5o
ifcqMionitreal. J'ai parle du prix des terres.
Les marches de Quebec et de Montreal,
$ont mediocrement approvisionnes en compa-
raison de ceux des grandes villes des Etats-Unis.
M. Guillemard donne precisement aux Canadiens , dans son journal, le meme caract6re
dont j'ai parle plus haut. La premiere classe,
eomposee des seigneurs et des hommes attaches : au gouvernement anglais, haissent la
revolution francaise dans tous ses principes ,
tfsara
Tom
plu
21.
r
c 210)
ministere anglais lui-meme. La seconde classe
des Canadiens , opposes aux seigneurs et aux [
seigneuries , aiment la revolution frangaisjB|
et quant a ses crimes, ils les detestent sans
cesser d'aimer la France. La troisieme, c'estill
dire la derniere classe , aime la France et
les Frangais, sans penser a la revolution, et
sans en rien savoir.
Lord Dorchester passe pour un bon homme,
mais avec toutes les vanites d'un parverrfiM
que sa femme stimule d'autant plus qu'etant
beaucoup plus jeune que lui, elle veut avoir
au moins la jouissance de l'orgueil.
Les pretres sont en Canada, ce qu'ils
sont presque par-tout; intrigans , bas , ado*
rateurs et soutiens du pouvoir arbkraire™
parte qu'il peut donner au clerge , et etendre
son influence, et que, comme l'eglise, il ne
permet ni reflexion ni raisonnement.
Les settlemens , comme je l'ai dit, ne sont
qu'une large bande , depuis un jusqu'a sept
a huit milles, des deux c6tes du fleuve ; tout
ce qu'il y a de terres non possedees, appar-
tient a la couronne, prete a en donner a qui
en voudra; mais en donnant peu, parce que
le nombre des demandeurs est peu considerable , et parce qu'elle y met des formalkes
et des reserves qui les degoutent. C'est de la
( 211 )
houvelle Angleterre qu'arrivent le petit nombre
de nouveaux settlers.
Quelques villages d'Indiens se trouvent sur le
bord de la route de Johnstown a Quebec , sur le
lac St.-Pierre, et pres des villes de Montreal et
Quebec. De ce nombre est Laurette, a cinq
milles de cette derniere ville. Les Indiens de
Laurette sont arrives au dernier degre de la
civilisation, au moins, dit-on , pour la corruption des mceurs. Aucuns des autres villages,
plus ou moins avances dans le meme genre,
ne le sont au meme point que Laurette.
Les Indiens , habilies les jours de travail
en canadiens , vetissent leur habit original
chaque fete ou dimanche ; d'ailleurs, ils cul-
tivent comme les blancs, sont loges et vivent
de meme , et parlent le meme langage; tous
sont catholiques et ont parmi eux un cure
attache a chaque village.
Les etablissemens un peu plus reellement
indiens, sont tres - recuhis , et ne sont pa3
nombreux.
En descendant le fleuve St.-Laurent, le pays
est schisteux, et plus loin, dans le voisinage
d'un district connu sous le nom de Thousand-Islands , on trouve une chaine de gra-
nks. Toutes ces iles semblent etre composees
d'un granit rougeatre j bien crystallise, dont
O 2
1 1
v ( 212 )
le feld spath est l'ingredient le plus conside*|
rable. On voit & Kadanoghqui, entre Kings-* I
ton et Thousand-Islands , quelques especes
de steatite, dont on assure qu'il y* a de larges
veines dans le voisinage. Dans le granit rou- I
geatre de Tousand -Islands , on trouve des i
veines d'un granit plus parfait , a plus gros
grains, ce qui est tres - commun dans des
pays formes de cette espece de rocs, comme I
) les Alpes , les montagnes de l'Ecosse et autres I
moins considerables, mais de la meme nature.
La rapidite avec laquelle M. Guillemard a
descendu le fleuve St.-Laurent , l'a empedie I
d'observer la nature des pierres qui le bordent.
A Montreal cependant, il a pu mieux exa*
miner la mineralogie du pays. Ce pays au
nord du St. - Laurent , est pricipalement de
pierre a chaux. Au sud , ou est situe le village de la prairie, il n'y a gueres que des pou-
dings qui ressemblent beaucoup a cette espece -
de roc quartzeux, connu en Angleterre ,
sous le nom de chert.
L'ile de St.-Heiene , un peu au-dessous de
Montreal, est de cette espece de roc. Sur les
rivages, il y a d'immenses masses de granit,
de rocs quartzeux et de poudings , qui sem-
blent avoir ete detaches' des Iks auxquels ils
appartenaient, et qu'il est a present impossible
^1
( 2l3 )
dedecouvrir. Le soldelamontagne estriche et
fertile , rempli de carrieres de pierre a chaux.
On dit qu'on y a trouve du charbon de terre.
Les maisons, a Montreal , sont la plupart
baties d'une pierre a chaux d'une couleur fon-
cee, tres-compacte ; elle devient blanche au
feu, et grise lorsqu'elle est exposee au soldi
et a l'air.
La riviere Sorel, apres avoir quitte le bassin
de Chambly, mouille le pied d'une large et
haute montagne appeiee Bel-ceil; entre cette
riviere et le fleuve St.-Laurent, est une plaine
immense: sur cette plaine entierementunie , il
ne se trouve point de rocs , et presqu'aucune
pierre. En creusant, on trouve jusqu'a une pro-
fondeur considerable, des sols de differentes
especes; du sable, de l'argile, ( clay) de la
terre vegetale, et dans beaucoup d'endroits ,
une autre mati6re vegetale noire, resserablant
beaucoup a une espece de tourbe appeieeijes^tfi
Le sommet de la montagne de Bel-ceil est
d'un granit gris fonce , et a gros grains. II
contient peu de mica, mais une assez grande
quantite de schorl noir. Les cotes du sommet
sont composes principalement d'un schiste
gris noir , et tres - compact , dont quelques
'parties ressemblent par leur forme et leur
grain a du basalte.
03
( 2l4)
En descendant le Sorel, il n'est presque
pas possible de voir de rocs ; a Sorel meme,
qui est aujourd'hui appele W^illiam Henry
par les Anglais, les bords sont en argile fin, I
plein de mica ( Friec micaceous loam J.
En passant a travers le lac St.-Pierre, pour
aller aux trois rivieres , les terres s'eievent
en terrasses d'une maniere frappante , mais I
on voit peu de rocs. Les bords sabloneux des I
trois rivieres , montrent un pays epuise par I
la culture , et prive de la mince couche de ]t
terre qui fournissak a la vegetation. Heureu-
eement, on a decouvert sous le sable une
marne bleue qui a rendu la fertilke au pays. ■.
Cette marne est d'un grain fin, tres-compacte I
et legere, et elle se trouve a la surface de la I
terre, au dessous de la ville des Trois-rivieres.
A quelques milles , dans linterieur, sont
les seuls fourneaux etablis dans le Canada ;
le minerai se trouve dans differens endroks
du voisinage. C'est du Bog-ore, et on dit que
le fer en est tres-bon.
On rencontre la pierre calcaire jusques au
promontoire de Quebec. On ne sait a quelle
distance elle s'etend au-dela; elle est de qua-
lites et de formes differentes, quelquefois tres-
dure et compacte, d'autrefois presque dans
1'etat du spath calcaire. Sa couleur est variee
( 2l5 )
par degres d'un clair-brun rougeatre, jusqu'^i
un bleu fonce et meme noir.
Au sud du fleuve St.-Laurent, a la chute de
la chaudiere, on trouve encore de la pierre a
chaux; mais les couches les plus communes
sont un schiste noir, argilleux, a grains fins ,
dans lequel sont entremeies des lits de pierre
calcaire. II y a dans ces lits beaucoup d'une
-matiere rouge, tendre, argilleuse. Les pierres
rouiees sur les bords, sont de la meme nature
que les couches adjacentes, melees avec plusieurs especes de schorls et de granits, qui
doivent venir des pays plus hauts.
Le rocher sur lequel est,la citadelle de Quebec, est appele rocher de diamans, parce que
dans beaucoup de ses cavkes et crevasses, il y
a des crystaux de quarz, que l'ignorance a pris
pour des pierres precieuses. Ce rocher est
compose en plus grande partie de couches
oalcaires. La pierre est en general tres-com-
pacte, et de couleur d'un gris fonce.
Sur la plaine au-dessus, appebie la plaine
d'Abraham , on voit encore des pierres a
chaux etde grandes masses de granits eparses
et remarquables parce qu'elles contiennent
beaucoup de schorl. Les pierres , sur la riviere , sont de differentes especes de gees,
pierres sabloneuses,, granits, quartzs , et
04
( 2l6 )
quelquefois de schistes et pierres calcairftiB
'A Wolfslove, les couches sont d'un schis^B
noir, formant un angle tres-Ouvert avec l'bo-
rison. Les couches, autour de Quebec, sont ertf|
general plus perpendiculaires a la surface de la/J
terre, que dans les pays plus a Fouest. On dit
que les hautes montagnes, au nord-ouest de I
Quebec , sont de granits. M. Guillemard ne leal
a pas vu ; a la chute de Montmorency, et un>*|
peu plus haut encore sur cette riviere , les
couches sont de pierres calcaires, et leur di-J
rection est presque paraliele a l'horisoiji1-'
Renseignemens sur le Commerce des
Pelleteries, extraits d'un Journal
de M. le Comte Andriani, de Milan , quia voyage dans Vinterieur de
l'Amerique en 1791.
Les places les plus importantes pour le commerce des pelleteries , sont:
Niagara, lac Ontario, Detroit, lac E
Michillimakinak, lac Huron
pelleteries
melees.
JvHcfirptc
AJampScon
Grand port
(217)
On appelle pelleteries fines les peaux de castor, celles de loutres, de martres et de chats\\
sauvages.
On appelle pelleteries melees, celles com-
posees du melange de ces especes fines \\ et
d'une plus grande quantite encore de peaux
de loups, de renards, de buffles, de daims ,
d'ours , etc.
Les pelleteries les plus fines se recueillent
au nord-ouest des lacs , dans le territoire anglais ; elles deviennent plus grossieres en s'ap-
prochant davantage des lacs.
Ce commerce general des pelleteries se fiak
par la compagnie connue sous *le nom de la
compagnie de nord-ouest, et par deux ou
trois autres petites associations.
La compagnie de nord-ouest, qu'on regarde
generalement comme une compagnie priviie-
giee, n'a cependant point de privilege; c'est
a la grande masse de ses fonds, a la force de
son association , aux efforts et au monopole
qu'elle a faits en consequence, qu'elle doit la
superiorke de ses succes.
Son organisation actudle date de 1782; elle
fut commence par la reunion de quelques-
uns des principaux negocians, habitues a faire
le commerce au-dela du lac Wiiinipey ,^et
l>articulierement de MM. Forbisher et Mac*
1
(m)
lavish , demeurant a Montreal. Les success
de cette compagnie eveillerent l'avidite de
quelques autres negocians qui n'y etaient pas
compris, et bientot il se trouva au grand portage trois compagnies differentes , qui se dis-
putaient la preference des achats , et dont la
rivalke ruineuse pour chacune d'elles tourna
au profit des Indiens vendeurs. La compagnie
du nord-ouest, plus riche en moyens, les em-
ployatous pour faire tomber les deux autres;*
tout fut mis en jeu ; seduction, corruption
des agens de ses rivales, et jusques aux hos-
tilkes commises par ses propres agens contre
ceux des deux autres compagnies. Cette petite
guerre qui couta la vie a plusieurs hommes ,
et beaucoup d'argent a ces differentes asso-B
ciations , leur ouvrit les yeux a toutes; elles
sentirent la necesske de la reunion , et la compagnie de nord-ouest etant plus interessee que
les autres a assurer la tranquillke de son commerce, fit des sacrifices pour l'obtenir ; elle
s'associa plusieurs membres des autres compagnies , donna des intents gratuits dans son
commerce a quelques autres, et s'assura ainsi
par un accord commun le commerce exclusif
dela partie du nord-ouest au-dessus des lacs,
seul point ou se trouvent en abondance les
pelleteries fines.
( 2ig )
Autrefois plusieurs milliers de sauvages ap-
portaient eux-memes au grand portage leurs
pelleteries. Aujourd'hui la compagnie envoie
ses agens dans l'interieur des terres jusqu'a
la profondeur de mille milles , et il arrive que
ces agens y restent quelquefois deux ans
avant de revenir au grand portage avec leurs
achats.
La compagnie emploie environ deux mille
personnes pour ce commerce interieur , et
le pays est si sterile, que tout ce qui est ne-
cessaire au vetement et a la nourrkure de ces
employes est tire de Montreal, avec des diffi-
cukes considerables et a un prix exhorbitant^
qui en est la suite necessaire.
Le grand portage qui est le point de reunion
de tous ces agens et le centre de ce commerce , a un fort en tres-bon etat et bien garde
par cinquante hommes.
Le poste de Michilimackinack est le point
de reunion du commerce des differens marchands du Canada, qui ne sont point dans la
compagnie de nord-ouest; leurs agens ne tra-
fiquentque dans les parties ouest et sud-ouest
des lacs , pays ou les fourrures sont moins
belles; ils trafiquent par les memes moyens
que la compagnie de nord-ouest; seulement
comme les fonds de ces petites associations
(220 )
Sont moins considerables, leurs employes- se
portent moins avant dans le pays.
Les expeditions partent de Montreal "en juin
et emploient environ six semaines pour se
rendre au fort du grand portage ; il faut quelB
ques jours de moins pour arriver a celui de.
Michilimackinack; ils partent de Montreal
en canots par caravannes de huit a dix, et ils
vont a leur destination en suivant le fleuveB
St. Laurent depuis la Chirte jusqu'au lac den
deux Montagnes , remontant la riviere Uta-
coha, par elle au lac Nipissin, et de-la pan
la riviere des Frangais dans le lac Huron, et
au fort Michilimackinack, puis a celui du
grand portage.
Cette route est plus courte de cent milleB
que celle, par les lacs , mais elle rencorittffiB
trente-six portages , dont un grand nombre
sont au travers des rochers, par lesquels les
bateaux et les chargemens doivent etre porte«|
a dos, et avec les plus grandes precautions, tant
ces passages sont etroits. Les canots ne portent que quatre tonneaux; il faut neuf hommes
pour le service de chacun d'eux ; ils couteiiiB
vingt-huit louis d'achat, et ne peuvent plus
reservir.
Par la route des lacs les batimens employes
sont du port de 120 a i3o tonneaux, ou ce
( 221 )
sont des bateaux plats qui en portent quinze
et qui sont facilement conduits par quatre ou
cinq hommes; ces bateaux peuvent durer
long-tems.
Malgre les avantages de cette derniere navigation , l'autre route est preferee pour le
commerce des pelleteries, parce que, quelque
pleine qu'elle soit de difficukes , on connait
en la suivant le jour de l'arrivee et celui du
depart , certitude que les vents ne laissent
jamais sur les lacs, et qui est pour les nego-
ciafos du Canada la plus essenfielle condition,
car il ne leur faut manquer ni l'epoque de la
reception des peaux de l'interieur, ni celle
de leur expedition en Europe ; et le tems de
l'ouyerture de la navigation du fleuve S.Laurent n'est pas de longue dmee.
C'est vers le mois de juin que les agens des
compagnies envoyes dans l'interieur pour trailer avec les Indiens, font amener leurs achats
au point de reunion de leur compagnie.
A Michilimackinack il se trouve souvent a
cette epoque un rassemblement de plus de
mille personnes , tant en caravannes venant
du Canada pour recevoir les pelleteries, qu'en
agens des compagnies et en Indiens qui les
aident a rapporter leurs achats.
Comme le commerce, de la compagnie nord-
( 222 )
ouest est beaucoup plus considerable que celui
des autres , la reunion au fort du grand portage , dans le tems de la deiivrance des peaux,
est aussi beaucoup plus considerable; elle est
souvent de plus de deux mille personnes.
La maniere de traiter avec les Indiens pour
leurs pdleteries , employee par les agens, est
de commencer a les enivrer a force de rhum ,
afin d'avoir plus d'avantages dans les marche^B
Les agens ne vont gueres faire la traite que
dans les villages ou il n'y a pas deja d'autres
traitans; puis ils font leurs marches ainsi quBI
a ete dit precedemment.
II est a observer qu'une ancienne loi de
France , lorsque le Canada lui appartenailM
defendait aux traitans sous peine de galer|S|
de vendre du rhum aux Indiens ; de-la l'usage
est reste que les traitans donnent toujours leur
rhum ; ce qui cependant n'est pas sans exception , car beaucoup aussi en vendent.
Les 1,400 paqiiets de pelleteries fines eva-
lues a 40 liv. sterl. chaque, d'apres le prix
qu'en recoivent a Montreal les petits marchands. qui en recueillent en petite quantite,
valent a Londres a la compagnie 88,000 liv.
sterl. ; car toute celle quantite tkee par elle
du grand portage, est envoy ee en Angle terre;
cette quantite de 1400 paquets de pelleter^H
(223 )
fines forme environ la moitie de la quantity
totale de cette espece qui sort annuellement
du Canada, en n'y comprenant pas cependant
ce qui s'exporte de Labrador, de la baie des
Chaleurs, et de Gaspy.
La compagnie de Nord-ouest depense pour
obtenir ces 1,400 paquets, 16,000 liv. sterl.
pour achats en Angleterre des. marchandises
d'ediange propres a faire le trafic des pelleteries avec les Indiens , et pour le prix de
leur transport d'Angleterre a Montreal; mais
comme en general toutes les depenses qui
sont faites en Canada pour ce commerce, se
comptent en argent de France , il faut reduire
ces 16,000 liv. sterl. en cette monnaie, ainsi
que l'a fait M. le comte Andriani dans son
journal: ainsi,
1°. Achat des marchandises en Angles
terre 354,ooo I.
a°. Gages de quarante guides, interpr^tes ,
chefs des expeditions (*) 88,000.
So. Gages de 1100 hommes employes a
la traite interieure, et qui hivernent
sans jamais descendre a Montreal, a
raison de 18001. pa'r tete 1,980,000.
"I
(*) Chaque Equipage de hu
m guide-chef k chaque po
font Canndien*; chacua & zi
1
( 224 )
De l'autre part 2^1,000
' 4°- Gages de 1400 hommes employes pour
monter avec les canots , et descendre
du grand Portage a. Montreal, et de
Montreal au grand Portage ,. pour la
conduite des marchandises, a raison
de 25o 1. par tete 55o,ooo.-
5°. Le prix des vivres qui se consomment
pendant les trajets entre Montreal et
le grand portage, et au grand Portage
m&me, estime par un terme moyen
annuel 4;000-
Total des depenses occasionnees a la
compagnie pour obtenir les 1400 pa-
quets de pelleteries fines du grand
portage 2,776,000.
Les 88,000 liv. sterl. produites a Londres I
de la vente de ces pelleteries, comparees avec I
les 2,776,000 liv. de France pour les frais ,
etabliraientpourlacompagnieuneperte depres
de 600,000 liv. tournois. Mais void le secret.
Les gages des hommes employes comme il
est dit ci-dessus ne sont reels que sur le papier ; car a l'exception des 4° guides et des
4oo hommes employes a monter et descendre
des canots, lesquels regoivent la moitie de lenr
argent effectif, tout le reste des gages et aussi
la seconde moitie des employes ci-dessus est
payee en marchandises, don,t la vente au
grand
( 225 )
grand portage donne un benefice de 5o pour
cent.
L'espece de marchandise importee pour
cette traite, et pour cette valeur de 354,ooo
ci-dessus mentionnee , sont des couvertures
de laine , des gros draps , des rubans de fil
et de laine de diverses couleurs, du vermilion,
des bracelets de porcelaine , des ornemens en
argenterie, des fusils, du plomb, de la poudre,
et sur-tout du rhum. Au fort du Detroit, ces
articles sont vendus trois fois le prix cou-
rant de Montreal, au fort Michilimackinack
quatre fois , au grand portage huit fois, au
lac Winnipey seize fois ; et plus haut le prix
en est fixe arbitrairement par les chefs traitans.
Comme les employes sont payes en marchandises , on comprend par le prodigieux
profit que fait la compagnie sur leur vente»,
combien les salaires lui coutent peu. Tous
ces employes achetent d'elle leurs besoins ;
celle-ci tient avec eux un compte ouvert, et
comme tous hivernent dans l'interieur et g6-
neralement au - dela du lac Winnipey , le
rhum qu'ils boivent, les couvertures et les
draps qu'ils donnent a leurs femmes, etc. etc.
leur reviennent fort cher. Ces employes
sont generalement libertins, iyrognes, depen-
Tome IL
( 226 )
siers ; et la compagnie n'en veut que de cette
espece. Telle est la speculation sur leurs vic§»
que tout employe qui temoigne dans sesd|B
positions economie et sobriete, est charge des
travaux les plus fatigans, jusqu'a ce que par
une suite de mauvais trakemens on ait pu le
convertir a l'ivrognerie et a l'amour des fe^B
mes, qui font vendre le rhum, les couvertures
et les ornemens. En 1791 il y avait neuf cents
des employes de la compagnie qui lui devaie^B
plus que le produit de dix a quinze annees de
leurs gages a venir.
Telle est succinctement la conduite de cette
compagnie, a la tete de laquelle sont touiouj|B
MM. Forbisher et Mactavish , qui dans IeB
quarante-six actions dont elle est composee
en possedent vingt-quatre ; le reste etant
donne par beaucoup de subdivisions a d'autres
marchands de Montreal qui s'emploient aitlM
affaires de la compagnie, ou qui meme comme
je l'ai deja dit, sont entierement etrangers a
sa conduite.
La duree de la societe de la compagnie de
Nord-Ouest est de six ans; epoque a laquelle
les dividendes seront comptes a chacun des
actionnaires, les profits jusques-la rentrant
dans la masse.
(n)
Pro dull du commerce general des pelleteries.
Le montant total des pelleteries qui s'exportent du
I Canada, peut s'evaluer a 88,000 liv. st. produit du grand
portage par la compagnie de Nord-ouest.... 88,000 1. st.j
Des postes de la baie des Chaleurs, de
Gaspy et de Labrador 60,000.;
De divers postes dans l'interieur, dont le
commerce est conduit par un certain nombre
de marchands , et dont le point de reunion
1 est MichilimacMnack 60,000.
Tot .u 208,
De tout ce grand commerce de pelleteries,
celui qui sd fait au-dessous des lacs par les
petites compagnies va appartenir de fait aux
Etats-Unis en vertu du traite avec l'Espagne ,
qui ouvrant le Mississipi donne le debouche le
plus prompt, le plus sur, le plus economique
a toutes les marchandises, et leur facilite par
la Nouvelle-Orieans l'entree de tous les marches des Etats-Unis. II est a presumer encore
que quelques marchands americains se me-
leront aussi du comm6rce*de$ pelleteries fines,
et.leur donneront une direction vers le sud,
beaucoup moins dispendieuse pour quelques-
uns des points ou l'on peut les obtenir , que
le debouche de Montreal par les lacs. Le
P 2
( 228 )
tems et les succes des premieres tentative^
pourront seuls faire connaitre de quel profit
sous ce rapport l'Amerique pourra priver I'Angleterre.
yaleur des marchandises de la Province du CaYiada t dans le courajfflk
^ae Vannie 1786.
Une livre sterling est de 20 schellings; cinq
schellings font une piastre forte ou dollar.
Froment, 103,824 boisseaux , eyalue a 20,764 liv. seljM
Farine , 10,476 boisseaux, a 12,571. »
Biscuit, 9,317 quintaux, a 6,o56. »
Semence de tin , 10,171 boisseaux, a 2,034. 4,
lAvoine, 4>oi5 boisseaux, a • • 5i6. »
Pois, 3o4 boisseaux, k '. 62. 16.
Bois de construction 706. »
Mats pour des vaisseaux , inerains,
douves , essentes, planches 3,262. » • I
Potasses 1,724- w I
Capillaire 186. »
Chevaux, 67 a 670. »
.Ginseng 1,200. »
4.3,762. »
'Ci-contre Tfefl&z}
Essence de spruce pour bierre,.... 211.
Shook-casles 5i6.
Banala, 1,984 cjuintaux, a ...._„.... i,a8gj
Saumon %■ 759.
Pommes de terre 55.
Saumon fume | 68.
Oignons. 3oo.
Pore 376:
Boeuf aio.
Huile de poisson. 3,700.
Poisson sale" et pelleteries de la cote de-
Labrador , de la baie des Chaleurs et de
Gaspy, suivant le retour envoye par le
gouverneur Coxe .-.... 60,000.
Evaluation des pelleteries provenant
'des grands lacs de -la compagnie de
Nord-ouest r et autres postes, suivant le
detail ci-dessous 225,977.*
Total 343,214,
Taleur declaree dans les douaniss du Canada.
( 250 )
Detail des sortes de Pelleteries exportees\\
du Canada, en 1786.
6,2i3 Renards.
116,623 Castors.
23,684 Loutres. j
5,969 (Mink.)
3,958 (Fisher.)
'17,710 Ours.
i,65g .Oursins
126,794 Daims en poil..
202,719 Chats musques.
io,854 Racoon.
2,977 (Open-eat.)
5,70a (Cased-cat.)
7,-555 Elk.
12,92-3 Loups.-
5o6 Jeunes Loups.
64 Tigres...
i57 (Seals.)
480 Ecureuila.
Quoique un grand nombre de casualkes da'nM
la chasse , dans le tems, dans la disposition
des sauvages, doivent produke des differeWcejM
dans la quantite des pelleteries obtenue an-
nudlement, le resultat des cinq annees; qui
ont suivi 1786 est a peu-pres le meme; ce qui
est assez etonnant dans un commerce qui s'e-
tend~depuis le Labrador jusqu'a trois ou quatre
cents lieues du lac superieur.
(m )
Valeur des marchandises importees dans la
Province, la meme annde 1786, prouvce
par les livres de la douane.
Bhum 63,o32 liv. st.
Esprit-de-vin 225. »
Melasse 2i,58o. »
Cafe 2,o65. .*?>».[)
Sucre 5,269. »
"Vins d'Espagne..... 01,288. »
Tabac i,3i6. »
Sel... 2,91a. »
Chocolat 129. »
Total 127,616. »
Une evaluation exacte de la valeur des marchandises s6ches, n'ayant pas ete reguliere-
ment tenue , elle fut etablie en vertu d'un
ordre du lord Dorchester, par les negocians,
&apre.s la moyenne de quatre annees, comme
il suit:
Montant de la somme ci-dessus 127,616 liv. st.
Marchandises pour Quebec 99-700- *
Idem pour Montreal 97>8°°- »
. Total de Importation 325,116. »
Exportation 043,214. 9.
Avantage en faveur du Canada 18,098. 9.
P4
( 2.32 )
Outre les importations ci-dessus, il fatfB
calculer la valeur de 6709 barrils de pore sale
et 1674 petits barrils de beurre de 5o a 60 liv.
pesant, pour l'usage des militaires.
Les annees suivantes, 1787, 88, 89 etgo,
ont ete a peu-pres egales a 5 ou 6000 livr^B
plus ou moins.
Je repete , en finissant ce compte Succh-M
du commerce du Canada , qu'il est la copfM
fideie du journal de M. le comte AndriariilB
dont un de ses amis , a qui il l'avait communique , m'a bien voulu permettre de fairjB
usage ; les lumieres , le caractere de M. le
comte Andriani, et la facilke que les ordres
du gouvernement anglais lui ont procured
pour ses recherches , me donnent une grande
confiance dans les informations qu'il a recueil-
lies ; je n'ai pu les verifier moi-meme ; et l'on
sent que les quantites et les prix ont pu rece-
voir quelqu'akeration depuis l'epoque ou il
ecrivait.
Depart d'Oswego.
Le dimanche 26 juillet, lendemain de notre
arrivee a Oswego,' averris par les officiers que
le tems de la moisson rendait les passages des
bateaux americains moins frequens , et que
( 233 )
probablement nous en attendrions un plusieurs
jours , et apprenant aussi que la seule autre
chance que nous eussions etait d'aller chercher a pied , a douze milles plus loin, la pos-
sibilite douteuse que les settlers qui y etaient
etablis , nous fourniraient un bateau , nous
etions combattus par Vim-patience de quitter
les possessions anglaises, et par l'effroi de la
grande depense que nous couterait un bateau,
loue pour nous seuls, lorsque du haut du
bastion nous en avons decouvert un le long
des cotes. Les soldats a qui la haine et le
mepris des Americains sont enseignes comme l'exercice , voyant notre attention a
considerer cette arrivee , et n'en sachant
pas le motif, nous disaient : « oh ! ce n'est
3> rien, c'est un bateau de ces damnes de
■» yankees » , et c'etait precisement un bateau
de yankees que nous desirions. Ce bateau
amenait M.. Vanallen , americain , habitant
des environs d'Albany , qui, bientot apres ,
est monte au fort poor y-demander quelques
nourrkures fralches , afin d'achever de se re-
mettre d'une fievre intermittente qu'il avait
altrappee dans les bois. Iln'y a point de taverne
au fort, par consequent, point de moyen.
d'acheter ; les officiers , avec un peu de bonne
disposition, auraient bien pu aider de quel;
( 234 )
ques legumes ce pauvre vaietiidinaire ; mais
aider un Yankee , il n'y a jamais de necessitelBJ
ni meme de convenance pour un officiefB
anglais.
Tout desappointe qu'a ete M. Vanallen , de
ne point trouver a Oswego les secours qii'iiB
esperait pour sa convalescence, il ne nous
en a pas moins promis deux places dans
son bateau ; mais il ne devait se mettre en
voyage pour Albany que le lendemain ,
meme peut-etre deux ou trois jours apres ,
selon qu'il serait rejoint par trois autres bateaux qu il attendait, et qu'il retournait chercher dans le lac , a un rendez-rous donne.
Nous avons done vu un moyen sur de quitter
Oswego , et Fardeur que nous avons mis a le
chercher ne laissak a nos botes aucun doute
sur rtotre empressement. Cette securite nous a
inspire de la patience ; les officiers anglais,'
beaucoup plus genereux pour nous que pour
le Yankee , ont voulu absolumentnous donner
des provisions ; ils l'ont fait avec une libera-
Ike egale a toute la bienveillance qu'ils nous
avaient deja montree.
Cependant deux jours entiers s'etaient deja
passes depuis notre arrivee , et le troisieme'
commencait a nous peser beaucoup , quand le
matin reste seul au fort pendant que les offi-
(235)
tiers et du Petit Thouars avaient ete a la
chasse et a la .peche , braquant ma lunette
sur la cote , d'ou j'attendais notre-deliyfance ,
j'ai vu parattre deux bateaux ; mes paquets
ont ete promptement faits , mes provisions
xassemblees ; c'etoit M. Vanallen ou quel-
qu'autre qui prenait la route des Etats-Unis,
et nous etions decides a saisir la premiere occasion. C'etait e^fe^tivement M. Vanallen ; un
seul de ses bateaux l'avak rejoint et il s'etait
determine a ne pas attendre les aktres : mais
il etait midi , ces bateaux etaient tres-charges;
un rapide a passer a deux milles d'Oswego ,
devait employer assez de tems pour qu'il ne
put pas raisonnablement esperer d'aller loin
dans la journee; il nous proposait de le re-
joindre a pied le lendemain- matin vers quatre
heures ; nous avons prefere d'aller le soir
/meme partager satente, et alors bien surs de
quitter Oswego dans l'apres-midi, nous nous
sommes livres plus a notre aise que nous ne
l'avions fait encore a la reconnaissance , al'ai-
sance , a lacordialite avec les officiers Anglais,
de qui , en verke nous ne pouvions jamais
assez nous louer ; ils ont pousse les procedes
jusqu'a vouloir nous conduire a notre glte, et
ils nous ont donne en nous quittant des te-
moignages d'interet que nous ayons reeus ayec
(236)
la sensibilke que redlement nous eprouvions,
Puissions-nous jamais trouver une occasion de
les trailer aussi bien que nous l'avons ete
d'eux.
Les moustiques qui nous ont passablement
tourmente , ne nous ont pas cependant fait
regretter le parti que nous avions pris de venir '
trouver M. Vanallen, et tout en nous grat-
tant et ne dormant pas, nous avons joui de -
n'etre plus sous la ferule de son excellence ''
M. le gouverneur general de tous les Candidas.
RETOUR
D U
HAUT-CANADA.
J U S Q U'A BOSTON.
Route
puis Oswego jusqu'auoc
Chutes.
JM ou s nous sommes mis en route au lever du
soleil; nous n'avons pu cependant.faire dans
toute notre journee plus de dix milles ; la navigation de la riviere d'Oswego est aussi peni-
ble que navigation puisse etre ; presque jamais
assez d'eau pour pouvoir aller meme a l'aide
des perches. Il est vrai que nos deux bateaux
etaient charges chacun d'environ un tonneau
et demi, et ils n'avaient chacun que trois
hommes pour la manoeuvre ; le notre etait de
plus aide par duPetk-Thouars qui poussait a
la'perche aussi constammenf que les autres ;
qui, comme eux > a passe plus de trois quarts
de la journee dans l'eau a soulever le bateau ,
pour le faire passer , avec un peu moins de
difficuke, sur les rocs dont cette riviere est
"fr
II
1
( 258 )
remplie, et dont aucun autre moyen ne nous
aurait tire. Dans cinq ou six passages les efforts I
separes de nos equipages n'etaient pas suffi- i
sans; il leur a fallu se reunir pour mettre sue- %
cessivement nos deux bateaux en mouvement. I
On dit que des bateaux moins charges passentl
avec moins de difficuke , que sur-tout en des-1
cendant, le courant aide beaucoup a en sortir ;
qu'en automne, et plus encore au printems 9
la plus grahde abondance de l'eau rend nulles I
presque toutes les difficukes qui, aujourd'hui , I
nous arretent, cela se peut; mais une naviga- I
tion qui n'est aisement pratiquable que pen- .
dant deux mois de l'annee , qui ne Vest qu'en I
descendant, et qui est la seule aujourd'hui I
connue pour faire sortir des Etats-Unis toutes I
leurs productions , et pour y amener toutes les I
denrees qui viennent et viendront des lacs, ne
peut certainement pas rivaliser avec celle du
fleuve Saint-Laurent; toute imparfaite qu'elle
est. Sans doute VEtat de New-Yorck, dans le
terrkoire duquel est cette navigation, et a qiuJH
elle est d'un plus grand intent qu'a aucune
autre , reunira tous les moyens possibles pour
la rendre facile ; on assure meme que la legislature s'en occupe serieusement; mais a quel
point cette importante tache est-elle possible?
Voila ce qu'un long et profond examen des
( 23g )
difficukes peut seul faire connaitre. II suffif.
d'y passer, pour etre sur qu'elle presente de
grands obstacles.
Cette journee ne nous a rien montre d'inte-
ressant; aucun settlement depuis Oswego jus-
qu'aux Chutes. On passe aupres d'une ile qui
conserve le nom d'un officier francais Brescrit
qui, dans la guerre de sept ans , y a remporte
un avantage sur les Anglais et les Indiens combines ; cette ile, comme tout le reste du pays
que nous avons traverse , n'est que bois.
A deux milles en avant des chutes est une
maison occupee par Van Verberg, hoilan-
dais , accuse dans le pays de denoncer a la
garnison du fort la contrebande qui se prepare pendant la nuit, et d'etre aussi espion
anglais pour les deserteurs. Cette opinion que
d'apres ce que nous avons entendu dire au
fort , nous avons raison de croire juste, est
si repandue , que l'annee derniere, sur les
bruits de guerre entre l'Amerique et I'Angleterre , cet homme", pour ediapper a la vengeance de ses voisins se crut oblige de de-!
mander asyle a la garnison.
Au lieu ou la navigation est interrompue;
nous nous sommes arretes chez William
Shorten; il tient taverne , c'est-^-dire qu'il
recoit dans la seule chambre dont sa maison
111111" - «
(m)
est composee , les voyageurs qui veulent y
coucher, et qu'il leur donne du pore saleJ^B
du rhum; ses moyens ne s'etendent pas phB
loin. Nous sommes arrives neuf chez lui,
perces jusqu'aux os , car la pluie avait mouillB
ceux qui ne Vetaient pas pour avoir traine IjB
bateau. Un bon feu nous a sedie successive
ment; quelques tranches d'un jambon que
nous avions apporte nous ont restaure , et
du Petit Thouars et moi nous avons partage
un mauvais lit; que nous avons trouve bon;
la fatigue imperieuse m'a fait passer sur la
grande repugnance que j'eprouve a partageB
ainsi un lit , et sur le desagrement derJB
couche au milieu de tant de monde, de tant
de bruit et dans une aussi petite place.
Chutes d'Oswego et Peniers.
"Le portage qne les chutes de la riviere
d'Oswego rendent necessaire , est d'environ
un mille; mais William Shorten, chez qui
nous etions , n'a qu'une pake de bceufs, ef
nous avions deux bateaux tres-charges ; les
bateaux ont exige chacun un voyage ; les
charges quatre; les Americains ne ^sont pas
expedkifs , nous n'avons done pu avoir nos
bateaux rendus et charges au lieu ou la na-
(24l )
vlgation recommence qu'a pres de cinq heures
du soir; alors s'est eleve une querelle entre
notre compagnon M. Vanallen et les deux
chefs conducteurs de nos bateaux, qui sont
a ses gages ; ils etaient ivres ; ils 1'ont tr6s-
^naltraite; il les a damnes, et ils lui ont dit
en retour autant d'injures que leur memoire
bien fournie a pu leur en rappeler. Comme
cette affaire etait a moitie finie , un autre
homme du voisinage est venu redamer de
M. Vanallen quelqu'argent pour les gages de
•sonfils, employe pendant quelques jours sur
ses bateaux. Cette petite querelle s'est terminee
it l'amiable ; M. Vanallen nous a mene cou-
cher chez le plaignant, et a pour cette reconciliation sacrifie quelques milles que nous
aurions pu faire de plus dans la soiree.
Pour cette fois nous n'avions meme pas
de lit; nous avons cou'che peie-mele, notre
compagnie, nos bateliers , le mari, la femme ,
les enfans, males et femelles, dans une cham-
bre de douze pieds en carre, et comme nous
n'avions fait qu'un mille a pied, un mille et
demi en bateau, la fatigue ne nous etait d'au-
cune ressource pour nous faire trouver le
plancher doux , et pour nous rendre moins
.sensibles aux moustiques et aux puces.
M. Vanallen, dans le bateau de qui nous
Toms li, * Q '
( 242 )
voyageons, est un membre du Confines poureS
le comte d'Albany dans VEtat de New Yorck.
Jl est, de plus , arpenteur; sou age Pt sany fJoute
ses talens semblent lui donner la confiance
de son canton
II etait charge, cette annee , de faire Tar-
pentage de plus d'un demi million d'acres si^M
tues sur le lac Ontario et le fleuve SaintrjB
Laurent , a-peu^pres vis-a-vis de Carletoii-
island.
Il 1'avait commence des l'annee derniereJB
La maladie de la plus grande partie des ar* I
penteurs qu'il avait avec lui a contrarie ses I
operations ; que, d'ailleurs, la variation con-,
siderable de ses aiguilles aimantees en appro- I
chant de certains rochers eut rendu a elle
seule impossible a completter. Il a eu lui-
meme la fievre , car tout le pays en est infecte;
elle se prend en parcourant les bois , comme
en habitant aupres des rivieres.
M- Vanallen est, d'ailleurs , juge de paix ,
et en consequence son equipage l'appel^fl
Squire quand il ne le damne pas. C'est un
homme de soixante ans , que Ton dit instruit
dans sa partie, et qui parait bon et sage.
On ne trouve aux environs d'Oswego, que
de tr£s - nouveaux settlemens. M. Shorten ,
chez qui nous avons couche le premier jour I
( 2/f3 )
n*y est etabli que depuis le printems ; il avait
achete cette terre il y a trois ans, a raison
de trois pences l'acre, et il peut la vendre
aujourd'hui douze schellings ; il possdde trois
cens acres , dont dix a peine sont cleared.
11 est a la rive droite de la riviere; les terres
de la gauche sont ce qu'on appelle les terres
militaires; celles donnees par l'etat de New-
Yorck, a chaque soldat apr6s la guerre. William Peniers, chez qui nous avons couche"
le second jour, a paye, il y a deux ans ,
un lot de ces terres militaires , trois schellings l'acre au soldat auquel il avait et6
donne.
Les chutes d'Oswego ont a-peu-pres dix
pieds de haut; la largeur de la riviere y est d'un
demi-quart de mille , la vue n'en est pas sans
agrement. La brisure d'une partie de la table
de roc, de laquelle tombe cette eau , et Vir-
regularke de sa forme, produisent des effets
assez piquants mais petits. A la rive droite
et vers la chute , sont les vestiges d'un an-
cien fort frangais ; une petite log-house est
batie aupres de son enceinte : le proprietaire
fait aujourd'hui construixe au pied de la chute;
un moulin. a grain.
«*
( 244 )
Three-rivers point. Et squire Bingham .-
II est peu de positions dans le Monde, que
l'on ne puisse envisager sous un cote moins
defavorabie; et'c'est assez mon occupation
familiere depuis quelque tems. L'ayantage
d'un mauyais glte est de hater le moment
du depart. M. Vanallen , apres avoir paye
son raccouiodement avec M. Peniers de beaucoup de carresses pour les petits enfans, de
complimens pour les plus grands , et d'un I
petit present de chocolat a mistriss Peniers,
s'est done empresse de se mettre en chemin.
'Avant cinq heures, nousetions dans le bateau,
et toujours au milieu des bois , sans rencon-
trer, pendant onze milles , encore un seul
arbre abbattu ; nous sommes enfin arrives ,
partie en ramant, mais plus frequemment encore en usant du secours des perches, aux
rapides des trois rivieres. La, les gens inu-
tiles ont du quitter le bateau'. M. Vanallen
et moi, nous sommes debarques , et nous
avons gagne une petite hute , ou. nous avons
trouve une famille recemment ecbappee a la
fievre, cccupee a couper a la faulx un bled
si clair qu'il n'y en avait pas dix grains at,
perdre. Mais ces bonnes gens n'ont pas de
yoisins; il faut qu'ils fassent-tout eux-memes j
(245)
de huit enfans qu'ils ont, un seul qui a neuf ans
peut un peu les aider ; les ouvriers ne pourraient pas s'obtenir la meme pour de Vor ; ils
n'ont pas de cridec, (faulx a rateau ) et mieux
vaut perdre les trois quarts de leur chetive
recolte que de la perdre toute entiere. Ces
pauvres gens, etablis depuis un an sur cette
terre, ont constamment la fievre; ils etaient
proprietaires de douze cents acres ; six cents
par donation de l'Etat, le mail ayant ete
soldat, six cents autres qu'il avait achete il
y a deux ans, dix schellings l'acre, et dont
l'extreme necessite les a force a en vendre
trois cents, au modique benefice de deux
schellings l'acre. Ces honnetes gens cultivent
un jardin; ils en ont ediange quelques productions contre quelques livres de pore, que
M. Vanallen leur a donne d'autant plus vo-
lontiers qu'il crok le retour de sa sante attache
a une nourrkure fraiche. Ces gens paraissent
bons et laborieux; la femme, quoique mere
de huit enfans , et relevant de la fievre, est
encore jolie ; ils' m'ont aussi donne quelques
pommes de terre, quelques concombres , et
ne voulaient pas reeevoir mon argent.
Les rapides passes a grande peine, nous nous
sommes r'embarques ; une navigation moins
penible que les precedentes nous a amenes ail
Q3
(246)
point ou la riviere Oswego, rencontrantl'O/zo/*-
daga-river, qui sort de petits lacs , change
de nom et prend celui & Oneyda. Pour etre
litteral, il faudrait prendre cette nomenclature en sens inverse , puisque nous remontons
la riviere, et que c'est reellement YOneyda-
river , sortant du lac Oneyda , qui rencontre
et recoit Y Onondago dans cet endroit, et
prend le nom d'Oswego; mais jecris comme
je voyage , et dans les pays nouvellement
connus, ou l'on arrive aux rivieres par l'em-
bouchure , cet ordre de nomenclature est
tres-uske ; il a lieu par-tout en Amerique.
Toute la partie du pays que nous avons
parcourue, depuis Oswego, est dans le comte
-jOnondago , qui s'etend jusqu'au lac Oneyda,
et qui, dans une etendue de pr6s de 1,800,000
acres dont il est compose, toutes excellentes
terres, n'est, par le dernier denombrement,
peuple encore que de 3,000 habitans.
Le Three-rivers point, ( c'est ainsi que se
Xiomme cette place ) est un point interessanljW
c'est la que la navigation qui apporte toutes
les denrees du pays de Genessee par les lacs,
et les sels de la source salee , qui est a
1'entree du pays Onondago , se reunit a celle
quiamene les denrees de la riviere des Mohawcs,
d'Albany , et par consequent de toutes les
WW
provinces de l'Est. Jusqu'ici la navigation est
bien plus frequentee d' Albany -aux lacs du
Genessee et Vice versa , que d'aucuns de ces
points au lac Ontario. Mais on peut prevoir
le moment meme assez prochain , ou ce point,
qui ne contient aujourd'hui qu'une seule ta-
verne pour tout etablissement, sera l'empla-
cement d'une ville de quelque consequence.
A present' c'est une des places les plus mal-
saines de ce pays , qui Test beaucoup : M.
Vanallen, qui a achete a Kingston de la fa-
rine a six dollars , et du pore a huit pences ,
et qui, par une faveur ou un aveuglement
particulier des officiers anglais, est parvenu
a les faire entrer dans la riviere d'Oswego ,
comptait les vendre ici avec beaucoup d'avan-
tage ; il s'etait deja defait, a Oswego falls,
de quelques barrils de farine a huit dollars;
il comptait envoyer sa cargaison entiere aux
Saltsprings, ou il nourrissait Vespoir de la
vendre dix dollars. Mais il a appris ici que
la reunion pour le traite avec les Indiens
n'aurait pas lieu ; que le pays etait plein de
denrees comme les siennes , achetees a un
prix tres-inferieur a ses pretentions , et que
l'argent y etait fort rare. Il a done fallu re-
noncer a ses flatteuses esperances, et se determiner a aller plus loin chercher des ac-.
quereurs. Q 4
(248 )
Sur ce desappoinrement, je fondais Vespok
de gagner encore quelques milles dans Vapre^B
midi, quand un bateau venant de Saltsprings,*
a apporte MM. Rensselaer, Henry, Stouts,
habitans considerables d'Albany. Le premier
d'entr'eux etait dans l'abbatternent d'un acces
de fievre qui venait de le quitter , et qui
avait tous les caracteres d'une fievre interna
mktente. Ces messieurs ne voulaient pas aller
plus loin. M. Vanallen leur a propose de re^l
mettre son depart au lendemain, pour voyager
avec eux ; il nous a presente a eux, et quelques
coups de bon vin qu'ils portent avec eux,
car ils voyagent avec toutes leurs aises, ont
console du Petit-Thouars et moi de ce deiai.
Il n'y avait que des malades dans la maison ; le mari , M. Bingham Squire, relevait
de la fievre ; sa femme en etait encore atta-
quee , et etait au lit; ses enfans , ses domes-
tiques 1'etaient aussi, ainsi qu'une jolie per-
sonne de vingt ans , que nous deyions supposer
mariee, puisqu'elle nourrissak un enfant de
deux mois , mais qui n'etait que l'objet mal-
heureux de 1'abandon d'un hovume qui lui
avait promis de 1'epouser.
Tout ce monde etait malade dans la meme
chambre ou nous avions dine , dans celle
ou nous devibns coucher, car la maison n en
( 249)
a encore qu'une; les nouveaux arrives appor-*
taient une tente bien fermee; ils ont declared
preferer y passer la nuit k respirer l'ajr fie-
vreux du log-house. La* peur d'un retour de
fievre a pris a M. Vanallen, qui a fait tendre
aussi au bord de I'eaa la sienne, qui n'est
que sa voile , et nous nous sommes , a l'ac-
coutumee , enveloppes dans nos couvertures.
J'y dormais deja , quand le maitre de la
maison est venu me reveiller , m'appelant
docteur; il m'avait vu dans la journee , prendre
interet a tous ses m^lades , m'informer avec
soin de leur situation, de leur traitement;
il en avait conclu que j'etais medecin : Docteur , disait-il , « de grace reveillez-vous ; si
•>~> vous ne venez pas sur-'
*> de cette jeune femme
1 docteur qui est venu i
» avait laisse des mede
dd d'hui, annoncant qu'elle serait guerie. Elle a
» toujours ete de mai en pis ; il n'y a plus
» de medecines; donnez-lui done quelque
D3 chose pour l'empecher de mourir. » Quoi-
que je fusses long-tems a me reconnaitre,
au titre de docteur, et que j'assurasse que
je ne le meritais pas', le Squire Bingham pre-
nant nia modestie pour de la desobligeance
ou de Ten vie de dormir, ne m'en pressak que
2-cha
au
mou
sec
elle
va
Le
y a
hm
t- joi
irs
lui
nes
use
[u'a
au]
our-
r
( 25o )
idavantage. Heureusement j'avais dans mes
sacoches des poudres de James , que j'avais
recues avant mon depart, de l'obligeance de
M. Bordley de Phyladelphie. L'idee qu'elles
pourraient etre employees utilement dans ce
cas desespere , m'a done fait repousser avec
moins d'obstination la confiance de ce pauvre
homme , et je me suis laisse conduire au lit
de la malheureuse fille, que j'ai trouve en-
fiee, couverte de taches livides , delirante.
Mes poudres de James ne pouvaient avoirB
d'inconvenient, mais en les cherchant , je
n'ai pu trouver le papier qui m'en indiquait
les doses , que m'avait aussi donne M. Bor- •
dley, et qui m'etait d'autant plus necessaira
que je n'avais jamais vu administrer ce remede.
Marquer de l'incertitude, eut ete diminuer
le credit que l'on m'avoit donne sans motif,
mais qui alors etait necessaire a conserver.
J'en ai donne vingt grains dans du vin de
Madere, avec assez de confiance; la malade
l'a pris avec plus de confiance encore , et
quatre heures apres, le Squire enchante, est
venu me reveiller une seconde fois , pour
m'annoncer le bon effet de mon ordonnance;
elle avait provoque une sueur abondante, avait
produit les evacuations quelemedecind'Onon-
dago cherchait sans succes depuis huit jours*
( a5i )
Le lendemain, avant de moftter a cheval,
j'en ai fait prendre encore dix grains , j'en
ai laisse une dose de plus, et je suis parti
combie de benedictions de cette pauvre jeune
personne,' qui baisait mes mains , mon habit,
qui ne voulait pas me laisser partir : j'ai laisse
du quinquina a mistriss Bingham, pour qui j'ai
ete consulte aussi, et remercie de tout le
monde. Heureux d'avoir aussi bien devine ,
j'ai quitte la pointe des trois rivieres , empor-
tant une haute reputation de savoir. La mau-
vaise etoile de cette jeune personne , que le
squire Bingham logeait chez lui depuis huit
mois par bienveillance , avait amene cette
nuit dans cette taverne l'homme qui Vavait
seduite , et qui , en osant paraitre devant
elle, insukait a sa position ; il etait arrive
dans un bateau en chemin pour le Genessee,
ou il allait chercher de l'ouvrage. Les convulsions en ont pris a ma pauvre malade ,
mais les poudres ont triomphe meme des,
convulsions, et le bateau etait parti des la
pointe du jour.
On juge qu'arrive a Philadelphie , j'ai fait
hommage de cette cure a M. Bordley , qui
m'a fait fremir de mon essai en medecine ,
en me disant que jamais , dans aucun cas ,
les poudres de James ne se donnaient a-la-fois
J
f
(252)
a une dose de plus de sept grains; mais la
pauvre femme etait saUvee, et peut-etre ne
l'aurait-elle pas ete a la rigueur de 1'ordonnanceB
La place ou est la taverne , appartient avec
quelques acres de terre, au squire Bingham S
qui en a une assez grande quantite un peu
plus loin; toutes ces terres seraient bonnes si
elles n'etaient pas plates , inondees, mareca-B
geuses; l'eau y est detestable, et l'air infecte.
Le gouvernement de Vetat de New - Yorck ,
sur la crainte de la guerre , a fait l'an dernier environner cette maison de palissades ,
pour la mettre a 1'abri d'un coup de main*
des Indiens; elles ne peuvent gueres etre plus
mai placees.
Rotterdam
et Lac Oneida. JM. de
Vatines.
La navigation, jusqu'au lac Oneyda , est
moins difficile qu'elle ne 1'avait ete les jourJB
precedens ; la, die est entierement bonneJB
nous avons voyage de concert avec les habitans d'Albany, dont Vun est frere du lieutenant - gouverneur de Vetat de New - Yorck ,
1'autre un des plus riches negocians d'Albany
le troisieme homme de loi , en reputation
dans cette ville; ils sont polis avec simplicke.
1
( 253 )
Nous nous sommes arretes le 3 au fort Brumpl
ton, a l'entree du lac. Cette maison est encore entouree de palissades plantees l'annee
derniere ; elle est aupr6s d'un ancien fort en
terre, construit par les Anglais, dans la guerre
d'Amerique. II etait bien place pour empecher
l'entree et la sortie du lac; le retranchement
est compose d'une suite de Redans; ce qui
en reste ne permet pas de juger comment le
canon pouvait y etre avantageusement place.-
Voila les antiquites du pays ; des restes de
forts de la guerre de 1776, ou lout au plus
de celle de 1756. C'est avec les siecles futurs
que l'imagination doit vivre, si elle veut s'exer-
cer dans ces nouvelles contrees. II n'y aura
de siecles passes que pour les generations k
venir.
Le maitre de la maison en etait parti depuis
la veille, pour aller passer deux jours a Rotterdam ; une fiile de quatorze ans avait et&
laissee a la garde du menage et d'un petit
frere malade ; die le soignak d'une maniere
touchante. Cette pauvre enfant nous a fait les
honneurs de la maison de son mieux; mais
il n'y avait rien , et nous aurions ete oKBgeS
de nous contenter de quelques pommes' de
terre , encore petites , que nous arrachions
dans le champ, si des Indiens campes de
( 254 )
Vautre c6te de la riviere, ne nous eussent apB
porte un gros brochet qu'ils avaient harponne
le matin.
Nos equipages fatigues s'etaient d'abord reM
fuses a la proposition de nous conduire le soir
a Rotterdam a dix milles dans lelac. L'exiB
guiie de mes provisions a change leurs dispositions et les a ramenes d'eux-memes a cam
projet, dont nous n'osions plus leur parler.
Rotterdam est un nouvel etablissement,
commence il y -a seulement dix-huit moisBr
M. Sereiber, riche negociant hollandais, eiM
proprietaire d'un grand tract de terre , qui
s'etend du lac Ontario jusques sur le lac
Oneyda. II a choisi l'embouchure de Brucesm
creek, pour y placer sa ville principale; il e™
a commence une autre sur le Littlesalmon-?
creek, a deux milles du lac Ontario. Bruce-
creek est encore navigable a quelques milles
au-dessus de Rotterdam. M. Sereiber a oujB
vert une route jusqu'a sa nouvelle ville ; aujourd'hui les etablissemens ne sont rien encore ; une douzaine de mauvaises log-houses
baties presque toutes aux frais de M. Sereiber/
composent toute la ville de Rotterdam, ainsi
nomm.ee en honneur de la patrie de son fon-
dateur. Des digues pour i'usage de deux moulins qu'il fait construire, lui ont coute beau-*
( 255 j
coup d'argent; toujours mai fakes jusqu'ici,
il a fallu les recommencer plusieurs fois; le
moulin a grain n'est pas encore construk, et
ces digues semblent encore trop faibles pour
la masse d'eau qu'elles doivent contenir et
diriger. Des ouvrages assez dispendieux a l'entree du creek, n'en ont pas non plus rendu
encore l'abord facile. On estime la depense
deja faite par M. Sereiber, en constructions
et en chemins , a plus de 8000 dollars. Si les
ouvrages etaient bien faits, ce serait une depense bien entendue. II eleve a present une
belle maison en menuiserie , ou il va placer
un store dont il partage les profits avec deux
associes, qui le tiennent, et qui sont ses agens
pour tous ses ouvrages; un store est la comme
par-tout ailleurs en Amerique , le meilleur revenu que puisse se procurer l'homme qui fait
beaucoup de depenses dans un nouvel etablissement. M. Sereiber repompe done par le
sien tout l'argent qu'il depense pour ses tra-
vaux. II fait vendre, par exemple, 4 schellings
et demi le quart de brandy, 3 et demi celui
de rhum ; 6 pences la livre defarine en detail;
10 dollars et demi le barril qu'il n'achette
pas plus de 7 dollars. Les profits qu'il fait sur
les autres denrees sont plus considerables encore. La terre qui s'est vendue, il y a dix-
( 256 )
huit mois un dollar l'acre, se vend trois a
present; mais n'est pas encore fort recher-
chee. Les settlers actuels viennent de la Nou>
velle-Angleterre et des environs d'Albany.
Les associes de M. Sereiber au store sont
hollandais comme lui; un mulatre en est le
commis. Ce mulatre est aussi medecin; il est
jardinier, il semble avoir eu de l'educationj^B
le dit frere de M. Welth , Vun des associes.
Les ouvriers se payent a Rotterdam quaw|
schellings par jour et nourris, ou six et demi
sans nourrkure, ce qui revient au meme. Les
pensions se payent quatorze schellings par^B
maine sans liqueur. Nous avons pay6 le pain
pour notre provision jusqu'a neuf pences la
livre (a-peu-pres 18 sols de France) ; le prix
commun en est six; celui de la viande fraichlB
quand on en a , est de huit pences ; mail
malgre le nombre constant d'ouvriers • enB
ployes par M. Sereiber , les provisions sont
rares , incertamfes, et le prix en est toujours
par-la fort eleve. Le pays est aussi fievreux
qu'aucun de ceux que nous ayons encore passfjjB
M. Vanallen a trouve ici a vendre toute-IB
cargaison et un de ses bateaux, mais moins
cher qu'il ne l'esperak ; sa farine a huit i^H
lars; il en avait eu huit un qrfart a Oswegofalls.
C'est avee les stores qu'il a fait affaire. Les
marches
(m)
marches ont occupe toute la matinee, etnous
ont donne le tems d'aller voir un francais que
l'on nous avait annonce comme un jardinier
habile. Tout en ramassant des pommes de
terre et des oignons, il nous a montre dans
sa physionomie et dans ses manieres quelque
chose de distingue ; et nous avons bientot
appris de lui qu'il etait jadis seigueur d'une
vicomte pi^s de Lille, fils d'un pere qui a,vait
mange une partie de son bien et depensier lui-
meme; ayant vendu des avant la revolution
sa petite seigneurie 24,000 liv. pour les faire
prosperer en Amerique , et les ayant tous
mange en depenses folles, en entreprises in-
considerees dans les villes, ce qui l'a reduit
depuis trois ans a travailler a la terre. II s'ap-
pelie Vatine. Il demeure depuis trois ans autour du lac Oneyda: il en a passe un avec les
Indiens, dont il se loue beaucoup; puis dans
'une ile au milieu du lac , ou il vivait seul avec
sa femme , et ou il a defriche une vingtaine
d'acres ; enfin il est etabli depuis quinze mois
a Rotterdam , ou M. Sereiber en lui vendant
cent acres a mis dans la condition de sa vente
la plus grande obligeance. L'instabilke du ca-
ractere de M. de Vatine a, meme de son aveu,
plus influe sur tous ses changemens de domicile qu'aucun calcul reflechi. C'est un
Tome II. B.
( 258 )
homme de trente ans, gai, dispos, toujours
riant, accoutume au travail, ne s'en plaignant
pas, mais ayant pris en grippe les Americak«
parce que, dit-il, ils n'ont aucune bonneV^H
dans leurs marches , et sur tout parce qu'ils
sont tristes. II vit cependant bien avec tous
les habitans de Rotterdam, quoiqu'il les trouve
d'une beaucoup plus mauvaise espece encore
que les autres. II les aide dans leurs travaux,
en est aide dans les siens, et leur vend le plus
cher qu'il peut les produits d'un petit jard^B
qu'il cultive tres-bien en legumes. Sa joie en
voyant des compatriot es a ete extreme ; il eut
voulu nous donner tous les legumes de son
jardin sans recevoir un sol de nous. II ne reve
qu'a la France, qu'au moment ou la paix lui
permettra de retourner dans un pays qu'il pi e-
fere a tout autre, dtit-il n'y manger que du
pain; il aimerak mieux y vivre miserable , que
d'habiter dans tout autre pays ouil seraitriche.
Cette disposition est la meme dans tous les
Frangais. Il nous a demande avec un grand
intent des nouvelles des armees de France,
et de leurs succes. Il paralt par sa conversation
avoir plus d'activke que d'esprit. Ses opinions
sur la revolution sont celles d'un honnete
frangais. II avait des livres dont le choix par-
lait k son ayantage. Montesquieu , Buffon,
( 2591
Corneille , beaucoup de voyages; apres avoir
vendu ses bijoux, puis ses habits , puis son
linge , il a fallu vendre la bibliotheque , et la
vendre a moitie et moins encore que le prix
qu'il en aurait eu a New-Yorck ou a Phila-
delphie; carle maitre du store pouvait seul, a
deux cents milles aux environs, en procurer
la vente ; et il en. a fait profiler un riche hol-
landais qui s'etablka quelques milles de Rotterdam. Nous avons voulu voir madame de
Vatine ; c'est une femme de vingt quatre ans,
jolie , bonne ; elle a sur-tout des yeux agrea-
bles , un regard doux et expressif; elle parait
ainsi que bien d'autres femmes , aimer son
mari avec plus de tendresse qu'elle n'en re-
autres , ils projettent de grands etablissemens;
que M. Desjardins qui semble riche est marie
et batit une maison a Albany. Tout cela nous
est dit par M. de Vatine , que nous avons
quitte en nous promettant mutuellement un
bon souvenir. Rotterdam est dans le comte
Herkemer et sur ses limites.
Le lac Oneyda a 28 milles de long; nous
en avions done dix-huit encore de navigation
a faire avant de le quitter. A l'exception d'une
ferme que fait construire.ee meme M. Vand-
wcamp qui a achete les livres de M. de Vatine,
ferme a cinq milles de Rotterdam, on ne voit
pas une seule maison, un seul defrichement
sur aucun bord du lac ; des bois eternels, des
terres mediocres. Du cote nordlepays est plat;
du cote du midi, et vers la tete du lac , les
terres s'elevent davantage , au point de kisser
voir quelques montagnes a dix ou douze milles
de distance, et dans une direction parallele
au lac. Ce sont ces memes montagnes que
nous avions deja vues du lac Ontario, en venant
de Kingston a Oswego. Le lac Oneyda a cinq
ou six milles de large. C'est vers les cotes sud-
est, et a quelques milles dans les terres, quest
le village indien des Oneydas. Cette nation
est actuellement occupee d'un traite par le-
quelle elle doit vendre a l'Etat de New-Yorck
R 3
Tf
(262)
la plus grande partie de ce qu'on lui avait reserve de terres. J'ignore les conditions du
traite ; je sais seulement que l'etendue de 12
milles carres lui doit etre encore reservee en
propriete avec toute garantie, et lapeche dans
le lac. Peu d'annees plutot les Oneydas etaient
maitres de toutes ces terres immenses livrees
aujourd'hui aux speculateurs americains.
On ne peut pas deplorer de les voir passer
en des mains qui les mettront plus en valeur,
sur-tout puisque les Indiens sont contens. Mais
n'etait-il pas possible d'etablir des habitations
au milieu de ce peuple, de l'amener a la civilisation par la culture dont l'exemple l'aurait
instruit.
On assure que cette tribu augmente de
population au lieu de dimmuer; c'est le seul
exemple qu'en presentences nations indiennes
connues , et qu'il fallait encourager. Elle a
meme un commencement de civilisation, une
culture mieux suivie qu'aucune autre tribu
indienne.
Au demeurant, on dit que la negociation
ne reussira pas, que le general Skuyler qui en
est charge , et qui veut acheter pour lui presque la totalite de ces terres, trouve du c6te
des Indiens des obstacles qu'a susckes le secretaire d'etat Thymothy Pickering, pique
(2G3)
de n'avoir pas ete mis pour quelque chose
dans les projets de benefice. Ces propos , que
tiennent cependant des gens qui se croient
tres-instruits, peuvent etre une calomnie,
mais n'ont rien d'invraisemblable.
Wood-creek.
Nous comptions faire quelques milles dans
le Wood-c/-eek avant de nous ,arreter, quand
nous avons trouve la compagnie d'Albany
etablie a son entree. Un acces de fievre
de M. Rensselaer l'avait force de fink la
journee a deux heures apres-midi. Ces messieurs nous ont propose de nous arreter; notre
chef y a consenti; nous ne sommes pas toujours consultes dans les determinations, ce
qui est naturel. Nous avons applaudi a celle-
la; mais noire nuit a ete plus occupee a nous
gratter qu'a dormir ; car les maringouins et
les petites mouches sont plus multiplies le
long du Vood-creek qu'en aucune autre partie
de ces deserts. Il nous avait fallu envoyer
chercher de Veau a trois milles a une source
que nos bateliers connaissaient. Cette eau
tres-mauvaise etait excellente en comparaison
de Veau fangeuse, croupie et mephitique du
"Wood-creek; enfin elle pouvait se boire aycc
R 4
( 264 )
durhum. Quelques restes de pommes de terre
de Rotterdam ont fait notre diner. Le biscuit
ne nous a pas manque ; et quoique no" ayous
ete fort mai a peu-pres sous tous les rapports,
nous avons senti qu'on pouvait Vutre encore,
davantage.
Le Wood-creek est la petite riviere du lac
Qjneyda, A son embouchure elle n'a pa.> huit I
toises de lai-ge, et un peu plus haut a peine
en a-t-elle quatre. Son cours est une suite
continuelle de replis tortueux, de sorte qu'il
triple la distance re elle estimee quarante milles
en ligne droite, de sa source a son embouchure. On s'occupe a couper un canal, qui,
en supprimant une partie de ces sinuoskes ,
conserveroit une partie du lit. actuel, La
modique quantite d'eau qui coule dans cette
riviere, est encore embarrassee d'un nombre
considerable d'arbres , que ses debordemeris
du printerns et de l'automne deracinent et en-
trainent. C'est avec grande peine qu'un bateau
peut trouver un passage au milieu de tous ces
debris. II est plus souvent porte par les bate-
liers, que conduit a la rame ou a la perche.
C'est sans doute cette abondance de troncs
deracines, d'arbres entiers qui obstruent et
pourrissent les eaux, qui a valu a cette petite
riviere le nom de Wood-creek (creek des bois).
( 265 )
Autrement elle ne meriterak pas plus ce nom
que tous les creeks, toutes les rivieres, tous
les lacs d'Amerique , qui generalement ne
coulent encore qu'au milieu des bois. Cette
navigation est je crois plus laborieuse que
celle d'Oswego , et surement elle ne Vest pas
moins. II semble difficile d'esperer que le canal
acheve, et meme bien entretenu , la rende
constamment bonne ; ce creek ne recevant
dans tout son cours que le Canada-creek, qui
hors deux mois de l'annee ne lui fournit que
des gouttes ; mais telle est la prodigieuse crue
de ces eaux dans le printerns, que les arbres
sous lesquels nous passons actuellement, en
laissant leurs racines a deux pieds au-dessus
de nos tetes, etaient au mois de mai dernier
assez converts d'eau pour que le bateau qui
nous conduit ait a cette epoque passe par-
dessus eux sans les appercevoir.
Canada-creek.
Quand les bateaux arrivent a Canada-creek,
ils doivent etre decbarges pour faire encore
neuf a dix milles , dont les deux derniers
meme ne peuvent etre franchis si le meu-
nier qui est a la tete du creek ne lache la re-
tenue , ce a quoi il se refuse par fois. La charge
( 266 )
du bateau est transpose par des charrettes
jusqu'a dix a onze milles ; les passagers font
ce trajet comme ils veulent, ou comme ils
peuvent, et les bateaux arrives a tfn mille ou
deux de la source de Wood-creek sontportes
eux-memes en charrette dans Vintervalle qui
separe le creek qu'ils viennent de quitter , et
la riviere des Mohawks , ou ils vont se re-
mettre a flots.
Quant a notre caravanne avec tous les
grands projets qu'elle avait de gagner la tete j
de la riviere des Mokawks , elle s'est arretee
au Canada-creek le premier aout, determinee
a faire partir le bateau au clair de la lune , et •
a s'acheminer elle-meme avec les bagages le
lendemainalapetite pointe du jour. Les terres
ns tout ce trajet sont noires , paraissentd'une
assez bonne qualke , quoiqu'elles ne couvrent
le roc qu'a une petite profondeur.
Pendant toute noire navigation dans le
Wood-creek qui a ete de trente quatre milles,
nous n'avons pas trouve une seule maison et
rien qu'une source Oakorchard, qui a de la
peine a remplir un petit verre en quatre minutes , et qui encore n'est que niediocrement
bonne.
Fort Stanurix.
On est , dit-on , facilement matineux la
veille ; il nous arrive trop souvent de ne letre
pas au moment ou il le faudrak; ainsi on pro-
longe un voyage fatigant, un peu fastidieux;
ainsi on n'attrape pas de bonnes couchees dans
un pays ou deja dies sont bien rares. Mais
c'est un inconvenient attache a une compagnie nombreuse , a des sanies en mauvais etat
et a des personnes qui aiment leurs aises. A
six heures du matin nos bateaux n'etaient pas
partis , les charrettes n'etaient pas arrivees,
et ce n'est qu'a sept heures que nous avons
quitte la taverne de M. Guilbert, que nous
avons trouvee assez bonne , et qui Veut ete
tout-a-fak si liotre compagnie eut ere moins
nombreuse. Nous avions laisse Rotterdam
remplie de malades ; nous en etions distans
de pres de cinqnantermilles ; nous n'avions
vu dans l'intervalle aucune autre maison ,
et la premiere oil nous arrivames n'etait pas
plus exempte de malades. La femme, la ser-
vante , le domestique avaient la fievre , et le
peu de voisins de cette taverne n'etaient pas
mieux traites par la fievre que la famille
Guilbert. Le prix des terres qui ne sont pas
bonnes le long du Wood-creek, puisqu'elles
( 268 )
sont sujettes k l'inondation, est de trois
dollars. Celles autour de Guilbert en valent j
cinq ; elles sont mediocres; les travaux j
du canal font augmenter les pretentions des 1
proprjetaires , car les demandes ne sont pas j
frequentes , et je ne sais en verite qui pour- 1
rait etre tente d'habiter les bords de ce vilain J
creek. MM. Rensselaer et Vanallen, les deux 1
malades de la bande , ont fait le chemin a j
cheval. M. Henry , Stouts et moi a pied , et ]
du Petit-Thouars , dont les bateaux et l'eau \\
sont le plaisir favori, a suivi les bateaux pour I
les aider. II n'est pas, depuis que nous voya- j
geons un seul moment ou. je ne me sois ap- ']
plaudi de l'avoir pour compagnon ; c'est le
plus doux, le plus gai, le plus agreable que |
l'on puisse trouver; jouant avec les enfans, ]
serieux et instruit avec ceux qui en valent la ]
peine ; buvant avec les officiers , ramant avec J
les matelots ,.toujours bon , toujours simple , I
il reussit par-tout.
Tout le terrein occupe par l'extremite des
deux rivieres et leur intervalle s'appele fort j
Stanurix , et tient son nom d'un fort plat e
pour defendre cette communication. C'est I
pour arriver a ce fort que dans la guerre 1
derniere le colonel Saint-Leger, a entrepris la 1
navigation difficile du Wood-creek , rendu.§«
( 269)
plus difficile encore par les arbres que les Americains y avaient jettes k dessein. II reussit
bien a parvenir au fort , dont il faisait le
siege , quand la nouvelle de la prise du general Burgoyne le lui fit promptement livrer;
et j'ai oui-dire par le general Simcoe que dans
cette retraite les troupes anglaises avaient
plus perdu de monde , par l'effroi de leurs
propres sauvages, qui tiraient sur elles , que
par la poursuke des Americains.
Nous nous sommes arretes au dernier point
de la navigation du Wood-creek , et nxes de
sa source.
La taverne de M. Sterney etait encore
pleine de fievreux ; son voisinage en etait
rempli , et tous les jours , nous a-t-il dit, il arrive par cette navigation une grande quantite
de voyageurs, qui n'ont pu ediapper au mau-
vais air et a la contagion du Genessee. La
dyssenterie s'est jointe depuis deux semaines
aux inconveniens de cette redoutable fievre ;
elle est aussi epidemique et plus dangereuse
encore. On en meurt frequemment; depuis
deux jours quatre personnes ont ete emerges
victimes de cette maladie , dont la chaleur et
la sedieresse du tems sont supposees les
causes. A chaque porte ou nous nous sommes
arretes nous avons vu la mime paleur jaune
( 37° )
sur les visages, et regu les memes info*B
mations. Arrives au lieu d'embarquement de
la riviere des Mohawks nous avons trouve
M. Rensselaer dans son acces.Une heure apres
le batelier en chef du bateau de M. Vanallen
est aussi arrive avec la fievre ; c'est le second
acces qu'il avait. Enfin du Petit-Thouars,
l'Hercule de la compagnie , est arrive avec la
courbature, le mai a la tete et le frisson. Ce
malheureux qui en avait eprouve un res sentiment deux jours plut6t, m'en avait garde le
secret pour s'eviter un redoublement d'insB
tance de ma part de moins s'accabler de fatigues. Chacun de nos voyageurs qui ne s'etait
pas encore senti malade , se tatait pour sa-
voir si redlement il ne se trompait pas en
croyant se bien porter ; an annongait hau-
tement la peur d'etre affecte de cette contagion universelle , et la conversation ne portait
plus que sur les moyens d'y ediapper , sur
les nourrkures salubres , sur les remedes pre-
6ervatifs. Ainsi s'est passe notre journee , car
nos bateaux partis depuis sept heures du
matin , ne sont arrives qu'a neuf heures du
soir. La grande quantite des malades du pays,
Voccupation des notres et l'attente des bateaux m'ont contrarie dans les informations
que je voulais prendre; j'ai seulement su que
(n)
le prix des terres est de cinq dollars pres de*
la riviere des Mohawcks , ce qui est pluscher
qu'au lieu de debarquement du Wood-creek ,
dans le meme township, quoique les maisons
y soient plus rares. Le plus grand nombre de3
settlers de ce township , commence il y a seu-
lement six a sept ans , viennent de Connecticut , et sont presbyteriens , quoiqu'il y ait
aussi parmi eux des anabatistes , des metho-
distes et des episcopaux, Les assembiees pour
le culte se tiennent dans les maisons particu-
lieres , et sont suivies assez regulierement;
mais comme il n'y a pas de ministre dans ce
pays , la lecture des prieres fake successive-
ment par un des assistans , est tout ce qui s'y
passe.
Riviere des Mohawks. May ers-tav erne.
J'esperais qu'une demie-journee de courba-
ture serait la seule punition des exces de
fatigue qu'a prisinsensementduPetk-Thouars.
Voila la fievre revenue , et tous les symp-
tomes d'une maladie ; c'est une desagreable
position; nous sommes sans secours. Harasses
de fatigue, bruies par le soleil, dont rien ne
nous garantit dans ce maudit bateau , nous
n'avons pas depuis huit jours couche dans
r
i
11
l
c 272)
un lit. Independament de mon inquietude
pour mon compagnon, je suis pour moi-meme •
pres^e d'avoir fini cette navigation , et tous
les jours de nouveaux delais reculent le moment de notre arrivee a Albany. Nous sommes
au 3 aout.
La navigation de la riviere des Mohawks , ne
ressemble heureusement pas a celle des rivieres ?
que nous avons passees tous ces jours derniers. I
Nous la suivons dans son cours naturel, quoi-
qu'elle soit embarrassee d'arbres dans son lit; I
mais ils peuvent aisement etre evites , et elle \\
s'enrichit frequemment de petits creeks et de ;
sources dont Veau est excellente. II y a quatre
jours que nous n'avions trouve d'eau suppor- ]
table. Les terres, dans le trajet que nous j
avons fait aujourd'hui , sont generalement |
bonnes, mais toujours meilleures a mesure
que l'on s'eioigne de la source de la riviere.
Les settlemens deviennent plus nombreux ,
sur-tout sur la rive droite ; ce n'est qua
une dixaine de milles qu'ils commencent
a la gauche; alors des ponts de bois ouvrent
une communication aux settlers des deux rives. ,
A dix milles du fort Hamwick, les terres
se vendent cinq a six dollars; beaucoup sont
tenues en fermes viageres; le fermier convient
de donner tant par acre au proprietaire, tant
q«
"il
(2?3)
qu'il les tiendra dans ses mains, et la duree
de trois tetes qu'il choisk, est le terme de
sa jouissance ou de celle de ses enfans. L'homme
chez qui nous nous sommes arretes poi
jeuner , tient cent acres de cette mani6re,
mais de la seconde main ; il n'a done pas
choisi les tetes sur lesquelles sa jouissance
est etablie. II a dix-neuf acres seulement de
defriches, n'etant arrive qu'il y a quinze mois;
mais dix de ces acres , semes en bled \\ lui
rapporteront chacun de 3o k 35 boisseaux ,
avec quoi il paiera plus qu'amplement sa rente,
aprds avoir fourni a sa subsistance.
Schuylertown.
Le settlement de Schuylertown , est le plus
considerable que nous ayons encore rencontre,
meme depuis que nous avons quitte Wilkes-
barre, ou plutot ce n'est plus un settlement,
c'est une partie de pays aussi habitee qu'il
se puisse. Elle n'a cependant commence al'etre
qu'en 1785. Le terrein qui alors se vendait
quelques pences , et seulement trois dollars il
y a trois ans , ne peut s'acquerir aujourd'hui ,
dans les environs de la ville , et aussi loin
que quinze milles en arriere , qu'au prix de
dix-neuf k vingt. Le general Schuyler et le
Tome II. S
am
docteur Blight, sont les proprietaires origi-
naires de la plus grande partie de ces terres
qu'ils ontachetees del'Etat. Une route d'Albany
au Genessee, fait de cette ville un grand lieu
de passage , independamment de celui que
lui procure la navigation. Les habitans de
la nouvelle Angleterre composent la plus forte
partie de la population de cet etablissement
abondant et riche ; les terres y sont excel-
lentes , et rapportent de vingt-cinq a trenteB
boisseaux de bled. Les ouvriers se trouvent
«vec facilke ; ils se paient quatre schellinglB
par jour dans les tems ordinaires, six dans
celui de la moisson : le bled se coupe a la
Jaucille. La recolte est excellente cette annee jS
^lle commence a fake baisser le prix de la
farine, qui etait monte jusqu'a neuf dollars.B
On est en pleine moisson, et l'on respiraB
J'abondance.
La ville est composee peut-etre de cent-
cinquante maisons, plusieurs bien baties, deux
eglises dans la ville , une pour les presby-
teriens qui sont les plus nombreux, une autre
pour les episcopaux. Les autres cukes trouvent
leurs eglises dans les environs. Cette ville
est la capitale du comte Herkemer, dont le
dernier denombrement porte la population
k a5,523 habitans. Les prisons et la maison
( 275 )
de Justice ont ete baties il y a trois ans, et
c'est aujourd'hui seulement que l'on commence
a imposer pour leur paiement. Les quottes
de chacun , etablies sur les memes bases que
toutes les autres taxes dans cet Etat, sont
peu considerables. Les impositions ne sont
pas en tout de six pence* a la livre. Un ou
deux pauvres , entretenus par la contribution
publique , sont toute la charge du township
en ce genre. Les routes sont bonnes , le pays
beau et agreable; presque toutes les terres sont
cleared ; le betail est abondant, la viande
fraiche ne manque jamais, elle coute six pences
la livre. Un moulin a grain et" trois a scie dans
l'arrondissement de quatre milles de la ville,
aident a son aisance. Toutes les denrees du
pays, et qui ne s'y consomment pas, s'envoient
l'hiver a Albany. Quelques maisons peuvent
encore augmenter la ville , mais le pays ne
saurait etre dans un plus grand etat de vi-
gueur et de prosperite. Toutes les terres, le
long de la riviere Mohawk, sont de cette
bonne qualite , des arbres forts et sains la
ou le defrichement n'est pas fait encore , de
riches productions la ou la terre est defri-
chee. Le pays est par-tout eleve, sain, bien
arrose. C'est sans aucun doute, une des plus
belles parties des Etats-Unis. La fievre inter-
S a
It
mm
taittente y est ce qu'elle est dans tous les
pays habites et sains ; peu d'individus en sont
atteints. La dissenterie y fait a present quelques ravages.
German s-Fla tts.
Les Germans flatbs ( plaines allemandes )
sont plus belles encore que les campagnes de
Schuylertown. Ce settlement est etabli depuis
a-peu-pres quatre-vingts ans. Des Allemands
et des Hollandais en ont ete les fondateurs,
et depuis , d'autres families venant pareille-
ment d'Allemagne ou de Hollande , se sont
reunies aux anciennes. Tl en arrive encore
souvent de nouvelles , mais il en vient aussi
d'autres parties de VEurope. La langue et les
manieres allemandes sont conservees parmi
ies families originaires de ce pays; mais Vidiome
allemand n'est, pas dans les German's-flatts
comme a Reading et a Lancaster, la langue
unique. Les German's-flatts ont un grand
renom dans toute l'Amerique pour leur fe-
condite. C'est un fond de terres riches de
quinze a yingt pieds de profondeur. Les elevations qui terminent ces plaines sont de la
meme nature de sol: beaucoup de montagnes
assez eleveesy sont cultivees jusqu'a leur som-
( 277 )
met. On voit dans quelques endroks les cimei
couronnees par les plus belles prairies.
Le bled est toujours ici la culture princi-
pale, celle a laquelle tendent toutes les autres.
Mais le mais , le bled noir, les pommes de
terre, les-ckrouilles, les potirons y sont aussi
tres-bien cukives. Tous les vegetaux sont
d'une, grosseur et d'un gout remarquables ,
particulierement les pommes de terre; c'est
en voyage ma nourriture favorite , sur - tout
dans ce moment ou ce sont les seuies productions nouvelles; et dans Vatmosphere fie-
vreux ou nous voyageons, ce genre de nourriture semble un preservatif.
Certaines parties de la plaine , aupres de la
riviere, couteraient de 100 a i5o dollars l'acre;
le betail n'est ni bien beau, ni bian nombreux
dans ce pays. Les chevaux s'y elevent en plus
grande quantite; ce que j'en ai vu, est d'une
espece mediocre ; chaque fermier en artele
plusieurs a ses charriots. La recolte est extremement belle, et se fait prompfement;
les bras abondent ici. Mais quelle difference du travail grave de ce peuple, et de
Vactivke gaie, riante, chantante des mois-
sonneurs dans mon pays. J'ai vu en France
la recoke etre un tems de fete et de plai-
sir, comme elle en etait un de benediction.
S3
( 278 )
Tout le monde y etait content, vieillards, enfans, hommes, femmes, gargons, filles,tous I
prenaient leur part de cette gaite generale ,
vraie, bruyante et communicative ; les rires
quoique perpetuels, n'y derangeaient pas le I
travail, que chacun se piquait de faire avec |
plus d'ardeur. Et les foins et les vendanges !
quelle joie generale , quel deiire charmant, I
quel spectacle ravissant pour le cceur meme
le plus froid ! quel peuple au monde sait plus
jouir dubonheur, que cetaimable peuple frangais ! Helas! ne verraij-je done plus jamais de |
recoltes que sur un sol etranger.
Les grains des german's-flatts, remarquables
par leur beaute, le seraient plus encore, si
les champs etaient plus soignes; mais on ne- :|
glige de les netoyer au printems ; les mau-
vaises herbes poussent d'autant plus vivement
que le sol est meilleur , et prennent la place I
du grain quelles empedient de taller. Les
formes des champs , Vextension des rives , la
coupe des collines et des montagnes, offrent
a Vceil une variete charmante. Les maisons
differentes entre elles par leur construction,
leur dimension, leur couleur , embellissent
ce paysage agreable et riche Pendant douze
a quinze milles, la rive droite de la riviere ,
et a une grande profondeur, est un village
( 279 )
continuel. II n'y a point de fievres ; mais a.
present, cette meme dyssenterie, que nous
avons trouvee plus haut, enieve ici beaucoup
de monde. Il est vrai que les chaleurs sont
excessives ; le soldi, toujours brulant, est
si long-tems sur l'horison; cette chaleur est
ici insupportable pour nous, en bateau, sans
abri; et les nuits fatiguent presque autant
que les jours ; aucun souffle ne les rafraichit;
elles conservent encore l'impression de la
veille quand le soleil reparalt le lendemain.
Ces jours-ci sont les plus chauds que nous
ayons eprouves encore ; mon thermometre ,
a. l'ombre, est commun^ment a g3 degres de
Farenheit, 27 un quart de Reaumur.
Canal et Ville de Little -falls :
Palatine.
A 7 milles de German's-flatts , on trouve
JLittlle falls, qui occasiohnent encore .un portage de trois quarts de mille ; ces chutes ne
sont que de forts rapides; une multiplicity
de rocs de toute grosseur embarrassent le lit
de la riviere, agitentl'eau, la font bouillonner,
et rendent la navigation impraticable. Le pays
est lui-meme plein de rocs, a deux milles
au-dessus et au - dessous de ces falls ; le ter-<
S 4
( 280 )
rein est sabloneux, humide, toujours mei™
de rochers. Telle est la nature de cette tache
dans le plus beau pays du monde ; car il rede-
vient aussi beau, aussi fertile apres cette veine
de pierres qu'il etait auparavant.
On est depuis trois ans occupe a un canal,
qui, cotoyant les falls , rendra la navigation
continue. Une compagnie riche et soutenue
d'un grand nombre de souscripteurs , entre--
prend cet ouvrage ; elle vient recemment
d'etre aidee par la legislature de VEtat deB
New-Yorck , qui a pris un grand nombre d'ac-
tions dans cette souscription. Le canal devait,
disak-on, etre fini cette annee ; on assure
aujourd'hui qu'il le sera l'annee prochaine ;
il me semble peu avance; c'est un travaifl
encore long, quoique l'etendue totale ne soit
que de trois quarts de mille. II faut creuserB
dans le roc ; une partie des pierres qui enB
sortent servent a faire un mur de trois pieds
a chaque cote du canal; ce mur est recouvert
et appuye d'une grande quantite de terre, et
fait une digue de huit pieds de large a son
sommet, sur trehte peut-etre que la projection
des terres donne;jau pied du talus. Comme
on n'ernploye ni ciment ni mortier dans la
construction du mur , je ne sais s'il n'est pas
a craindre, malgre 1 epaisseur du talus, que
( aSi )
l'eau n'y penetre, et n'y cause des dommages.
A l'entree du canal sont deux e.cluses deja
fakes , aux portes pres , qui ne sont pas encore
placees. Ces eduses sont construites en bois
dans leur totalke, fond&tion , murailles, etc.,
et m'ont paru Vetre extremement bien , sans
cependant que j'aie pu concevoir comment ,
la pierre etant si fort a la main, elle n'etak
pas la matiere employee dans cet ouvrage.
Deux cents cinquante ouvriers sont constam-
ment occupes a ce canal. Ils gagnent six schellings par jour et se nourrissent. Ces ouvriers
sont divises en compagnies ; un grand nombre ,
sont des gens du pays , mais beaucoup sont
Irlandais nouveaux-venus , on dit meme Irian-
dais convicts, et se conduisent d'une maniere
peu rassurante pour le pays.
Une cinquantaine de maisons assez bien
baties forment la ville de Little-falls. Untres-
beau moulin a grain , et un a scie, sont places
au commencement des chutes.
Apres vingt milles de navigation , notre
squirre nous a fait arreter a une maison qu'il
nous a assure devoir Sparer pleinement le
mal-aise des nuits precedentes. Il n'y avait
rien; c'est au bout d'uneheure que nous avons
pu obtenir un lit pour du Petit-Thouars, de
.plus en plus malade; quant a nous, le plan-
( 282 )
cher pour dormir, et du lakpour souper, voila
ce qui nous a ete offert, et on ne pouvait pas
nous en offrir d'avantage. Ce lieu appartient
au township Palatine ; il est a la rive gauche
de la riviere. Meme genre de terre , memes
presbyteriens, memes informations que prece-
demment; allemands bons , lents et sales. Ce
settlement a soixante-dix ans d'anciennete.
Shenectady.
Mon malade avait eprouve un bon effet de
l'emetique que je lui avais donne la veille ;
il a fallu s'eveiller avant quatre heures , car
il fallait arriver le 6 de bonne heure a Slienec-
tady. La journee s'est mieux passee que je
n'esperais , et nous sommes parvenus au port
sans qu'il ait eu la fievre ; par consequent,
avec l'esperance que les terribles acces qu'il a
essuyes , ne sont que le fruit de sa fatigue im-
moderee , et non le commencement d'une
maladie. Nous nous sommes arretes a Ca-
nalmgi, encore anden settlement allemand ,
auquel les informations precedentes conviennent toutes, meme pour les prix. Les citrouil-
les et potirons y sont aussi plantes, tantot
avec le mais , tantot separement, et tres-uti-
lement employes pour la nourriture des bes-
( 283 )
tiaux , pendant les cinq mois ou le betail doit
etre tenu necessairement a l'etable. Les bons
fermiers les y tiennent meme six mois. Les
mouches hessoises sont aussi inconnues dans
ce pays fortune ; les terres y sont si bonnes
qu'elles n'exigent pas de fumier. II y a trente-
quatre ans que le proprietaire actuel est
sur sa ferme, defrichee trente ans plut6t;
il n'en a fume que six acres , encore bien ie-
gerement.
Enfin, apres avoir passe devant les anciennes
proprietes de sir "William Johnston, ancien
intendant general pour les Anglais, des affaires
des Indiens, et qui, pour s'etre declare contre
les Americains dans le tems de la revolution,
a eu ses biens confisques, nous sommes arrives a Shenectady , terme de notre navigation.
C'est une petite ville aussi ancienne qu'Al-
bany , batie en plus grande partie de vieilles
maisons dans le gout hollandais, et ressem-
blant absolument a une ancienne ville d'Europe. La riviere des Mohawks s'encaissant
beaucoup, faisant un long detour, et une chute
interrompant a quelque distance toute possi-
bilite de navigation , on quitte ici les bateaux
pour se rendre a Albany par terre. On assure
, nous disait ce
matin un homme a cheval qui suivait notre
charrette; « que le Marquis vienne ici, et
33 nous le rendrons riche. C'est par lui que la
33 France nous a rendus libres; nous ne ferons
33 jamais tant pour lui qu'il a fait pour nous 33.
(288)
Enfin apres trois nouvelles heures de route
au travers de ce pays, qui ressemble aux forets
SAnjou, sabloneux, couvert de fougeres, et
ne produisant que des arbres rabougris, nous
sommes arrives a Albany.
Observations mineralogiques.
La nature des pierres et des terres qui les
couvrent, est .depuis le fort Oswego jusqu'a
Albany fort semblable a ce qu'elle est dans le
Genessee et dans le Haut-Canada. Les pierres
qui environnent le fort, et celles qui form en t
les chutes et les rapides dans lariviere Oswego,
sont un granit imparfait, rarement meme
micasse ; de tems a autres quelques schistes
grossiers.
Dans tout le cours du Wood-creek je n'ai
presque pas vu de pierres. Le terrein est tel-
leraent inonde qu'elles ne sont pas a decou-
vert. Dans la riviere des Mohawks, la petite
chute (little falls J passe par une chaine de
granit', qui comme je Vai dit semble une tache
au milieu de la riche contree qui Venvironne.
Dans le township de Palatine on trouve de
la pierre a chaux de bonne qualite. Le carac-
tere le plus remarquable de la riviere des Mohawks sont les deux especes de larges terrasses
qui
(m)
qui forment ses bords, et au travers desquelles
elle coule. On assure que ce caractere est
plus remarquable encore dans le cours de la
xiviere de Connecticut.
Quant a l'espece d'arbres, j'ai eu peu de
moyens de l'observer; ne descendant a terre :
que deux a trois fois par jour, et pour de
courts momens, elle m'a paru la meme que
dans le Genessee.
Albany.
Albany est un des plus anciens etablisSemens
de l'Amerique septentrionale ; la ville a ete
incorporee en 1686; les settlemens ont commence vers Van 1660 : on en peut trouver
l'histoire par-tout; je n'en parlerai done point.
C'est aujourd'hui une ville d'un grand, commerce, placee a i65 milles de New-Yorck
quoique si haut sur la riviere elle a un port. Les
sloops de quatre-vingt tonneaux y arrivent, et
en font tout le commerce. Une espece de barre
a trois milles au-dessous d'Albany , presente a
la navigation quelques embarras ; mais elle
est facilement passee par les pilotes qui la
connaissent, et il y en a toujours un sur chaque
sloop; d'ailleurs on est sur, dit-on, de faire
disparaitre cette diffieulte avec une depense
Tome II. T
( 290 )
peu considerable; alors de beaucoup plus gro*
navires pourront y arriver.
La navigation de la riviere du Nord est ou-
verte du milieu d'avril au milieu de novembrelB
Le commerce d'Albany se fait des productions du pays des Mohawks, et aussi loin
dans Vouest qu'il y a des cultures et des exploitations ; l'Etat de Vermont, et une part^B
de Newshampire y fournissent aussi. Ce commerce d'exportation consiste en bois de toute
nature, et coupes de toutes les formes pour .
la construction des navires, la couverture des
maisons, la charpenterie et la tonnellerie; en
potasse et pearlasse; en grains de toute espece;
enfin en productions des manufactures. La plu-
part de ces produits s'apportent en hyver sur
la neige; ils sont emmagasines par les nego-B
cians, qui les envoient successivement a New>-
Yorck : la ils sont vendus pour des lettres-de-
change sur I'Angleterre, ou edianges pour
des marchandises anglaises , qui d'Albany sont
repandues dans les pays d'ou sont tkees les
marchandises d'exportation. Les achats etles
ventes se font ainsi argent comptant ; parti-<
cuherement pour la potasse , qui ne se paie
meme par aucune lettre-de-change. Quarante-
cinq vaisseaux appartenant aux habitans de la
ville et quarante-cinq autres appartenant a
(291 )
New-Yorck, ou autres places sur la riviere ,
font le commerce d'Albany. Leur port commun est de soixante-dix tonneaux , et le nombre ordinaire de leurs voyages dans chaque
saison, est de dix , ce qui en comptant les
aliees et les venues compose un total de 12600
tonneaux, employes a ce commerce. Quatre
hommes forment l'equipage de ces sloops, sa-
voir: un pilote a quinze dollars par mois, un
capitaine a vingt quand il n'est pas interesse,
un simple matelot a neuf dollars ; enfin un
mousse ou plus souvent uncuisinier, parce que
le nombre des passagers esttres-considerable;
peu de sloops moment ou descendent la
riviere sans en avoir sept a huit. Un schel-
ling le cent pesant est le prix commun
du fret, qui varie ensuite selon l'importance
des marchandises, leur encombrement, etc.
Le commerce d'Albany est sur, mais nepa-,
rait pas devoir etre tres - lucratif. Le produit
net commun du voyage d'un sloop pour l'aliee
et le retour est de cent dollars; c'est done a
mille dollars que se bornerait ce profit annuel,
peu considerable sans doute ; si on ajoute les
passagers il est de dix schellings par chacun,
ce qui fait encore de dix-sept a vingt dollars
pour le voyage complet, et 170 et 200 pour
les dix de l'annee. Tout cela produirait un
T a
H\\
( 292 )
avantage bien mediocre si le profit des re-
ventes ne Vaugmentait. Telle est cependanjB
jusqu'ici la maniere generale dont se fait le
commerce de cette ville ; maniere petite , ti-
wiide, et qui prive ses negocians d'un grand
profit, que font a leurs depens ceux de New-
Yorck. Quelques-uns envoient directement en
An.gleterre , en Hollande, etc. mais toujours
sur des vaisseaux de New-Yorck auxquels ils
paient un fret; ceux-la sont les plus hardis;
on les appelle gens a nouvelles idees, et le
nombre n'en est pas grand.
Les vieilles formes , les vieilles routines cir-
conscrites, et timidement avides des anciens
hollandais, se sont conservees religieusement
dans Albany. Aucun vaisseau de cette ville ne
va directement en Europe, et leurs denrees y
vont; il est aise de voir que s'ils voulaient
prendre la peine de les porter eux-m.emes, ils
epargneraient autant d'interets morts, le fre&f
du retour, deux commissions , et alongeraient
le tems de leur activke, de celui ou la riviere
du Nord est fermee par les glaces. Ces idees
pointent dans la tete de quelques negocians ,
et sans doute elles produiront quelques chan-'
mens avantageux a leurs intents. C'est par
cette meme apathie de Vhabitude que les negocians d'Albany laissent le commerce des
( 293 )
ehevaux et des mulets, que leurs environs pro-
duisent en quantite, aux negocians du Connecticut, qui les adherent pour les transporter
avec un grand avantage dans les Antilles.
La construction des vaisseaux coiite a Albany environ vingt-sept dollars et demile ton-
neau; faits comme par-tout ailleurs de bois
verd, ils durent dix ans. On a l'experience
que des constructions faites avec des bois bien
sees ont dure plus de trente ans. Le commerce d'Albany s'accrok tous les jours; les
stores et les sloops s'y multiplient. Deux nouvelles villes commencees il y a cinq a six ans
a quelques milles au-dessus d'elle , et sur la
riviere du Nord , partagent son commerce.
Ces deux villes elevees promptement a une
grande importance , distantes l'une de Vautre
de trois a quatre milles, font le commerce
sur vingt-cinq a trente sloops qui leur ap-
partiennent, tirent les produks des pays de
derriere, les envoient a New-York, en rap-
portent les marchandises d'Europe, et en ap-
provisionuent les pays qui jadis l'etaient uni-
quement par Albany. La distance plus considerable , et la moindre profondeur de Veau,
donne un desavantage a ces nouvelles villes ,
puisque le fret de leur port jusqu'a Albany se
paye deux pences le barril, et puisque leurs
(294)
plus grands sloops ne sont pas de soixante
tonneaux et ne peuvent dans les tems ordi-
naires arriver que demi charges jusqu'aupres I
d'Albany, ou des alleges qui les accompagnent
achevent leur ehargement. Cependant elles I
font ce commerce , elles Vaugmentent tous
les jours, et selon toute apparence dies don-
neronta Albany Vexemple de plus dehardiesse
. et d'activke. Soixante a soixante-dix stores
sont dans New-City ; cinquante a soixante
dans Troy. Aucuns de ces nouveaux marchands ne manquent, et le nombre s'en ac-
croit. On assure que les negocians d'Albany
voient de mauvais ceil cette prosperite nais-
sante de leurs voisins , qu'ils regardent comme
une partie de leur patrimoine qu'on leur au-
raitenlevee. Cette envie serait encore une suite
de Vignorance et des courtes idees de ces negocians. En effet les pays qui fournissent.a ce
commerce, sont loin d'etre aussi habites qu'ils
peuvent 1 etre; plusieurs le sont a peine ; d'autres qui ne le sont pas du tout pourront aussi
l'alimenter un jour ; ils se formera des villesJ
plus au nord encore que les deux autres; il
s'en elevera de meme a Vouest; mais les de-
frichemens se mukipliant par-tout, la population s'accroissant, ils augmenteront les pro-
■duks et les besoins, et chaque ville nouvelle
X s95 )
ou ancienne trouvera du commerce plus quelle
n'en pourra faire.
II y a dans Albany six mille habitans , dont
deux mille esclaves: les loix de New-Yorck au-
torisent Vesclavage. Tout ce qui est ancienne
maison a la forme hollandaise: le mur de front
s'eievant par des especes de marches en pyra-
mide terminee ou par une cheminee historiee,
ou par quelques figures de fer, etc. Toutes les
maisons baties depuis dix ansle sont en bri que,
elevees et vastes, dans les formes anglaises.
Le revenu de la ville monte a environ
35,ooo dollars ; elle est proprietaire d'ungrand
nombre d'acres de terre dans les environs ;
die vend d'ailleurs les quais sur la riviere du
nord deux dollars et demi le pied, avec une
rente annuelle , et sans possibiike de rachat,
d'un schelling par pied. Une partie de ces re-
venus est le fruit des economies des adminis-
trateurs, qui ont jusqu'ici plus pense a the-
sauriser qua embellir la ville, oua en rendre
l'habitation commode. Le conseil se compose
a present de jeunes gens qui disent s'en oc-
cuper ; mais il y a dans cette ville une apa-
thie , une ignorance , une vieillesse d'idees,
qui ne permet pas de croire que ces efforts
soient de long-tems encore considerables. Les
jeunes gens, je crois, y naissent vieux.
(m I
Une banque etablie depuis quatre ans , aide
le commerce d'Albany; elle est composee de
six cents actions a 400 dollars chaque; mais
il n'y en a encore que la moitie qui soit payee ;
le dividende est de neuf pour cent par an ,
independament du fonds reserve pour les frais
de la maison ou la banque est etablie.
Il y a dans Albany cinq eglises; une de
lutheriens hollandais, batiment d'une construction tres-gothique et assez curieuse , une
d'episcopaux, une de presbyteriens, une de
calvinistes allemands , et une de methodistes. I
Les terres aupres. d'Albany se vendent de
63 a 75 dollars ; quelques parties vers la riviere
sont plus cheres encore , et sont excellentes;
celles de derriere sont d'une mediocre qualke;
1'agriculture est peu soignee ; on cultive les
Vermes a peu-pres- egalement en grains et en
patures. Jamais pays n'a ete appele plus que
celui-la a perfectionner sa culture et son Industrie; car nulle part les-debouches ne sont plus
certains et moins dispendieux.
Quelques manufactures sont etablies a peu
de distance de la ville dont une de verres a vitre
et a bouteilles; les vitres sont assez belles ,
et cette manufacture est en bon train. M.
Caldhowel a aussi, pres de la ville , un grand
etablissement, ou les memes eaux font aller
( 297 )
des moulins a tabac , a moutarde, k amidon ,
a chocolat, et ou toutes les operations secon-
daires de ces manufactures differentes sont
aussi faites par le moyen de Veau. Les machines
sont simples , bien fakes , et produisent de
bons resukats. C'est le moulin a tabac qui est
l'objet principal de cet etablissement. II s'en
fabrique i5oooo milkers de livres annuelle-
ment5 Ge moukn a ete brule l'ete dernier ; un
credit de 20,000 dollars a ete ouvert sur le
champ a M. Caldhowel, a la banque, par ses
amis , et la legislature de New-Yorck vient,
dans sa derniere session, de l'aider d'une
somme pareille. Il faut ajouter a l'honneurde
M. Caldhowel, que je ne connais pas, que
presque tous les ouvriers de la ville, dans le
tems de son malheur , souscrivkent pour donner chacun quelques jours gratuits de travail
a la reconstruction de ses edifices. Rien de cela
n'est conforme a l'opinion que quelques frangais ont concue des americains, et qu'ils cher-
chent imprudemment a repandre. L'etablis-
sement de M. Caldhowel est vraiment grand ,
beau , bien entendu. II occupe cinquante ouvriers dont les plus chers sont paycs 100 dollars par an, et les enfans de neuf ans gagnent
de six schellings a un dollar par semaine. Des
tanneries, des moulins de toute espece, a grain,
Wagi
k foulon, a huile, a papier, sont aussi etablis
aux environs de la ville, et les ouvriers y sont
toujours en abondance. Le prix commun de
la journee d'ouvrier ordinaire est de 4 schellings et demi, et sept dans le tems des recoltes. Le prix du baril de farine est aujourd'hui
de neuf a dix dollars ; la viande coute de 10
a 12 pences.
L'hospitalke pour les etrangers ne parait pas
etre la qualke dominante des citoyens d'Albany; le peu que nous en avons vu est triste ,
lourd, vit chez lui avec une femme quelque-
fois belle, souvent gauche, a laquelle il ne dit
pas trente paroles par jour, quoiqu'il l'appelle
ma chere. Ilya sans doute des exceptions et
dans la grace des femmes , et dans la maniere
aisee et confiante des maris avec dies; mais
on les dit rares.
La famille Schuyler etla famille Rensselaer ,
sont les plus considerables du pays par leurs
richesses ;. elles sont unies ensemble par de
doubles mariages , et elles ont dans le pays
une influence non dispute. Les Schuyler ont
plus d'esprit, plus de connaissances ; mais les
Rensselaer ont peut-etre plus d'argent encore,
et en voila assez pour mener surement un pays.
Le general Schuyler passe pour fin , habile au
superlatif. II est tres-employe dans les affaires
C 299 )
de l'Etat, il a fort a cceur d'en ameliorer la navigation , d'en etendre Vindustrie et la richesse;
il est beau-pere du celebre M. Hamilton. Le
general Schuyler, qui ne donne ses fiiles qua
des gens riches , lui en a donne une, il y a
quinze ans, quoiqu'il n'eut rien, parce qu'il a
devine ses talens. Au demeurant, je parle
general Schuyler, sans Vavoir vu. Il etait au
traite des Indiens pendant monsejoura Albany,
et je n'ai communique encore avec lui que par
ses lettres extremement obligeantes. Parmi les
hommes importans des Etats-Unis , il tient
une place marquante.
Saratoga.
J'ai vu John Schuyler , fils aine du general,
je 1'avais rencontre une minute a Shenectady;
mais j'ai ete chez lui a Saratoga; c'est une
course de trenle-six milles, penible a faire
dans les chaleurs qui nous accablent; mais
Saratoga est un point trop interessant pour ne
pas le visiter. D'ailleurs lorsqu'on aime
Anglais , leur societe , qu'on les rencontre
souvent en familiarke, et qu'on les connait ,
il est bon de pouvoir leur dire dans Voccasion ,
j'ai vu Saratoga.
Oui, j'ai vu cette place vraiment monu-
( 3oo )
■mentale , que l'on doit regarder comme celle
ou l'independance de l'Amerique a ete signee;
puisque les evenemens qui ont oblige I'Angleterre a l'aveu de cette independance n'ont
ete que la suite de la prise du general Bur-
goyne, et n'auraient peut-etre pas eu lieu sans I
elle. La maison de John Schuyler est batie sur
le terrein meme ou ce grand evenement s'est
passe. Le Fish-creek qui la borde etait la ligne
de defense du general anglais , place sur une
hauteur a un quart de mille de cette maison
meme; un retranchernent en terre entourait
d'une maniere plus rapprOchee encore le camp
Anglais dans toute sa circonvallation ; les I
troupes allemandes etaient en arriere en echelons sur une hauteur qui domine la plaine,
mais dominee elle - meme par celle ou. le
general Burgoyne avait son camp. La droite
de cette reserve allemande avait communication a la gauche des Anglais, et la gauche
se dirigeak vers la riviere du nord. Le general Gattes de l'autre cote du creek avait son
camp a un demi quart de mille de celui du
general Burgoyne ; ia droite s'etendak un
peu vers la plaine , mais il tenait autant qu'il
pouvait les troupes dans les bois a convert du
feu jusqu'a ce qu'il se determinat a une at-
taque ; le general Nelson a la tete des milices
( 5oi )
«mericaines bordait les hauteurs de Vautre
cdte de la riviere du nord, et etait ainsi sur
le flanc gauche des Anglais ; d'autres troupes
americaines observaient leurs mouvemens sur
leur flanc droit. C'est dans cette position que
Burgoyne reduit a une nullite presqu'entiere
de vivres , mais pourvu d'artillerie et de munitions s'est rendu. Les lieux sont absolument
tels qu'ils etaient alors aux buissons ores que
les deux armees- avaient coupes devant leur
front, et qui ont repousse. Il n'existe pas la
moindre alteration dans le terrein depuis
cette epoque ; les retranchemens existent; le
sentier par ou Vaide-de-camp du general Gattes
portait au general anglais son ultimatum, le
lieu meme ou le conseil de guerre des officiers
anglais s'est tenu , sont comme ils etaient
alors ; on voit le chemin par ou la colonne
anglaise se joignant a la colonne allemande a
descendu par sa gauche pour »aller deposer
ses armes dans l'enceinte d'un vieux fort cons-
truit du tems de la guerre de la reine Anne ;
©n voit la place ou cette malheureuse armee
a passe le creek a gue pour, gagner le chemin d'Albany et y defiler devant Varmee ame-
: ricaine. On voit enfin celle ou le general
I Burgoyne a rendu son epee au general Gattes ;
ou Vhomme qui deux m,ois plutot ajmongaic
( 302 )
l'incendie , le pillage , le scarpel k tous lell
rebelles qui ne rejoindraient pas les drapeaux
anglais, a leurs peres , a leurs femmes et a
leurs enfans, a fait ployer l'orgueil britannique
sous le joug de ces rebelles , et a regu la
double mortification et d'un anglais ministe-
riel s'humiliant devant des sujets revoltes et
d'un general commandant des troupes disO^B
plinees, se rendant a des bandes de paysans
demi armes et demi cbuverts. L'homme a done
bien de la force pour pouvoir supporter sans
mourir un tel malheur. Cette place memorable est au coin meme de la cour de John
Schuyler. II etait alors age de douze ans et
present a cet evenement, sur un petit tertre
au pied duquel etait le general Gattes, et ou
s'appuyait Varmee americaine pour voir de-
filer Vennemi sans armes. II est possesseur de
tout le terrein ou campaient les deux ar-
mees , il en .connait tous les pas. Combien
l'Americain qui sent couler son sang avec cha-
leur, doit etre heureux d'une telle propriete.
On peut s'etonner que le congres, qu'au moins
la legislature de New-Yorck n'ayent pas de-
crete Veievation d'un monument a cette place ,
monument qui ne portantque le reck du fait,
en reprodukak le souvenir dans Vesprit de
tous ceux qui passeraient sur la route, et aveo
( 3o3 )
lui perpetuerait des sentimens de fierte , de
gloire, de patriotisme bons a transmettre pour
long-tems encore d'age en age aux Americains.,
Les Anglais n'eussent pas manque une telle
occasion ; John Schuyler devrait au moins re~
parer la modestie de son gouvernement, ne
fut-ce que par une pierre devant laquelle aucun de ses conckoyens n6 passerait sans
eprouver des sensations a la foisdouces et
fieres , et utiles a la chose publique.
John Schuyler est proprietaire d'une ferme ~
de i,5oo acres, dont 5oo entierement dega-
ges de bois ; les terres sur la riviere sont ex-
cellentes, et se vendent de trente a trente-huit
dollars l'acre,celles en arriere de dix a douze;
sa ferme est exploitee en grains , sur-tout
en mais ; il regit un moulin a grains , deux
moulins a scie, que le Fish-creek fait aller.
Ce creek tres-large et tres-abondant en eau ,
a une succession de chutes capables de mettre
en mouvement toutes les mecaniques qu'on
voudrak etablir. Le proprietaire fair plus defoin
qu'il n'en a besoin , il aime mieux levendre que
d'eiever des bestiaux, et c'est un calcul qui, je
crois , tient plus de la paresse que de la reflexion. Possesseur de tous ces moulins et de
i,5oo acres de terre, il ne paye que trente-
cinq dollars d'imposition, taxes de comte,
( 3o4 )
entretien des chemins , taxes pour les pauvres,
et dans les taxes de comte sont compris cette
annee les frais pour la construction d'une
maison de justice et d'une prison. Je cite
cet exemple comme pouvant donner une des I
mesures de Vimposition de Vetat de New-
Yorck, dont sans doute j'aurai occasion de
parler avec plus d'etendue.
John Schuyler m'a regu avec une grande
honnetete ; c'est un jeune homme doux , bon, j
sage , tres-occupe d'affaires , les faisant, dit- I
on, fort bien et tres-influent dans son canton , il a des mameres fort aimables. Sa femme I
est une Van Rensselaer. Elle passe tout son ;
tems dans cette maison qui est joke, mais I
sans voisinage ; elle ne voit que sa famille,
qui la visite quelquefois, Son mari , qu'elle I
aime beaucoup , est souvent dehors pour affaires ; elle se plaint doucement de cette vie
isoiee , mais elle la supporte en s'occupant
de ses enfans et des soins de son menage;
d'ailleurs elle est charitable , bonne et esti-
xnee dans son voisinage.
Les ouvriers sont en abondance dans ce
canton ; on les paye trois schellings dans les
tems ordinaires , mais les negres font les tra-
yaux journaliers ; ils sont tres - multiplies ; il
n'est pas une maison qui n'ait un ou plusieurs
esclayes.
( 3o5 )
esclaves. John Schuyler en a sept. On dit que
les negres esclaves sont mieux traites, plus
heureux que s'ils etaient libres ; cela se peut.
On ajoute que si on leur donnait la liberte ,
il ne sauraient qu'en faire; cela se peut encore:
mais c'est, il faut §n convenir, une morale sin-1
guliere et choquante a entendre predier par
un peuple libre. Il est vrai que les negres sont
bien traites dans l'Etat de New-Yorck ; mais il
est vrai aussi qu'un bon calcul prouve, qu'a la
commodke pres de les avoir sous la main pour
toute espece d'ouvrage, leur travail revient plus
cher que celui fait par Vouvrier blanc; tant
J'esclavage est un mauvais regime.
J'ai laisse le jeune Schuyler avec la fievre ,
il venait de faire le meme voyage que nous ;
c'est une victime de plus de Vair horrible qu'on
respire dans les terresinfectees que nous avons
traversees (*). Le frere cadet de M. Rensselaer est aussi atteint de cette fievre , ainsi
qu'un autre des habitans d'Albany , avec qui
nous avons fait route ; tous nos bateliers sont
malades, Vun d'eux est mort.ggLpus ne pouvons
done pas , en verite, faire l'eioge de la salu-
brke de la navigation du Wood-creek.
(*) J'ai appris depuis a Boston qu'il etait mort, etji
l'ai regrette\\
Tome II* §p
1
( 3o6)
Stillwater.
II y a bien long-tems que les bords de la ri*
viere du Nord, depuis Albany jusqu'a Saratoga, sont habkes; mais les pays en arriefB
se peuplent abondamment depuis plusieurs
annees , et le sont deja dans une profoilB
deur qui varie de cinq a trente milles ;f le
Connecticut et toute la nouyelle Angleterre
fournissent a ces nouveaux etablissemens. Les
terres sont generalement bonnes; les fermes
de cinq cents acres en culture ne sont pas
rares le long de la riviere ; j'en ai yu plusieurs
de cette etendue , presque toutes destines a
elever des bestiaux , mais toujours tenues
mediocrement, toujours peu ou point fumees ,
toujours labourees seuleinen't^T^rOisou a quatre
pouces. L'etendue commune des fermes est de
deux cents acres. Tous les environs de la riviere
du Nord sont vraiment agreables. Les montagnes qui la bordent sans la presser, sont presque toutes couvertes de recoltes abondantes.
C'est dans ces defiles que le general Burgoyne s'etait engage pour aller a Albany ou
il esperak etre joint par le general Clinton,
et-e'est-de seul chemin qui l'y pouvait con-
duke. C'est la qu'ayant trouve en tete le general Gattes, ayant e.te battu par lui, et ayant
( 5o7 )
souffert une grande perie d'hommes, k se retira
dans sa position de Saratoga , abandonnant
sa grosse artillerie. J'ai vu le champ de cette
importante petite bataille ; j'ai vu cette elevation ou le colonel Eraser fit des efforts si
repetes, si intrepides et si inutiles pour forcer
les Americains. J'ai vu le tertre sous lequel
il est enterre. Les gens du pays montrent avec
orgueil tous les coins de ce terrein, et Von
voit que leur energie se retrouverait promptement au besoin. C'est a Stillwater que cette
action s'est passee , que cette decisive retrake
de Burgoyne a ete resolue. Mais sous le nom
de Stillwater comme sous celui de Saratoga,
est comprise une enorme etendue de pays,
Le township de Stillwater a vingt mdles de
long , celui de Saratoga trente-cinq, et tous
les points s'appellent Saratoga ou Stillwater.
J'ai oublie de dire qu'il y a dans le township
de Saratoga plusieurs curiosites naturelles ;
deux sources d'eau minerale, une kBallstown,
l'autre connue sous le nom des eaux de Saratoga ; toutes les deux sont en grande reputation , particulierement celle de Ballstown ,
ou les commodkes de logement sont beaucoup plus complettes. Les eaux sont sur-tout
impregnees d'air fixe; quelques personnes
croient que les deux sources communiquent
Y a ■
( 3o8 )
ensemble. On dit celle de Saratoga plus forteM
II y a aussi pr6s de ces eaux des crystalhsaw
tions, qu'on assure dighes de la curioske.
M. Thompson.
Je ne veux pas omettre ici le nom du juge
Thompson ; il demeure a Stillwater. Son fils
alne est un jeune homme qui se destine a
etre arpenteur, et qui a fait la derniere cam-
pagne avec M. Vanallen; nous l'avons done
trouve dans les bateaux qui nous ont ramene^B
et nous avons fait route avec lui; il est douxlBJ
bon et obligeant. Je lui avais promis de ne
pas passer devant sa porte sans le voir. J ai
tenu parole et j'ai ete engage par sa famille,
d'une maniere si simple , si franche, a coucher
dans leur maisOn, que je n'ai pu m'y refuser.
C'est une famille bonn e , honnete, de ces
mceurs pures, douces, candides, qu'on rencontre avec une veritable satisfaction. Le
juge Thompson est proprietaire d'une grande
quantite de terres dans differentes parties de
Vetat de New-Yorck, la plupart dans leur
etat de nature. II demeure sur une ferme de
i5o acres , dont 120 cleared ; il eleve beaucoup de betail , beaucoup de mules , qu'il
vend k Vage de deux ans, en Connecticut,
(3o9)
5o a 60 dollars ; il eleve aussi beaucoup de
chevaux ; c'est un commerce assez lucratif,
et dont, comme je 1'ai deja dit, les marchands
d'Albany ne savent pas profiter. On assure que
dans ces cantons , il se vend annuellement
2000 mules. C'est d'un riche fermier, le squire
Poll, que je tiens cette estimation ; je ne la
donne pas pour positive, car tous les caleuls
en grand des consommations , des produks ,
des besoins meme pour une seule grande
ferme, sont faits a peine dans ces pays, par
quatre personnes. Les vceux pour les Frangais,
mais la detestation des crimes commis dans
leur revolution, la haine bien prononcee contre
les Anglais , sont ici comme dans toutes les
campagnes, le sentiment general.
Les terres pres de la riviere , sont bonnes,
et rapportent en bled , toutes mai cultiv
qu'elles sont, de 20 a 3o boisseaux par acre;
leur prix est de 5o a 75 dollars. Je voyage
ici au i3 aoiit, et beaucoup de foins ne sont
pas faits , aussi sont-ils la plupart durs comme
dubois.
Cohoes-fall.
En allant a Saratoga , j'avais passe par le
pont nouveau qui vient d'etre bati sur la riviere,
y 3
(3io)
des Mohawks; ce pont est le point d'ou la
Cohoes -fall est vue avec plus d'avantage ;
mais la riviere a trop peu d'eau dans cette sai-
son pour nourrir cette chute. Les rocs sont a
sec dans beaucoup d'endroits, quelques partiJJ
cependant en sont assez belles : la hauteuj
perpendiculaire est d'environ 5o pieds. La
largeur de la riviere est d'un demi-quart de
mille; Vaspect general n'a d'ailleurs rien de
\\ bien piquant, ni comme sauvage ni commerB
mantique , ni par consequent comme agreableM
Cette chute a toutefois une grande reputatio^B
en Amerique. Le pont est de bois , etabaB
sur des piles de pierre , distantes d'enviroU
•vingt-cinq a trente pieds. La magonnerie n'en
parait pas faite avec soin; la charpente Vei™
tres-bien.
New-city et Troy.
En re venant de Saratoga, j'ai passe la riviere
du Nord a Half-moon point, pour traverser
les deux nouvelles villes de Lebenstown ou
New-city et de Troy , dont j'ai parle comme
eievees depuis un tres-petit nombre d'annees,
et faisant deja un commerce considerable. Les
maisons en sont jolies , multipliees ; des stores
presque dans chaque maison , des ouvriers
(on )
de toute espece, d'excellentes taverfles, des
sloops a tous les quais , des tanneries , des
etablissemens de potasse, des Corderies, des
moulins sont en mouvement ous'eievent. Cette
activke est vraiment agreable. Un M. Taylor ,
proprietaire d'une centaine d'acres aupres de
Ponstenkil-creek, y a etabli deux moulins a
bled, deux a scie , un a papier. On dit qu'il
fait le commerce de New-Yorck sur un sloop
qui lui appartient. Sa propriety est jolie, bien
arrangee , et peut etre profitable dans des
mains prudentes et habiles. On dit aussi qu'il
veut la vendre; c'est un des lieux que j'ache-
terais de preference si je songeais a m'eta
en Amerique, et que j'eusse les moyens d'ac
ter. Il y a de quoi s'y occuper tous les jours, et
a chaque moment de tous les jours , d'une
maniere utile pour soi et pour le pays.
Observations mineralogiques ,
et autres.
Le pays, entre Albany et Saratoga, est ge-
neralement sabloneux , les collines, sur-tout
aux environs de Saratoga, sont d'un sable
durci; le roc solide qu'elles couvrent, et qui
souvent les perce , est une espece grossiere
d'ardoise , d'une couleur tres - foncee, avec
y 4
t 5l2 )
des veines d'un quartz blanc. Leurs debris et
leurs brisures presentent une grande qi^antitS
de figures differentes, souvent tres-singulieres.
Aux environs des sources minerales de Balls-
town et de Saratoga, les veines calcaires sont
abondantes, et les pyrites de fer et de cuivre
se trouvent en quantite. On peut en conclure
qu'il y existe des mines de ces deux metaux,
mais elles sont, comme presque toutes les mines
du terrkoire des Etats-Unis , encore sans exploitation. On rencontre peu de rocs jusqu'a
la chute de la riviere des Mohawks , connue
sous le nom de Cohoes-fall. Les pierres qui
forment cette chute sont d'un schiste argilleux;
une partie s'en decompose assez facilement,
mais quelques - unes ont plus de durete , se
cassent en pieces conchoidales, et ressem-
blent beaucoup au basalte. On voit pr6s de
la chute quelques veines d'un feldspath rou-
geatre.
Entre la chute de la riviere des Mohawks
et Albany, les terres qui forment les mnnJB
tagnes , sont plus argilleuses , tres-dures, et
les pierres qui s'y trouvent sont encore une
espece d'ardoise ; mais entre ces montagnes,
et le lit actuel de la riviere , on remarque une
suite de petites collines sabloneuses, elevees
a peu-pres egalement sur les deux bords, et qui
C 3i3)
ne permettent pas de douter qu'elles sont des
dep6ts qu'a laisses cette riviere quand elle s'est
fixee dans le lit qu'elle occupe actuellement.
C'est aux environs de Saratoga que se voient
les derniers platanes, acacias et cedres blancs;
plus au nord ils ne croissent pas , le cedre
rouge, le peuplier de Caroline , et le cedre
de Virginie ne commencent aussi qu'aux environs de la chute de la riviere des Mohawks.
A plusieurs milles aux environs des sources
minerales de Saratoga et de 'Ballstown, on ne
trouve que des pins blancs, de petits cbenes
rabougris et de la fougere?
Sur le Traite de Commerce entre
l'Amerique et VAngleterre.
Depuis qu'en quittant les possessions anglaises , nous sommes entres dans celles des
Etats-Unis je n'entends parler que du. traite
de commerce de I'Angleterre avec l'Amerique.
Les papiers publics sont pleins de discussions
a cet egard, et les conversations n'ont pas
d'autre objet. Je ne sais si la majorke est pour
ou contre, mais le nombre des opposans est
assez considerable , pour devoir inquieter les
amis de la paix. Je ne connais pas encore
assez l'Amerique , et je n'ai pas meme etudie;
EM]
jusqu'ici le traite assez a fonds pour avoir une
opinion arretee sur son merite et sur ses consequences. Je consignerai cependant ici la
maniere dont j'en suis frappe au premier ap-
pergu , ne fut-ce que pour retrouver cette opk
nion, quand le tems aura prononce son juge-
ment.
Il me semble indubitable qu'il est desavan-
tageux a l'Amerique ; la reciprocke n'est pas
entiere, et les interets du commerce ameri-
cain sont blesses dans differens rapports ; il
deroge ouvertement aux traites anterieurs avec
la France, et est ainsi en opposition avec les
redoublemens d'a.mitie dont l'Amerique a fait
si hautement profession, meme sous l'assassi-
nante tyrannie de Robespierre. II doit etre
d'ailleurs notoire a l'Amerique que le gouvernement anglais entretient contr'elle des dis~
positions non pas seulement de malveillance,
mais de rancune et de haine; que ces dispositions sont d'une nature a ne jamais-changer,
tant que les principes du gouvernement anglai3
ne varieront pas ; que I'Angleterre voit toujours dans les Etats-Unis des sujets rebelles
qu'il faut punir de leur independance s'ils ne
peuvent etre reconquis ; et que si elle consent
a traiter momentanement avec eux, c'est que
sa situation presente la met dans VimpossibiliteV
|
(3i5)
de leur faire la guerre , et lui fait trouver quel-
qu'avantage dansun traite quiaugmente prodi-*
gieusement le debouche de ses manufactures ;
et qui de plus peut deplaire a la France, la detacher de l'Amerique, nuire a son commerce;
de sorte qu'elle se promet par cette rupture de
tenir les Etats-Unis dans sa dependance, et de
tirer ainsi d'eux dans leur denuement d'autre
alliance le parti conforme aux dispositions
qu'elle nourrit sans relaohe depuis la paix de
1783. Ces yerites sont notoires a tout ce qui
connait la politique du cabinet de St.-James ;
elles sont plus frappantes encore pour ceux
qui ont vecu un peu avec ses agens en Ame-
rique, qui ne se donnent pas meme la peine
de les deguiser. Faire un traite d'amitie sur de
telles bases, c'est done agir en dupe; et c'est
d'ailleurs s'exposer a affaiblir les liens de
l'Amerique avec la France, sa veritable alliee,
qui des qkelle aura un gouvernement stable
(ce a quoi la majorke de la nation tend evi-
demment a present) deviendra plus puissante
que jamais ; car si Vintention secretre de l'Amerique etait de rompre cette ancienne alliance a la premiere circonstance favorable,
ce serait embrasser une politique peut-etre
erronee, mais certainement indigne du carac-
tere de loyaute, que les cabinets des couri
(3i6 )
peuvent mepriser, mais qu'un peuple nouveau
qui fait lui-meme ses affaires, ses alliances el ■
ses traites doit impertuYbablement professer.
M. et Madame de la Tour-du-Pin.
M. le Couteulx > etc.
Un des plus grands plaisirs que je me proposals en venant a Albany, etait celui de voir
M^iMad. de Gouvernet, de passer quelques
fours avec eux; je ne les ai pas trouves k mon
arrivee; ils etaient a New-Yorck, mais ils de-
vaient en revenir tous les jours. La sante de du
Petk-Thouars , en nous obligeant a nous ar-
reter, nous a aides a attendre le moment probable du retour de M.. de Gouvernet, qui est
arrive la veille meme du jour au-cfela duquel
je ne pouvais remettre mon depart. Je Vai cependant differe de vingt-quatre heures pour
les passer avec eux.
Quand on sait ce qu'etait une jolie femme
a Paris, reunissant aux graces de la figure, de
la taille et de Vesprit, tous les talens , tous
les moyens de succes; et qu'on voit cetle jolie
femme dans une petite ferme de cent acres,
faisant elle-meme son menage jusques dans
les plus petits details, et menant cette vie nou-
velle avec une simplicke, une gaite qui pour-
(3i7)
rait faire croire meme qu'elle lui plait, on
trouve une raison de plus d'aimer, d'admirer
le caractere des femmes, et des femmes fran-
gaises en particulier. Ce sont elles qui dans
cette cruelle revolution ont montre le plus de
fermete , le plus d'attachement a leur devoir ,
le plus de Constance dans leurs sentimens; ce
sont elles qui ont soutenu le courage de beaucoup d'hommes, qui sans elles en eussent £||u1>-
etre manque, qui ont adouci leurs malheurs f
enfin elles ont montre autant de qualites et de
vertus dans l'adverske, qu'elles montraientd'r-
gremens et d'esprit dans le tems de leur gloire.
Je parle pour un nombre en verite grand. Mad.
de Gouvernet est a la tete de ce nombre; c'est
a die qu'est due la conservation de son mari,
6a sortie de France, le peu d'argent qu'il a pu
sauver; c'est a elle que sont dus les jours
heureux qu'il passe ; la galte , .le plaisir avec
lesquels il soutiint une vie' d'ailleurs peu
faite, je crois, pour ses gouts et ses habitudes,
lis vivent a cinq milles d'Albany, sur la petite
ferme qu'ils ont achetee 15,ooolivres, monnaie
de France. La terre n'est pas de la premiere
qualite, mais die est susceptible d'etre culti-
vee en prairies assez bonnes, et de repondre
au sage projet qu'ils ont d'en reduire la ma-
nutention a Vengrais des bestiaux et au profit
(3i8)
dela laiterie, jusqu'a ce qu'ils puissent retour-
ner en France. lis vivent seuls avec un jeune
homme qui les a suivis dans leur fuke de
France, et qui partage leurs travaux et leur
societe. La ville d'Albany leur est de peu de
ressource sous ce dernier rapport. L'ignorance
ou la plupart des personnes de la premiere
classe de la ville sont de Vexistence de Mad.
de Gouvernet dans leur voisinage, et l'indif-
ference avec laquelle Vy voient ceux qui sont
plus a portee de connaitre son merite et celui
de son mari, feraient seules le proces a l'hos-
pitalite des habitans d'Albany.
Quelques Frangais sont encore etablis dans
la ville et dans les environs. Je n'ai cherche a
y connaitre que M. Le Couteulx, interessant
par le nom qu'il porte. Ceux qui connaissent
cette famille savent qu'il n'en est pas une plus
recommandable , pas une ou la sagesse, la
loyaute et l'habilete dans le commerce ayent
ete plus constamment, et depuis plus long-
tems heredkakes. Celui-ci est digne de porter
ce nom, d'apres Vavis unanime de tous ceux
qui ont eu affaire a lui. II a quelque chose de
particulier dans les idees, et aussi dans les
expressions; mais il est bon, obligeant, sin^
cere , et generalement estime. Il est associe
avec M. Quesnel, negociant de St. Domingue.
-( 3i9 )
Cette maison est aussi associee k celle d'Olive
k New-Yorck, et par elle, dit-on, k la grande
et respectable maison Le Couteulx en France*
Potasse et Pearlasse.
Comme la potasse forme une branche assez
considerable du commerce d'Albany, ainsi que
des autres villes d'Amerique, qui ont derriere
elles des pays nouveaux, je crois devoir placer
idles renseignemens que j'ai pris sur sa fabrication. La potasse estleseldes cendres degage des
inatieres qui lui sont etrangeres. Les operations
pour l'obtenir sont la Iessive et Vevaporation.
De grandes cuves a doubles fonds sont rem-
plies de cendres ; c'est dans la partie supe-
rieure qu'on les place, a dix ou onze pouces
de profondeur ; le faux-fond qui les supporte
est perce de quelques trous. La partie infd-
rieure de la cuve est remplie de paille ou
de foin; Veau repandue sur la cendre filtre au
travers en s'impreignant des parties salines, et
se dediarge encore sur les couches de paille
des matieres heterogenes qu'elle pourrait
avoir entralnees. La Iessive est tkee de cette
cuve par le moyen d'un robinet, et si die
n'est pas assez forte, elle est repassee sur
d'autres cendres. On la juge assez forte quand
( 320,)
tm oeuf peut y surnager. Cette Iessive est mise
ensuite a bouillir dans des chaudieres de fer ,
decouvertes et entretenues toujours pleines
par une grande bouilloire continuellement
remplie elle-meme de Iessive bouillante.
Quand la Iessive commence a s'epaissir dans
les chaudieres, on cesse d'y en verser de nou-
velle, mais on continue le feu jusqu'a Ven-
tiere evaporation des parties aqueuses, c'est-
a-dire , jusqu'a ce que la matiere soit conduite
a un etat absolu de sedieresse et de durete. Ce
sel alors noir, est ce qu'on appelle la potasse
noire. Arrive a ce point, quelques manufac-
turiers le laissent encore dans la chaudiere ,
qu'ils chauffent d'un feu clair et vif. L'huile,
par cette nouvelle calcination , se degage
du sel en fumee epaisse, et la potasse, de noire
qu'elle etait, devient grise; alors elle est mbe
en barrils pour le commerce.
L'operation de la fabrication de la potasse
dure plus ou moins long-tems , selon la nature
des cendres lessivees, et selon la force de la
Iessive ; vingt-quatre heures sont a-peu-pres le
terme moyen. Les cendres de bois verd sont
preferees , et celles de chene font particulu)-
rement de meilleure potasse. Les cendres d'arbres resineux n'en peuvent point donner. Les
cendres
(32! )
Cendres faites depuis cinq a six mois sont
aussi preferees aux cendres plus nouvelles.
II est des manufacturiers de potasse qui
n'emploient pas de marmites , et qui entre-
tiennent leurs chaudrons par la Iessive froide
sortant des cuves; il en est encore qui, a rae-
sure que le sel se forme dans les grands, le
mettent dans de petits pour y achever sa
crystallisation.
Dans beaucoup de parties de l'Etat de New-
Yorck, et principalement aux environs et au
nord d'Albany, les potasses se font par le3
habitans qui abattent des bois ; mais il y a
aussi de grandes manufacturd^Bj oil jusqu'a
trente ou quarante cuyes sont employees pour
la Iessive et dix ou douze chaudrons pour
les evaporations. Les manufacturiers achetent
les cendres des particuliers qui les leur apportent. La dimension des cuves, des chaudrons,
est differente , selon que la fabrication en est
faite plus ou moins en grand. On compte
en general que cinq a six cents boisseaux de
cendres produisent un tonneau pesant de potasse ; c'est-a-dire 2240 liv.
Les barrils dans lesquels se met la potasse
doivent etre de chene blanc, ou, a son defaut,
du bois le moins poreux. Les douves doivent
etre d'un plus fort echantillon que celles de»
Tome IL X
( 322 )
barrils destines a receyoir toute autre mar-
chandise , et les cerceaux doivent aussi y etre
plus multiplies ; la moindre crevasse expose-
rait la potasse a Vhumidke de l'air , et par
consequent, a la dissolution ; il est des exem-
ples que des barrils mai conditionnes et rem-
plis de potasse , ont ete trouves peu de tems
apres plus d'a moitie vuides.
La Pearlasse est la potasse purifiee par Faction immediate du feu. A cet effet, la potasse
est mise dans un four ovale, des barres
de fer formant une espece de gril sur lequel
elle est placj^. separent ce four environ a
un tiers au-oSfsus de son fond. C'est au-dessous de ce gril quest mis le feu , dont la
chaleur , renvoyee par la voute superieure ,
rend la calcination parfaite , et forme ainsi
la pearlasse ; alors cette matiere , devenue
blanche, est retiree du four et mise a refroidir,
puis enfermee dans les barrils. Cette operation
de la calcination dure environ une heure. La
pearlasse est d'un poids relatif beaucoup plus
considerable que la potasse , parce qu'elle est
plus compacte ; car la deperdkion de la potasse par la calcination est petite. Quoique
la pearlasse soit moins dissoluble par lair que
k potasse , les barrils dans lesquels elle est
arise sont du meme echantillon. Ceux qui
(323 )
servent a Vune et Vautre de ces marchandises
sont de differentes grandeurs , et en contien-
nent depuis deux jusqu'a quatre cents liv. La potasse et la pearlasse sont vendues par tonneau
dans le commerce ; elles ne peuvent etre exposes qu'apres avoir passe a Vinspection etablie dans tous les Etats ou il s'en fabrique.
La fievre de du Petit-Thouars ayant extremement diminue ses forces , il a prefer de
rejoindre ses penates. Je me suis separe de
lui avec peine. Il est triste de voyager seul,
plus triste encore quand on est malade , et
j'ai eu hier un acc6s de fievre , que je crois le
commencement d'une fievre tierce. J'en ai
ressentile premier acces chez M. de la Tour-
du-Pin , mais je n'en pars pas moins pour
Boston , ou je trouverai des lettres d'Europe
qu'il me tarde beaucoup de recevoir ; car ,
depuis trois mois, je n'ai entendu parler de
personne qui m'interesse.
Route d'Albany a Lebanon.
J'ai quitte Albany sans regret. Le jeuna
M. Rensselaer et M. Henri , sont reellement
les seuls de qui j'aie regu quelques civilkes ;
d'ailleurs , tout ce peuple est triste , peu actif,
peu obligeant; c'est le plus desagreable que
j'aie encore trouve en Amerique. A cela pres \\
X a
ff
( 324 )
•Albany estun lieu ou, avec quelques capkaux,
on peut faire de Vargent , et avec de grands
capitaux une grande fortune. Le commerce
repond de tous les fonds qu'on veut y mettre,
presente moins de danger qu'aucun autre ,
quand on ne veut pas risquer , et un esprit
hardi et juste pourrait, je crois , en pousser
ires-loin les entreprises.
Nous y avons eprouve des chaleurs tres-con-
siderables. Le vendredi, 7 aout, mon ther-
mometrea ete a.96 de Farenheit ou 28 quatre
iieuviemes de Reaumur, On nous a dit que
celui de M. Lewis, qui passe dans la ville pour
un observateur exact, s'etakeieve jusqu'a 100
de Farenheit ou 69 trois quarts de Reaumur.
Cette chaleur a dure plusieurs jours avec la
tneme force , et toujours des nuits qui ne
jeparent pas.
Mon cheval , qui devait m etre envoye de
chez le capitaine Williamson , n'etant pas
encore arrive, je me suis embarque dans le
$tage, c'est-a-dire dans une charette non-sus-
pendue, mais convene. On passe , en sortant
d'Albany ,1ariviere duNord. Lechemin jusqu'a
Lebanon, ou nous avons couche , est mon-
tueux , et presque tout en etat de commencement de settlement. Les terres , dans 1 etendue
de vingt-cinq milles, appartiennent a M. Rens-
( 325 )
selaer, lieutenant-gouverneur, le plus riche
proprietaire de l'Etat de New-Yorck , et peut-
etre des Etats-Unis. Beaucoup de ces terres
ont ete concedees par patente a ses ancetres,
lors de Vetablissement hollandais ; il en a acquis lui-meme beaucoup d'autres ; il en a re-
vendu une quantite considerable; mais il les
vend presque toutes avec la sujetion d'une
rente. C'est sans doute un revenu agreable ;
il me semble cependant qu'il peut n'etre pas
dans ce pays d'une longue solidke , et qu'il
serait plus sur de vendre franc de toutes
charges, et de placer alors son argent d'une
maniere independante. L'homme quipaie tous
les ans une rente sur sa terre , oublie bient6t
la justice de cette condition ; il ne sent que
le desagrement de payer aux epoques fixees ,
et profite de la premiere circonstance ou il
peut se debarrasser de cette charge.
Une yieille quakeresse qui n'a pas dit un mot,
et qui n'est venue que jusqu'a Philipstown ,
et M. Elroy, etaient la compagnie du stage.
Celui-ci est un proprietaire de la Pensylvanie
sur la Delaware , qui ne suit aucune profession , aucune voie de commerce , qui vit dans
sa ferme quand il ne court pas pour son plaisir;
Il n'est pas marie, sa sceur tient son menage.
il parait avoir une grande quantite de terres ,
X 3
( 326 )
sur-tout sur le Fish-Creek , dans le tract de
M. Sereiber, Il parait bon homme, mais triste
et ennuye.
La fievre, qui m'a pris vers Philipstown,
m'a empeche de prendre sur le pays les informations que nos differentes stations auraient
pu me procurer. J'ai seulement appris que
toutes ces terres se vendent de six a huit dollars. La derniere ville ayant d'arriver a Lebanon , est Stevenstown, sur un bel et grand
creek ; elle appartient encore au Patron, c'est
ainsi qu'on appelle dans Albany et ses environs
M. Rensselaer. D'ailleurs , le pays est triste ,
montueux , couvert de rocs, ne produit que
des hemlocks et des pins blancs. De Stevens-
town a Lebanon, en approchant de cette derniere place, le pays s'ouvre ; c'est un vaste
bassin forme par la terminaison d'une grande
quantite de montagnes de differentes formes ,
de differentes hauteurs , presque toutes culti-
vees en paturages jusqu'a leur sommef. Apres
avoir fait beaucoup de detours dans cette vallee,
on arrive a Vauberge de M. Staw.
Faux de Lebanon, Shakings-quakers.
Lebanon est un lieu d'eaux mineral.es, et
la taverne de M, Staw, placee a mi-cote de
( 327)
la montagne d'ou sort cette source, en est tout-
a-fait voisine; c'est-la que la plupart des bu-
veurs d'eau se mettent en pension. C'est de-la
aussi que la vue de cette valiee, ou plutotde ce
bassin, est la plus agreable , et elle Vest reel-
lement. Une quantite de jolies maisons placees
au milieu des champs, embellissent cette vue,
ornee encore de plusieurs villages. J'etaistrop
malade. quand j'y suis arrive pour en jouir. II
a fallu , quoiqu'ilfut a peine cinq heures , me
trainer dans mon lit , fink mon acces , y
prendre l'emetique, et renoncer a tout ce que
ce lieu offrait a la curiosite par lui-meme, et
par son voisinage.
En A uteri que , au moins dans quelques
Etats , les stages ne marchent point les di-
manches , il en est ainsi dans l'Etat de New-
Yorck. Nous avons employe notre matinee,
M. Elroy et tnoi, a aller voir les shakings-
quakers, espece de moines etablis a trois ou
quatre milles de la taverne ou nous etions. Si
*je n'eusse pas ete malade laveille , j'aurais ete
les voir au travail, et probablement Vimpor-
tunke de mes questions eut obtenu quelques
informations certaines sur leur origine, leurs
r.eglemens, la maniere dont les richesses communes sont distribuees et depensees, dont les
achats se font, dont la societe se renouyelle,
X 4
( 328 )
s'entretient, etsur-tout sur son etat actuel. II a
fallu nous borner a voir par nous-memes leurs
villages, l'interieur de leurs maisons , de leurs
jardins, leur cuke, et a savoir sur le reste ce
que le maitre de notre taverne et un autre
homme qui pretend les connaitre ont pu nous
en dire. i ,$?}*$
Leur gouvernement est une republique ad-
ministree despotiquement. Ils travaillent tous
pour la societe qui les nourrit, les vetit, mais
ils travaillent sous la direction d'un Chief-Elder
qu'ils choisissent, et qui est tout-puissant dans
son gouvernement; il a sous ses ordres des
inspecteurs de toutes les classes, et avec dif-
ferens degres dans leur pouvoir. Les comptes
lui arrivent ainsi progressivement, et ses ordres sont progressivement transmis. S'adresser
au Chief-Elder quand on n'est pas dans la
classe qui en a le droit, c'est se rendre cou-
pable d'un sacrilege, severeme'nt puni quand
il est commis par un membre de la societe,
et severement reprimande quand par hasard
il est le fait de quelqu'etranger ignorant. Le
mariage est interdit dans cette societe, qui ne
se renouvelle que par les proselytes, et qui
se renouvelle moins abondamment a present
qu'il-y a vingt ans, epoque de son etablissement dans le pays. Des hommes et des femmes
( 329 )
inaries sont admis, mais apres avoir renonce
l'un a Vautre ; souvent ils amenent leurs enfans, qui deviennent des-lors la propriet4
commune. II arrive bien quelquefois que mal-
gre la prohibition la chair parle et agit; si c'est
dans l'interieur de la societe, la punkion est
forte, exemplake, corporelle; si, ce qui arrive
leplus souvent, les amans se sauventpour se
marier, on court apres eux, et si on les at-
trape, on les punk comme pour Vautre cas ,
quoique dans la societe on ne fasse aucun voeu
positif.
En consequence de cette doctrine celiba-
taire , les hommes et les femmes logent se-
parement, mais dans la meme maison. 11 y en
a quatre d'habitation dans le village ; les autres
sont des ateliers. Tous les metiers s'exercent
dans cette societe ; on y manufacture des
draps , des toiles , des souliers, des selles, des
fouets, des clous, des ouvrages de menuise-
rie, enfin tout ce que l'industrie peut regarder
comme d'un debit stir. C'est dans les villes
, voisines qu'ils vendent leurs ouvrages , que
d'ailleurs ils debitent aussi chez eux. Les
femmes travaillent en linge, en tricot, en
vetement de diverse nature.
II parait que cette administration estmon-
tee a un grand point de perfection , que l'e-
( 33o )
mulation parmi les membres de la societe est
active, et que la societe est riche ; mais le
Chief-Elder seul en sait la verite. Ce peuple
d'ailleurs est bon, fidele a ses engagemens ,
excellent voisin, ouvrier exact, et raisonnable
dans ses prix. Voila tout ce que nous avons
pu apprendre des ridicules et des qualkes de
1'ordre monacal shaking, et j'ai dit comment
nous l'avions appris.
Quant a son cuke, j'en ai ete temoin. Lors-
que nous sommes arrives , il etaient deja a.
leur salle de culte ; c'est une piece desoixante-
dix pieds de long sur quarante - cinq a cinquante de large ; dix-huit croisees edairent et
rafraichissent cette chapelle ; une cheminee
est a chaque bout ; un rang de bancs places
contre.les murs entoure la salle ; quelques-
uns de plus sont a la droite des cheminees ;
a Vun des grands cotes sont les deux portes
d'entree pour les hommes et pour les femmes.
La salle est interieurement revetue enplatre,
les moulures des boiseries, des croisees peintes
en bleu leger, les bancs en rouge. Tout ce
qui pouvait etre assis V etait; le reste, et c'e~
tait le plus grand nombre, etait debout. Le
Chief-Elder ( l'ancien ) etait assis sur le milieu
du banc oppose aux portes. On nous a fait
eigne de nous asseoir entre les deux portes.
( 33i )
Les freres et les sceurs etaient dans un silence
absolu, Les hommes vetus d'un habit bleu ,
d'une veste noire et d'un pantalon a carreaux
bleus et blancs. Les femmes en long casaquin
blancr jupon bleu, tablier de la meme etoffe
que les pantalons des hommes ; un grand fichu
carre biencroise ,un bonnet plat rattache sous
le menton comme les tourieres de couvent.
Les hommes portent les cheveux plats; tous
les chapeaux etaient suspendus a des clous. A
mesure qu'une femme ou un homme est las
d'etre assis ou veut faire place a d'autres, il
se leve, reste debout, et. un autre se met a sa
place sur le banc. Tous les yeux sont fixes
vers la terre,,les tetes penchees, Vair hebete.
Les femmes portent a leur main un mouchoir
bleu et blanc, qu'elles ne quittent point ;,toutes
ont les bras croises ainsi que les hommes.
Cette premiere scene du culte a dure pres
d'une demie heure, apres quoi, sur un signe
du Chief-Elder, tous se sont leves , et s'alignant
hommes et femmes, chacun de leur cote ils
se sont formes en espece d'eventail sur plusieurs rangs. Les tetes de ces deux eventails
n'etaient separees que par le Chief-Elder, qui
restait debout a la place ou il etait assis , et
les ailes s'ouvraient vers les coins de la salle.
Les alignemens etaient tenement etudies ,
ges,
pl„-
( 532 )
qu'ils regardaient long-tems ou ils mettaient
leurs pieds avant de les placer. Ainsi range
et apres quelques momens de silence
sieurs d'entr'eux avaient dans les mains etdans
le visage de fortes convulsions, ainsi que de
violens tremblemens dans les cuisses, et dans
les jambes.
Sur un nouveau signe du Chief , car rien
ne se fait autrement, ils se sont tous mis a
genoux , puis leves quelques minutes apres ;
puis le Chief a entonne un chant sans paroles,
chant a la fois nasal et guttural, qui dans le
ton le plus grave n'emploie que quatre notes;
le chant est repete par toute la societe , et
cesse encore au signe du Chief.
Apr6s un troisieme silence et sur un autre
signe, Vordre de bataille change; les hommes
et les femmes toujours separes, se placent sur
neuf a dix rangs, faisant face au Chief, au-
pr6s duquel se mettent deux ou trois hommes
et autant de femmes, les anciens ou anciennes
de la congregation ; la cohorte des femmes
est separee de celle des hommes par un vuide
d'un ou deux pas.
J'oubliais de dire qu'avant de s'aligner ainsi
en front et en file , les hommes quittent leurs
habits, qu'ils accrochent avec leurs chapeaux,
et paraissent en gilet ; les manches de leurs
1
I ( 333 )
chemises rdevees par un ruban noir. II ne se
fait aucune alteration dans la toilette des femmes ; alors le Chief entonne un chant qui m'a
semble le meme que celui qui venait de pr6-
ceder; il est soulenu par les trois hommes
qui sont aupres de lui, et les femmes qui Vas-
sistent font a ce chant triste un dessus qui le
rend assez meiodieux. Au son de cette mu-
sique tout se met en mouvement: un saut et
une reverence en face, un saut et une reverence a droite, un saut et une reverence en
arriere, un saut et une reverence a gauche,
douze sauts et puis douze reverences en face;
ensuite on recommence jusqu'a ce que le Chief
cessant de chanter, ordonne ainsi aux assis-
tans de se take, et au peuple dansant de de-
meurer immobile. Les reverences des hommes
et des femmes sont un ploiement des deux
genoux, la tete a demi penchee , et les bras
ouverts ; puis les deux pieds tires successive-
vement avec un pe|k saut. Les femmes font
la reverence comme les hommes , maisglissent
au lieu de sauter; tout cela s'execute en cadence , avec une precision et un ensemble
dignes d'un regiment allemand.
De cette position ils retournent k celle de
1'alignernent simple, puis au premier ; quel-
quefois le Chief dit quelques mots qu'aucun
( 354 )
des etrangers n'a pu entendre. Cette suite de
scenes finie, deux femmes arrivent, chacune
arme'e d'un balai, balayant d'abord le cote des
hommes, qui se rangent pour leur faire place;
puis le c6te des femmes est balaye par deux
autres [ a qui les premieres remettent le balai;
puis les memes genuflexions, chants, aligne-
mens et sauts recommencent ; cette espece
de service divin a dure trois heures ; j'ai eu
la patience d'en attendre la fin, esperant pou-
voir parler au Chief ou a quelqu'autre; mais je
n'ai pu y parvenir.
Sur le signe du Chief, la ceremonie cesse ,
chacun reprend habit et chapeau, et tous sor-
tent ensemble deux a deux ; le Chief accole
avec un autre ; les femmes qui ont couvert
leur bonnet plat d'un chapeau presqu'aussi
"plat, sortent de Veglise et de Venceinte par
une porte differente , prennent la queue de
la colonne des hommes , suivent la marche
les bras croises sur leur p^krine, et se mettent
au pas.
On nous a dit qu'ils allaient diner, nous
n'en avons pas su davantage ; on ne penetre
pas le dimanche dans le jardin; nous ne l'avons vu que par-dessus la barriere, il est beau,
grand, bien tenu ; tout ce qu'ils ne consom-
ment pas de legumes est laisse pour monter
( 355 )
en graine, ils en vendent beaucoup ; toute3
les barrieres, les palissades , les portes sont
peintes avec autant de recherche que dans les
jardins anglais les mieux soignes; elles r6gnent
tout le long des rues pour en separerles maisons ; de jolis petits poteaux peints avec la
meme recherche marquent les trottoirs. Rien
n'est plus agreable, d'une proprete plus elegante que tout cet ensemble ; encore une fois
nous n'avons pu en voir davantage, mais nous
en avons vu assez pour savoir que cette
secte absurde pour ses principes religieux
et pour son culte, a un grand ordre, une
grande activite , une grande intelligence dans
son travail , une grande droiture dans ses
transactions.
II y a parmi les soeurs quelques jeunes filles
tres-jolies , mais la plupart sont d'un certain
age ; la proportion des jeunes hommes est plus
nombreuse. Cette secte -qui ne tient en rien
a la societe des Quakers, est etablie en Ame-
Tique depuis environ vingt-deux ans , et y est
Venue d'Angleterre. C'est a Nisqueunia, k
quelques milles-d'Albany, que s'est fait le premier 'etablissement en 1774; un ou deux autres se sont faits depuis. Le chef principal de
la secte est une femme; la premiere (Anna
ZieeseJ etait, dit-on, la maitresse d'un officier
( 336 )
anglais ; die est morte en 1784 ; elle a ete sue-:
cedee par une autre que la secteaelue, avec
l'opinion qu'on avait de sa predecessrice ,
qu'elle est infailible, et tient de la divinke.
Elle se tient a Nisqueunia, et les Chief-Elders
sont ses lieutenans dans les divers etablisse-
mens.
Quant aux eaux minerales de Lebanon, elles
sortent avec abondance d'une source derriere
la maison de M. Staw. Une espece de bassin
de six pieds cubes les regoit pour la commodity des buveurs. Sur l'extremke de ce bassin , est batie une vilaine baraque de planches
ou l'on prend les bains ; une soupape y fait
entrer la quantite d'eau desiree, qu'une soupape inferieure vuide. En sortantde ces bains,
et a cent pas plus bas, cette eau fait tourner
un moulin a grain de deux paires de roues. On
ordonne ces eaux pour toutes les maladies;
j'ignore si elles ontde grands succes, mais elles
paraissent beaucoup moins suivies que celles
Ballstown, pr6s Saratoga ; leur gout n'a rien
d'extraordinaire ; des builes s'eievent en si
grande quantite du fond du bassin, qu'il est
a presumer qu'elles sont impregnees d'air fixe,
quoique la saveur ne l'indique pas. Le docteur
Eray, de Boston, a qui ces eaux appartien-
nent,
( 337 )
nent, doit pour l'annee prochaine batir et faire
toutes les dispositions desirables pour les bu-
veurs et les baigneurs.
Les terres se vendent dans ce bassin depuis
six jusqu'a vingt-quatre dollars l'acre , selon
leur qualite. M. Staw et toute sa famille ont
eu de moi , pendant ma fievre , des soins;
vraiment pleins de bonte.
Pitts-Fields.
Le service de l'apres-midi etant termine,
les stages peuvent reprendre leur route. Nous
sommes done partis pour gagner Pitts-Fields ,
ou l'on arrive le premier jour en partant
d'Albany, quand ce premier jour n'est pas
la veille du dimanche. Au haut de la montagne Hancook , vers laquelle on se dirige
pour sortir de I ce bassin , est la limite de
l'Etat de New - Yorck , que l'on quitte , et
de l'Etat de Massachusetts ou l'on entre ;
le pays au-dela est plus ouvert ; ce sont
pour quelque tems encore de petites montagnes bien cultivees, ornees de maisons. On
decouvre Pitts - Fields cinq a six milles avant
d'v arriver.
C'est une jolie petite ville, commencee il
y a environ vingt-cinq ans ; les maisons j
Tome II. Y
(538 )
sont en menuiserie , grandes et jolies : les
edifices de culte elegament batis. Les prix des
terres et des ouvriers y sont a-peu-pres les
memes qu'a Lebanon; mais la monnaie change,
le dollar ne vaut plus que six schellings.
Pitts-Fields est dans le comte de Berkshire,
peuple d'envkon 50,000 habitans.
Fatigue de la fievre de la veille , attendant
la fievre le lendemain , je me suis couche
peu de momens apres mon arrivee, mais moh
sommeil a ete interrompu par une scene de
galanterie entre M. Ekoy et une grosse
fille fraiche , ayant de beaux yeux ; cette
scene se passait sous le porche, et mon lit
etait aupres : my dear , my dear I kiss me ,
kiss me! et tout cela pendant une heure. J'ai le
lendemain complimente mon compagnon sur
cette bonne fortune, dont je ne connaissais
pas toute l'etendue; elle n'avait pas ete au-
dela des baisers les plus tendres et les plus
ardens des deux parts; tout ce qu'il avait
pretendu deplus, avait ete fortement repousse.
Je rapporte cette anecdote pour donner une
idee des mceurs; on pretend que ces aven-
tures sont tres-frequentes, et que les filles
du pays ne s'en croient pas moins sages pour,
se pretcr a ces petites priyautes, poussees
cependant quelquefois un peu plus loin.
(339)
Northampto
Nous etions arrives hier dans une charrette
couverte. On nous avait flatte d'une meilleure
voiture pour aujourd'hui, et c'est une vraie
♦charrette non couverte. Quand j'ai considere
que c'etait dans un tel tombereau que j'avais
a passer mon jour de fievre, j'ai ressenti une
peine profonde , mais la loi de la necesske
est plus forte que toutes les reflexions; j'ai
obtenu avec grande peine quelques poignees
de foin pour m'y coucher, et la, tremblant
la fievre , briiie par un soleil ardent, souf-
frant plus que je ne puis le dire, j'ai traverse
les Green - mountains, pays sauvage , pier-
reux, mais cultive jusqu'au sommet des monts
qui rappellent beaucoup de vues de la Suisse
ou plutdt des Vosges; les chemins ne sont
qu'une continuke de rocs. Notre charrette a
anete a moitie chemin de Northampton. Je
n'aurais pas pu aller plus loin. J'ai acheve
mon acces dans un lit ou je suis reste deux
heures. La pitie du conducteur nous avait
procure un stage suspendu et convert, et nous
sommes arrives ainsi a Northampton , pays
charmant, jolie ville ou les belles et bonnes
maisons sont multipliees, et ou nous avons
Y 2
( 34o )
trouve une taverne telle que je n'en ai pas
encore vu deux en Amerique ; reunissanlM
etendue et proprete dans les batimens, com-B
modkes dans les distributions , bonne mani6reB
dans les maitres , abondance et rechercheB
dans les provisions.
La position de Northampton est tres-agreablesB
les bords de la riviere de Connecticut, surB
lesquels cette ville est batie , sont rians ,
presque totalement cukives en prairies. Les
maisons y sont proprement construites et pro-
prement peintes. Le nombre des habitans y
est de plus de seize cents; c'est la capitale
du comte di Hampshire , dans l'Etat de Mas-B
saehussetts. Cette ville fait un petit commerceB
avec Harford, Ou. elle envoie en bateau lesB
productions des pays dont elle est environnee;
on ei6ve un assez grand nombre de bestiauxjB
dans tout ce comte qui contient soixante mille
habitans.
Route a Spencer.
L'Etat de Massachussetts est cultive pres-
qu'autant que la France; je n'en traverse sans
doute pas la plus belle partie, puisqu'elle est
couverte de pierres et de rochers, et cependant elle est cukiyee par-tout. Les maisons
( 341 )
sont rapprochees etbatiesau milieu des champs
et des fermes qui leur appartiennent ; ces
maisons sont soigneusement faites , toutes
en menuiserie , bien peintes en blanc. Les
granges , les ecuries le sont en rouge ; presque toutes les clotures sont en murs de pierres
seches. Toutes les recoltes sont achevees; on
en est a la seconde coupe des foins ; six a.
sept faucheurs travaillent a-la-fois sur le
meme pre ; c'est une activke , une richesse
qui fait plaisir 'et qui permet de ne pas ou-
blier tout-a-fait les idees d'Europe. Les che-
vaux sont enabondance dans tous les champs;
ils ne m'ont pas paru d'une espece bien re-
marquable ; les bestiaux sont beaux et cou-
vrent les patures.
En quittant Northampton on passe la jolie
riviere de Connecticut; ses bords sont verds
et d'une inclinaison douce qui doit preserver
les campagnes des inondations ; on m'a dit
en la passant que les bateaux de quinze a
vingt tonneaux remontaient la riviere jusqu'a
cinquante milles plus haut, et que les sloops
pouvaient arriver a quarante milles au-dessous
de Northampton. Nous nous sommes arretes
I Belley-town ; c'est le point de jonction des
routes d'Albany et de New-York. Notre compagnie qui le matin avait ete augment.ee d'un
Y 3
1
(34a)
maussade petit gargon, l'a ete, par l'arrivee du
stagedeNew-York, dedeuxautrescompagnons.
M. Williamson , proprietaire en Georgie ,
homme de bonne compagnie , mais chaud en
politique anti-federaliste , .et d'un autre jeune,
homme deNew-York, dont je n'ai pas eu le
tems d'apprendre le nom. Le meme pays
continue avec de plus beaux chemins jusqu'a'
Spencer, ou les cohducteurs des stages de
la nouvdle et ancienne route de Boston , at-
tendaient l'arrivee dti notre afin de" sollicker
notre preference, chacun pour le sien. J'etais
bien decide a donner la mienne a celui que
les autres ne choiskaient pas. J'avais besoin
d'etre un peu a mon aise , et ce jour d'inter-
valle de fievre nes'etaitpas si bien passe que
le premier. \\
Marlborough. Maladie. La Famille
Williams.
Nos arrangemens ont-ete faits tellemdnt,
queie mercredi 19 nous nous sommes trouves
seulement quatre dans notre stage. J'etais
d'ailleurs place sur le banc de detriere ; la
compagnie s'est accrue a Worcexter de trois
dames qui voyant mon air malade , n'ont pas
voulu accepter ma place; mais malgre leur
( 343 ) ;
complaisance, ma bonne place et ma resolution a souffrir tout ce que je pourrais supporter , il a fallu m'arreter a Marlborough.
Je ne pouvais endurer plus long-tems le mou~
vement de la voiture , et j'ai prie la compagnie de me deposer dans une taverne, d'ou
j'avais la certitude de pouvoir partir le lendemain par le mail-stage (diligence qui porte les
lettres. )
Bien m'en a pris de m'arreter; je n'ai pas
plutot ete dans le lit, que le transport s'est
joint a ma fievre; un mai de tete violent me
rappelak momentanement a moi-meme pour
sentir que je n'y etais pas tout-a-fait; que j'etais seul au milieu de gens qui ne m'avaient
jamais vu, et que j'etais bien malade. Ces ve-
rites produisaient de serieuses et tristes reflexions, qui de tems a autre me menaient pres
du desespoir. Heureusement les gens chez qui
j 'etais se sont trouves les meitteurs du monde;
•ils m'ont soigne comme leur enfant, hommes
et femmes, snr-tout les femmes vieilles et
jeunes, car cette famille est nombreuse, m'ont
garde , veille avec un soin extreme; elles oat
decouvert que j'avais la dyssenterie , ce que je
• ne soupconnais pas , et ce qui n'etait proba-
Mement que Veffetdela chaleur sur un corps
deja bruie par la fievre ; die n'a pas dure.plus
Y 4
(344)
de deux fois vingt-quatre heures. II a bien
fallu cependant ceder aux instances de ces
bonnes femmes , et envoyer chercher le docteur , qui ne pouvant venir sans me rien or-
donner , m'a fait prendre des pillulles. II a
fallu rester encore quatre jours de plus dans
cette maison , ou j'etais reellement aussi bien
que possible, et d'ou Vetat excessif de faiblesse
dans lequel j'etais m'empechak de sortir. J'y
ai eu la fievre et le deiire encore , et toujours
j'ai eu plus de sujet de me louer de cette ex-
cellente famille.
Elle se nomine Williams; le tris ayeul du
Williams qui tient aujourd'hui la taverne ,
est venu d'Angleterre dans le tems des premiers etablissemens , et ce qui est remar-
quable, a bati la meme maison que Varriere-
' petit-fils habite aujourd'hui. La chambre ou
j'ai couche n'a souffert aucune alteration
depuis ce tems ; c'est celle ou sont nes
tous les descendans de ce premier Williams.
Le6 freres du mari, la sceur de la femme ,
ses enfans , les enfans de la maison habkent
ensemble et composent une seule famille.
Independamment de la taverne , qui doit rap-
porter de bons profits , car elle est tres-fre-
quentee, M. Williams est proprietaire d'une
ferme de deux cents acres , presqu'aux trois
( 345 )
quarts en culture, ou pour mieux dire en
prairies , comme c'est l'usage dans le Massachusetts , les pres y etant coupes de bonne
heure, ils donnent une seconde coupe. Les
deux rendent cinq a six milliers de foin par
acre. Ce qui n'est pas en prairies est cultive
en mais ; on y fait aussi un peu d'avoine
et d'orge , mais seulement ce qu'il en faut
pour nourrir les chevaux et pour la bierre qui
se consomme dans la taverne.
Le prejuge du mais est fortement enracine
dans^ce pays , d'ailleurs la culture y est beau-
coupBpdlleure que dans tout ce que j'ai vu
encore de l'Amerique ; les fumiers sont re-
cueillis avec soin; on profite des parties vagues
et humides des routes pour les retOurner au
printems et en faire un engrais. On n'entend
pas Vagriculture comme en Angleterre, mais
cependant on la tefiechit un peu , on la rai-
sonne. Les bestiaux sont abondans et de la
plus belle espece. L'espece des cochons est
d'une beaute remarquable, s'engraisse enor-
mement et avec facilke. Le rgarche de Boston
offre un debouche certain a tout ce qu'on y
peut envoyer. Les ouvriers se trouvent en
grande abondance , et se payent quatre schellings et demi par jour, ou de dix a douze dollars par mois.
( 546 )
; Tout est, dans cette partie de l'Amerique,
d'une aetivke vraiment europeenne ; des boutiques de toute nature le long des chemins ,
dans tous les villages , des ebenistes, des bot-
tiers,des selliers, des carossiers, des tanneurs,
et tout cela mukiphe. Comme mon ami M,
"Williams n'est pas tres-verse en economie politique , il n'a pas pu m'expliquer la theorie de
l'impot de l'Etat. Il m'a dit seulement que
pour les differentes taxes dontson role general
etait compose , tant pour l'Etat que pour le
comte , et pour le township , il pajJsIt aii-
nuellement a-peu-pres quarante dolla^JBinde-
pendamment de quatre dollars et demi pour
licence de taverne. Le docteur Cotty, chi-
rurgien , qui est venu me voir , et qui est
proprietaire d'une ferme de quatre vingt
acres, paye vingt dollars; c'est aussi un tres-
bon homme dont j'ai eu a me louer.
Toutce monde est fort occupe de politique,
tout, jusqu'a la fille de journee , lit deux gazettes par jour. M. Williams et le docteur Cotty
n'aiment pas lea|traite, parce qu'ils n'aiment
pas les Anglais , et qu'ils disent qu'il ne faut
pas s'y fier; mais ils ajoutent: «il faut laisser
33 faire le president, il fera bien ce qu'il fera >3.
Encore une fois , je ne puis assez me louer
de toutes ces excellentes personnes. Etranger,
( 347 )
malade, absolument inconnu , et dans un ap-
pareil de mediocrke qui ne ressemblait pas
mai a la misere ;rien que la bont'e , l'humanke
et lfes vertus hospkalieres de cette respectable
famille, n'a pu me donner droit aux soins
quelle m'a prodiguessans relache pendant les
cinq jours que j'y ai passes, soins dont les occupations de leur ferme, de leur taverne, ne
les ont jamais distraks. Ils ont joint a ces pro-
cedes si bons , celui d'etre plus que raisonna-
bles dans le memoire de ma depense , qui,
trois fois plus considerable , ne l'aurait pas ete
encore trop, pour tout l'embarras que je leur
ai donne. Puisse, cette respectable famille,
jouir de tout le bonheur qu'elle merite ! Ce
souhait sincere et ardent, sera celui de toute
Rencontre du General Knox.
Enfin pouvant un peu mieux supporter la
fatigue, et presse d'arriver a Boston, ouj'es-
perais trouver des lettres, j'ai profile le samedi
22 aout du mail-stage qui s'arrete a la taverne
de Williams ; c'est le meme genre de stage
que les autres, plus leger, mieux suspendu , et
ou six personnes seulement peuvent tenir. Il est
particulierement destine a porter des lettres.
1348)
Je n'avais pas fait plus de trois a quatre milles,
quand nous avons ete arretes par une voiture
a quatre chevaux. C'etait le general Knox ,
que ses affaires avaient amene a Boston , a
qui le hasard avait appris que j'etais malade
a Marlborough, et qui venait me chercher.
On peut juger de ma satisfaction et de ma
reconnaissance ; mais redlement peut-on etre
meilleur? Je Vavais vu l'hiver precedent k
Philadelphie, j'avais souvent ete dans sa maison , ou je me plaisais beaucoup ; mais je
n'avais aucun droit d'esperer de lui une bonte
si particuliere. J'etais trop faible pour expri-
mer ce que j'eprouvais, je ne le sentais que
plus fortement.
Le chemin de Marlborough a Boston estnn
village presque continuel. A vingt milles de la
ville commence une succession de maisons
plus propres et plus agreables les unes que les
autres ; de jolis jardins, de beaux vergers , une
riche campagne, un luxe de chevaux , de
bestiaux, de moutons; et de Vagrement dans
la culture; des arbres laisses ou plantes expres
au milieu des champs , pour donner abri aux
animaux , ou meme pour embellir la vue; des
eglises multipliees, toujours dune construction simple, mais mieux peintes , des clochers
mieux faits ; elles sont entourees d'ecuries ou-
■*T-
(349)
vertes, ok les habitans voisins mettent leurs
chevaux a couvert pendant le tems du service;
c'est un usage general regu dans toute l'Amerique, mais le Massachussettsetant plus peuple
etplus riche qu'aucunEtat quej'aie vuencore,
ce genre d'etablissement, inconnu en Europe,
y est plus etendu et plus soigne.
Enfin on arrive a Boston par le beau village
de Cambridge, et par un pont de bois fini
l'annee derniere, long d'un mille, en y coni-
prenant la chaussee qui le precede. Ce pont
est d'une construction elegante et legere ; il a
ete bati;aux fraix d'une compagnie qui en a le
peage, et qui en tire vingt pour cent de ce qu'il
lui coute.
J'etais trop malade pour voir avec plaisir
et pour bien voir: cependant je n'ai pu etre
insensible a Vaspect de ce beau pays qui res-
semble a I'Angleterre.
Je m'anete a Boston.
Fin du second Volume.
(f
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