@prefix edm: . @prefix dcterms: . @prefix dc: . @prefix skos: . edm:dataProvider "CONTENTdm"@en ; dcterms:alternative "Voyage dans les États-Unis d'Amérique"@en ; dcterms:isReferencedBy "http://resolve.library.ubc.ca/cgi-bin/catsearch?bid=1733430"@en ; dcterms:isPartOf "British Columbia Historical Books Collection"@en, "Voyage dans les États-Unis d'Amérique"@en ; dcterms:creator "La Rochefoucauld-Liancourt, François-Alexandre-Frédéric, duc de, 1747-1827"@en ; dcterms:issued "2016-07-06"@en, "[1799]"@en ; dcterms:description "\"La Rochefoucauld travelled in the eastern United States and in Upper Canada where his remarks caused great annoyance, reI. Story. Vol.3, P.19 et seq. contain an account of the voyage of the Jefferson Captain Robert, which spent six months of 1793 in the vicinity of Nootka and Barkley Sounds and the Queen Charlotte Islands.\" -- Strathern, G. M., & Edwards, M. H. (1970). Navigations, traffiques & discoveries, 1774-1848: A guide to publications relating to the area now British Columbia. Victoria, BC: University of Victoria, p. 165."@en, ""@en ; edm:aggregatedCHO "https://open.library.ubc.ca/collections/bcbooks/items/1.0305883/source.json"@en ; dcterms:extent "iv, 349 pages ; 21 cm"@en ; dc:format "application/pdf"@en ; skos:note """ 1 1 VOYAGE DANS L E S E T AT S-U N I S D'AMERIQUE. yOYAGE ^ANS LES :etats-uni s D'A MERIQUE, FAIT EN 1795, I796 ET 1797. Par LA ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT. TOME SECOND. A PARIS, ( Dd Post, Imprimeur-Libraire, ruedelaLoi, N.° J23l, Chez < Buissoir, Libraire , rue Haute - feiiille. ( Charles Powgews , Libraire, rue St-TJhomas du Louvre. LAN VII DE LA REPUBL1QU E, TABLE DU SECOND VOLUME. SUITE DU VOYAGE AU NORD-OUEST ET AU NO RE)! EN 1795. EXCURSION DANS LE HAUT-CANADA. ■^j-RRiviE dans le Ham-Canada, Pages' i Fort Erie. Etat des garni sons anglaises sur les lacs, 4 Commerce du Lac Erie, 7 Voyage en bateau dufort Erie aufort Chippawa, 10 Chute de Niagara, 12 Fort Chippawa, xj Autre aspect de la chute, 18 Moulins pies de la ckdte , si Route de Chippawa a Navy-Hall, 2.3 Arrivee a Navy-Hall: attention du Gouverneur Sim- coe. Lettre a Lord Dorchester, 26 Administration generale et division du Canada, 28 Constitution des deux Canadas , 3v Vues, projets, espoir du gouverneur Simcoe sur le Haut-Canada: obstacles qu il peut rencontrer, 3g Impositions du Haut-Canada, - 61 Tribunaux , Districts, Pages 65 Cpmtes et Milices, 65 Depenses de VAngleterre poixr le Haut-Canada, 67 Conseil executif: Concession des terres, 70 Newarck: cherte, 7a Jndiens Tuscororas: leur vislte au General: leurs Danses, ft Etablissement du Colonel Brant, 8z Autre visite des Jndiens Senecas au General, 82 P6che, 84 Newarck; maisonst ouvriers, soldatst 85 Ouverture de VAssemblee du Haut-Canada, 88 Fort de Niagara, go Courses autour du Lac, 92 Gazettes: Esprit public : Religion , io3 Village indien des Tuscororas, io5 Yorck, m Depart de Navy-Hall, 113 Passage du Lac, 117 Arrivee a Kingston, 12a Difference d'opinion du Lord Dorchester et du Gouverneur Simcoe sur Kingston, 12S Kingston. Ville, District; Commerce, Agriculture, Prix, etc., i3i M. Steward. Religion. Ecole. 140 Soixantieme Regiment: accueil que nous en recevons. Opinion des Officiers , 145 Canadiens, 148 Etablissement naval, i$o Desertion. Jndiens, i5^ M Riz et Chanvre sauvages , Pages i55 Promenade h Guansignougua creek, et moulins, 156 Communication entre les Lacs et la Riviere des Illinois, 160 Comptoiraux Illinois. Commerce des fourrures, i63 Depart de Kingston. Reflexions, 166 Oswego: son Fort, sa Douane, 169 Informations ultirieures sur le Canada , 178 Commerce des Pelleteries, et approvisionnemens d'Europe, 189 rJwitfes renseignemens, igi Renseignemens sur le commerce des Pelleteries, extra:ts dun Journal de M. le comte Andriani, de Milan, qui a voyage dans I'intirieur de VAme- rique en 1791, 216 Valeur des marchandises de la Province du Canada, dans le courant de Vannee 1786, 228 Depart d'Oswego, 23a HETOUR DU CANADA JUSQu'a BOiSTON. Route depuis Oswego jusqu'aux chutes, oSft Chutes d'Oswego. ekJPenjfrs^ . 240 Three-rivers poifte,'Et squire Bingham, „r^4 Rbtterdam, et Lac Oneyda. M. de Vatines , 25a JVood - creek, 263 Canada-creek, 265 Fort Stanurix, 267 Riviere des Mohawks, Mayers-tavernex 271 Schuylertown, 273 German's-Flats, 276 1 ;es 279 282 286 288 289 299 3o6 3o8 3og Canal et Ville de Little-falls: Palatine Shenectady, Route d'Albany', Observations mineralogiques, Albany, Saratoga, Stillwater, M. Thompson, Cohoes-fall, New-city et Troy, 3xo Observations mineralogiques et Q^UjreSj. 5n Sur le Traite de Commerce cntre I''Amcrique et l'Angle ter re, 3i3 M. et Madame de la Tour-du-Pin, M. le CouUeux, etc., 516 Potasse et Pearlasse, 3ig Route d'Albany a Lebanon, ZzS Eaux de Lebanon. Shakings-quakers, Pitt&ffitMst '<'■ Northampton, Route a Spencer, Marlboroug. Maladie. La Famine ffluttamit, Rencontie du G£tiefaXfinox, SzG ■3% 339 340 347 .VOYAGE DANS LES ETATS-UNIS D'AME RIQUE. SUITE DU VOYAGE AU NORD-OUEST ET AU NORD EN 179^. EXCURSION DANS LE HAUT-CANADA. Arrivee dans le Haut-Canada. C'est le samedi 20 juin 1795, que nous somraes entres dans le Haut-Canada. Les bateaux sur lesquels nous avons passe la riviere de Niagara, appartiennent aux Anglais ; et par cela meme ils sont mieux soignes que la plupart des bacs ou. bateaux d'Amerique, Tome II. *A ma&mxmaiP* <&8mM -~^^i ( 2 ) laisses a la direction des propri&aires, sans qu'aucun officier public s'occupe de leur soli- dite , ni de la surete des voyageurs. Le bac est ici un bateau creux , dont les bords ont un pied et demi de hauteur, et assez fort, assez grand , pour porter cinq chevaux , sans apparence de danger. Le maltre de ce bateau a commission de prendre les noms des voyageurs ; les n6tres e^taient connus : depuis long-tems nous £tions annonces aux postes par le general Simcoe, gouverneur du Haut-Canada, qui avait ete prevenu de notre arrivee par M. Hammond , ministre d'Angleterre pres les Etats - Unis. M. Guillemard , qui etait passe la veille , avait dit que nous arriverions le lendemain; et le capitaine d'une fregate anglaise, en reparation a l'autre bord , nous avait envoy^ son canot, des qu'il nous avait appereus. Notre guide Poudrit nous avait precede" au bord. de la riviere, pour appeler le bateau public ; de maniere qu'arrivant avant le canot, dont la destination nous ^tait d'ailleurs incon- nue , nous y sommes montes. Le passage est de quatre a cinq minutes de la cote de l'Amerique a la c6te anglaise ; il est d'un quart d'heure en Yenant de la cote anglaise a la cote americaine. 1; (3) Le fort Erie est sur le lac, a deux milles plus haut que le point ou se passe la riviere. Le commandant avait charge le capitaine de la frigate de nous faire ses complimens , en, attendant qu'il put nous venir voir lui-meme. Nous avons juge" devoir repondre a,cette poli- tesse , en lui portant sur le champ nos passe- ports ; nous nous sommes done mis en route : nous n'etions pas vetus cependant pour une visite de ceremonie , et la pluie rendant notre tenue plus mauvaise encore , nous nous sommes determines a aller nous secher a la taverne, et y attendre quele terns, qui paraissait devoir s'eclaircir , nous permit d'aller au fort. Nous n'etions pas encore habille's, que le commandant etait chez nous ? et que, nous annoncant qu'il avait ordre de nous faire toutes les honnetete"s qui etaient en son pouvoir , il nous priait a diner. Cette politesse etait fort de notre gout : apres avoir pass6 trois jours dans les bois , le diner d'un commandant etait une vraie fete. Nous avons done accepte" sans difficult^ et nous nous sommes achemines avec lui vers le fort. ( 4) Fore JErie. Elat des Garnisons anglaises sur les lacs. Le fort Erie est appele fort on ne sait pourquoi ; e'est une reunion de maisons de bois tres-grossieres , entourees de palissades branlantes, sans rempart , sans chemin cou- vert, sans aucun mouvement de terre. Des maisons construites en troncs d'arbres , (log- houses ) sont le logement des officiers et des soldats , et d'un cqmmissaire du gouvernement pour les approvisionnemens; quatre autres malisons pareilles pour loger les ouvriers , et un grand magasin appartenant au roi, sont hors de cette enceinte , celui-ci a son rez-de- chaussee construit en retraite, de facon que par des ouvertures faites au premier e"tage , on en pourrait facilement defendre l'approche a coup de fusil. C'est ce genre de consti-uc- tion , fort commun dans l'Amerique libre et dans l'Amerique anglaise , que Ton nomme block-house. Le fort n'a done jamais pu etre considere" que comme point de protection contre les Indiens, pour le commerce du lac a la pointe duquel il se trouve , et jamais comme fort, dans l'acception generalement donnee a ce mot. II est d'ailleurs a present plus neglige1 que jamais, parce que la reddi- tion prochaine aux Americains des forts sur l'autre rive , met les Anglais dans 1'alternative indispensable ou de n'en avoir point de ce c6te-ci, ou d'en batir d'une defense respectable. Une compagnie du cinquieme regiment est en garnison au fort Erie ; le capitaine de cette compagnie a le commandement de la place. C'est aujourd'hui le capitaine Pratt; il a par son anciennete commission de major, et il en porte le titre. Le service militaire des sol- dat's est, dans cette garnison , borne" a une sentinelle ; mais ils doivent faire celui des bateaux appartenant au gouvernement. Presque toutesles provisions , les munitions de toute espece arrivent d'Angleterre et par les lacs. La navigation Unit dans la riviere de Niagara , a sept milles plus haut que le lac Ontario; de la , portage a Chippawa pour neuf autres milles; puis la navigation recommence par des bateaux jusqu'au fort Erie" , ou les effets destines au fort du Detroit sont embar- ques dans des navires. C'est la navigation des bateaux du fort Erie au fort Chippawa , et le retour de-la au fort Erie , dont sont charges les soldats; elle est tres-penible en remontant, et ils ne recoivent pour cette fatiguanre corvee A 3 (6) que quinze schellings a partager entre cinq hommes , dont est corriposee l'expedition. Les soldats ont d'ailleurs un jardin ou ila peuvent cultiver les legumes, dont il leur serait impossible de se pourvoir autrement; le roi d'Angleterre leur fournit en nature leur ration , composee par jour d'une livre de fa- rine , d'une livre de pore, sale, cle quatre onces de ris et d'une petite quantite de beurre; cette ration , qui sans aucun dou'te , coute au roi fort cher, est donnee aux soldats pour deux pences et demi, qui leur sont retenus sur les six qui composent leur paie; il en est ainsi dans toute l'etendue du Canada. Une autre compagnie du meme regiment est a Chippawa et huit au fort Niagara. Le vingt- cinquieme regiment est au' fort du Detroit, et fournit a quelques petits forts en avant, retenus aussi par les Anglais, et deslines a etre bientot delivres aux Americains. Le fort du Detroit est au bout du lac Erie" , et sur la riviere qui le separe du lac Saint-Clair. L'etablissement du Detroit a e"te fait en 1740 ; il est presqu'entierement compose de Eran$ais, etreunitenvirontrois mille families; il est, dit-on , en bon etat de prosperite. Une centaine d'hommes d'artillerie sont encore distribuds entre le Detroit , le fort (7) Niagara el quelques autres places dont j'aurai occasion de parler. La residence des troupes en Canada est or- dinairement de sept annees , pendant lequel tems elles doivent changer annuellement de garnison; la guerre de l'Europe , la crainte de la guerre en Amerique , a change ces dispositions ordinaires, et les regimens sont de- puis trois ans dans les memos places , circons- tance qui ne plait pas a ceux qui ont les pe- tits forts en partage; les regimens sont > pour la meme cause , rdduits aujourd'hui a la moitie de leur complet. Comn I du Lac Erie. Un magasin appartenant a un particulier est aussi au fort Erie ^ detached cependant des batimens dont la propriete" appartient au roi. Dans ce magasin sont placees les marchan- dises , qui, venant d'en bas , sont destinees pour le Detroit, et qui, venant d'en haut , doivent passer a Niagara , Kingstown, Mont-r R^al, Quebec, etc. Elles sont mises sur le chemin de leur destination a la premiere occasion , c'est-a-dire , en bateau pour en bas , et dans des navires pour le Detroit. Quatre ou cinq batimens marchands font le service dvi A4 f g^EAngwummi • (8) lac Erie1, independamment de trois a quatre sloops armes appartenant au roi. Les fourrures sont les marchandises qui viennent, en plus grande quantite , du cote du Detroit. Nous avons cependant vu quelques barriques de beau sncre d'erable fait par les Indiens ; on nous a dit que la quantite qui en passait annuellement pour le commerce , C"tait considerable , sans que nous ayons pu savoir precisement ce qu'elle etait. Le maitre du magasin loue par saison une vingtaine de Canadiens qui chargent et dechargent les batimens , emmagasinent les marchandises , et conduisent les bateaux au portage d'en bas. Ces Canadiens, en apprenant que nous etions Francais , nous out temoign^ une bienveil- lance , un plaisir et un respect dont nous avons cru devoir, a notre position, la prudence d'eviter les expressions repetees. Le Chippawa , capitaine Haro , sloop appartenant au roi, est arrive pendant notre sejour au fort; il avait mis sept jours dans la traversee depuis le Detroit; elle se fait sou- vent en deux. Le numeraire est extremement rare dans ce coin du monde; c'est du Bas-Canada qu'il doit y arriver; mais a Quebec et a Mont-Real, cm n'aime pas a s'en desaisir , et sous le pre- (9) texte des dangers de son transport, le treso- rier meme des troupes n'en envoye pas pour la solde ; comme il recoit lui-meme cette solde en monnaie , il ne pourrait se refuser de la distribuer telle aux tresoriers des regimens , s'ils venaient la chercher, soit a Mont-Real, soit a Quebec, ou il reside , mais le voyage aux frais des corps serait une taxe un peu chere sur cet argent, dont toutes les parties doivent arriver entieres a leur destination; il envoie done des lettres de change , qui sont payees en papier que chacun fait a sa fantaisie, et qui est pris par tout le monde avec une confiance semblable a celle que nous avons vue en France dans la seconde ann^e de la revolution ; il est de ces billets qui ne valent que deux sols; tous sont depetits chiffons de papier imprimes ou ecrits a la main, souvent sans aucune signature, la plupart effaces ou dechires. Des Indiens etaient arrives dans plusieurs pirogues pendant notre diner ; ils ont dresse sur le bord de la riviere de petits camps que nous avons trouves en revenant. Nous avons eti cordialement accueillis par eux, et la situation d'un de nos compagnons, peu diffe-: rente de celle ou nous avons trduve le plus grand nombre de ces buveurs de rhum, a pu n'etre pas inutile a notre bonne reception. f ( io ) 'J^oyage en bateau du fort Erie au fort Chippawa. Apres un bon dejeuner sur la fregate Lo- towha, ou nous avons eir occasion de savoir que ce batiment, du port d'environ 40 ton- neaux , perce pour 16 canons , avait coiitede construction plus de 5ooo liv. st. ( ce qui peut donner quelqu'idee de l'enormite" des prix de ce pays). Nous nous sommes embarques pour Chippawa le dimanche 21. Le major Pratt a insiste pour que nous prissions un bateau du gouvernement;c'etait, disait-il, ses ordres ; il l'a garni de six soldats bons rameurs , et a voulu encore que le lieutenant Faulkner nous accompagnat jusqu'a Niagara. Aucune resistance n'a pu empecher ce compliment, qui m'eut embarrasse dans le terns de ma splendeur , et qui aujourd'hui ressemble plus encore a une plaisanterie. II a done fallu s'y soumettre , et faire comme si j'etais encore quelque chose , dans le sens dont l'entendent les faiseurs de complimens. Nos chevaux ont ete" nous attendre au lieu ou nous devions debarquer. Nous approchions de la vue de cette grande chute de Niagara, qui &ait un des objets (11) principaux de notre voyage, que j'avais de- puis long - terns le desir extreme de voir , don't chacun de nous se composait dans l'en- thousiasme de son imagination , une idee particuliere. Chaque coup de rame nous avancait vers elle , et tout entiers a l'avidite d'en appercevoir la vapeur et d'en entendre le bruit, nous donnions peu d'attention aux bords de ce fleuve passablement habite du cote du Canada , au cours majestueux de ses eaux , a la vaste largeur de son lit. Enfm , nous avons entendu ce bruit, nous avons vu cette vapeur; le terns n'etait pas favorable pour nous donner de bien loin ce charme precurseur; la rapidite du courant qui commence a se faire sentir plusieurs milles avant le lieu meme de la chute , nous a bient6t amenes a Chippawa; il faut, un mille avant d'y arriver, ne pas quitter le bord du fleuve; on serait, sans cette precaution, prompte- irient conduit dans les courans , qui entrai- nent irresistiblement dans le gouffre tout ce qui les approche ; il faut meme un grand effort de rames pour remonter le creek de Chippawa , qui donne son nom au fort. Nous n'y avons pas plutot aborde" , que l'impatience de courir a la chute est devenue un besoin imperieux; a peine avons nous donne aux (12) politesses du capitaine Hamilton , qui coni- mande dans ce fort, toute l'attention qu'elles meritaient. Nous avons seulement accdpte pour quatre heures un diner qu'il a bien voulu, a notre consideration , retarder autant, et imontcs sur nos chevaux , nous nous sommes , avec le lieutenant Faulkner, diriges vers la chute. Chippawa en est a un miile et demi en ligne droite ; mais les bords de la riviere font un si grand detour que le chemin qui les suit parcourt une distance de plus de trois milles. Chute de Niagara. C'est a Chippawa meme que ce grand spectacle commence. Le fleuve qui depuis le fort Erie s'est toujours etendu, est large en cet endroit de plus de trois milles ; mais il se res- serre promptement; la rapidite de son cours deja considerable redouble encore, et par la grsande inclinaison du terrein sur lequel il coule , et par le retrecissement de son lit. Bientot la nature de ce lit change ; c'est un fond de roc , dont les debris amonceles ne presentent des obstacles a ces eaux impe- tueuses que pour en augmenter la violence. Apres un pays presque plat, une chaine de ( i3) n rocs tres-blancs s'eleve ici aux deux cote's du fleuve , reduit a la largeur d'un mille; ce sont les monts Alleganys qui ont, pour arriver a ce point, travers6 tout le continent de l'Amerique depuis la Floride. Le fleuve Saint- Laurent, ici nomme" riviere de Niagara, resserre par les rochers de sa droite, se divise ; une branche suit les bords de ces rochers, dont la projection la jette elle-meme fort en avant; l'autre , et c'est la plus considerable, separee de la premiere par une petite lie, se jette brus- quement sur la gauche , s'y fait au milieu des pierres une espece de bassin , qu'elle remplit de ses tourbillons, de son e"cume et de son bruit; enfin arretee par les nouveaux rochers qu'elle trouve a sa gauche, elle change son cours plus brusquement encore , a angle droit, pour se pre"cipiter en meme-terns que la branche de droite, de 160 pieds de hauteur par-dessus une table de rochers presque demi circulaire , applanie sans doute par la violence de cette immense masse d'eau qui roule depuis la naissance du monde. La elle tombe en formant une nappe pres- qu'egale dans toute son etendue, etdontl'uni- formite n'est^interrompue que par l'ile qui, separant les deux branches, reste inebranlable sur son roc, et comme suspendue entre ces ( i4) deux torrens, qui versent a-la-fois dans cet enorme gouffre les eaux des lacs Erie, Michigan, St. Clair, Huron, Superieur, et celles des rivieres nombreuses qui alimentent ces especes de rners, et fournissent sans relache a leur immense consommation. Les eaux des deux cascades tombent a pic sur les rocs ; leur couleur en tombant, sou- vent d'un vert fonce, souvent d'un blanc ecu- meux, quelquefois absolument limpide, re- ^oit mille modifications de la maniere dont elles sont frappees par le soleil, de l'heure du jour, de l'etat de l'atmosphere, de la force des vents. Precipitee sur les rocs, une partie des eaux s'eleve en une vapeur epaisse qui surpasse souvent de beaucoup la hauteur de leur chute, et se mele alors avec lesnuages. Les autres se brisant sur des monceaux de rochers, sont dans une continuelle agitation ; long-tems en £cume, long-tems en tourbillon, elles jettent contre le rivage des troncs, des bateaux, des arbres entiers, des debris de toutes les especes queues ont recus ou en- traine"s dans leur cours prolonge. Le lit du fleuve maintenu entre les deux chaines de montagnes d'un roc vif qui continuent assez loin au-dessous , est encore plus resserre apres la chute, comme si une partie de ce fleuve Ci5) immense s'^tait evanouie dans cette chute t ou engloutie dans les entrailles de la terre ; le bruit, l'agitation, le cours irregulier, les rapides s'en prolongent sept a huit milles plus loin ; et ce n'est qua Queenstown, distant de neuf milles de la chute, que le courant ayant repris plus de largeur et de calme, peut-etre passe avec securite. J'ai descendu jusqu'au bas de cette chute; les abords en sont difficiles; des descentes a pic, des echelles pratiquees dans les arbres , des pierres roulantes, des rocs menacans, et qui par les debris qui couvrent la terre aver- tissent les voyageurs du danger auquel ils s'ex- posent, aucun appui pour se retenir que des arbres morts prets a rester dans la main de 1'imprudent qui oserait y prendre confiance, tout y semble fait pour inspirer l'effroi. Mais la curiosity a sa folie comme toutes les autres passions , et elle en est une veritable ; ce qu'elle me faisait faire dans ce moment, la certitude d'une grande fortune n'eut pu, j@ crois , m'y determiner. Enfin , me trainant souvent sur les mains, d'autres fois trouvant dans mon ardeur une adresse que j'etais loin .de me soupconner ; souvent m'abandonnant au hasard, je suis parvenu, apres un mille et demi de marche dans le plus penible travail r (16) sur ces bords difficiles, au pied de cette immense cataracte ; l'amour-propre de l'avoir atteint y compense seul la peine des efforts que le succes a coute" ; il est plus d'une situation pareille dans la vie. La on se trouve dans un tourbillon d'eau dont on est perce. Les vapeurs qui s'elevent de la chute se confondent avec les Hots qui en tombent; le bassin est cache par cet epais nuage ; le bruit seul, plus violent que par-tout ailleurs, est une jouissance particuliere a cette place. On peut avancer quelques pas sur les rocs entre l'eau qui tombe , et le pied du ro- cher d'ou elle s"e precipite; mais on est alors se^pare du monde entier, meme du spectacle de cette chute , par cette muraille d'eau qui par son mouvement et son epaisseur inter- cepte tellement la communication del'airex- terieur, qu'on serait entierement siiffoque, si on y restait long-tems. II est impossible de rendre l'effet que cette cataracte nous a fait eprouver; notre imagination long-tems nourrie de l'esperance de la voir, nous en tracait des peintures qui nous semblaient exagerees ; elles £taient au-dessous de la realite : chercher a decrire ce beau phe- nomene et l'impression qu'il cause, ce serait tenter au-dessus du possible..- J'etaia ( 17 ) J'^tais tellement rempli de l'enthousiasme qu'il avait produit en moi, que cette emotion m'a adouci. la difficult^ du retour, et que ce n'est qu'arrive au fort chez le capitaine Hamilton, que je me suis appercu de ma fatigue, de mes contusions, de ma faim, du deplor rable etat de mes vetemens, et que j'ai pu soupgonner l'heure qu'il etait; il e"tait huit heures. Le pauvre lieutenant Faulkner, qui avait cru devoir accompagner ma grace , n'avait pas, malheureusement pour lui, partage mon enthousiasme • il n'avait ete associe" qu'aux difficultes , aux contusions, a la fatigue, et son extreme politesse n'a.pu l'empecher de conserver une tristesse vraiment profonde , jusqu'a ce que quelques verres de vin aient releve ses spirits. Fort Chippawa. Le capitaine Hamilton commandant du fort Chippawa, moins fort encore que le fort Eri£, avait eu le bon proce'd-ii de nous garder a diner. II est soutenu, contre le degout de ce ' poste ispjejjj le plus ennuyeux de tous.les posies, par la compagnie d'une femme jolie, douce, aimable, de laquelle il a six enfans, dont il Tome II. B (I) est entoure; sa femme et lui nous ont regus avec la simplicite, la cordialite et l'aisance d'excellentes gens de la meilleure compagnie. Chippawa etait jadis le chef-lieu d'une nation d'Indiens, etablie maintenant sur les con- fins de la Virginie ; il est aujourd'hui le lieu ou se termine le portage que la cataracte et ses longs effets rendent necessaire. Le portage avant la pais de 1782 se faisait de l'autre cote de la riviere, les denrees s'embarquaient et se debarquaient au fort appele a present Sckuyler yis-a-vis Chippawa. Il y a ici, comme au fort Erie, ind^pen- damment des casernes, des magasins appar- tenans au roi d'Angleterre, et des magasins pour les negocians , une assez bonne taverne; quelques autres maisons en tres- petit nom- bre composent ce village, mal sain par la nature des eaux tres-puantes du creek, a laquelle on attribue les fievres dont cette place est an- nuellement infestee. Autre aspect de la chute. Le lundi 22 , en quittant de bonne heure Chippawa, nous nous proposions bien de re- voir la chiite ; la pluie qui tombait a verse ne nous en a pas detourne. M. de Blacons nous ( i9) a conduits a un point d'oii il l'avait vue la veille , et dont il a voulu nous procurer le plaisir; cette place est connue dans le pays sous le nora de tablerock ; c'est une partie du rocher d'ou le fleuve se precipite; on s'y trouve a la hauteur de son lit, et presque dans ses eaux, de maniere que Ton voit dans une entiere securite le torrent fondre sous ses pieds, et qu'on y serait entraine soi-meme , si Ton avan- gait deux pas de plus. La on jouit a-la-fois du beau spectacle de ces eaux ecumantes, arrivant a grand bruit par-dessus les rapides de cette etonnante cascade dont rien ne separe, etdu bassin tournoyant oh elle s'engloutit. C'est cex- tainement de ce lieu que cette merveille de la nature doit etre contemplee, si on ne veut la voir que d'un seul; mais il faut la regarder de tous les points , et de tous on la trouve plus belle, plus merveilleuse, on en est plus etonne •plus frappe d'admiration, de stupefaction. Les abords de la tablerokc sont aussi beau- coup plus faciles que les autres. On regrette que le gouvernement de la nation la plus voya- geuse, la plus curieuse n'ait pas fait prati- quer des moyens commodes d'approcher des divers cotes de cette chute vantee dans le monde entier. On dit a sa justification que le nombre de voyageurs que la curiosite seule- B a (20) ment amene est presque nul; que le nombre meme de ceux qui passant sur le chemin pour affaires s'arretent pour regarder la chute, est tres-peu considerable ; que les sauvages allant a la chasse et les enfans desceuvres ont seuls la fantaisie d'y descendre , et qu'en consequence les depenses faites pour ces chemins ne seraient profitables a personne. Toutes ces raisons ne peuvent pas servir d'excuse a l'eco- nomie d'une depense de trente dollars, pour rendre accessible la premiere curiosite peut- istre de l'univers. On n'a pas besoin de dire que malgre la se*- verite des hivers la chute ne gele jamais ; la partie de la riviere qui la precede ne gele pas davantage; mais les lacs qui la fournissent, les rivieres qui s'y jettent se prennent souvent , au moins en partie, et des monceaux enormes de glace qui sen echappent tombent continuellement pendant l'hiver par cette cataracte , et ne se brisent pas entierement sur les rocs ; ils s'elevent en masse souvent jus- qu'a la moitie de sa hauteur. Le bruit que fait la chute nous a cependant moins surpris que nous ne nous y attendions; M. Guillemard et moi, qui avions vu celle du Rhin a Sha- fousen, nous nous sommes accordes a trouve^ que son fracas avait quelque chose de plus ( 21 ) ^tonnant; mais encore une fois, la chute de Niagara ne peut etre comparee a rien; ce n'est pas de l'agreable, ni du sauvage, ni du roman- tique , ni du beau meme qu'il faut y aller cher- cher ; c'est du surprenant, dumerveilleux, de ce sublime qui saisit a-la-fois toutes les facul- tes, qui s'en empare d'autant plus profonde- ment, qu'on le contemple davantage, et qui laisse toujours celui qui en est saisi dans rim- puissance d'exprimer ce qu'il eprouve. Moulins pres de la chiite. A un mille en avant de la chute , et dans le grand bassin que la riviere se fait a gauche , sont deux moulins a bled et deux moulins a scie. Nous avons vu avec soin celui qui en est le plus eloigne; etqui est aussi le plus curieux, en ce que les arbres qu'il exploite jetes dans le creek de Chippawa, a son confluent, sont par le moyen d'une petite ^cluse , introduits dans un canal ingenieusement forme dans le lit m£me du fleuve par une double ligne de pieces de bois flottantes , attachees les unes aux autres, et prdservdes de se briser contre le rivage par d'autres grandes poutres flottantes aussi, placees de distance en distance, et qui servent pour ainsi dire de coussin a ce canal B 3 ( 22 ) artificiel. Les eaux y conservent la rapidite de celles du courant , et conduisent les troncs au pied du moulin, ou par le meme mouvement qui fait agir les scies, ils sont amends sur le chantier, ou ils sont mis en planches. Deux seules scies sont aujourd'hui employees dans ce moulin. La force de l'eau est telle qu'elle n'aurait pas de bornes dans ses pouvoirs ; mais les besoins actuels du pays re"- duisent a ce petit nombre les scies aujourd'hui en activite ; et le proprie"taire intelligent qui a construit ce moulin l'a fait de manure a pouvoir par la suite en ajouter un beaucoup plus grand nombre, a mesure que la consommationcrois- sante le necessitera. II a dispose" dans la meme intention son moulin a bled, qui aujourd'hui n'a que deux paires de meules. Le prix de la mouture, fixe par la loi, est, dans tout le Haut-Canada , du douzieme ; celui du sciage est de la moitie des pieces a scier. Une source d'eau sulfureuse trouvee l'annee derniere a,quelques toises du bord de la riviere , et enfouie depuis par l'eboulement des terres , vient de reparaitre dans le canal meme qui amene les arbres au moulin ; une pierre que Ton a percee et placee sur son orifice, empeche que ses eauxne soient melees a celles du fleuve ; l'approche d'un tison en enflamme (23) la vapeur, lui donne la couleur de l'espritde vin allume, et la fait bruler jusques dans la terre. Probablement il se passera bien du terns encore, avant qu'on cherche a connaitre si cette source a ou non des vertus medicinales. On a decouvert dernierement aussi une mine de fer abondante pres le creek de Chippawa ; une compagnie se propose pour l'ex- ploiter, et veut construire aupres de la chute une usine r^ecessaire a son travail. Mais il faut la permission du gouverneur ; car la mere- patrie veut fournir toutes ses colonies de ses propres manufactures; elle n'est pas corrigee encore de ce monopole, qui deja lui a coute l'Amerique. On se flatte pourtant que la permission pourra etre accordee. Route de Chippawa a Navy-Hall. Les terres , dans toute la route de Chippawa a Navy-Hall ou Newarck, semblent bonnes , sans paraltre toutefois de la premiere qualite. Elles sont peupiees d'habitations assez multipliees: ces terres sont donnees, depuis plus ou moins long- terns , par le Gouverne- ment. Les premiers etabiissemens n'ont pas dix ans d'anciennete , et presque tous ne sont commences que depuis trois a quatre ans. Les B I ( 24 ) maisons, toules construites en troncsd'arbres, sont mieux banes, plus propres que celles que Ton voit communement dans les Etats-Unis. Le genre de culture semble a-peu-pres le meme; un pound de New-Yorck, ou deux dollars et demi, est le prix commun de l'acre dans dans tout le canton, quand toutefois la pro- gprtion entre la partie cleared et celle sous bois , est de 4o a 200 ou environ. Certaines circonstances de positions favorabl«s, de batimens plus considerables, etc. etc., en haussent le prix. Les ouvriers sont, dans tout ce tra- jet, extremement difficiles a trouver, et sont payes cinq a six schellings par jour , inde- pendamment de la nourriture. L'hiver ne dure ici que depuis la moitie de decembre jusqu'au commencement d'avril. Les chemins du fort Erie a Newarck, sont bien ouverts , et dans un terrein de sable leger , qui les rend plus aises a entretenir. Le passage assez frequent des voitures, dans tout le trajet du portage, ne les gate pas. Queenstown est le lieu ou les marchandises destinees pourle haut-pays , sont debarquees, et ou celles qui en viennent recommencent leur navigation. Cette reunion de maisons , commenceeilya trois ans , est composee d'une assez bonne taverne, de deux a trois maga- (25) sins , de quelques petites maisons d'une block-house de pierre , couverte d'un toit de fer , et de barraques construites pour recevoir le regiment de chasseurs du gouverneur Simcoe, et abandonees depuis , parce que le regiment a ete envoye dans une autre partie de la province. M. Hamilton, riche negociant , interesse dans tout le commerce interieur de l'Amerique, possede, a Queenstown , une tres-jolie maison dans le style anglais ; il reunit encore autour de lui , une ferme , une distillerie , une tannerie : on dit beaucoup de bien du caractere de ce negociant; il est de l'espece d'hommes la plus precieuse pour un nouveau pays ; il a ete nomme membre de la legislature du Haut-Canada , mais il est a present en Angleterre. Le portage etait aussi autrefois de l'autre cote de la riviere , mais depuis qu'il est evident qu'en vertu des traites , ces terres de- viendront americaines, le Gouvernement l'a change de cote. Tout ce pays, quoiqu'assez sablonneux , est couvert de clones , de cha- taigniers , de tres-beaux hicorys. Les parties plus humides, y sont, comme dans tout le reste de l'Amerique, chargees de frenes et durables. I ( 26 ) C'est dans ce point que M. de la Jonquiere, charge par la coiir de France d'assurer au commerce frangais la liberie des lacs,, fit son premier etablissement, qu'il porta ensuite a Niagara , avec la permission, et sous la protection des Indiens Yiiowshouans , qui ont aussi disparu de cette partie du Monde. Arrivee a Navy-Hall : attention du Gouverneur Simcoe. Lettre a lord Dorchester. Nous pouvions , apres l'accueii que nous avions regu , en arrivant sur les limites du Gouvernement de M. Simcoe , nous attendre a une obligeante reception chez lui; elle l'a ete plus encore que nous ne 1'avions espere. Des qu'il nous a su arrives , il nous a envoye son adjudant-general, pour nous inviter a diner. II descendait de cheval, et ne pou- vait venir lui-meme. Nous nous sommes rendus a son invitation , et bientot apres le diner , il nous a prie de rester chez lui , d'y prendre nos lits, et de nous regarder comme dans notre propre rnai- son. Refuser , eut ete mai repondre a cette politesse, qui avait tout le caractere de la sincerity ; accepter , etait encore agir pour ( 27 ) notre commodite , puisque nous n'avions per- sonne a voir k la ville , qu'elle est distante d'un grand deari-mille de l'habitation du gouverneur , et que c'etait de lui que nous atten- dions, et la plus agreable compagnie , et les meilleures informations sur ce pays, tres-in- teressant pour notre curiosite. Nous n'avons pas tarde d'ailleurs a savoir que nous etions destines a rester plus long- tems a Niagara , que nous ne Favions pro- jette en arrivant,le gouverneur Simcoe may ant dit, en apprenant mon projet d'aller a Quebec , qu'il ne pouvait laisser penetrer aucun etranger dans le Bas-Canada , sans la permission expresse de lord Dorchester ; il m'a meme montre 1'ordre positif du gouverneur- general , date du mois d'octobre de l'annee derniere , et dont la conduite de quelques francais , etait donnee pour motif. Tout en ap- plaudissant aux sages precautions de ce gou- verneur-general, et de tous ceux qui cher- chent aecarter une revolution de leur pays , je n'ai pourtant pu m'empecher de regretter que M. Hammond m'eut assure avec tant de con- fiance , qu'il etait convenu avec lord Dorchester, et a la demande de celui-ci, que son passe-port serait le seul moyen , et le moyen suffisant pour un stranger, d'entrer des Etats- ( 28) Unis dans le Sas-Canada. Je l'avais prie d'en ecrire d'avance a lord Dorchester , qui , en donnant des ordres pour nou^daisser passer, nous aurait evite un delai aussi long dans notre voyage , et 1'inquietude d'etre aussi long-tems importuns au gouverneur Simcoe. Quoiqu'il en soit, il a fallu taire ce mecon- tentement, en attendant le moment favorable , ou lord Dorchester aurait pu envoyer sa lettre a Kingston : je le priais. par la mienne de l'y adresser. J'ai profite de ma longue residence a Niagara, pour satisfaire mon desir de connaitre le pays, et la loyale ouverture du gouverneur Simcoe m'en a donne tous les moyens. Administration generale et division du Canada. C'est seulement en 1791 que le Haut-Canada a ete separe du Bas-Canada, pour l'adminis- tration. Il faisait auparavant partie de la province de Quebec. Son administration etait alors , comme celle de toutes les colonies anglaises , conduite d'apfes la volonte arbitrage du gouverneur ; plus menagee sans doute, et parce que lord Dorchester, d'apres ,ce que nous en apprenons , est un homme (29) doux, juste , et parce que la legon de l'Amerique ne peut pourtant pas etre tout-a-fait inutile. Depuis la division de ces deux parties de la province de Quebec, sous le nom de Bas et de Haut-Canada, le Parlement an-1 glais leur a donne, a 1'une et aj'autre, une constitution representative, dont tous les res- sorts sont bien a present dans les mains des gouverneurs ; mais telle cependant que , ces pays devenans plus peuples , plus riches , plus edaires , pourront se sou&traire en partie , pour l'administration de leurs affaires , a cette influence aujourd'hui si forte , et peut-etre jusqu'a present necessaire. Lord Dorchester est le gouverneur general des possessions anglaises dans l'Amerique Septeiitrionale. Les gouverneurs de toutes les provinces particulieres ne sont que lieutenans- gouverneurs. Par-tout ou il arrive, il rend nulle l'autorite des gouverneurs - lieutenans ; mais, en son absence, ceux-ci n'ont cle compte a lui rendre que relativement aux troupes , et cela quand ils sont commandans militaires , ce qui n'est pas toujours une consequence de la place de gouverneur. Pour tous les rapports civils , de quelque nature qu'ils soient , lieutenant-gouverneur correspond directement avec les ministres en Angleterre ; il en recoil ■ (3o) les ordres , sans etre tenu meme d'en informer le gouverneur general, qui n'a pas le droit de laisser, en quitrant, les differentes parties de son gouvernement, s'il y va, le moindre ordre pour ce qui doit etre fait dans son absence ; d'ou il resulte , qu'a moins de dispositions militaires tres-urgentes, le gouverneur general reste au chef-lieu de son gouvernement, ou le lieutenant - gouverneur n'a rien a faire , et dont il s'absente tant qu'il peut. Cependant comme aucunes depenses ne se font que par la signature du gouverneur general, il a, par ce seul fait, une autorite sur tous les projets , sur toutes les entreprises , qui rend au moins son approbation necessaire , et qui lui donne, plus reellement-que tout le reste, le pouvoir dans toutes les parties de son gouvernement. Les divisions dfes possessions anglaises dans l'Amerique du nord, sont le Haul et le Bas- Canada, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle- Ecosse. Les deux premieres provinces seule- ment sont gouvernees en vertu de la nouvelle constitution ; les autres le sont comme elles l'etaient precedemment. Les limites entre les deux Canada sont a une centaine de milles plus haul que Montreal; l'etendue du Haut-Canada etant, sans comparison, beaucoup plus grande que celle da ( 3i ) Bas , puisqu'elle n'a du cote de l'ouest, pour bornes, que celles dela souverainete anglaise , qui, dans l'opinion des Anglais, embrasse tous les pays connus et a connaitre , jusqu'a la mer pacifique; et n'admet pas , du cote du nord , des limites plus precises. La population du Bas-Canada est evaluee a cent quarante mille ames , celle du Haut a trente mille , cette evaluation parait forte. Constitution des deux Canadas. Les principaux points de la nouvelle constitution pour le Canada sont: « Article \\^r. L'erection d'un conseil legis- 33 tif, et d'une assemblee, par l'avis desquels » le roi d'Angleterre pourra faire des loix pour ji le gouvernement de la province. 33 Art. 2. Le gouverneur , ou lieutenant- i gouverneur de la province, aura la nomi- » nation du conseil legislatif qui ne peut etre 33 compose de moins de sept membres dans le 33 Haut, et de moins de quinze dans le Bas- j) Canada. 33 Art. 3. Les conditions necessaires pour y> etre membre da conseil legislatif, sont: 33 i°. l'age de vingt et unan; z°. la naturalisa- 3> tion par l'acte du parlement d'Angleterre, » ou la naissance canadienne. (32 ) 33 Art. 4- Les places au conseil legislatif 33 seront'a vie, a moins de cas ci-apres 33 Art. 5. Le roi pourra a l'avenir annexer 33 aux titres hereditaires d'honneur dont il gra- 33 tifiera aucun de ses sujets , la place de mem- 33 bre du conseil legislatif, (comme les pairs 33 en Angleterre sont membre de la chambre » haute. ) 33 Art. 6. La personne appeiee, par sa nais- 33 sance , a 1'heritage de ce titre accorde par 33 le roi a sa famille, en perdra le droit, si , 33 entre le moment ouelle aurale titre, et celui 33 ou elle fera aupres du gouverneur les de- 33 marches necessaires pour en etre mise en 33 jouissance, elle s'absente quatre annees con- 33 secutives de la province sans la permission 33 du gouverneur; le tout a partir de l'aere de ' raire les demarches nei ce titre, elle a prete auc une autre puissanc< 33 Art. 7. Les possesse au conseil perdront le sentent de la provinc aires pour obtenir nent de ficlelite a actuels des places places, s'ils s'ab- mce pendant deux ans 33 sans l'autorisation du gouverneur, ou pen- 53 dant quatre sans la permission du roi, si- 33 gniflee au gouverneur , ou s'ils pretent 33 serment (33 ) » sermentde fideiite a aucune autre puissance. Art. 8. Les droits hereditaires a ces places, >3 ou ces places memes , perdues par les causes 33 ci-dessus, par les possesseurs et titulaires >3 actuels , seront recuperables apres leur mort, 33 par ceux de leurs heritiers qui *y auront 33 droit, en se conformant aux conditions >3 exigees. 33 Art. 9. La conviction du crime de haute » trahison detruit le titre entierement pour 33 celui qui le possede et pour ses heritiers. 33 Art. 10. Les discussions pour les litres^ 33 des membres du conseil legislatif, doivent 33 etre jugees par le conseil lui-meme, l'affaire » rapportee par le gouverneur , sauf a la per- 33 sonne interessee dans le jugement ou a 33 1'attorney general de la province , d'en ap- 3) peler au roi dans son parlement de la Grande- 33 Bretagne. 33 Art. u. La nomination et demission de 33 l'orateur dependra du gouverneur. 33 Art. 12. Le gouverneur doit convoquer » l'assembiee. 33 Art. i3. Il est, en consequence, autorise> 33 a publier une proclamation qui divise la 33 province en comtes, districts ou cercles , 33 a nommer l'officier qui doit, dans chaqu^ 33 district, verifier les votes d'election. Tome I. C (34) >3 Art. i4- Ce pouvoir ne doit rester que 33 deux anS dans la main du gouverneur , et 33 passera ensuite dans celles de l'assembiee , 33 en consequence des loix proposees. par elle"!:j 33 et ratiiiees par le roi. 33 Art. i5. L'officier charge de verifier les 1 33 votes d'election , ne pourra etre astreint k » cet office pour plus de deux ans. 33 Art. 16. Le nombre des membres de l'as- 33 sembiee ne peut etre moindre de seize dans I 33 le Haut-Canada, et cinquante dans le Bas. I 33 Art. 17. Les writs ou ordonnances pour I 33 l'eiectiort des membres , doivent etre entie- 3 33 rement executes dans l'espace de cinquante 33 jours au plus; ils sont adresses a roflicier I 33 charge du depouillement des votes d'elec- 1 n tion par district. 33 Art. 18. Celui-ci ne peut tarder plus de 3> six jours a faire executer les writs d£s qu'il 33 en a connaissance. 33 Art. 19. Les qualites requises pour etre 1 33 eiecteursont, i°. de posseder un bien-fonds 33 de la valeur annuelle de quatre schellings , 33 franc de toutes rentes , ou d'en louer un I 33 de la valeur annuelle de cinq livres sterlings, I 33 ou une maison dans la ville du district, du 33 loyer de dix livres sterlings , avec domicile I » depuis quatre ans dans le district. ( 35 ) » Art. 20. Les membres du conseil legis- i latif et les ministres , de quelque religion > que ce soit, ne peuvent etre eius a l'assem- 1 biee. 33 Art. 21. Les conditions d'age , de nais- > sance et de naturalisation , requises pour 1 etre membre du conseil legislatif, seront » exigees pour voter ou etre elu a lassem- r > blee. 33 Art. 22. Les personnes convaincues de > haute trahison, ou declares incapables par > acte du conseil legislatif et de l'assemblee, 3 approuve par le roi, sont exclus du droit ) de vote et de celui d'election. 33 Art. 23. Les votans doivent faire serment 3 qu'ils ont l'age requis. qu'ils n'ont pas en- 3 core vote dans cette election, et qu'ils sont 3 dans toutes les circonstances requises par 3 le roi. 33 Art. 24. La Exation du terns et du lieu 3 des elections est laissee au gouverneur. 33 Art. a5. II en est de meme pour l'indi- 3 cation du lieu de la tenue des assembiees , 3 leur convocation , leur prerogative , leur 3 dissolution. 33 Art. 26. Cependant, une assemble doit 3 etre tenue au moins une fois chaque annee. 3 La duree des memes assembiees est con- C a i (36) » firmee pour quatre ans , a moins de disso- 33 lution. 33 Art. 27. La question passant a la majo- 33 rite, l'orateur, en cas d'egalite, les depar- 33 tagera. 33 Art. 28. Chaque membre du conseil less gislatif ou de l'assembiee doit, avant de 33 juger , preter par ecrit serment de fidelite 33 au roi d'Angleterre. 33 Art. 29. Le gouverneur a le droit de 33 donner son approbation au nom du roi , 33 aux bills passes par les deux chambres , ou 33 de les retenir jusqu'a ce qu'il connaisse les 33 intentions du roi a leur egard, 33 Art. 3o. Le roi a la facuke de donner 33 son desaveu a un bill consenti par le goux 33 verneur , dans les deux annees gui suivent 33 la notification a lui faite de ce bill. Le de- 33 saveu renvoye avec le certificat de la date 33 de sa reception annulle le bill. 33 Art. 3i. Tout bill auquel le gouverneur 33 n'a point donne son approbation , est de 33 nul effet, jusqu'a ce que le roi l'ait approuve 33 et ait fait connaitre son approbation ; ce 33 qu'il ne peut faire que pendant l'espace de 33 deux annees de la date de sa reception , »3 comme ci-dessus. 33 Art 3a. Les loix en force, a 1'epoque ( 37) < de l'acte actuel, continueront tant qu'elle^ ■ ne seront pas revoquees par les formes in- i diquees ci-dessus. 33 Art. 33. Le gouverneur et son conseil > executif, nomme par le roi, composent la > cour de jurisdiction civile pour entendre et i determiner les appels dans certains cas men- > tionnes, en une ordonnance passee il y a > dix-huit ans dans la province de Quebec. 33 Art. 34- Des ordonnances et instructions > du roi, qui appliquant les dixmes ci-devant > recueillies par le clerge catholique au profit > du clerge protestant, sont rappeiees. 33 Art. 35. Le roi pourra autoriser le gou- > verneur a faire des concessions de terre pour 1 le maintien du clerge dans chaque province. 33 Art. 36. Les rentes en provenant seront 1 fideiement payees au profit du clerge. 33 Art. 37. Le roi pourra autoriser le gou- > vernement a creer des cures , des bene- > fices. 3» Art. 38. Et a les nommer comme en > Angleterre. 33 Art. 09. Les cures et benefices seront ■ soumises aux formes , etc., anglieanes; le ) clerge sera soumis a la jurisdiction de l'e- > veque de la nouvelle Ecosse. 33 Art. 4o. La concession des terres pour le C 3 L (38) ). clerge , faite par le gouverneur , sera sou- > mise a la censure des deux chambres et a 3 l'approbation du roi. 33 Art. 4i- Dans ce cas, cette affaire sera » soumise a l'examen des deux chambres dix > parlement d'Angleterre. 33 Art. 42. Les terres concedees dans le i Haut-Canada et dans le Bas, si on le desire, 1 le seront en franc et commun souage , (*) 1 et sujettes aux loix generates qui pourront 1 avoir lieu par la suite a ce sujet. 33 Art. 43. Les personnes deja pourvues dans > le Haut-Canada de terres concedees, pour- > ront, sur leur demande , avoir de nouveaux I litres en commun souage. ■ souage' veut dire franc de la revient a ce qu'oii appelait (*) Franc et comm, toute rente en sujetion : ten France le franc-aleu. Le traite de pais, de 1763, assurant la jouissance des . seigneuries dans la province de Quebec, a ceax qui en etaient pourvus , il faut le consentement du seigneur dominant pour que les terres tenues de lui feodalement , le soient en franc et oommun souage. Voila pourquoi la clause , si on le disire, est exprim^e pour le Bas- Canada. Alors la partie qui forme aujourd'hui le Haut-Canada n'etait pas habitee ; ainsi le desir seul des possesseurs de terre , dans la concession desquels cette clause n'est pas exprimee, suffit pour la faire comprendre^ (39) .» Art. 44- Le nouveau titre n'affaiblira en 33 rien le droit de telle ou telle personne sur 33 les terres. 33 Art. 45. Cet acte n'empechera point ropers ration d'aucuns actes du parlement etablis- 33 sant des prohibitions ou imposant des droits 33 pour le reglement de la navigation et du 3j commerce, etc. 33 Art. 46. Les droits de cette nature seront 33 appliques a l'avantage des provinces respec- 33 tivement. 33 Telle est la substance de Facte du'parlement de la Grande-Bretagne , passe en 1792, pour fixer la constitution des deux Canadas. Vues, projets, espoir du gouverneur Simcoe sur le Haut- Canada : obstacles qu'il peut rencontrer. Le Haut-Canada est un pays absolument nouveau , ou plutot un pays entierement a faire. C'est dans I'intention de le creer que le general Simcoe en a pris le gouvernement. Il prevoyait de quelles ressources une telle colonie , conduite au degre de prosperity dont elle est susceptible , pourrait etre a son pays; il a cru possible de la mettre promp- tement dans la voie de cette prosperite. Cette C4 (4o) esperance a pu seule determiner un homme d'une fortune independante , de desirs bornes, au moins a ce qu'il dit, a quitter les beaux et grands etablissemens qu'il avait en Angle- terre , pour venir se confiner dans un desert, entre les ours .et les sauvages ; car j'ai peine a croire que l'ambition puisse seule produire un pareil effort; ce serait une ambition mal- adroite ; et le general Simcoe avait tant de moyens de deployer avec succes une ambition ordinaire , ou meme elevee, sans s'expa- trier aussi loin , ce qui assure presque tou- jours d'etre oublie , que Ton doit croire qu'il n'a eu que celle de faire des choses bonnes et utiles. Les vues du general Simcoe , pour peupler et utiliser le Haut-Canada , telles qu'il nous les a developpees , semblent grandes et sages. C'est entre la riviere du detroit et les etablissemens deja faits dans le Bas-Canada, sur Fespece de carre forme par le fond du lac Ontario, le lac Erie , la riviere du detroit et la saillie que fait le lac Huron dans la partie sud-est, que M. Simcoe veut placer le foyer de cette population, le centre des etablissemens. Newarck avait ete le premier lieu choisi par lui pour la capitale; alors il croyait sans doute (4i ) que l'Angleterre conserverait le fort de Niagara ; depuis qu'elle est enfin decidee a le rendre , ses projets ont da changer, j Une metropole ne doit pas etre sur une frontiere , et moins encore sous le canon d'un, fort etranger ; il avait pense a Yorck sur la rive nord du lac Ontario , a-peu pr£s vis-a-vis Niagara. C'est-la qu'il a etabli son regiment; c'est-la qu'il va se placer actuellement lui- meme pour s'eioigner de la frontiere. Yorck presente une rade admirable par son etendue , sa surete , sa position ; quelques rivieres et de petits lacs rendent la communication facile entre le lac Huron et le lac Ontario. Les terres qui l'environnent sont fertiles ; sa position donne les moyens de profiter de tout le commerce du lac. Cette position est bonne aussi militairement, puisque les cotes du lac Ontario seront les premieres et les plus abondamment peupieesparles Americans ; que le Bas-Canada devant etre, plus que le Haut , l'objet envie par eux, la position qui met le plus a portee de lui porter secours , est tres-importante. Cependant, le gouverneur Simcoe semble renoncer a present a fixer a Yorck le lieu de sa residence et de sa metropole. C'est aux bords d'une riviere qu'on trouve sur toutes les cartes sous (42 ) le nom de riviere de la Tranche, et qu'il a appeiee Tamise, qu'il veut le placer. Cette riviere, dont la source entre le lac Huron et le lac Ontario , non encore preeminent connue , ne parait pas fort eioignee de celles de la grande riviere, coule du nord a l'ouest, dans un cours de quatre a cinq milles, et se jette dans lelac Saint-Clair. C'est a deux cents milles environ de ce lac , que le gouverneur pense a placer sa ville, qu'il appelle deja Londres. La, pouvant etablir facilement une communication de cette riviere meme a une autre, qui se jette dans le lac Huron a la pointe de Glocester , et pouvant , par un portage , communiquer au lac Ontario; il peut agir a la fois sur ces deux lacs et sur le lac Erie , dont il n'est distant que de quinze milles, avec un seul portage de trois milles. Le point meme du lac Erie , dont cette metropole projettee est plus rapprochee , ( la longue pointe ) est le plus important pour la defense du lac. Le gouverneur y projette un port de construction et une fortification considerable pour le couvrir; ce point se trouvant d'ailleurs vis-a-vis letablissement de Pres- cju'ile. La metropole ainsi placee , a done tous les avantages qu'elle aurait a Yorck, et d'autres encore, puisqu'elle est plus au centre I (43 ) de la population esperee; que les terres appar- > tenant aux Indiens sont moins rapprochees , et que les projets du general placentles troupes garnissant aujourd'hui les forts, qui doivent etrerendus f'annee prochaine a cette pointe de Glocester sur le lac Huron, a la longue pointe sur le lac Erie , a la pointe du lac Michigan , a deux ou trois postes dans des villes a batir sur la Tamise , et enfin a Yorck ; de sorte que cette metropole se trouvera au centre meme de tous les moyens de defense, avec,la faculte de porter promprement ceux qu'elle renfer- mera par-tout ou le besoin le demanderait. La facilite qua le gouvernement de donner des terres pour rien, ne laisse au general au- cun doute d'une grande population meme prochaine ; plusieurs families entrances au commencement de la guerre d'Amerique dans le parti du roi, ont depuis la paix ete etablies sur des terres qui leur ont ete donnees. Les soldats americains qui avaient suivi ces etendarts malheureux, ont ete aussi gratifies de terres; beaucoup en ont pris possession. Les officiers qui ont servi dans cette guerre ont aussi droit a un nombre quelconque de centainesd'acres; quelques-uns en ont mis deja une certaine quantite en valeur. Le gouverneur se flatte de recevoir beau- (44 ) coup de colons des Etats -Unis. Il se fie sur la disposition de ces habitans a Temigration , et sur I'attachement qu'il leur croit pour le gouvernement anglais; un assez grand nombre de families arrivent effectivement tous les ans des differentes provinces americaines ; toutes ne restent pas , mais quelques-unes se fixent; il compte encore recevoir beaucoup de colons , qui etablis dans le Nouveau-Brunswick, en trouvent le climat insupportable. Enfin, Immigration considerable d'Europe qu'il pre- voit, lui offre encore l'assurance d'une grande population par cette voie. Mais la disposition generale de l'esprit du peuple , le rend, dit-il, difficile sur l'admission des nouveaux habitans qui se presentent, sur-tout de ceux qui vien- nent des Etats-Unis. C'est dans cette opinion qu'il envoie les colons, sur lesquels les ren- seignemens sont les moins positifs , dans les derrieres du pays , et qu'il place les soldats en avant sur les bords des lacs ; il desire admettre tous les anciens soldats de l'armee anglaise et tous les anciens'officiers a demi paie, au partage des terres dont le roi peut disposer; il vou- drait que tout soldat a present en garnison en Canada , qui pourrait fournir un jeunehomme connu pour le remplacer, regut son conge et cent acres de terre. ( 45) II joint dans ce projet, a l'intention d'ac- croitrela population, celle d'attirer au service du roi d'Angleterre beaucoup de jeunes ame- ricains, et d'accroitre par eux le nombre des families americaines attachees au roi. II place au milieu de ces families militaires qu'il veut etablir sur les lacs, et sur toutes les frontieres du cote de l'Amerique , des officiers qui, comme je l'ai dit, ont droit a recevoir des terres. II compose ainsi une milice attachee au roi par habitude et par reconnaissance, et qu'il regarde comme un moyen sur de repri- mer les mouvemens que les nouveaux colons de mauvais esprit, places dans l'interieur des terres, pourraient faire, et de defendre le pays s'il etait attaque. Par cet etablissement d'offi- , ciers au milieu des soldats, et d'hommes de bonne famille qu'il espere encore attirer d'Angleterre, il place le fondement d'une espece de noblesse, qui d'aprfes ses idees-et celles du gouvernement anglais, facilitera plus ou moins le projet mis a decouvert dans la constitution, d'etablir des pairs hereditaires dans les deux Canadas. Le Canada, malgre sa faible population et sa vaste etendue, ne fournit pas encore suffi- samment de bled pour sa consommation : les troupes sont nourries de farines du marche (46) de Londres', et de bceuf sale d'Irlande. Le gouverneur Simcoe veut non-seulement que le Haut-Canada suffise aux besoins de tout ce qui l'habite, mais qu'il soit encore le gre- nier de l'Angleterre; que ses exportations dans cette denree lui donnent de grands moyens d'echange ; et il ne doute pas que l'exemple de cette activite, qu'il espere etablir dans la culture du Haut-Canada, ne reveille la nonchalance des habitans du Bas. Il voitdans l'a- bondance du poisson des lacs, et p'articulie- rement des esturgeons du lac Ontario, des moyens de rivaliser avec avantage la fourni- ture considerable, qu'en fait la Russie a l'Angleterre. Le commerce des fourrures lui semble un objet tres-secondaire a celui des bleds. II le regarde comme peu utile a la Grande-Bre- tagne et comme un moyen d'oppression pour le Canada , parce que concentrant tout le commerce dans les mains des compagnies, il les rend maitresses des marchandises qu'elles tirent en retour d'Angleterre ;-il desire et il espere que des negocians s'etabliront sur le lac Ontario, meme a Montreal et a Quebec, qui par le moyen du commerce des bleds deV truiront le monopole que celui des fourrures a introcluit, etcontre lequel il est justement revoke. (47) Les principes de gouvernement qu'annonce le gouverneur Simcoe sont liberaux et bons. II hait l'arbitraire, et Je gouvernement mili- taire hors les murs des forts. II veut la liberte dans toute l'etendue ou 1'obeissance a la constitution et aux loix du pays peut le permettre. En consequence, peu jaloux de' reunir dans ses mains toute l'autorite, il laisse aux lieu- tenans qu'il nomme par comte le droit de choisir les juges de paix et les officiers de mi- lice. Il croit ainsi attacher les hommes prin- cipaux au gouvernement , les subalternes a eux, et multiplier les moyens d'entretenir le bon esprit et la fideiite au gouvernement anglais. Chaque juge de paix , et ils sont en grand nombre, a le droit de donner dans son district au nom du roi un lot de deux cents acres de terre a tout nouveau colon, dont il connait la conduite et les principes. L'arpen- teur du district averti par umbillet de ce juge de paix de la donation faite au coneession- naire, et du serment d'aliegeance pris par lui, delivre a ce nouveau colon un certificat qui lui indique dans quelle partie du district est le lot auquel la donation du magistral lui donne droit de prendre. S'il desire une plus grande quantite de terres , c'est au conseil executif qu'il doit se presenter. ( 48) Le peu d'habitans qui sont encore dans le Haut-Canada dont le nombre, quelle que sOit 1'emigration , sera encore long - terns disproportion^ avec l'etendue a peupler , ne per- met au gouverneur Simcoe aucun desir d'en- vahissement sur les Indiens. II regoit au con- traire avec bonte ceux que les Americains re- poussent de leur territoire, et agit ainsi tres- prudemment ; car , quand la politique des Etats-Unis les porte a ne pas vouloir conser- ver entre les Anglais et eux un peuple dan- gereux par sa facilite a etre seduit , inutile par son petit nombre, et auquel il faut comme peuple chasseur, une vaste etendue de territoire pour subsister , le gouverneur Simcoe voit sans inquietude ce peuple derriere les etablissemens anglais; il resserre ainsi leurs liens avec i'Angleterre , et les anime d'autant contreles Americains, pour mettre cette haine a profit dans le besoin : sur, comme il i'est d'ailleurs, d'avoir d'eux toutes les portions de terre dont il aura envie. • Quoique le gouverneur Simcoe n'estime pas que le commerce des pelleteries soit aussi avantageux a I'Angleterre que beaucoup d'An- glais le pensent, il n'en voudrait pas laisser partager les profits aux Etats-Unis, qui asso- cies a la navigation des lacs par la cession des forts, — ( 49) foi'ts, ayant sur leurs cotes des havres excel- lens, sont appeles a prendre une bonne part dans ce commerce. II pense qu'une communication peut aisement s'ouvrir du lac Huron avec le lac Ontario par la riviere St.-Joseph; qu'en raccourcissant pour les marchands le trajet de tout le circuit de la riviere du detroit, du lac Erie , de la riviere de Niagara, et d'une grande partie du lac Ontario , elle frustrerait necessairement les Etats-Unis de tout ce qui arrive aujourd'hui par les lacs des Bois, Supe- rieur, Huron, et empecherait cette navigation anglaise de passer sous les forts du Detroit et de Niagara, qui vont appartenir aux Americains. Il pense meme que la communication directe du lac Huron avec le fleuve St.-Lau- rent par la baie de Quenti pourrait etre operee a quelques portages pr£s, que la grande quantite de rapides qui se trouvent dans ce fleuve et les petits lacs qu'il traverse rendraient ne- cessaires. Les projets militaires du gouverneur dans le cas d'une guerre avec les Americains, sontcfe les attirersur les terres anglaises pour les com- battre avec avantage , assure de la protection de ses forts; d'etablir une marine considerable de petits batimens charges de gros canons , qui ne permit a aucune chaloupe americaine Tome II. D (5o ) de se montrer , et qui donnat la facilite de proteger une descente a force ouverte dans les Eiats-Unis, si on la voulait operer. Alors il compte sur les forces de sa milice militaire et sur les moyens qu'elle lui donnera de porter des partis considerables fort avant dans le pays ennemi. En tems de guerre cette communication du lac Huron au lac Ontario lui semble plus necessaire encore ; car il espere faire arriver par elle dans ce dernier lac les gaieres , galiotes a bombes , chaloupes - ca- nonnieres, qu'il construira dans une autre ville projetee sur la Tamise, et qu'il nomme deja aussi Chatham. Les vues du gouverneur Simcoe, je ne parle ici que de celles pour l'administration civile , sont sans doute vastes et bien congues ; je pense meme que dans sa position de gouverneur anglais elles ne peuvent letre mieux ; leur execution est egaiement possible ; il a la confiance du gouvernement , beaucoup d'argent a sa disposition; il aurait d'ailleurs de tiombreux moyens par les soldats qu'il a dans la province ; il sent avec sagesse la necessit6 de les faire travailler dans un pays ou Von ne peut esperer de faire les regimens manou- vriers, et ou le travail les prepare au genre de guerre propre a leur petit nombre, aux (5i ) ennemis qu'ils auraient a combattre, et aux difficukes qu'ils doivent rencontrer. Mais je vois cependant encore beaucoup d'obstacles a 1'execution de ces projets. Le .plus grand de tous est dans la determination annoncee par le gouverneur de retourner au bout de ses cinq annees en Angleterre. Un plan aussi vaste, qui embrasse une telle cora- binaison d'idees , ne peut etre execute que par celui qui a ete capable de le concevoir. II est entretenu dans le courage et la suite neces- saires a une telle execution, par les principes qui la lui ont fait imaginer, par la connais- sance qu'il a de la connexion de toutes les branches de son projet, par un amour de gloire bien entendu. Tout cela n'est rien pour un successeur. Si ce successeur est un homme tout-a-fait mediocre, il n'est capable, ni de suivre, ni d'entendre un tel projet; et celui du general Simcoe n'est pas de nature a etre suivi par des sous-ordres. Si ce successeur n'est qu'un peu au-dessus du mediocre , ( ce qui est le plus ordinaire ) il met son amour-propre a ne pas suivre les erremens d'un autre. Et les instructions du ministere, fussent-ellespositives, sont,a deux mille lieues , plus aisees a eluder qua suivre; D a I ( 52 ) d'ailleurs l'amour du pouvoir arbitraire, celui du commandement militaire, sont dans tous les pays du monde la maladie de ceux qui ont l'autorite. Si done le gouverneur Simcoe quitte le Haut-Canada dans deux ans, comme il l'assure, il n'aura pas seulement le tems de poser tous les fondemens du plan, dont il espere, avec raison , j J crois, la prosperite de ce pays et un grand avantage pour I'Angleterre; mais dont toutes les branches sont si etendues, si multipliees , qu'il faudrait pour amener a bien son vaste ensemble, une longue succession d'annees employees dans le meme esprit. Je pense d'ailleurs qu'il trouverait lui-meme des difficultes dans cette execution. Bien qu'in- dependant du lord Dorchester, pour tous les objets civils, le gouverneur Simcoe ne Test pas pour les objets militaires. Dans ces objets militaires, sont compris l'emplacement des troupes ; il dit lui-meme qu'il craint d'etre contrarie a cet egard, et je pense qu'il ne dit pas tout ce qu'il en sait. Si les troupes ne sont pas placees aux points qui doivent cou- vrir et defendre la metropole projettee, et les differens etablissemens que le Gouverneur compte faire ; si les soldats sont appliques plutot aux exercices qu'aux travaux; si les (53) conges ne sont pas accordes a ceux qui peu- vent fournir un homme a leur place, voila des parties essentielles du projet manquees, et qu'il semble difficile de ^emplacer. Lord Dorchester est vieux ; comme tous les vieillards, il repugne aux idees nouvelles. II est partisan de l'autorite absolue. La situation des esprits , dans le Bas - Canada , peut lui faire desirer d'y rassembler plus de troupes, et le langage du gouverneur Simcoe me fait penser qu'il lui croit ces dispositions. Le Gouverneur lui-meme peut done se tromper dans quelques-unes de ses esperances. L'emigration des Etats-Unis, vers le Haut- Canada , j'entends une emigration bien considerable, ne me semble pas aussi probable qu'a lui. Sa donation de terres, presente au premier cOup-d'oeil plus d'avantages qu'elle n'en a reellement. Les terres sont bien donnees gratuitement ; un certificat de l'arpenteur, delivre par ordre du Conseil executif, met Bien ceux qui les obtiennent en jouissance de ces terres ; mais ils n'en regoivent pas . promptement les titres; ils ne leur sont remis qu'apres un terns plus ou moins prolonge, par la volonte du Conseil; et je ne sais si aucune donation entiere est encore revetue deses titres de propriete. Cependant si un concessionaire D 3 (54 ) meurt sans enfans , avant d'avoir recu ses titres, le bien rentre dans le domaine du roi; aucun heritier collateral, aucun ami ne peut y succeder ; les capitaux et le travail restent enfouis dans cette terre , au profit de la couronne. Ainsi lorsque , dans les Etats-Unis, un nouveau colon calcule ,* en achetant un certain nombre d'acres de terres, sous condition de les payer a des epoques eioignees , qu'il s'acquittera en revendant une petite par- tie de son acquisition , dont son defrichement aura double la valeur, le colon du Canada n'a pour esperance d'une jouissance assuree que la volonte du Gouverneur ; s'il est prudent, il ne s'y fie qu'avec reserve. La protection , la connaissance des bons colons , fait sans doute deiivrer quelquefois ces titres , et facilite ainsi les secondes ventes , mais ces faveurs sont partielles et toujours arbitraires. Tant qu'il n'y aura pas de loi qui fixe l'epoque et les conditions pour la delivrance des titres, il y aura toujours inquietude dans les posses- eeurs, incertitude dans la propriete, et par consequent lenteur dans les ameliorations. II est d'ailleurs , dans ces donations , des reserves" au profit du roi , pour les mines de toute nature, depuis for jusqu'au charbon , qui se trouveraient dans ces terres concedees, comme (55 ) aussi pour les bois juges par l'arpenteur-general , propres a la marine du roi. Toutes ces restrictions chagrinent un bon settler. L'avantage d'une donation gratuite peut done etre balance dans l'esprit de beaucoup de gens disposes a emigrer, par toutes ces inquietudes assez bien fondees. Compter, dans les motifs d'emigration, I'attachement au gouvernement du roi d'Angleterre, c'est ce qui peut s'appeler un veritable reve. La marotte de tous les Anglais , employes par le gouvernement, est de beaucoup vanter cet attachement d'un grand nombre d'habitansdes Etats-Unis de toutes les classes, au roi d'Angleterre; je ne sais quelle preuve ils en ont, mais le langage des Etats-Unis est bien contraire a cette opinion, et il est si ouvert, si continuel dans la disposition opposee, qu'il semble devoir etre un meilleur garant des sentimens americains, que l'asser- tion des employes de la Grande - Bretagne. On dit ici que la presque totalite des families qui y arrivent des Etats Unis, viennent parce qu'elles sont la, sujettes a une taxe qui, toute petite qu'elle soit, leur deplait. S'il en etait ainsi, cette disposition ne serait pas favorable a I'Angleterre pour l'avenir. On nous dit aussi que l'ardeur qua le gouverneur Sira- D 4 ( 56 ) coe, de peupler le Haut - Canada , lui fait trouver facileriient, dans les emigrans qui se .presentent , les conditions qu'il desire , et que, malgre son aversion pour la speculation des terres, et son irrecusable desinteresse- ment personnel, un township entier est souvent concede a la meme personne , qu'il en est meme quelques-unes qui en ont obtenu deux ou trois. Le Gouverneur pense encore que le commerce du Haut - Canada s'enrichira des productions du Genessee, auxquelles il ne voit pas d'autre debouche que par le fleuve St.- Laurent. Il semble difficile a croire que cette opinion soit fondee , quand on connait les moyens que le lac Oneyda , le Wood-creek et la riviere des Mohaucks donnent pour la communication du lac Ontario, avec la riviere du Nord, aujourd'hui interrompue par trois portages seulement, et quand on connait l'ardeur , l'intelligence et l'activite des Etats americains , dans tout ce qui tient a ia facilite des communications par la navigation. Mais les erreurs de compte du Gouverneur, qui tiennent a des prejuges nationaux , ne feraient que retarder le complement de ses projets, et n'en aneteraient point l'execution. (57) Les vrais obstacles sont les premiers dont j'ai parie , et sur-tout le retour du Gouverneur en Angleterre. i Quant a present , l'etat de la population, est, a ce que Ton nous a dit, de 3o,ooo ames, et sans doute elle est tres inferieure a cette estimation. Le settlement le plus considerable, est celui du detroit ; il est encore unique- ment compose de families francaises ; la plus grande partie de ce settlement est sur des terres que le traite rend americaines; les Anglais se fiattent que les families , qui y sont eta- blies, repasseront de leur cote : mais si le gouvernement americain se conduit avec elles comme il est de son intent de le faire , il n'est pas vraisemblable qu'elles quittent leurs J proprietes depuis long - terns culti- vees, pour le seul attrait de passer sous la domination anglaise. Les autres settlemens , dans le Haut-Canada , sont : un assez considerable , depuis le fort Erie jusqu'a Newarck, le long de la riviere , et ce settlement, ou les habitations ne sont pas contigiies , n'a pas beaucoup de profondeur ; quelques-uns , mais en petit nombre , sur les creeks , qui tombent dans le lac Ontario, depuis Newarck jusqu'a la tete du lac; un leger commencement a Yorck; enfin a Kingston, et le long r . (58) du fleuve Saint-Laurent, jusqu'aux confins du Bas-Canada, et ceux -Ik sont les plus peupies. Quant aux projets militaires du gouverneur, ceux pour la defense*sont precis, et semblent tres-bien calcuies ; ceux pour l'at- taque sont si vagues et d'une telle nature , qu'on n'en peut parler. La haine du gouverneur pour les Etats- Unis , le fait sortir quand il parle de tout ce qui y a rapport, de la sagesse et de la con- venance d'expression qui ne l'abandonnent jamais sur tout autre sujet. Il etait ardent promoteur de la guerre d'Amerique ; il y a ete acteur tres-violent et tr6s - malheureux. Les mauvais succes n'ont faitqu'envenimer sa disposition ; et c'est avec une vraie peine que je l'ai entendu se vanter du nombre des maisons qu'il avait bruiees dans cette malheureuse guerre , de celles qu'il brulerait encore si la guerre se renouvellait ; enfin de projets que l'esprit de parti, pousse au point ou il le porte peut seul expliquer. Il est determine , nous a-t-il dit, a faire d'ailleurs une telle depense dans la guerre qu'il ferait contre les Americains , qu'il obligerait ceux-ci a des depenses equivalentes qu'ils ne pourraient pas soutenir ni meme fournir ; il voudrait jen faire une C~59) guerre d'argent. II assure cependant sans cesse qu'il desire la paix avec les Etats-Unis plus que personne; il y voit avec raison un grand moyen de succes pour sa nouvelle colonic Mais sa haine pour les rebelles est si forte , son chagrin de remettre les forts si apparent, qu'ils rendent plus vraisemblables les reproches que lui fait le gouvernement des Etats-Unis , d'avoir fait secourir l'annee derrnere les Indiens de tous les conseils et de tous les moyens qu'il pouvait donner sans trop se compromettre ; d'avoir provoque au- tant qu'il pouvait une guerre dont les succes certains a ses yeux flattaient a la fois son amour de la gloire , et ses sentimens de haine et de vengeance. Il ne nie meme pas les dispositions qu'il avait deja faites pour porter sur-le-champ dans le Genessee tous les Indiens dont il pouvait disposer , et qu'il assure etre au nombre de cinq mille ; d'ou s'en suivait 1'incendie de toutes les habitations et le massacre de toutes les families. Et ce serait I'Angleterre a la fin du dix-huitieme siede qui ferait une telle guerre ; et c'est le fondateur d'une colonie , homme d'ailleurs genereux et bon qui la medite et \\sl prepare longuement. Si je n'eusse pas entendu ces projets de la bouche meme du gouverneur, je n'y aurais r ( 60 ) pas cru , ets'ilne les avait pas expliques plus d'une fois devant differentes personnes , je ne les repeterais pas. A l'inconvenient pres de cette haine ar- dente trop hautement avouee contre les Etats- Unis , et qu'il porte extremement loin, il me semble que le gouverneur Simcoe est un de ceux qui pouvaient etre places ici avec le plus d'avantages. Actif, eclaire, juste, bon, ouvert, il a la confiance du pays; il a celle des troupes, et de tout de qui coopere avec lui a 1'administration du gouvernement; il s'oc- cupe sans relache des affaires, conserve au roi d'Angleterre ses amis , et ne perd aucun moyen de lui en faire de nouveaux. C'est, ce me semble , reunir toutes les qualites neces- saires a sa position, toutes celles qui peuvent conserver a I'Angleterre l'importante propriete du Canada, s'il est vrai qu'elle puisse long- tems etre conservee. Dans la vie ordinaire le gouverneur Simcoe est simple et sans complimens ; il loge dans une mauvaise petite maison de bois , jadis oc- cupee par les commissaires a la navigation du lac. Il y est garde par quatre soldats qui vien- nent du fort tous les. matins , et qu'il ren- voie tous les soirs. La il vit avec generosite , hospitalite et sans faste; son esprit est facile ( 6i ) et eclaire , il parle bien sur tous les sujets 9 plus volontiers sur ses projets que sur toute autre matiere, et avec plus de plaisir encore sur la guerre qui semble etre en lui une passion dominante. II connait bien l'histoire mi- litaire de tous les pays ; il ne voit pas une elevation qu'il ne songe a la feme du fort qu'il faudrait y etablir , qu'il ne lie a cette construction le plan de la campagne , etsur- tout de celle qui le conduirait a Philadel- phie ; et l'on peut croire , en l'entendant dire qu'il desire la paix, que sa raison a un grand empire sur ses passions, ou qu'il se trompe lui-meme. Madame Simcoe , femme de trente-six ans , est timide , a de 1'esprit , est obligeante et bonne , parle peu , est occupee de ses devoirs de mere et de femme, qu'elle pousse jusqu'a etre le secretaire de confiance de son mari; son talent pour le dessein qu'elle applique au trace des cartes lui donne aussi le moyen de lui etre tres-utile. Impositions du Haut-Canada. Le Haut-Canada ne paie point d'impositions a I'Angleterre. Une taxe sur les vins , de quatre pences par galon; pour le yin de Madere; de ( 62 ) deux pences pour tout autre vin ; et un droit de trente-six schellings sterlings pour les licences des aubergistes , auquel il en a ete ajoute dans la sebsion de 1793 un autre de vingt schellings currency (1) ( quatre dollars) sont les seules levees au-profit du Haut-Canada meme. La totalite monte a environ neuf cents livres sterlings, et est appliquee au payement des emolumens de l'orateur de la chambre , des commis, et de tout ce qui est a payer pour le service et l'entretien du local de l'as- sembiee. Les juges.de paix dans les quarter sessions determinent, comme en Angleterre, le mon- tant des impositions necessaires pour les edifices publics , l'entretien des chemins et le soulagement des pauvres (jusqu'icice dernier article est inconnu. ) Les impositions se levent par une capitation taxee sur la richesse pre- sumee des habitans presens des districts : la (1) La valeur de la monnaie dans le Canada est, par la loi, celle d'Hallifajc, cinq schellings pour le dollar; mais cette maniere de compter, fidelement observed dans toutes les depenses du gouvernement, ne Test pas toujours dans les transactions particulieres, et la division de la monnaie nsitee dans 1'Etat de New-Yorck, prevaut sur-toutdans les parties du Canada qui avoisinent cet Etat. (63) plus forte ne monte pas au-dessus de quatra dollars. Cette meme base sert a la levee des deniers necessaires pour les salaires des membres de l'assembiee qui, retournant chez eux apr6s la session , et porteurs d'un certificat de l'ora- teur de la chambre qui constate le nombre des jours de leur presence , l'envoient au juge de paix de leur district ; et regoivent en consequence de la levee faite dans ce district a cette intention , deux dollars par jour , y compris ceux de leur voyage pour aller et revenir. Tribunaux . Districts. Les quarter sessions se tiennent par district; cette division par district est celle qui se rap- porte a la distribution de la justice. Les juges de la cour superieure , civile et criminelle, tiennent cour quatre fois fan dans le lieu de la residence du gouverneur. Ils sont trois , y compris le chef de justice; ils tiennent aussi annuellement des assises dans les differens districts de la province. Des juges de district jugent dans des sessions plus rapprochees les causes de moindre interet, et les juges de paix ont la meme jurisdiction qu'en Angleterre. (64) Une cour compose du gouverneur et de deux membres du conseil executif, est cour d'appel pour les causes jugees par la cour superieure. Le gouverneur assiste de qui lui plait, tient aussi la cour pour les testamens , intestats , orphelins , ect., etc. M. White , attorney general de la province , que j'ai questionne sur la nature des crimes et sur leur punition , m'a dit qu'il n'y avait pas de district ou il n'y ait eu deja au moins une accusation de meurtre, et deux dans plusieurs ; qu'aucuns de ces accuses n'avaient ete trouves coupables par les ju- res , quoique toutes les apparences fussen.t contre eux; que ces meurtres avaient pour causes, rancune inveteree pour argent du , et ivrognerie ; que les loix anglaises etant suivies en Canada , la peine de la corde y etait ou y serait appliquee dans les cas de conviction; que les prisons n'etant pas baties , les petits crimes punis d'apres les loix anglaises par la detention , le sont par des amendes, qui ge~ neralement ne sont pas payees , parce que les moyens coercitifs manquent ; que les dettes etaient le sujet le plus commun des causes civiles , qui en avaient aussi dans les batteries, parce que l'ivrognerie est commune dans lejpays. La fl. (65) La province du Haut-Canada est divisee en quatre districts : le Detroit , Niagara , Kingston et Saint-John. Les juges de paix . sont choisis parmi les hommes les plus ca- pables d'en remplir les fonctions ; mais dans un pays aussi nouveau , ceux vraiment dignes de cette confiance ne peuvent pas abonder. Comtes et Milices. La division du Haut-Canada par comte est purement militaire, et relative seulement a 1'inscription , a l'incorporation et au rassem- blement de la milice. Les comtes sont au nombre de douze : leur nomenclature que d'ailleurs j ignore, ne serait ici d'aucune uti- lite ; un lieutenant, un depute - lieutenant par comte assemblent et commandent cette milice; elle doit etre divisee par regimens et par compagnies ; elle est rassemblee par comte une fois par an le premier juin, et par les capitaines des compagnies, au moins deux jours dans 1'annee. Tout homme est milicien depuis l'age de seize ans jusqu'a celui de cinquante. S'il ne se fait pas inscrire sur les roles, il est con- damne a une amende de quatre dollars ; un officier en paie une de huit, et un sous-offi- Tome II. E (66) 1 cier une de deux , s'ils ne se rendent pas k I l'assemblee de la milice convoquee. L'officier qui en tems d'invasion ou d'insur- rection, refuserait de se rendre au poste qui 1 lui est assigne , ou se caohsrait pour ne pas servir, serait condanme a une amende de 5o> : liv. sterlings ; le sous-officier dansle memecas , le serait a une amende de 20 liv. sterlings. Le milicien qui aurait vendu en tout ou en par-J tie ses armes, son equipement, ses munitions, I paierait une amende de 5 liv. sterlings , ouk| serait condamne a une detention de deux mois s'il ne pouvait pas payer l'amende. Les quakers, les memnonistes , les dunkersjk doivent payer vingt schellings par an en terns de paix, cinq livres en tems d'invasion ou| d'insurrection , pour etre exempts de porter les armes. Les amendes ou compensations! sont applicables au paiement d'un adjudant-| general de la milice ; le surplus est a la dis-| position du gouverneur. Telle est la substance du premier acte du corps legislatif du Haut - Canada , rendu en 1793 pour la milice ; la crainte de la guerre en a fait ajouter un autre en 1794 I dont les principales dispositions ont pour but de mieux organiser l'interieur des regi-1 mens , des bataillons et des compagnies ; de ** (67 rendre 1'appel des detachemens plus facile et plus prompt; de porter jusqu'a soixante ans en tems de guerre l'age ou chaque habitant est requerable pour le service de la milice, et celui, par consequent, oil les quakers, etc., doivent payer la dispense de porter les armes; de rendre la milice sujette au service sur les vaisseaux, les bateaux hors de l'enceinte de la province , et meme a chevai, sans pour- tant que les memes hommes puissent etre employes plus de six mois de suite; le tout dans les cas juges necessaires par le gouverneur. Les exceptions k l'enr61ement de la milice sont bornees aux officiers de justice, aux employes de l'administration , et sont peu nombreuses. On estime la totalite de cette milice a neuf mille hommes, dans un espace bien etendu a la verite, mais ou la communication des lacs donne la facilite du rappro-? chement. Depenses de VAngleterre pour le Haut - Canada. Toutes les .depenses pour l'administration civile et militaire du Haut et Bas - Canada, sont payees par I'Angleterre. Il faut y ajou- E a (68) ter celles de l'administration politique ; c'est- a-dire , l'argent destine aux negociations avec les Indiens. La totalite de la depense de I'Angleterre pour le Haut-Canada, est de cent mille liv. sterlings par an; celle des Indiens est, dans cette somme totale , la plus considerable , puisqu'elle se monte a pr£s de soixante mille liv; sterlings , en y comprenant les trai- temens des agens generaux , agens particuliers, interpretes, etc. , employes a ce service. Le surplus de cette depense est en presens , de fusils , tomahawks , poudre, balles , couteaux , couvertures , bagues , boucles , chapeaux , miroirs , et plus que tout en rhum. Les agens sont charges de ces distributions , qui se font, les unes annuellement, d'autres selon les cir- constances. C'est ainsi que Ton gagne les Indiens, ou qu'on croitles gagner. On donne plus de presens aux chefs dont on connaitl'influence; h l'aide de ces presens et du rhum repandus avec profusion, on entretient, ou Ton capte leur amitie; on leur peint les Americains comme leurs plus grands ennemis ; on leur fait jurer de les bruler, de les scarpeler tous au premier mot. C'est ainsi que, d'aprfes le compte rendu par tous les agens, le gouverneur croyait l'annee derniere pouvoir compter sur cinq mille hommes qui avaient jur£ de ne pas —~ ( 69 ) laisser un scarpel sur aucune tete Americaine qu'ils rencontreraient. En entendant de tels recits, on croit lire une relation exageree des mceurs de quelques peuples antropophages ; et cependant cela est vrai a la lettre. Les Anglais assurent ici que les Americains en font autant de leur cote. Avouons que les Blancs , par leur basse et barbare politique , apprennent bien aux Indiens a les mepriser ; et esperons que le tems n'est :pas eloigne ou ceux-ci auront le bon esprit de prendre l'argent, les presens , de I'Angleterre et des Etats-Unis , et de se moquer de ces deux grands pays, sans servir plus long- tems d'instrumens a leur querelle. Apr6s la depense des Indiens , la plus considerable , dans le Haut-Canada , est celle des surveyors , ou ingenieurs - arpenteurs. J'en ignore precisement le montant , qui varie annuellement selon le travail dont ils sont charges. Les depenses relatives au militaire doivent etre revetues de la signature du lord Dorchester , independamment de celle du gouverneur Simcoe. Lord Dorchester eleve la meme pretention sur plusieurs depenses relatives au civil , et entr'autres , sur celles qui ont pour objet la navigation des lacs , qui sont aussi tres - considerables ; le gouver- ■ E 3 ( 7<> 5 neur Simcoe n'est pas encore sans co«ntrariet& a cet egard. On nous a dit ici que la depense totale des deux Canadas s'eleve a quatre ou cinq cents mille livres sterlings pour le tresor d'Angle- rerre. J'ignore si dans ce total sont compris les traitemens et les secours donnes par 1 An- gleterre a divers habitans des Etats-Unis ; je n'ai pu en connaitre ici le montant, mais des personnes dignes de foi m'ont certifie qu'ils s'eievent fort haut: est-ce la ce que veulent dire MM. Hammond et Simcoe, en parlant des nombreux amis qua le roi d'Angleterre dans les Etats-Unis ? C'est une grande bas- sesse que d'entretenir de tels amis. Cest unfe grande infamie que d'en jouer le role. Conseil executif: Concession des terres. Un conseil executif compose de cinq membres est place pres du gouverneur. Celui-ci doit suivre la majorite des opinions pour son refus aux bills passes dans les deux chambres ; mais il nomme et peut demettre ce conseil, forme en totalite de membres qui dependent de lui, et qui sont, pour la pluparf , pris dans le conseil legislatif. T» I 7i ) Un bureau pour la concession des terres preparait les affaires de cette nature pour le conseil ; il a ete recemment supprime , le ^conseil executif s'etant reserve la premiere investigation, comme la decision de cette sorte de transaction. II y a une immense quantite de demandes de terres ; les titres exiges pour en obtenir sont: attachement au roi d'Angleterre, ennui, lassitude , et s'il se peut, aversion du gou- . vernement des Etats-Unis. Ces conditions couvrent souvent les projets de speculation ; et malgre le soin que le bureau et le conseil disent mettre a distin- guer la verite , bien des terres sont accor- dees sans la realite d'aucun de ces titres de favour. On n'en peut obtenir par le texte de la loi, quelquefois elude, comme je l'ai dit , que 1200 acres ; mais comme dans la concession la clause de defrichement, dans un tems li- mite , n'est pas prononcee , les speculations trouvent leur place , et le pays, pour etre concede , n'acquiert pas la certitude d'en etre plutot habite. J'ai dit plus haut que les officiers qui avaient servi dans la guerre d'Amerique , avaient droit a cette concession de terres; elle est de douze E4 ( 72 ) cents acres pour le lieutenant, et n'excede pas cinq mille pour le colonel. Beaucoup ont et&J donnees a des officiers qui n'avaient pas iaitl la guerre d'Amerique , et dans la plus forteA quantite, quoiqu'ils ne fussent pas du plus haut grade. La plupart de ces terres placees>\\ dans les lieux les plus favorables , ne sont pas- et ne paraissent pas devoir etre bientdt de- frichees. Newarck : cherte. Tout est a Newarck d'un prix exhorbitant; les stores sont en petit nombre; les marchands s'entendent, et vendent aux prix qu'ils veu-j lent. Les droits mis par I'Angleterre sur les marchandises exportees dans ses colonies, donnent; dans tout le Canada un grand attrait a la contrebande avec les Etats-Unis, ou, pour plusieurs articles, la difference est ici de deux tiers en sus. Le gouvernement du Haut-Canada veille avec beaucoup de soin a empecher cette contrebande ; mais ou il y a grande esperance de gain, il y a toujours grand effort, et souvent succes pour eluder la loi et la surveillance; les marchands etles suryeillans eux- memes sont habiles k favoriser cette contre- (73 ) bande; le seul moyen de la detruire serait de baisser les nj»x. Aussi le gouverneur s'oc- .cupe til d'animer des manufactures d'objets qui, fabriques daisg les Etats-Unis, sont intro- duits ici frauduleusement enabondance ; tels, par exemple, que les chapeaux; mais il ne pourra rien pour les sucres, po'ur les cafes, pour les thes, tout ce qui arrive enfin direc- tement dans les Etats-Unis sans y payer des droits aussi considerables qu'en Canada, Indiens Tuscororas : leur visite au General: leurs Danses. Pendant le long sejour que nous avons fait a. Naxvy-Hall un village entier d Indiens, de la nation des Tuscororas, est vena complimen- ter le gouverneur sur sa recente arrivee; toutes ces visites, tous ces complimens ont pour ob- jet de venir boire, recevoir des presens, men- dier quelqu'argent, et de sen aller. Ces Indiens sont arrives le matin en bateau de l'autre cote de la riviere ou ils habitent; leur parure etait recherchee ; car ils s'etaient vetus de haillons de toute espece, couverts de plumes de toutes sortes d'oiseaux et de crins de che- val ; leurs oreilles , leurs nez etaient charges d'anneaux de toutes les formes, de toutes les ( 74) Couleurs. D'autres etaient en habit europeen ; •d'autres avec des chape auxrAordes , d'autres tout nuds , hors le double tablier, et peints depuis la tete jusqu'aux piedajpCest a cette pein- ture que s'exerce leur gertie ; les couleurs les plus fortes sont generalement celles qu'ils pre- ferent, ils se peignent souvent une jambe en blanc, l'autre en noir ou en verd, le corps raye en brun, en jauhe, le visage rempli de placards de vermilion et de noir de fumee, un ceil d'une couleur, un autre peint diffe- remment, enfin tout ce que la bisarrerie peut presenter de plus contrastant , de plus dur, ils le reunissent dans leur parure; aucun n'est peint de meme, et tous sont pourvus d'un petit rniiroir , qu'ils consultent dix fois dans nn/a^ttact-d'heureavec plus d'attention que la plus jolie coquette ; ils se peignent et repei- -gnent, retablissent les couleurs que la sueur ou le mouvement effacent. Plusieurs d'entre eux ont des bracelets d'argent, des chaines autour du col, autour des bras; d'autres ont sur leur habit une chemise blanche a longues manchettes ( et c'est une des parures les plus elegantes). Ils y ajoutent la plus grande quantite de petites boucles d'argent qu'ils peuvent rassembler ; enfin ils rappellent par leur accoutrement ces masques dont les rues de Paris (75) sont inondees dans les jours gras. II faut direl cependant que dans leur parure bisarre , il entre une quantite d'ornemens faits par eux- memes , avec des crins de chevaux , des poils de buffalo ou d'autres animaux, avec des pointes de pore-epic, avec des ecorces d'arbres dont ils font des cordes, enfin avec des herbes qu'ils tressent. Beaucoup de ces ou- vrages qui servent a orner leurs habillemens, leur poche a tabac, leur fourreau de scarpel, leurs jarretieres, leurs souliers f mockissonsj etc., sont tissusavec une symetric, uneadresse, et meme on peut dire un gout qui ne seraient' pas surpasses en Europe. Cet ouvrage est encore celui des femmes; c'est sur-tout dans la varieta et dans la richesse des couleurs qu'elles excellent. Elles les tirent generalement des feuilles, des racines, des herbes; mais elles ont encore le talent de les tfrer de toutes les etoffes teintes soit de laine, soit de soie, dont elles peuvent attraper un morceau; elles les font bouillir avec je ne sais quelle preparation vegetale , et elles decolorent l'etoffe au profit du crin, du poil, de l'ecorce qu'elles teignent ainsi d'une couleur tres-solide. Ces Indiens etaient a-peu-pres quatre-vingt le matin quand ils sont arrives : le gouverneur occupe,a remis a l'apres-midi a recevoiiTeur (76) visite; alors ils n'etaient plus que trente; car tous les autres etaient ivres , hors d'etat de marcher. C'est sur une grande pelouse que cette visite a ete regue : aucun compliment n'a ete fait de part ni d'autre ; le gouverneur s'est montre, mais il s'est tenu a l'ecart; les Indiens ont danse, ont joue entr'eux. Quel- ques-unes de leurs danses sont assez expres- sives , et ne sont meme pas sans grace : un air triste, monotone , chante par un d'eux, et accompagne dun petit tambour de trois pouces de diametre et de six de haut; voila leur mu- . sique : souvent elle est accrue d'un baton sur lequel un des enfans bat en cadence ; ils dan- sent autour de cette musique , qu'ils inter- rompent souvent par des cris pergans ; la danse de la chasse, celle de la guerre sont les plus expressives ; la derniere sur-tout. C'est 1'image de la surprise d'un ennemi que l'on tue et que l'on scarpelle ; le danseur est seul; les autres nccroupis , le talon sous leur derriere comme les singes , sont ranges en demi cercle, et pretent une avide attention a tous ses mouve- mens. Le moment ou l'ennemi est cense tue, porte sur tous les visages l'expression de la joie ; le danseur fait des cris pergans et terri- bles ; il revient conter en pantomime ses succes aux autres , et un cri general les couronne; C 77 ) . la fink la danse pour celui-la, un autre lui succede , puis un autre encore, jusqu'a sa- tiete. Apres la danse ils ont joue a la balle; c'est un jeu ou toute leur agilite se deploie ; ils ont chacun une raquette, dont le manche de trois a quatre pieds de long, se replie a son ex- tremite de maniere ^fc donner a la palette la Forme d'un arc : les cordes de cette raquette sont d'ecorces d'arbres ; ils la tiennent a deu^ mains , et courant apr6s la balle par-tout ou ils la voient, ils n'ont d'autre objet que de l'enlever avant les autres. Cette balle est souvent jetee a des distances considerables ; ils s'elancent a l'envi pour la rattraper soit en 1'air, soit a terre. Les buissons, les fosses, leS barrieres, rien ne les arrete; ils passent au tra- vers de tout, franchissent tout, et developpent dans ce jeu une souplesse, une legerete, une activite vraiment agreables. Pendant cesjeux, 1 agent s'est approche du general avec un des chefs, et lui a dit que sa nation de Tuscorora le consultait pour savoir si elle irait a un conseil tenu par les Indiens Oneydas a Onondago pour vendre leurs terres de reserve, que l'Etat de New-Yorck desirait acheter. Le gouverneur a repondu ttes-vague- xnent a cette question; l'agent a traduit comme (7«) il a voulu cette reponse ; mais il a replique au gouverneur de la part des Indiens, que comme ils croyaient etre plus agreables au roi d'Angleterre en n'y allant pas , ils n iraient pas. Je ne sais si cette farce politique a ete jouea par l'agent 6eul, ou si le chef 6tait de moitie; mais je sais que ce chef venait un moment I plut6t de mendier deuoc schellings de moi, pour lesquels, si j'avais voulu, il m'aurait pro- \\ mis d'aller ou de n'aller pas a tous les conseils j du monde. Je remarquerai k cette occasion | sans m'etendre davantage sur ce sujet, que 1 toute la pohtique de I'Angleterre avec les In- ■ diens est absohiment dans les mains des agens, | qui seuls en entendent la langue ; et qui seuls 1 sont les distributeurs des presens; qu'ainsi il \\ ne tient qua ces agens de disposer toutes ces ;] nations ou quelques-unes d'elles a, la guerre ; de les animer plus ou moins fortement contra ] l'Amerique, de les brouiller entr'elles, sans I que le gouverneur puisse se douter de cette derogeance aux instructions de son cabinet, I autrement que par les effets. II en est sansl doute de meme dans les Etats-Unis. L'agent anglais dont il est ici question, est le colonel Buhtler, famenx par ses inoendiesJ ses pillages et ses meurtres dans la guerre d'A-j Mammmm— ■ ■■ -^ (79) • merique. II est lui-meme Americain d'aupres de Wilkesbarre ; son pretendu loyalisme qu'il a su se faire payer de brevets et de traitemens, lui a fait commettre plus de barbaries, plus d'infamies contre sa patrie, qu'a qui que ce soit. II conduisait les Indiens, leur indiquait les fermes, les maisons a briiler, les victimes a scarpeler, les enfans a dechirer. L'Angleterre a recompense son loyalisme de cinq mille acres de terre pour lui, d'une quantite pareille pour ses enfans, d'une pension de deux a trois cents liv. sterlings, d'une place d'agent aupres des Indiens , qui lui en vaut cinq cents autres, avec la facilite de puiser a volonte dans les magasins de presens. Il est tres-bien traite du gouverneur, qui joue ainsi le r61e qu'il doit jouer, mais qui, j'aime a le croire , ne Ten estime pas davantage. Cette nation des Tuscororas est, comme je crois l'avoir deja dit, celle ou les hommes par- tagent le plus le travail avec les femmes. Le gouverneur parle du projet de tenter de lui donner une demi civilisation ainsi qu'a toutes les nations indiennes sur lesquelles il croit que I'Angleterre a quelqu'influence. Est-il avantageux ou non pour les Indiens d'etre civilises ? Cette question est trop grande k traiter, peut-e>tre pour mes talens , et sur- (8o) tout pour ce moment; mais il me semble , qu'oblige de prononcer promptement sur elle je prononcerais la negative ; sur-tout tant qu'ils ne seront pas trop entoures des blancs , et qu'ils pourront jouir d'un territoire assez grand pour chasser et ne pas manquer de gi- bier. Mais encore une fois, on ne peut re- soudre d'une maniere absolue une question si difficile a i scuter. La condition des sauvages, abandonnes en- tierement a leur vie de nature , n'est pas la meme que celle des sauvages places pr6s des blancs, ou communiquant avec eux. La reflexion peut porter a croire que la creation des besoins, la necessite de la prevoyance, i'usage de la pensee , le developpement de l'esprity et la sensibilite raffinee du cceur. etant plus souvent des causes de malheur que de bon- heur, la civilisation qui en est le principe doit etre ecartee des sauvages pour leur propre avantage. Mais peut-on arriver a la meme conclusion pour ceux des sauvages qui par leur communication avec les blancs appartiennent deja a la civilisation, seulement il est vrai par ses vices, consequemment par les malheurs dont elle est la source , et qui ne peuvent qu'acquerir des moyens d'adoucissement et de bonheur en l'obtenant plus complette. La (Si) La'question de la qj^Uisation des.gaj&yaggS} g§n$\\$.&ree dans le rapport de l'avantage qui en resulterait, pour la partie du Monde .d$j4 civilisee, devrait peut-etre aussi etre decide© a l'afiirmative. Quoiqu'il en soit, le gouverneur n'a pai uniquement en vue, dans ce projet decivi&ssa- tion , le bonheugrde ces IndiehSj.naasBBieaaieoaie l'utilite qu'il peut en tirer; il veut les[J0kirfa\\ civiliserpar des pretres: ilprefererait.des mis- sionnaires catholiques. La politique du gengasiqL lerapproehe dune religion , dont les ministres voyant leur interet attache au pouvoir des jtrones , ont eu toujours pour systeme de sou- tenir et de propager l'autorite arbitraire. , . Ce qui est constant, c'est que le^um ex- tenue les Indiens, qu'il abr£ge leur vie, qu'il rend tous les jours leurs mariages moins f£- conds , qii'il fait naltre des enfans chetifs , et que^^Sj,nations diminuent sensiblement par ce poison , dont il n'est pas plus possible de detruire , parmi elles, le besoin que l'effet. Etablissement du Colonel Brant. A quatre rvingt milles d'ici, sur la grande riviere, est un etablissement) que j'aurais ete Tome II. E ( 82) curieux de visiter ; celui du colonel Brant, Mais le colonel n'y est pas , et d£s - lors on m'assure que je n'y verrais que ce que j'ai vU dans ceiix que j'ai deja visites. Le colonel Brant est un Indien qui a fait la guerre pour les Anglais, qui ay ant ete en Angleterpe, a ete brevete par le roi, bien traits -de>B0iut le monde, et en a rap^torte des mceurs jfciiiemi europeennes. II est servi par deux 38 mecontentement. des troupes , que le projeH leur est deja connu. Ouverture de I'Assemblee du Haut-M Canada. C'est encore pendant notre sejour a Navy- Hall, que s'est faite l'ouverture de I'assembiee du Haut-Canada. L'attente d'un.ehef de justice, an- nonce d'Angleterre, l'esperance d'etre instrjsjtM sur les details duitraite avec les Etats-Unisjy ont determine le gouverneur a'eloigner cette ses- sion jusqu'a presentijomais ce moment est celui de la moisson, qui, en Haut-Canada comme ailleurs, occupe plus que les aff^dtcejl publiques, Deux: membres du. co®seilriiegi&« latif, au lieu de:sept; pointfijje. chef de jus-? tice, pour, etre orateur du. conseil legislatif; cinq raejttbres de faissembiee aU lieu de;,§eizfiJB ■s^sliadfe^glee qui a ppei^&ii&UBhi La loi exigw| un plus grand.nomrjoreode.meinbres7-d#JiiSqcbi^ que xhaj»b«b^)jf»©«r. lui donner. droit dead^a| liberer; cepen4ain'i)',>Jk'&nee complete detp^jraa la derniere assepibiee. , ex-pitoit jSahs deux jours. Le gouvdrneur a done ^juge\\q«jij fallai| ; tmWr'ir la session , sauf jaiix, deux chambres, Jl s'jaourner de jour a jour, en. at$e$$rt^ qjjfl| '(89) les vaisseaux du Detroit et de Kingston , apportent, comme on l'espere , les membres ' desires, ou au moins la certitude qu'on ne doit pas compter sur leur arrivee. Une garde de cinquante hommes de la-garnison du fort, etait tout l'appareil du gouverneur qui, en habit de soie, accompagne de son adjudant et de deux secretaires, a passe dans la salleje chapeau sur la tete. Les deux membres du conseil ont fait avertir I'assembiee par son orateur ; elle a parue a la barre , et le gouverneur a delivre son discours, caique, pour les affaires d'Europe , sur celui du roi; congu dans de bons termes pour les Etats-Unis, a i'occasion du traite , et tr^eWconcis sur les affaires du Canada ; car la ou il n'y a ni impositions a discuter, ni comptes a recevoir, ni arrangement militaire a examiner, il y a peu d'affaires ; et quand tous ces points seraient k traiter, les affaires ne seraient gueres plus ifefiSgues , ni plus embarrassantes, a moins que le gouvernement ne rencontrat une opposition. Or la composition des deux chambres du Haut- g6MSfada ne permet pas d'en supposer. La cons- i^rftSon du Haut-Canada est bonne pour le moment present; les membres des chambres de Tad ministration sont tous de l'espece la meilleure qui put etre choisie a i'epoque ac- (90 ) tuelle. L'influence du gouverneur n'est pas aujourd'hui sans utilite ; peu-a-peu les chan- gemens necessaires , ceux qui assureront da- vantage la liberie , le bon ordre , dans tous les points, etc. etc. auront sans doute lieu. Fort de Niagara. Le fort de Niagara est, comme je l'ai dit, sur la rive droite de la riviere, a la pointe opposee a celle de Mississogas, ou est bati Newarck. II avait ete originairement place , par M. de la Jonquiere, a trois milles plus pres de la chute ; mais il a ete reporte , quel- ques annees apres , au lieu ou il est a present, et ou M. de Denouville avait construit une redoute. Ce fort, ainsi que. ceux diOswego> du Detroit, de Miami et de Machilimaehi- nac , doivent rentrer aux Americains. Celui de Niagara est, dit-on , le plus fort; il a ete mis, l'annee derniere , dans un mejilf leur etat par quelques nouveaux ouvrages , ,et sur-tout par des batteries couvertes qui le dependent du cote du lac et de la riviere; tous les parapets , les talus, #tc, sont revetus en pieces de bois ; c'est du' cote de la terre une courtine flanquee de deux demi-bastions for-r tifies chacun d'une block-house garnie de.ca- (9* ) nons. Ce fort, comme tous les petits forts du monde , ne peaaiflfamais faire une grande resistance , s'il est bien attaque, mais peut couter bien du monde aux assiegeans ; tous les ifaitfcb- mens qui se trouvent dans son enceinte sont en pierres , et ont ete faits par lesFrangais. Le gouverneur , par une politesse tres- recherchee , nous a conduit a ce fort; car il n'aime pas beaucoup a le voir depuis qu'il a la certitude d'etre oblige de le rendre aux Americains : il4*pus en a fait voir tous le&jA&r tails, beaucoup au-dela de ce que noutfrate- lions jamais ose en exprimer le desir. Ttente hommes d'artillerie, et huiftijCjOmpagnies du cinquieme regiment, en composent la ga«pi- son; les canons et munitions pour I'&rj&ee, que peut lever le Haut - Canada , y sont reunis et prets a etre employes. Nous avons , deux jours apres cette visite , ete diner encore a ce fort, chez le major Seward , commandant l'artillerie , homme aimable , poli, obligeant, et qui d'ailleurs me semble tres-estime dans son etat;lui et M. Pilckms@m, capitainB^dji genie, sont les officiers que noustavons vu le plus souvent pendant notre sejour; ce sont ceux que le gouverneur voit et caresse davantage. En Angleterre , comme en France, les officiers du genie et de l'artillerie sont les (9* ) plus instructs, par consequent les plus agrea- bles a rencontrer. Ce que nous avons vu des officiers du cinquieme regiment, nous les a -montres polis, obligeans et de bonne compagnie. Les glaces que la riviere de Niagara charrie en morceaux enormes , sans pourtant jamais se prendre entierement, empechent, pour deux ou trois mois d'hiver, la communication du fort a Newarck. Dans tout ce tems elle est libre quelquefois pendant une demi-journee seulement , et devient impraticable sur-le- champ. Quelques Indiens en tentent le passage , en sautant de glace en glace; mais le nombre de ceux qui s'aventurent a cette ris- quable entreprise n'est jamais considerable. I Courses autour du Lac. Dans quelques petites courses que nous avons faites autour de la ville, et plus particu- lierement dans un voyage de quatre jours, avec le gouverneur, sur les bords du lac, nous avons pu voir l'interieur du pays. Ce voyage - avait pour objet d'arriver a la^tete du lac. Un canot d'ecorce, qu'il a fait construire pour faire toutes ses courses du Detroit a Kingston, contenait toute la compagnie , composee du (93) gouverneur, du major Seward, de M. Pilckin- son, denous trois, (carM. deBlacons nous a quitte deux jours apr6s notre arrivee a Navy- Hall ) et de M. Richard , jeune anglais, arrive^ de son cote par la riviere duNord , et que nous avions eu occasion de voir k Philadelphie ; douze chasseurs du regiment du gouverneur , pagayaient ce canot qui etait suivi d'un bateau portant tentes et provisions de toute espece. Nous nous arretions pour diner, puis, avant le soir, pour dresser la tente et pour souper. Le matin, avant de partir, nous nous prome- nions, nous dejeunions, et nous reprenions ensuite notre route, mt^gjt Notre voyage a ete contrarie par un peu de pluie : un des points principaux de notre route a ete le Forty-mile'creek. Ce creek, passant au travers de la chaine de montagnes qui vient de Queenstown, tombe en cascade dans la plaine, et presente quelques points de vue sauvages , effrayans , et par consequent agrea- bles dans les montagnes. Avant de parvenir au lac, il fait tourner deux moulins a scie , et un moulin a bled, tous appartenant a M. Green , loyaliste du Jersey, etabli depuis six a sept ans dans cette partie du Haut-Canada. Ce M. Green na pas quitte le gouverneur pendant tout le tems qu'il a passe a Forty-. II (94) mile-creek; il paralt bonhomme, et superieur, par ses connaissances, a la classe ordinaire des colons de ce pays. Il est possesseur de trois cents acres de terre, dont environ quarante sont cleared: il n'a pas plus de titres que les autres de cette concession; mais ayant voulu, l'hiver dernier, vendre quelques-uns de ses acres , et en acheter d'autres , il a obtenu' promptement les titres pour ces deux parties. II a donne 125 dollars pour quarante acres , traversees par le creek qui fait tourner son moulin. II a ainsi paye un peu la convenance, le prix commun dans ce canton etant de cinq schellings l'acre. La les terres nouvellement degagees de bois , donnent, dans la premiere annee, vingt boisseaux de bled; elles y sont bonnes sans etre de la premiere qualite. On ne laboure qu'apres les trois ou quatre premieres annees de recolte ; on laboure peu pro- fondement, on ne fume jamais. Le prix de la. farine est de vingfc-deux schellings le cent pe- sant, du boisseau de bled sept a huit, et le boisseau pese toujours soixante et deux livres^ 1'ouvrier est paye six schellings par jour, et se trouve difficilement. L'hiver est compte pour la nourriture des bestiaux a cinq mois et demij souvent six pres le lac ; il est moins long d'un mois sur la* (95) inontagne : cette partie de pays reunit quelques habitations; le bled est la, comme dans tout le Haut-Canada, la culture la plus habi- tuelle ; tous les grains s'y cultivent aussi. On y seme le bled et le seigle en septembre, l'a- voine en mai, l'orge en juin , les turneps en juillet, les pommes-de-terre se plantent en mai; les recoltes de foin se font du 20 juin 'SnTO juillet, celles de seigle au commencement de juillet, celles de bled, a la fin du meme mois; les pommes-de-terre et les turneps sont recoltes en octobre et novembre; le foin ne se coupe generalement qu'une fois ; on seme aussi des prairies artificielles de thy- mothy. Les bestiaux sont nourris l'hiver de foin conserve dans les granges , sous des bara- ques hollandaises (1), ou dans des meules a la maniere anglaise , mais mai faites. Tant que l'hiver n'est pas bien rude, on laisse courir les bestiaux dans les bois; il y a, dit-on, dans tout le Haut-Canada , rarement deux pieds de neige sur terre. Tous ces renseignemens sont communs aux points cultives du lac Ontario et du lac Erie. , (1) On appelle baraque hollandaise , dans cepays.etdans tout le nord des Etats-Unis , un toit rond, quarre, ou k plusieurs c6tes, couvert de paille, et soutenu sur de |ong»es perches. Ce toit s'abaisseet se hausse a. volonte.. 1 ; $M) M. Green, qui a un grand nombre d!e^|| fans, projette de les etablir tous , ( c'est-a-dire les gargons ) en leur faisant batir a chacun un moulin sur son creek, ou sur un autre creek voisin. II moud pour la garnison de Niagara , Ou, ainsi que dans tous les points militaires du Haut-Canada, le general Simcoe a ordonne d'acheter toute la bonne farine proposee par les meuniers , dans une quantite de plus de six boisseaux. La route de Forty-mile-creek , au bout du lac, que nous avons faite a cheval, est a-peu- pres aussi mauvaise qu'aucune que nous ayons rencontree dans les Etats-Unis; si quelques troncs d'arbres couches ne se fussent pas trouves de tems en tems dans les terres mare- cageuses, nous n'en serions jamais sortis. Dans tout le trajet de quinze milles , nous avons traverse de tres-bonnes terres , mais a peine quatre habitations ; au bord du lac, a son extremite et dans les plus belles terres du monde, il n'y .en a que deux. La baie de Burlington termine le lac Ontario. Cette baie a cinq milles de profondeur; mais quoique communiquant avec les eaux du lac par un detroit de trente toises de large I la navigation est interceptee dans les trois quarts de l'annee par les sables qui sont jettes ayec (97) avec abondanee vers cette extremite du lac, et qui forment une barre dont le talus s'etend en avant a pres d'un demi mille. A ce seul passage-pres , cet;e baie est separee des eaux du lac par une langue de terre large de cent ou deux cents toises ;"a la naissancede laquelledu cote sud^egtvle portage d'environ cinquante pas de largeur ; les petits bateaux sont portesdans un. petit a-cul de la baie , et arrivent de-la sans obstacle, a tous les points de sa circonference.- Les montagnes qui approchent si pres du lac , a Forty-mile-creek, et qui depuis s'en eloi- gnent a cinq ou six milles , s'en rapprochent a la tete de la baie de Burlington. Leur circuit , la nature de la terre entr'elles et le lac, ■portent a croire qu'elles en ont ete les vraies Jimites , et que le terrein couvert de bois tres-anciens , tres-beaux , qui les separe du lit actuel , n'a ete forme que par des alluvions. Ces montagnes, apres avoir donne passage k une riviere assez considerable \\ quoique peu etendue dans son cours , qui se jette dans la baie, recontinuent , entourent encore fedao pendant environ un quart de sa longueur, et de-la se dirigent Yesseje lac Huron , aupr6s •duquel elles se divisent; on n'en sait pas da- vantage. La geographie de ce pays pour la direction des montagnes, la forme des val- Tome IL G (98) lees, le cours des rivieres , est extremement circonscrite. Le gouverneur Simcoe sent la necessite de l'etendre ; mais que de choses | necessaires a faire dans un nouveau pays ? Dans toute cette course , nous avons traverse des bois remplis de fleurs tres-belles , trfes - odorantes , dont nous n'avons pas pu savoir le nom. Les arbres odorans y sont aussi tres-multiplies , et d'une elevation in- connue en Europe. Les bords du lac sont assez mal-sains ; les fievres intermittentes y sont presqu'aussi communes que dans le Genessee. II y a peu de chirurgiens dans les campagnes ; ils ne peu- vent exercer qu'apres avoir ete exaamines par le medecin du gouvernement. Cette precaution sera bonne un jour ; mais en attendant, elle ne sert a rien : car comme il y a peu de postulans , les ignorans sont acceptes sans dif- ficulte, quand ils veulent bien se presenter. J'ai appris par l'un d'eux que le commun des habitans etait extremement ef&aye de leur oohseil dans les fievres intermittentes, parce qu'ils leur ordonnent toujours le quinquina ; et que les pauvres gens , au lieu de prendre leur avis , ont recours a une espece de sortilege, dans lequel la confiance du pays est generate. Quand ils sont attaque« de la fieyre, (99) ilsvont dans les bois, choisissent une branche d'orme ou de sassafras poussee l'annee pre- cedente , et sans la detacher de l'arbre , ils la tiennent avec un fil qui ne doit pas etre neuf, font autant de noeuds qu'ils consen- tent a avoir d'acces , et reviennent religieu- sement a la maison , persuades qu'ils n'en auront pas plus que le nombre auquel ils se sont abonnes. Ceux qui les premiers ont invente ce secret, ayant fait si peu de nceuds que la fievre a trompe leur esperance , il arrive que les superstitieux d'a-present en font un si grand nombre , que la fievre meurt presque toujours de vieillesse avant que le nombre des nceuds soit atteint. Il est bien difficile que ce secret, et sur-tout ce dernier raffi~ nement , ne soient pas l'invention de quelque pretre. Cette promenade sur le lac est interessante et belle; la vue de cette immensite d'eau est majestueuse; les commencemens de de- frichemens faits generalement sur de bons principes , offrent un tableau plein de douceur pour l'oeil et pour la pensee. Le gouverneur est bon , simple , uni, aimable ; la compagnie etait agreable , et nous avions nos aises , autant qu'il est possible de les avoir dans un tel voyage. Cependant, il est reel G 2 ( soo ) que je n'y ai pas eu un moment de vrai plaisir , de jouissance entiere; que je n'en ai pas eu ! un seul pendant tout le tems que nous sommesH restes a Navy-hall, combles des attentions les moins genantes , du gouverneur , et de tout 1 ce qui l'ento.ure. Je suis embarrasse de me rendre compte a moi-meme , des differens sentimens qui m'op- pressaient et m'empechaient de me livrer en-^j tierement a la reconnaissance et a la douceur I qui en resulte. J'aime les Anglais plus peut-i etre qu'aucun Frangais ne les aime ; j'en ai -\\ toujours ete tres bien traite ; j'ai des amis parmi | eux; je reconnais a ce peuple beaucoup de grandes qualites et de talens. Je hais les crimes infames dont la revolution frangaise a ete souiliee , qui m'ont d'ailleurs ealeve des objets chers a mon affection et a mon estime; I je suis banni de France , mes biens sont con- fisques ; je suis traite par le gouvernement de mon pays comme si j'etais un crimine! ou un mauvais citoyen ; separe de tout ce qui m'est cher, Roberspierre et les autres brigands par qui ma nation s'est laissee tyranniser , m'ont rendu excessivement malheureux ; et mes malheurs sont loin de finir : he bien 1 ce sentiment de la patrie , ce sentiment aujourd'hui I sipenible, si contradictoire ayec ma position, ( toi ) domine tous les autres et vient me poursuivre ici plus que jamais. Ce pavilion anglais sous le- quel je navigue , sur des lacs ou a si long-tems flotte le pavilion frangais; ces forts , ces canons enleves a notre puissance , ce temoignage per- petuellement sous mesyeux de notre ancienne faiblesse etde nos adversites ^megenent, m'ac- cablent, et medonnent un exces d'embarras , dehonte , que je ne puis trop bien demeieret moins encore definir. Les succes que le lord Howe a eus l'annee derniere , dont les Anglais parlent d'autant plus librement devant nous , qu'ils croient notre cause attachee a la leur ; cette avidite d'annoncer de nouvelles defaites des Frangais , d'y croire , et d'oser nous en complimenter, en nous assurant que nous rentrerons dans nos proprietes par les efforts Britanniques; tous ces sujets habituels d'une conversation dans laquelle l'intention de mes hdtes semble toujours bonne , ont quelque chose d'autant plus penible , qu'il faut cacher sa pensee dans le silence;, qu'en ladisant, on passerait pour un sot aux yeux du tre.s-petit nombre , par qui on ne serait pas juge un Jacobin , un Roberspierre, et qu'on en est pour ainsi dire embarrasse avec sOi-meme. Et cependant, il est enmoi, il est profondement en moi de preferer de garder toute ma vie G 3 l r ( 102 ) mon etat de banni, de pauvre diable, a mo j voir rappeler dans mon pays et dans mes biens par rinfluence des puissances etrangeres et J par l'orgueil anglais. Je n'entends pas parler d'une defaite des troupes frangaises sans una grande peine , de leur succes sans un sentiment d'amour-propre satisfait que je ne cherche pas toujours assez a cacher. Et cependant encore , a c6te de tous ces sentimens ridiculeiH a s'avouer dans ma position, je ne puis entre voir l'epoque ou l'anarchie cessera dans notre infortunee patrie , et ou la liberte regie© I par des loix bien obexes, rendra heurenx au moins ceux qui n'en sont pas bannis , et assu- rera sa gloire sur des bases solides et durables. Je ne sais si mes amis qui liront ceci m'en- tendront bien; s'ils demeleront mieux que moi cette confusion d'idees et de sentimens si contraires en apparence. Mais ehfin les voila , tels que j'en suis penetre et tourmente. Parmi les differens temoignages d'obligcance qu'a regus ici notre petite caravanne, du Petit-H Thouars en a eprouve un plus particulier par l'offre de terres dans le Haut - Canada. La proposition lui en a ete faite par le major Seward , qui sans lui dire qu'il y etait direct tement autorise par le gouverneur , nous la laisse croire. La reponse polie mais tres-psaM ( io3 ) noncee de du Petit-Thouars , n'a pas permis que cette negociation allat plus loin. Gazettes : Esprit-puhlic : Religion. L'amour des nouvelles est loin d'etre aussi repandu dans le Haut-Canada que dans les Etats-Unis. Une seule gazette s'imprime a Newarck, et le gazetier, s'il n'etait pas solde par le gouvernement, ne pourrait, par ses souscripticsns, payer le quart de ses frais; c'est un extrait tres- court et choisi dans les principes du gouverneur, des papiers de New- Yorck ou d'Albany , et sur-tout de Quebec , precede et snivi d'annonces de ventes. Ce papier paralt toutes les semaines ; on en envoie en petit nombre au fort Erie , en petit nombre au Detroit. La presse de cette gazette sert a imprimer les actes de I'assembiee , les proclamations du gouverneur , et c'est son em- ploi le plus habituel: d'ailleurs , Niagara est, par sa position, tres-recuie pour les nouvelles , sur-tout en tems de guerre. Les vaisseaux d'Angleterre ne sont pas encore arrives a Quebec , et nous sommes au six de juillet; l'on n'est instruit a Niagara que de ce qui se passait a Philadelphie avant notre depart; car on ne s'appelle pas instruit G4 ( io4) ici de ce qu'on n'apprend pas pai la voie di- recte de Londres, Le peu de renseignemens qu'il nous a ete possible de nous procurer sur l'esprit general j du pays, et ceux-la sont venus nous trouver , I (ils etaient d'une nature trop delicate pour .; que nous nous en mdritrassions cuirieux ) ont i ete que generalement il est tranquilie ; True a les loyalistes Americains , qui reellement ont jj souffert de la guerre , conservent quelque j rancune contre leur patrie et leurs compa-J triotes ; que ce nombre est peu considerable I en comparaison des emigrans venant cle-iEtats- Unis , de la Nouvelle-Ecosse , du Nouveau- \\ Brunswick, et quine partagent pas les ressenti- j mens des premiers, ressentimens qui, d'ailleurs, jj s'eteignent tous les jours; qu'il ne laisse pas que ] d'y avoir quelques mecontens dans le pays j 1 que , pa"r exemple , beaucoup de nouveaux colons venant des Etats-Unis , qui, pour ob- . tenir des terres gratuites , damnent tout haut le gouvernement federal, ne sont que des hypocrites du royalisme anglais ; que la cherte . des denrees, et par suite, la prohibition du commerce avec les Etats- Unis, sont un des . sujets de murmures; que le retard perpetuel ) de la delivrance des titres de propriete. en est un autre j mais que ces mecoatentemens n'ont ( io5) encore rien qui puisse in quieter , au moins pour le moment , le gouvernement qui s'a- buse meme sur leur realite , et qui , dans des circonstances de guerre avec les Etats-UniS , pourrait cependant se trouver mai de leurs effets. La religion est, dans tout le Haut-Canada, anglicane episcopate. Au Detroit, la presqne totalite des colons est cependant catholique; il y a bien aussi quelques families de quakers , de menmonistes et de dunkers, repandues dans la province, mais en petit nombre.' Le septieme des terres est destine a payer le clerge protestant ; car au Detroit pres , il n'y a point de culte catholique paye ; il n'y a encore meme a Newarck aucune eglise batie , et la les memes salles servent au culte, au conseil legislatif, au conseil executif, et aux bateleurs quand il s'en egare dans ce pays perdu. Village indien des Tuscororas. Notre derniere course autour cle Navy- hall nous a menes au village des Tuscororas par Queenstown. Ce village en est a quatre milles et dans les terres americaines; un des chemins pour y arriver passe par les mon- ( io6) tagnes qui bordent la chute. Leur passage presente des vues remarquables , comme precipices , deserts , lieux sauvages , quand ces montagnes dominent sur le lit du fleuve , serre encore entre cette double ligne de rochers eieves , et toujours tourmente par l'im- pression de la cascade ; il en presente d'admi- rables quand ces montagnes s'abaissant vers la plaine qui les separe des bords du lac , lais- sent l'ceil embrasserala fois et cet intervalle et le fort de Niagara, et toutes les rives du lac et le lac lui-meme , enfin une partie de ses bords opposes. Toutes les terres de ce pays semblent bonnes. Quand au village de Tuscorora , il presente le meme aspect de salete , de pauvretequ© tous les villages indiens que nous avions vus jusqu'ici; seulement comme le gouverneur y etait attendu, les habitans en etaient peints avec recherche ; tous les atours les plus a la mode etaient au jour ; on croyait qu'il ve- nait pour y tenir conseil , et une feuillee toute arrangee a la porte du chef, et sur laquelle le drapeau anglais flottait, etait le lieu prepare pour la ceremonie. La bourgade a ete desappointee, quand le general leur a dit qu'il venait sans autre projet que celui de les voir ; cependant il s'est assis sous la feuillee ( 107 ) preparee; les Indiens assis en demi cercle sur des bancs , et fumant dans de longues pipes , les jeunes gens assis au bout tant qu'il y avait de la place , ou debout, et reposes sur leur raquette , le general et nous au centre du demi cercle , les femmes et les enfans rte s'approchant pas. Paterson ne americain , et fait prisonnier par les Indiens a l'age de dix ans /( il en a aujourd'hui vingt-cinq) , etait l'interprete du gouverneur; tous les discours de celui-ci et des agens anglais aux Indiens Ont toujours le meme objet; ainsi cette fois encore il leur a, ete dit « que les Yankees leur voulaient du 33 mai; qu'ils n'avaient d'autre idee que de 33 les depouiller de leurs terres ; que le bon 33 pere (le roi George) etait le seul veritable 33 ami de leur nation. 33II leur a repete encore 33 que Voiseau noir (Timothy Pickering) 33 etait un mechant et un menteur. 33 Mais tout ce langage n'a pas trouve grace aupres des Tuscororas. Les Senecas en se rendant , il y avait huit jours, a Navy-hall, avaient passe chez eux, et leur avaient dit qu'ils allaient chez le gouverneur sans s'expli- quer davantage sur le sujet de cette visite. Les Tuscororas en avaient conclu qu'il y avait entre les Senecas et le gouverneur quelque ( io8) grande negociation dont eux Tuscororas se trouveraient probablement mai ; car la defiance , le soupgon et finquietude sont les bases fondamentales de -toute la politique indienne , et il faut convenir que ces dispositions sont les consequences les plus justes de la conduite des blancs avec eux. Le gouverneur a nie toute negociation particuliere avec les Senecas , a employe pour les dissuader tous les complimens , toutes les assurances d'affection qu'il croyait capable de les flatter; il leur a reparle et des -Yankees et de l'oiseau noir, et du roi George, il ne les a pas satisfaits. Ses offres de terres dans le Canada, quand les Yankees les auront chasses de leur place actuelle , ne leur ont pas fait plus d'effet; rien n'a pu animer d'aucune maniere l'expression froide et un peu sombre de leur visage , expression qu'ils conservent imperturbablement toutes les fois qu'ils s'oc- cupent d'affaires ; soit que ce soin de cacher toutes leurs impressions, tienne a une dissimulation reflechie , dont leur commerce avec les blancs leur a fait sentir la necessite , soit qu'on ne doive y voir que l'effet du ca- ractere et de l'habitude. Cette petite anecdote peut montrer a quel point la jalousie des dif- ferentes nations indiennes entre eiles. est ( iog ) prompte a s'eveiller et s'anime aisement. On ne peut pas douter que les Anglais et le3 Americains ne profitent au besoin de cette disposition comme de toutes les autres fai- blesses des Indiens. Il est peu de ces villages indiens ou il n'y ait quelques blancs etablis , et presque toujours ils y ont de 1'influence. Cette vie de fai- neantise, de libertinage et d'ivrognerie con- vient a bien des caracteres ; ce ne sont pas pour I'ordinaire les meilleurs ; aussi remar- que-t-on que ces blancs habitant parmi les Indiens , sont toujours les plus vicieux , les plus cruels , les plus avides, les moins bons peres , ect. Il y a une assez grande quantite de fievres intermittentes dans ce village. Souvent les Indiens consultent le medecin paye par le gouvernement anglais pour les soigner; mais plus souvent ils prennent des breuvages de jus d'herbes qu'ils font eux-memes. Quoique les serpens-sonnettes soient assez communs dans leurs environs , aucun de ceux qui ha- bitent actuellement ce village , n'en a jamais ete mordu ; leur remede serait du sel et de 1'eau ; ils le croyent suffisant et sur. Nous afcons rencontre dans cette course une famille americaine, conduisant quelques boeufs, ( no ) vaches et moutons, et venant en Canada. Nous venons , ont-ils dit au gouverneur, qu'ils ne connaissaient pas , voir si l'on veut nous donner des terres ici. « Ah oui! » leur a repondu le gouverneur, 33 vous dtes las du gouverne- 33 ment des Etats , vous ne voulez pas avoir 33 tant de rois? vous regrettez le gouverne- 33 ment du vieux pere « (c'est le nom qu'il donne au roi d'Angleterre en parlant aux Americains) vous faites bien, vous savez 33 qu'il est juste et bon; allez , nous aimons 33 les bons royalistes comme vous ; on vous 3) donnera des terres. » Le retour de Queenstown dans le canot du gouverneur nous a fait redescendre cette belle riviere de Niagara, dont l'imagination se plait a voir les rives telles qu'elles seront quand les habitations et les cultures les auront tirees de l'etat de desert ou elles sont a present; et elle les voit alors animees de tableaux rians et riches; mais l'imagination' jouira probablement bien long-tems seule en- , core de ces agremens et de cette richesse. I l""rf- (111) Yorck. Pendant notre sejour a Navy-hall , MM. du Petit - Thoujgs-et Guillemard ont profite du retour d'une chaloupe canoniere pour aller faire une course a Yorck. La paresse , la cer- Utetud©; du peu d'objets intiatessans que j'y trouverais , la.ipoiliffeesse pour le gouverneur, se sont reunis pouMne faire rester a la maison. Mes amis m'ont rapporte de leur voyage que r^tjemplacement qui, comme je l'ai dit, avait ete choisi par le gouverneur pour la capitale du Haut-Canada, avant qu'il pensat a s'etablir sur la riviere de Tranche , offrait une ttes- belle et tres-vaste rade separee du lac par une langue de terre irreguliere pour sa lar- geur , depuis un mille jusqu'a soixante 4gjils.es:; que f eaala?e.e de cette rade ouverte d'un mille environ , etait obstruee dans son milieu par un banc , et que les deux passages que le banc laissait etaient tres-aises a d€- fendre par les i&eux pointes de 1'entree, sur ; •tesquelks^deja deux block-houses etaient construites ; que cette rade etait de deux milles et demi de profondeur sur un de large; qu'elle etait saine dans tous ses points ; que l'elevsah -tion de ses bords domaae la facilite de la de- sfoia«dre par des fortifications. **sk ( 112 ) Yorck est le point que le gouverneur Sin coe se propose de 'rendre le centre des forces navales du lac Ontario ; il y a maintenant quatre chaloupes-canonnieres, dont deux sont de nature a/transporter des marchandises et y sont constamment occupees; les deux autres uniquement propres a porter des troupes et du canon, navigables a rames et a voiles:; 1 jresteront sous des hangards tant qu'elles ne seront pas employees a leur destination. Dans le projet du gouverneur, il en etablit dix de cette espece sur ce lac , et dix sur le lac Erie. Les charpentiers qui y travaillent sont des | habitans des Etats-Unis , et retournent chez eux chaque hiver. Quant aux maisons deja construites a. Yorck, elles se bornent a une doirzaine , baties au , fond de la baie, pres la riviere Dun ; les habitans n'y sont pas, dit-on, de la meiiyurajB espece; l'un d'eux est le nomme Batzy, chef des families allemandes , que le capitaine! ^WfiaB . liamson accuse les Anglais de lui avoir debauchees pour nuire' aux progres de son etablissement. Malgre la navigation de: eetsehrivjiere, ilya encore trente milles de portage entre Yorck et lelac Simcoe, par ou les marchandises. ve»- nant du lac Huron pourraient y arrivjerle plus directement; % (n3) directement. Les barraques oil est etabli le regiment du gouverneur , sont baties a deux milles de la ville, sur la rade pres le lac ; on dit que les soldats en desertent assez frequem- ment. Les Indiens sont a i5o milles a la ronde les seuls voisins de Yorck. C'est la nation des Missassogas, et je prendrai occasion de dire que tous ceux qui dans le Haut-Canada fre- quentent les Indiens nous confirment que le pere Charlevoix avait parle de leurs mceurs avec une grande verite : on reconnait dans son ouvrage la meme fideiite pour les descriptions de tous les pays qu'il a parcouru. Depart de Navy -hall. Apres dix-huit jours desejour a Navy-hall, nous avons pris conge du gouverneur le ven- dredi 10 juillet. II avait bien le desir de nous garder quelque-tems encore, mais le moment probable de la reponse de lord Dorchester a. Kingston etait venu ; et malgre l'obligeante et agreable civilite du gouverneur , nous ne pouvions pas etre sans inquietude de le gdner. J'espere qu'il aura ete aussi content de la simplicite et de la franchise de M. du Petit- Thouars et de moi, que nous l'avons ete de Tomelh & fl ( u4) sesbontes ; je ne parle.point deM. Guillemard I qui, comme Anglais, n'etait pas dans la memeJ position que nous. Nous avons joui dans sal maison de cette liberte entiere d'opinions™ qu'un homme aussi distingue que lui se -pialli a encourager, et sans -laquelle nous n'auridnM putester aussi long-tems a Navy-hall- que nouaB l'avons fait. Tout ce que nous avons vu et entendu sur cette partie du Haut-Canada , nous laisse l'idee que cette province ne restetaB pas long-tems dependante de l'Anglete^ejB L'esprit d'independance des Etats-Unis, qua deja n'y est pas etranger, s'y etablira plus encore quand le voisinage sera plus immediate La comparaison que les habitans duHaut-CaJ nada feront du prix de toutes les marchandises sujettes aux droits des douanes d'Angleterre, avec celui des memes. objets sur la rive oppo- see , sera un sujet tres-suffisant d'envio et de murmures. La contrebande sera impossible a empecher, puisque la navig^fipn se fera!p^3 les memep'lacs, par les mdmes canaux^i'fl cette contrebande sera un grand mai pour I'Angleterre, au moins dans le systemersuivaiw lequel elle gouverne ses colonies. Elle sera una matiere constante de querelles entre les deux gouvernemens , et fournira chaq»*e>jo»"r",fH ( n5) gouverneur du Haut-Canada des moyens de provoquer , de commencer la guerre. Or une guerre qui aurait pour motif le desir d'entretenir les demies pour les sujetsde I'Angleterre a un prix immod£re en comparaison de leurs voisins, ne serait pas populaire ; ce serait encore un renouvehement de la guerre d'Amerique, de Facte de timbre , des droits sur le the ; et les suites en seraient probable- ment les memes. D'ailleurs l'ordre naturel des choses dans ce j moment, la disposition generale des esprits de tous les peuples annonce la separation du Canada d'avec I'Angleterre comme necessaire. Je ne sais si quelque chose au monde peut l'empe- cher. Mais ce ne pourrait etre que par un grand etat de prospirite, de gloire, par de grands succes dans ses guerres, par une tranquillite par- faite dans son interieur, que I'Angleterrepour^ rait en imposer ace pays; tandis que les depenses pourlepeupler et le faire fleurir ne seraient pas suspendues; que l'affranchissement de tous les droits de la metropole s'opererait dans toute l'extension possible, et que le gouvernement le plus doux pourrait, par des secours prompts et bien appliques, par des etablissemens publics, utiles,et desires,par des encouragemens soigneusement repandus dans toutes les classes H a' ( i*6) des citoyens, faire sentir les avantages d'une I monarchic prompte dans l'execution de ses vues liberales , a ce peuple appele deja par une constitution sage a jouir de tous les bienfaits de la liberte civile. Mais toutes ces conditions ne sont pas et ne peuvent pas etre remplies ; et I'Angleterre perdra encore de nos jours , peut-etre pro- chainement, ce fleuron de sa couronne. Elle aura pour le Canada le sort qui lui est reserve tot ou lard pour l'lnde ; qui Test a l'Espagne pour sa Floride et son Mexique ; au Portugal pour son Bresil ; enfin a toutes les puissances europeennes pour toutes leurs. colonies au moins continentales , si edairees par l'expe- rience, elles ne changent pas promptement le regime par lequel elles les gouvernent. Avant de, finir l'arricle de Niagara, j'ai besom de parler des honnetetes toutes particu- lieres que nous avons regues du major Little- hales , adjudant , et premier secretaire du gouverneur ; c'est un homme doux , aimable obligeant; toute la partie de correspondance du gouvernement roule sur lui, et est suiyie avec une grande activite. A en juger par l'ap- parence, le major Lhtlehales a la confiance du pays ; cette apparence accompagne toujours ceux qui ont le credit et l'autorite; mais If (117) il nous semble que la rectitude, l'obligeancei la sagesse dans les opinions en meritent la realite a cet officier. Passage du Lac. C'est sur YOnondago , une des goelettes appartenant k la marine militaire du lac, que nous nous sommes embarques pour aller a Kingston ; cette goelette est percee pour douze canons de six livres de balles, et n'en monte que la moitie en tems de paix. Quand ces sortes de batimens ne sont pas charges d'ef- fets pour le service du roi, ils portent des marchandises pour les negocians, qui paient en consequence ou qui chargent une autrefois pareille quantite d'effets du roi sur leurs batimens. L'Onondago est du port de quatre-vingt ton- neaux ; elle etait cette fois chargee de deux detachemens, l'un du cinquieme regiment, qui allait a Kingston chercher de l'argent; l'autre des chasseurs de la reine, qui allaient a Montreal chercher des habits. Quarante-un Canadiens, qui avaient remonte de Montreal dix bateaux pour le service du roi et qui les avaient laisses a Niagara, etaient aussi sur ce batiment; les passagers de la Cabine etaient H 5 r y ( n8 ) M- Richard, M. Seward, dont j'ai deja parie , M. Bellew, officier commandant le detache- ment du cinquieme regiment allant chercher de l'argent; M. Hill, autre officier du meme regiment, malade , allant a Kingston pour changer d'air ; M. Lemoine, officier du soi- xantieme regiment, en garnison a Kingston, et nous. Le vent a ete tr6s-modere dans notre navigation ; elle se fait ordinairement en trente- six heures, quelquefois en seize ; nous l'avons faite en quarante-huit : elle dure souvent cinq jours, dans ce tems-ci sur-tout, ou le calme est habituel. A peine pouvait-on appercevoir le moindre mouvement dans les eaux du lac. Cette navigation n'offre rien de bien interes- sant; elle est de cent cinquante milles; on perd bientot les cotes de vue, sur-tout quand le hale de la chaleur obscurcit l'horison , ainsi que nous l'avons eprouve. Les lies aux canards appelees par les Anglais Ducks-islands, sont dans les tems ordinaires le seul petit danger de cette navigation. Elles sont trois, a-peu- : pres sur la meme ligne; entre la cote et file de la gauche, et entre celle - ci et celle du centre , il n'y a point de passage pour les na- vires ; des rochers sous l'eau rendeht le nau- frage certain a celui qui ferait cette route; ( ii9) c'est entre File du centre et celle dela droite qu'il faut passer ; la largeur du canal est de quatre a cinq milles, bon, profond par-tout. Le danger n'existerait done que si un gros vent qui se leverait au moment ou on approche de ces lies, poussait le vaisseau. dans le mauvais passage ; mais il n'y a je crois, de memoire d'homme, qti'un seul exemple de ce malheur; on n'approche pas la nuit de ces lies quand le tems n'est pas sur , et quand la nuit n'est pas claire. Un danger plus veritable et plus commun est celui des tempetes qui s'eievent sur le lac avec une violence subite ; les eaux de- viennent alors plus agitees, dit-on , que celles de la mer; et le peu d?etendue du lac qui en rend les vagues beaucoup plus courtes, tient le vaisseau dans des mouvemens plus frequens et plus violens. Le danger des cotes est toujours imminent; et les vaisseaux ne pour- raient pas l'eviter, si les tempetes se prolon- geaient; mais elles sont ordinairement de peu de duree, sur-tout en ete , ou le beau tems reparait avec la meme promptitude ; ce n'est alors proprement que de fort coups de vent. En automne, elles tiennent souvent deux jours de suite et se repetent frequemment. Un vaisseau a peri en totalite, corps et biens il y a cinq k six ans, et de tels naufrages ne II 4 r 1 ( 120 ) j sont pas rares en cette saison. La navigation du lac cesse d'ailleurs entierement de novem- bre en avril. Nous avons eu , dans ce court passage , beaucoup a nous loueT du lieutenant Earl, notre capitaine et de tous nos co-passagers; mais le tems a ete extremement chaud ; il est tel depuis huit a dix jours. Le thermo- metre de Farenheit a souvent ete a Navy- hall , a 92 degres ( 26 degres deux tiers de Reaumur). Sur le batiment et dans la cham- bre , il n'a pas ete plus haut que 64 ( 23 degres demi-quart de Reaumur ). Ce n'esta pas tant la violence de la chaleur que son genre, qui la rend insupportable ; elle est lourde , oppressive, encore plus la nuit que le jour; car le jour, il y a souvent des brises, qui rafratchissent fair; la nuit, il n'y en a presque jamais; les fenetres laissees ouvertes ne donnent pas de fraicheur ; on ne sue pas, mais on est accable; On respire avec peine ; on dort mai; on est agite; et on se leve , presque plus fatigue que quand on s'est mis au lit. J'ai dit qu'un detachement de soldats, du cinquieme regiment, etait a notre bord ; ils ont fait leur toilette avant que d'arriver a Kingston. Nous avions vu, huit jours plutot, ( 121 ) les Indiens se peindre les yeux de noir da fumee ou de vermilion, avant de paraitre de- vant le gouverneur, et se nouer les cheveux sur le haut de la tete, pour y planter des plumes de coq , ou des crinieres peintes en rouge ou en bleu. Ce jour-la , nous avons vu des soldats europeens , s'enduire les cheveux , ou la tete quand ils n'avaientpas de cheveux , d'un epais mortier blanc, mis au pin- ceau et gratte ensuite , comme un jardin, avec un peigne de fer ; s'appliquer apres cela contre la tete un morceau de bois grand comme la main, fait en cul d'artichaud, et s'en fabriquer un catogan, en le remplissant de ce meme mortier blanc , passe au rateau comme le reste de la tete. Voila le spectacle que nous ont donne, pendant les deux der- nieres heures de notre traversee, ces soldats qui , quoiqu'ils ne fissent pas leur toilette eux-meraes , comme les Indiens, n'en con- sultaient pas moins soigneusement leur miroir. Ce n'est point une censure que je pretends faire ici de l'ajustement militaire , ni de la puerilite des soins qu'on y consacre dans presque tous les pays du monde, mais seu- lement .une observation que je presente a ceux qui sont tentes de ridiculiser les mceurs et les manieres qui ne sont pas les leurs. ( 122 ) Car, entre le Turc, qui couvre sa tete rasee d'un turban plus ou moins plisse , plus ou moins orne, selon qu'il est homme de plus ou moins de consequence , les femmes de l'lle de Melos , dont les jupons ne tombent qu'a demi-cuisse, tandis que leurs manches descendent jusqu'a terre, et nos elegantes , qui, serrees, il y a dix ans, dans des grands corps de baleines, chargees de fausses handles et montees sur de hauts talons, rac- courcissent aujourd'hui, dit-on, leurs tailles jusqu'au milieu du sein, qu'elles coupent d'une ceinture qui tient plus de la corde que du ruban, decouvrent leurs bras jusqu'a l'epaule, et laissent voir d'ailleurs , par une robe trans- parente, tout ce qu'elles se croient obligees de couvrir un peu , le tout pour ressembler a des grecques ; l'lndien sauvage serait sans doute embarrasse de savoir desquels il aurait a rire davantage. Arrivee a Kingston. "Le 12 Juillet, vingt milles environ apres avoir passe les iles aux Canards , le lac se resserre, les iles se multiplient, aucune n'est habitee , toutes sont couvertes de bois; elles sont presque toutes vers la rive droite du lac: ( 123 ) a la gauche est la baye de Quenty, qui se prolonge environ cinquante milles dans les terres, est cultivee sur tous ses bords , et a une profondeur, dit-on, considerable. L'ceil retrouve avec plaisir des cotes habitees ; les campagnes sont agreables, les maisons sont plus rapprochees que dans aucun des nouveaux pays que nous ayions encore parcourus dans le Haut-Canada. A l'epoque actuelle s les dif- ferentes couleurs des grains, embellissent , enrichissent le paysage, et charment la vue et la pensee; enfin , la ville de Kingston se decouvre; elle est a l'entree de la baye de ce nom , a laquelle les Frangais avaient toujours laisse le nom indien de Cadarahwe. Cent-vingt ,a cent-trente maisons la composent; le terrein derriere elle, s'eleve doucement, et presente depuis le lac , un amphitheatre de champs dont les bois ont ete arraches, mais qui sont encore sans culture. On ne distingue aucun batiment beaucoup plus soigne que les autres; le seul plus considerable , un peu en avant duquel est plante le pavilion anglais, est le corps de caserne, batiment de pierres , en- toure de palissades. Toutes les maisons sont baties sur le cote Hord de la baye , qui s'enfonce d'un mille encore au ~ dela. Sur le cote du midi, sont ( 124 ) l'etablissement naval militaire , le chantier f le logement de tout ce qui tient a cette petite partie de la marine. Les batimens du roi sont a l'ancre dans la riviere en avant de ces etablissemens , et ont ainsi leur port' et leur rade, separes de ceux du commerce. Nous sommes debarques au port dit Royal; notre capitaine , tout royal que lui et son vaisseau etaient, a regu notre argent. II nous avait ete recommande , par le gouverneur Simcoe, de ne point payer, parce que les batimens appartenaient au roi; nous avions, par ses soins apporte notre nourriture ; cependant , il repugnait tant a mon ami du Petit-Thouars et a moi, de passer au compte du roi d'Angleterre, que nous avons risque de proposer, au capitaine Earl notre tribut; ces propositions reussissent rarement mai; elles ont eu cette fois encore leur succes ordinaire. Le capitaine Earl est d'ailleurs un bien excellent homme, poli, attentif, toujours sur le pont, et paraissant aimer et entendre son metier. Point de lettre arrivee de lord Dorchester, et grande incertitude sur le moment ou elles parviendront; les calculs de Kingston, pour le retour des reponses , ne nous sont pas si feyorables que ceux de Niagara; il nous faudra ( 125 ) attendre peut-etre huit jours encore. Que de tems perdu pour notre voyage, et cela parce que le gouverneur Simcoe est mai avec le lord Dorchester , et qu'il se tient dans la plus - ftezrotuelle exactitude , dont, dans toute autre occasion, les lettres que nous apportions au- raient pu , auraient du peut-etre le faire sortir. Notre ami M. Hammond aurait bien du aussi prevoir tous ses petits desagremens , en ecri- vant d'avance a lord Dorchester, comme je 1'en avais prie';" mais on ne peut malheureu- sement pas aller en arriere des evenemens. .Que de choses on deferait 'dans la vie ! II faut done attendre. Patience , patience , et toujours patience. Difference d'opinion du Lord Dorchester et du Gouverneur Simcoe, sur Kifigston*. Kingston est la place on lord Dorchester voudrait que le gouverneur Simcoe etabllt sa capitale du Haut-Canada; il semble lier a ce choixTavantage d'avoir, en cas d'attaque , toutes les troupes plus rapprochees de Quebec , seul point que ce gouverneur general regarde comme possible a defendre dans lo Bas-Canada, pour de la envoyer des partis en r ( 126) avant, si la guerre peut devenir offensive. H pense que le siege du gouvernement du Haut- Canada etant etabli a Kingston , plus rappro- che de Quebec qu'aucun autre point, les ordres, les nouvelles arrivans d'Europe , y parvieijH draient avec une promptitude plus certakiM et seraient aussi plus promptement repandus; il croit sur-tout que tous les approvisionne- mens navals venant d'Europe, la reparation des vaisseaux se ferait plus surement, et a meifUjM marche a Kingston, ouils arrivent directement de Quebec dans tous les tems, que dans tout autre point du lac , ou l'inconvenient de la longueur et l'incertitude de la navigation, de« vrait etre ajoute a celui de la depense d'un nouveau chargement dans le vaisseau. Le gouverneur Simcoe, au contraire, pense que le Haut-Canada peut etre facilement de- fendu par toutes ses dispositions ; que la ri- chesse de ce pays, qu'il voit etre la suite de ses projets, tentera l'ennemi; que s'il s'erS pare du Haut - Canada, rien ne pourra Ten chasser ; que d'ailleurs , en tems de guerre, de forts partis peuvent etre diligemment en- voyes, par le moyen de la navigation, depuis le Haut-Canada .jusques dans tous les points des Etats-Unis, meme en Georgie ; que le Haut-Canada est la clef du pays des Indiensi ( 127 ) et que les secours en seront aisement porres dans tous les poini s du Bas-Canada , qui ne pourrait jamais en envoyer dans le Haut , avec la promptitude que les circonstances . pourraient rendre necessaire. Quant a la consideration de la plus grande promptitude des ordres et des informations a recevoir et a repandre , le gouverneur, en en convenant, repond que l'etendue immense du Canada , ne permet pas de croire que, s'il se peuple , il puisse etre borne a deux gou- vernemens ; que la methode la plus sure d'en peupler la partie aujourd'hui connue , est de favoriser beaucoup la population des deux extremites , qu'alors le centre prosperera plus surement et plus promptement; que dans ce cas , Kingston deviendra capitale d'une nou- velle division ; que quant a la difficuke et a la depense plus grande pour 1'approvisionne- ment des vaisseaux>, elles ne pourraient balancer l'ayantage de tenir toutes les forces du lac dans son centre, et sur-tout dans le point ou elles pourraient etre plus en surete contre tout evenement. Chacun cherche des raisons pour etendre son cercle; ici comme ailleurs, les argumens bons ou mauvais, arrivent en foule a l'appui du systeme, des projets et sur-tout des in- It E I ( M ierets d'amour propre; mais ici comme ail- leurs, l'autorite est la meilleure, au moins la plus determinante des raisons; et si lord Dorchester ne fait pas placer a Kingston la capitale du Haut-Canada, il empechera qu'elle en soit recuiee jusques entre les lacs Erie , Huron et Ontario , selon les desks du gouverneur Simcoe. II s'explique , sur le choix de Yorck , de maniere a lui donner peu de faveur ; il a pour lui, dans cette derniere opinion , tous les habitans de Kingston , qui , au • chagrin de renoncer a voir leur ville devenir capitale, joignent celui de perdre par ce projet , le chantier de la petite marine mi- litaire du lac. On ajoute ici que le sejour de Yorck est extremement mal-sain , et que la nature du terrein qui separe la baye du lac, doit prolonger bien long-tems cette insalubrite. Du Petit-Thouars, qui est tres - partisan de Yorck, comme etablissement de marine , ne I peut pas disconvenir que cette place n'ait tous les caracteres qui doivent la rendre long-tems mal-saine. Tout ce qui est ici, habitant et militaire, semble aimer le gouverneur Simcoe, sur-tout avoir confiance en lui; mais on y paralt porte a croire ses projets beaucoup trop etendus, et sur-tout, trop dispendieux pour l'ayantage qu'en peut tirer I'Angleterre. Le* ( 129 ) Les negocians du lac , a l'avidke desq«'ejta le gouverneur cherche a mettre obstacle | ap- puient beaucoup plus encore sur ces deux in- conveniens; et donnent beaucoup d'eloges k la sagesse et a la profondeur des vues du lord Dorchester , tandis que d'autres, au contraire , en parlent comme d'un homme qui fut utile , mais qui est fini. Quant a moi, qui ne connais point lord Dorchester, et qui ne puis ainsi avoir d'avis sur sa capacke , qui ne connais ni l'etendue des depenses auxquelles entrainerait l'execu- tion du plan du gouverneur Simcoe, ni les ressources de I'Angleterre pour y satisfaire , il me semble que les projets et les vues du gouverneur presentent une grande apparence d'utilite pour I'Angleterre et une grande pro- balite de succes : que c'est un systeme entier bien complet, bien suivi dans toutes ses branches , et je le crois fait pour honorer celui qui l'executerait. Aureste, tout ce que nous apprenons ici nous confirme dans 1'opinion que le gouverneur Simcoe est tres-contrarie dans ses projets ; que 1'espece de jalousie d'autorite qu'a lord Dorchester, suite naturelle de son age et de ce qu'on dit de son esprit, est extremement animee par ceux qui sont sous ses ordres, et Tome II. I ^T^= ( i3o) ^utegx concessions de terres pres , pour les quelles le gouverneur du Haut-Canada est in- dependant, ainsi que pour les affaires de son.1] regiment, il ne peut agir, ordonner, sur quoi | que ed 93*5 au monde, sans l'approbation du gouverneur general, qui , souvent, lui est f refusee. J'ai entendureprocher encore au gouverneur I Sitntoe, meme par des militaires, son indisposition trop prononcee contre les A mericains. On lui accorde d'ailleurs de vrais talens militaires. Je relate toutes ces partieularkes, j parce que c'est de leur reunion que se compose le caractere d'un homme , et que le gouverneur Simcoe, qui n'est certes pas un J homme ordinaire, peut devenir interessant a bien connaltre. (*) (*) Depuis cette epoqae, le gouverneur Simcoe a quitte le Haut-Canada, est rejourne^n Angleterre, puis a eta envoye" a Saint-Domingue, oil il n'a pas eu l'occasion 11 'agir militairement; mais ou il a cherche a de"truire les depre- dations d'argent qui avaient lieu dans la petite armeeffe soldee par I'Angleterre, ce qui lui a vain Pinhnitie" des Anglais et des Francaisqui en profitaieut outrag< I p) Kingston. Ville , District ; Com* merce, Agriculture; Prix, etc. Kingston, comme ville, est tres-inferieure a Newarck ; le nombre des maisons est a peu- pr6segal entre les deux villes, peut-etre meme un peu plus grand a Kingston; ^ mais elles sOnt plus petites , plus vilaines ; il y en a beaucoup en troncs d'arbres ; celles en nie- •nuiserie sont mai faites et mai peintes ; on en batit peu de nouvelles ; il n'y a point encore de maison de ville, point de cour de Justice , point de prisons. Deux ou trois negocians sont commodement places pour les chargemens et les dediarge- mens de leurs vaisseaux ; mais leurs maisons n'ont rien de mieux que les autres. Leur commerce est en pelleteries qui arrivenSides lacs, et en denrees d'Europe , dout ils approvisroHfc i nent le Haut-Canada. Ils sont rouvsfifti^eresies'' comme commissiorinaires dans la/Ocbhtpagnie de Montreal, qui a besoin d'eritr'epots a tous les points ou la navigation change de moyens'. II resulte de tout cela , que le commerce qui se fait a Kingston est tres-peu considerable. Les batimens marchands , qui n'y sont qu'au nombre de trois, ne font pas plulMj|F- ( » ) onze voyages par an. Kingston est un des points de depdt; il est sur la riviere a douze] milles au-del&^lu point qui est regarde comme j la fin du lac. Plus loin , la navigation des! vaisseaux serait j-ugee' dangereuse , et c'est-lIB jqu'arrivent les bateaux qui -remontant le fleuveH Saint-Laurent, amenent toutes les denreew que les vaisseaux d'Europe appor tent a QuehetiM Les casernes-^ettt baties a la meme place ou du tems des Frangais etait le fort FrontenacW detruit par les Anglais; ceux-ci n'ont construit les casernes actuelles que depuis dix ans, leurs troupes avaient ete en mouvement pendant la guerre d'Amerique , et depuis etaiena etablies a un fort dans file , appeiee par les Frangais Vile t>t^lx;', ^fei » Sn£$» Kingston est aujourd'hui le chef-lieu dur district du Milieu du HauteQ&nada. La,plus, grande population de ce district est , comme je crois favoir dit, dans la baie de - QLuM^is Ce canton fournit non-seulement a sa con- sommation , mais," encore a-une exportation de trois a quatre mille boisseaux de bled. Ce bled , apporte l'hiver en traineaux sur.la riviere , est achete par les negocians , q;ui-d/q>nnent aux ferr miers une prome,sse de les payer ,1'ete suivari.t avec les marchandises donfoilsfjauront b,es£j&|f) quand les batimens d'Europe seront. e^MisiB -•JSjaSjiiegocians tiennent ce bled ait-service du gouvernement, qui le paie comptant, l&pi|| courant du marche a Montreal. rLe ccynmisT I 3 (m > sake du gouvernement en fait moudre und S&rjEie , qu'il eftveie en farirrePflaris les postes5! du Haut-Canada , ou le service peut en man- ' qtter'', -et feiV^afBet le surplus en Angleterre err%&ture de bled ; sans doute pour favoriser fefe^aoulinsde la metropole. Le prix actuer| SteW^krines , a Kingston, est de six dollars! le barril. ' '" Le'disflifc"* de Kingston a fourni 1'anneeB derniere^ T#he''ql3Sntite considerable de pois a la cons'Omim&tS*m) du reste du Canada; cette d^u^r;':S^fddaite^deJpWs^deirix:ans seulementl dans ce pays , reussit et s'etend beaucoup. M^ll^-felrrrMl-delporc au pr-itf cfe-dix-huit dol- feffejlS^baPtS^i^Se^268 liv. , ont aussi les deux de¥n~i£rJes Ja#ri£e8*y^te envoyes de Kingston | a Quebec. Tout ce commerce se fait par les J n4g9dfem# a£48*fn<*me maniere, c'est-a-dire , • qfe'lt^est doitbl^ffyent profi'table'a leur interet \\ j pln^de^r^fcevant seuls les denrees d'Europe, ils les estiment au prix qu'il leur plait sans I craindre la concurrence, tant pour les vendre *lans leur voisinage que pour les envqyer I dans les parties les plus eloignees du Haut- Canada. ;;Lt3M Les fermiers , pour etre plus multiplies ici que ddns3(^a|j|&§t q^g Niagara , n'en soignent pas-mieux la.giandel^uatntite de terres qu'ils —— (p) peu vent cultiver. La difficulte de trouven-des ouvriers, et leur cherte qui en est la :suite$ encouragent cette disposition a la routine trop generale dans cette precieuse classe d'homMfes> Les defrichemens se font, ici comme dans toute lAmerique; on herse deux , trois a quatre annees de suite, pendant lesquelles on seme du bled, puis on laboure imparfaitement, on seme des pois ou de l'avoine , pufeodSi bled , etc. Les terres rapportent, en cet etat, de vingt a trente boisseaux par acre : voila le trantran commun. Les bleds d'hiver se sement depuis le commencement d'aout jusqu'a la fin de septembre; la neige arrive generalement vers la fin de novembre , et reste sur terre jusqu'au commencement d'avril. Alors les grains qui ont pousse sous son abri paraissent deja grands; ils murissent en juillet, et sont coupes vers la fin du meme mois. Le defaut de mois- sonneurs les fait couper a la faulx a rateau ; il s'en egraine ainsi beaucoup que personne ne pren*$ la peine de raiflSfeser , et qu'on laisse'' manger aux cochons. L'ouvrier qui , dans un tems ordinaire , est paye trois ou qbawrQiJ&ellings ( monnaie -d'H&lifftx ), se paie dans la moissonnSiieldollar ou six schellings. Quelques fermiers engagentt^our plu- 14 r ( PKj ) sieurs.mois des Canadiens, ils les paient seu- lement sept a* huit dollars par mois , et les " naurrissent; mais ces Canadiens sont souvent iene©fntres par des gens moins prevoyans que ieu% maltre; ils regoivent d'eux la proposition d'unsalaice beaucoup plus considerable; ils ne peuvent, a la verite , accepter ces offres , I ,puisqu'ils sont engages.' par ecrit; mais ils se croient t^ompes dans leur premier marche , sont mecontens , et travaillen^ moins bien. II faut d'ailleurs se les procurer des environs I de Montreal; c'est encore un soin assez difficile pour un grand nombre de fermiers qui n'y ont | point de connaissances ; et toutes ces difficukes | degoutent plusieurs d'entr'eux d'avoir recours a cette ressource., dont ils pourraient tirer un grand avantage. Alors la moisson se fait I par la famille ; elle se fait plus lentement; mais enfin elle se fait: et alors, le fermier jouk plus des embarras qu'il evite et des dollars qui ne sorterit pas de sa poche ,:qu'il ne souffre de la perfte, beaucoup: plusfgraride qu'il eprquve par une recolte moins; 6©mplette gH'-eJle ne l'aurait j&j&Kftj la moissonrreut .ete faite plus a propes, Le>s terresTassea jmediocres aupres de la vilJef,ss^o^c]ell^t^«htour.de.W| baie ; la , plusieurs'/yrmiers cultivfint jusqu'a cent cinquante arpertsyentie'teraeptvdgfriches. I ( »37 ) Le climat de l'Amerique, celui du Canada particulierement, entretientTimprevoyance et l'avidite des cultivateurs; on n'y craint pas, comme en Europe , d'y voirlesfoinspourrisou les bleds germes par la pluie , s'ils ne sont pas promptement rentes ;le soleil estrarementun jour sans paraitre; rarement meme est-il cache par les nuages ; les pluies ne tombent que par ■ orages, etnedurentgueresplusde deuxheures; les maladies des bleds n'y sont pas communes. Le betail n'est sujet non plus a aucune epi- zootie; il est assez abondant dans cette partie sans etre d'une belle race. C'est du Connecticut que les plus beaux bceufs sont fires, et ils ,couteut de 70 a 80 dollars la pake ; les vaches viennent ou de l'Etat de New-Yorck , ce sont les plus belles , ou du Bas-Canada ; les premieres content vingt dollars , les autres seulement quinze. Celles-ci sont pe- tites , donnent de faibles eieyes , mais sont estimees au moins aussi bonnes lakieres que les autres, et sont preferees par beaucoup de fermiers. Point de beaux taureaux dans le pays ; personne ne parait sentir l'avantage des veaux. En ete , les bestiaux sont envoyes dans les bois ; en hiver , c'est-a-dire, pendant a pen-preo six mois , ils sont nourris au sec , avec de la paille de bled et de seigle, des pois,. ( i58 ) du foin de marais dans la plupart des fermes , et avec de bon foin par les cukivateurs plus riches et plus prevoyans f souvent ils passent l'hiver dans des especes d'enceintes fermees et couvertes de grosses branches qui n'em- 3 pedhent pas la neige d'y tomber. Les bonnes granges, au moins pour le foin, n'y sont pas pus communes que les bonnes etables ; le foin est generalement conserve en mauvaises meules ou sous des' barraques hollahdaises, les pres en donnent quatre milliers par acre; jamais de seconde coupe : le cukivateur ne trouve pas facilement a vendre ce qu'il en conserve au-dela de sa consommalion. Oh ne fait point de beurre ni de fromage au-dela des besoins de la famille, qui, communement, des le mois de mai, s'en approvisionne pour l'hiver^ suivant. Tres-peu de fermiers aussi fabriquent chez eux les etoffes grossieres dont ils se ve- tissent; c'est au store qu'on s'en fournit ; le fermier est trop occupe , a trop peu d'aides, etcalcule encore avec trop peu de reflexion pour se kV*gr a tous ces travaux. Les moutons sont plus nombreux ici que: dans presque tous les cantons des Etats-Unis que nous avons parcourus ; ils viennent ou du Bas-'Cahada, ou de l'Etat de New-Yorck, -couteat trois dollars, et profitent. beaucoup (pi) dans le pays ;■ mais ils sont hauts sur jambe9 et malfaits ; leur laine grossiere se vend deux schellings et demi la livre netoyee. Point ou peu de loups dans cette contree , point de serpens- sonnettes , aucun animal malfaisant. Les fer- miers font peu de sucre d'erable , quoique l'arbre soit abondant; les Indiens en appor- tent environ deux a trois mille livres qu'ils vendent aux marchands un schelling la livre. Le sucre d'erable se fait en plus grande quantite dans le Bas-Canada; la les Canadiens le mangent sur leur pain, ou en font des gateaux en le meiant avec de la farine de froment ou de mais. Il croit souvent sur les erables a sucre une espece de loupe qui, quelquefois, devient fort grosse ; cette excroissance enlevee, e£ sediee au soleil , fait un amadou excellent dont les Canadiens et les Indiens allument leurs pipes : on n'a point fait encore de resine, malgrela multiplicke des pins. La culture du lina deja ete tentee, ainsi que celle du chan- vre; elle n'a pas encore reussi, mais les essais en sont continues. Le prix du bled est d'un dollar le boisseau, il etait beaucoup moindre l'annee derniere ; mais la recolte ayant ete mauvaise , comme par-tout ailleurs , la valeur en est haussee. Le hois a bruler, rendu dans la ville, coute un ( 140 ) dollar la corde; il est apporte l'hiver en trai- neaux de toutes les iles , de tous les bords du fleuve qui en sont couverts. Le fleuve gele vingt milles encore au- dessus de Kingston. Le prix des terres est depuis deux schellings et demi, jusqu'a un dollar l'acre , un vingtieme cleared. Le prix s'est eleve en proportion de la quantite d'acres degages de leurs bois et de ; plusieurs autres circonstances. Deux cents arpens , dont i5o cleared, se sont recemment vendus 1600 dollars. Il en coute huit dollarsrj par acre pour abattre les gros arbres , et en- tourer de cloture de meme nature , et aussi grossierement faites que dans les Etats-Unis. Enfin il n'y a pas encore de marche regulier a Kingston; chacun pourvoit, comme il peut, a se procurer de la viande fraiche ; mais on en manque souvent. JM. Steward. Religion. Ecole. La plupart de ces renseignemens me sont donnes par M. Steward , ministre de Kingston , qui exploite lui-meme soixante-dix acres, partie d'une concession de deux milles qui lui a ete faite comme americainloyaliste. Il est Pen- sylyanien d'Harrisburg , et parait avoir epouse- (i40 :1a cause du roi d'Angleterre K dans la guerre d'Amerique, avec une grande chaleur; i5ooliv. .sterl. qu'il avait dans les fonds des Etats-Unis, du chef de sa femme, lui ont ete confisques. Aujourd'hui, toujours attache k la cause du roi, il est beaucoup plus modere dans sa politique ; il a conserve des amis qui ont epouse la cause republicaine; un d'entr'eux est le docteur White , eveque de Philadelphie. M. Steward est un homme eclaire, doux, d'un 'caractere ouvert et affable , generalement estime ; il compte beaucoup sur l'eievation du prix des terres pour doter ses enfans qui sont nombreux. Sans etre un bon fermier lui- meme , il entend assez tous les details de l'a- griculture , pour que j'aie droit de croire a la bonte de ses informations, qui, d'ailleurs , m'ont ete confirmees par d'autres cukivateurs. Les tenans se trouvent difficilement aupres de Kingston: c'est a moitie frais que se font communement les marches qui , dit M\\ Steward , ne s'executent pas frequemment de Jjonne-foi. C'est pour avoir ete trompe dans de pareilles conventions, qu'il vient, l'annee derniere , de louer 43oo acres, dont 40 clea-. red, qu'il a sur le bord de la baie , pour i5o boisseaux de bled annuellement payes, a la condition que son tenant lui paiera mille dol- ( i4a> lars comptant apr6s trois annees revolues s'il en veut avoir la propriete , sans quoi il en doit sortir, et perdre tous les fruits des defriche- xnens etc., qu'il pourrait avoir faits. La seule religion payee par l'etat est en Haut-Canada la religion anglicane. Les sec- taires des autres religions paient leur culte s'ils en veulent ; il y a dans le district de Kingston quelques anabaptistes, des presby- teriens, des catholiques, des quakers , mais ils n'ont pas d'edifice pour leur culte. Quelques uns des habitans de Kingston et de la baie sont des Americains loyalistes; un plus grand nombre sont Ecossais, Anglais, Irlandais , Alle- mands , Hollandais. L'emigration des Etats-Unis n'est pas considerable ; elle a ete nulle pendant les trois ou quatre dernieres annees; on assure qu'elle recommence cette annee-ci ; beaucoup d'ou- vriersnous ont confirmecette information, qui nous avait ete donnee aussi par des hommes attaches au gouvernement anglais. C'est de Connecticut, de 1'Etat de Vermont et de New- Hampshire, qu'arrivent la plupartde ces nou- . veaux colons. II y a bien quelques emigrations du Canada dans les Etats-Unis; mais elles sorit beaucoup moins considerables. II parait, si nous devons croire au jnoinS ( i43 ) quelques hommes venus il y a quatre ans de la riviere des Mohaw'cks, que les families aux- quelles dans les Etats-Unis on suppose de l'at- tachpment pour I'Angleterre y sont mai vues; mais peut-etre le disent-ils pour etre mieux regus dans les possessions britanniques. Le peuple du district de Kingston est encore moins occupe de politique que celui du district de Newarck. II ne s'imprime aucune gazette dans la ville; celle de Newarck est la seule imprimee dans tout le Haut-Canada, et comme elle n'est qu'un extrait imparfait de celle de Quebec , personne ne la prend ici. Jene sais meme s'il y a plus de deux personnes dans la ville qui regoivent celle de Quebec ; aucune nouvelle n'arrive, ni n'est de.skee dans l'interieur des terres. Quelques ecoles , mais en petit nombre, sont etablies dans ce district: on y montre a lire et a ecrire, et il en coute un dollar par mois pour chaque enfant. Un de ces maitres, un peu plus instruit que les autres, enseignait le latin ; il est parti, et n'est pas remplace. Peudechirurgienssont encore etablisdansce district; ceux qui prennent ce nom font payer cher leurs soins ; aux fievres intermittentes pres, qui sont tres - frequentes a Kingston, ie climat est sain. Les maisons comme je l'ai ( i44 ) dit, s'y construisent en bois, on ne sait pour- quoi; car la ville est sur un terrein de roc, et l'on ny eieve pas une baraque qu'il ne faille creuser le fondement dans la pierre ; cette"| pierre a le double avantage d'etre tendre a j couper et de durcir a l'air, sans jamais se fendre a la gelee. Les habitans conviennent que memeM en faisant venir des magons de Montreal, car il f n'y en a pas ici, la batisse en pierres couterait I moins cher que celle en bois; ils conviennent ; encore qu'a une plus grande solidke elle join- drait l'avantage de procurer plus de chaleur en hiver et de fralcheur en ete; mais l'habkude ici I comme ailleurs a plus de force que la raison. La journee d'un charpentier sepaie seize schellings. Les domestiques sont aussi rares , au moins qu'a Newarck , par consequent aussi chers et aussi mauvais. . II n'y a point de pauvres dans'ce district ,M ainsi il n'y a point de taxe pour eux ; et le re- a gime pour les impositions est le meme qua Newarck. Les routes sont k Kingston comme a Newarck , entretenuespar douze jounces de travail , auxquelles chaque habitant sans distinction est oblige. L'ouvrier se plaint de ce que la masse de propriete n'est pas la mesure pro- portionnelle de ce genre detaxe ; il est diffi- , cila (m) oile de trouver qu'il ait tort, et il calcule avee un commencement de mecontentement que les douze journees de travail equivalent a une imposition de douze dollars, et meme plus , car alors le corveable est oblige de pourvoir a sa nourrkure. II y a a Kingston une eglise, qui pour etre recemment batie n'en ressemble pas moins a une grange. Soiscantieme Regiment: accueil que nous en recevons. Opinion des Officier s. Nous etions porteurs d'une lettre du gouverneur Simcoe pour l'officier commandant a Kingston. Cet officier, quand nous ysommes arrives , etait le capitaine Parr du 6oe. regiment. Six heures apres , le detachement commande par le capitaine Parr a ete relevd par un autre du meme regiment commande par le major Dobson. Les embarras du deme- nagement n'ont pas empeche le capitaine Parr de nous donner beaucoup de-marques de prevenance et de civilke ; il est fils de l'ancien gouverneur de la Nouvelle-Ecosse ; c'est un homme froid au premier abord, serieux, reserve , mais dont les manieres deviennent Tome IL K. m ( i46) gaies , faciles et ouvertes, a mesurequ'on le connalt da vantage ; bientot il a ete a son aise I nous a traite sans complimens , et a paru sew plaffi^e/ avec nous ; le diner sur tout a com- plettej jftinfim i te. Ce diner qu'il donnait aux officiers qui ar- xfrlt&mnt, sera pour nous d'epoque memorable. 1 On sait comment les Anglais^ sontl*r>ge»ieuxil pour trouver des toasts qu'il faut boire e#j bumper(rasade) ; s'y refuser serait desobligean-1 ce, et quoiqu'il vaille mieux etre desobbgeant I de cette mani^ei.qa^e)de se rendre malade, on garde pour une autre occasion cet effort de .1 caractere ; car e'en est un red; on ne veut 1 p^f*&eurter cette volonte gei^ifeley-qlii devient | plus imperieuse a mesure que le^^ietes s'e- cha*affent, on triche un petr suV la^uaMtSfe M on espere ainsi*8&nver la catastrophe ; mais 1 aucun de nous, Frangais et Anglais , n'avionsf-1 triche assez, et j'ai eu a regretter tout le reste1 I de la soiree, d'avoir pris autant de part a?^H rencontre de ces detaehemens. Le soixantieme regiment auquef ils appar- tiennent estle seul au service de I'Angleterre excepte celui des gardes, qui soit compose de quatre bataillons. Ce regiment qui n'en avait que deux lors de la guerre de 1757, a ete forme en Amerique , et a du dans sa composition ( i47 ) Trecevoir antan¥!r]'elrnngers que d'Anglais, les officiers ont pri^re choisis de meme. II a ete ensuite porte a quatre bataillons ; il a ete con- ^flere , et Test encore a quelques egards , comme etranger. Les deux premiers bataillons ne sont jamais sortis d'Amerique ; les deux autres ont c'te tenus dans les iles de Jersey , Gemesey, ou dans les Antilles ; et ce n'est que dernierem'ent et avec grande peine qu'ils *fcat,,ete" r'egus en Angleterre. Le general Am~ heret en est le colonel; mais chacun de ces qualre bataillons est in dependant de l'autre pour le service, l'avancement, le commande- raent. Les officiers que nous avons vu ontun tres- bon ton et sont fort polis. Nous nous croyons en droit de penser que tous sont bien loin d'etre ce qu'on appelle aristocrates., Beaucoup d'eux desapprouvent la guerre actuelle, ainsi que la derniere guerre d'Amerique , et montrent de3 seniimens de liberte et de politique qui me semblent etre justes , liberaux et honnetes ; mais qui certes ne sont pas ceux que professent M. Pitt et son parti. On nous dit que ce genre d'esprk est tres-repandu dans, farmee. Comme nous ne' sommes pas en situation de pousser fort loin ce-genre de conversation, nous n'en avons pas su tout ce que nous aurions peut-etra K a ( >48) pu en apprendre. Au reste, aucun de ces offif ciers ne sait un mot de la revolution frangaise, dont cependant chacun veut parler autant par obligeance mai eniendue pour nous, que par curiosite et par amour-propre. Canadiens. L'opinion qui prevaut le plus sur le Canada parmi les officiers, est que ce pays n'est et ne sera jamais qu'une charge onereuse pour I'Angleterre, qu'il lui serait plus avantageux de le declarer independant que de l'entretenir co- ldnie anglaise a tant de frais. Ils disent que les Canadiens ne seront jamais un peuple attache a I'Angleterre; qu'ils laissentVa chaque instant pCrcer leur attachement pour la France, tout eri convenant qu'ils sont mieux traites par le gouvernement anglais ; que s'il fallait lever une milice pour marcher en tems de guerre , la moitie ne s'armerait pas contre les Americains , aucun peut-etre contre les Frangais; que c'est done une grande erreur du gouvernement anglais de tant depenser pour un pays qui tot ou tard abandonnera I'Angleterre, et qui, lui fut-il attache , ne lui serait pas utile de bien longtems. Ces messieurs ajoutent, contre l'opinion d« ( i49) gouverneur Simcoe, que la plupart des settlers du Haut-Canada , venant des Etats-Unis, et qui passent pour etre loyalistes , donne- raient bientot la main a ces Etats, s'ils y en- voyaient des troupes. Je ne suis pas a meme d'apprecier la valeur de tous ces discours, qui peuvent n'etre que 1'effet de l'humeur qu'ont les officiers d'etre en garnison aussi loin de I'Angleterre ; mais qui cependant me semblent n'etre pas tout-a-fak depourvus de fonde- ment. Quoiqu'il en soit, tout ce que nous voyons de Canadiens habitans ou matelots, et nous n'avons pas laisse que d'en voir en assez grand nombre, exprime une extreme satisfaction de retrouver des Frangais de la vieille France, et nous montrent un respect et une prevenance, auxquels depuis long-tems nous nations plus accoutumes. Je ne puis rien dire du caractere de ce peuple chez qui nous ne sommes pas encore ; mais tous ceux que nous rencontrons sont vifs , actifs , ardens, gais , chantans. La dixieme partie d'entr'eux ne sait pas un seul mot d'anglais , et se refuse a l'ap- prendre ; leur figure est expressive, ouverte, bonne, ct je les vois avec plus de plaisir que je n'ai vu aucun peuple depuis trois ans. K 3 n C i5o) Etablissement naval. L'etablissement de la marine du' roi mcrite peu d'etre vu ; six vaisseaux sont toute la force du lac ; deux d'entr'eux sont les petites chaloupes-canonnieres que nous avons trou- vees a Niagara, et qui restent a Yorck. Deux goelettes de douze canons, dont l'Onondago sur lequel nous avons passe , et le Mohawck qui vient d'etre construit , un petit sloop de quarante tonneaux , monte de six canons ; enfin le Missassoga de la force des deux goe-. lettes, a-present en reparation sur les chan- tiers , complettent le nombre. Tous ces vaisseaux sont faits de bois verd , aussi ne durent- ils pas plus de cinq a six ans. Encore pour les faire autant durer, leur faut-il un radoub, un carenage, une reparation entiere, qui coute au moins de mille a douze cents guinees : ils. . reviennent a quatre mille avant de naviguer, j'entends le plus gros de ces batimens; ceprix j quoiqu'exhorbitant, est moins cher qu'au lac Erie, parce que sur ce lac il faut apporter toutes les provisions de Kingston., et que la main-d'ceuvre y est plus chere. encore. Le Missassoga bati depuis trois ans, est pourri dans presque toutes ses parties. II serait si aise cle ( i5i ) s'approvisionner de bois, pour an grand nombre d'annees, puisqu'il ne coute que la peine de le -couper, a une distance bien rapprochee du chan- tier, que l'on ne peut concevoir comment ce soin n'est pas pris. Deux chaloupes - canon- nieres, de celles que le gouverneur Simcoe" destine a ne servir qu'en tems de guerre, sont aussi surle chantier ou huit charpentiers seu- lement sont employes. On congoit quelles malversations doivent avoir lieu a une telle jdistance de la metropole ; on en fait le re- proche aux commissaires de la marine. Une cour d'eaquete a ete tenue l'hiver dernier a Kingston sur une pareille accusation ; il a paru , dit-on, evident que le commissaire et le maitre charpentiers'etaient entendus contre les interets du roi ; mais les protections ont plus de force, meme dans ce nouveau monde, que l'evidence des malversations , et le com- jjjtnfesaire et le maitre charpentier sont toujours en place. Le capitaine Bouchotte, commodore de la marine du lac Ontario, est a la tete de tous ces etablissemens , mais sans rien ordonner pour les depenses. C'est un homme en qui lord Dorchester et le gouverneur Simcoe ont une grande confiance. Canadien d'extraction, reste au service d'Angleterre quand le Canada a passe K 4 (m) sous sa domination ; c'est lui qui clans le moment oil Arnold et Montgommery assie*« geaient Quebec , y a fait entrer sur son bateau, lord Dorchester deguise en canadien; il a dans cette occasion donne une grande preuve d'activite, d'audace et de courage; on ne peut s'etonner que lord Dorchester n'ait pas oublie ce service signaie. Ses propos sont ceux d'un homme pur en fait d'argent et dun officier facile pour ses subakernes. Les salaires de la marine royale du lac Ontario sont dix schellings par jour par capitaine, six par lieutenant, trois schel. six pences par sous-lieutenant. Les matelots ont huit dollars par mois; les negocians paientleurs capitaines »5 dollars et leurs matelots neuf a dix. Le commodore Bouchotte est un des plus grands detracteurs du projet de faire de Yorck le centre de la marine du lac, mais il a sa fa- mille et ses terres a Kingston ; de pareilles raisons sont assez commun^ment influentes pour determiner les opinions politiques. Desertion. Indiens. La desertion est moins considerable a Kingston qu'aux forts Oswego, St. John \\ Niagara, et du Detroit, et a. tous les autres pos- m ( i53 ) tes plus voisins des Etats-Unis ; cependant die est assez frequente dans toutes les garnisons de l'Amerique anglaise. Les officiers nous di- sent que les regimens en arrivant d'Europe sont deux a trois annees sans desertion, mais qu'alors l'envie et l'habitude leur en prend. La discipline me semble a plusieurs egards plus dure dans les regimens anglais qu'elle ne l'a jamais ete dans les notres ; les hommes y sont traites avec moins de soin , moins d'affabilite. Plusieurs regimens se servent des Indiens pour ratrapper leurs deserteurs ; ils ajoutent aux huit dollars que le roi d'Angleterre ac- corde a celui qui amene un deserteur , l'appat de huit autres dollars tkes de leur caisse, et les animent de quelques verres de rhum. Ces Indiens passent sur le terrkoire americain, connaissent tous les senders, suivent sans se tromper les pas, dont tout autre qu'eux ne decouvrirait pas la trace, rejoignent assezor- dinairement le deserteur avant qu'il soit arriv6 a la partie habitee des Etats, l'arretent, le lient et le ramenent. Quand ( ce qui n'est pas rare ) ■ le deserteur est accompagne de quelques habitans des Etats-Unis , les Indiens ne font aucune tentative pour l'arreter; les officiers anglais croient assez a la bonne-foi de ces In- m fl ( i54) diens pour penser que le rhum ou l'argent qu€HJ leur proposeraient les deserteurs ne les cor- rompraient pas. Aucune habitation reguli6re d'Indiens n'est rapprochee de Kingston de plus de quarante I milles , et ce'sont des Mohawcks ; il y a aussi | a la meme distance de la'ville quelques villages de Missossogas; mais des tribus vaga- I bondes de cette nation errent continuellement i sur tous ces rivages ; passent quatre nuits dans un endroit, quatre dans un autre , traversent I la riviere, vont aux bords des Etats-Unis, ; s'arretent dans les iles ; leurs occupations sont la pedie et la chasse ; c'est de tous les Indiens I que nous avons rencontre , l'espece la plus I sale, celle qui a encore fair le plus abrutL I On dit qu'ils sont medians et voleurs , ils Vivent miserablement et sont toujours ivres , hommes, femmes et enfans; les rigueurs de I l'hiver, excessives ici, n'apportent aucun chan- gement. dans leur maniere errante de vivre. Ils portent dans leurs petits canots quelques rouleaux d'ecorce dont ils couvrent les huttes coniques qu'ils font pour dormir, et qui n'ont d'autre soutien que de legeres perches sur les- quelles s'appuient ces murailles portatives, qui laissent au sommet un passage a la fumee. Les ecorces roulees dont se seryent ces Indiens ( i55) pour couvrir leur hutte pyramidale sont du bouleau, connu en boranique sous le nom de betula lenta; ce.sont les memes dont ils font ' leurs pirogues. Rii Ch ianvre sauvages. Les Indiens apportent, dans le mois de septembre, a%K^gston , du riz sauvage , qui croit sur les rives du lac, mais particuliere- ment sur la cote americaine. Le riz qui pousse dans les terreins marecageux , y vient aveo abondance. Les Indiens en apportent par an quatre a cinq cents Hvres , que beaucoup d'habitans de Kingston achetent pour leur usage. Le grain en est plus petit , plus noir que celui que produisentla Caroline, i'Egypte ,. etc. , mais il se blanchit aussi parfakement a. l'eau , il a le meme gout et nourrit aussi bien. La culture de ce riz pOurrait etre extremement avantngeuse en Europe, parce qu'en y natu- ralisant une production de la premiere utilite pour la nourriture du pauvre , elle y serait depourvue de tous les inconveniens d'insalu- brite , dont elle est accompagnee dans les ri- zieres des pays chauds. On dit que le riz sauvage est la meme plante que les Canadiens nomment folle avoine. ( i56 ) Les memes bords du lac Ontario , ou crolt ce riz sauvage , produisent aussi sans cultarej un chanvre tres-eieve , et qui paralt suscep« tible de la meme utilite que celui que nousl cukivons. II est plus fort , plus fourni de graines , et sa transplantation en Europe, peuS encore n'etre pas sans avantage. Promenade a Guansignougua : creek et moulins. Pour amuser nos ennuis , et aussi pouij prendre conge de notre ami le capitaine Parr J nous l'avons reconduit jusqu'a six lieues de Kingston; son detachement occupait sept'bkw teaux; il en avait un pour lui seul. Les soldatsM etaient en general plus ivres qu'aucun de ceusM que j'aie jamais vu dans les regimens de France 9 au jour du depart ils pouvaient a peine ramer M ce qui a rendu notre route tres-longue. Les vents et le courant contraires , ont aussi mis beaucoup d'obstacles a notre retour ,mais noW etions ramenes par des Canadiens qui, seldfB leur coutume, n'ont pas cesse une minutealM chanter. Un d'eux entonne une chanson qdeM les autres repetent, et la mesure de ces airs r6gle le coup de rame , toujours donne en cadence. Les chansons sont gaies, souvent un T? (m) peu plus que gaies ; dies ne sont interrom- pues que par les ris qu'elles occasionnent, et dans toutes les navigations dont sont charges les Canadiens , les chants commencent des qu'ils prennent la rame, et ne finissent que quand ils la quittent : on se croit dans les provinces de France , et cette illusion fait plaisir. Notre journee, depuis six heures du matin jusqu'a neuf heures du soir, a ete uniquement employee a ce voyage : tant mieux, c'est une journee de passee. Elles sont longues a Kingston , ou la civilke constante des officiers nous procure bien un diner et de la compagnie, depuis quatre heures jusqu'a huit, mais ou , d'ailleurs , ni conversation agreable, ni homme instruit, ni livres n'abregent la longueur du tems. Notre position est desagreable , et nous serious enclins a faire du noir , si nous nous y laissions aller. M. Guillemard est descendu a Montreal avec le capitaine Parr, et il a bien fait; il aurait partage notre ennui sans le soulageruneminute. C'estunexcellenthomme, auquel les qualkes du cceur , Jes agremens et les ressources de l'esprit m'attachent tous les jours davantage ; je n'en suis pas moins aise qu'il ait pris le parti de nous quitter; je r I i58 1) m'ennuie moins , en pensant quufl autre ne ! s'etosraie pasp^ur'Hioay eiJ.&ui^dtat un homme quel j'estimei et que j'aimev Notre separaMi©iBiidu -capitaine Pfi#fc^ ne s'est pas?faite sahsiun facra 'dejeuner, qui a eu liedl dania une place un peu epafiee1 du reste de lantnoupe. Leioapi»ayife'> du >Hstta*Olanada. It^etabli ,' siifl^fM creek de Gip&ftsigTtOugua, un moulin arse^M qui a deux mouvemens , dont un^lfait' alleS quatorze scie^-a4a-fois , et Mutrfe une seuie» Les quats&reeL scies sont suscepftbles d'etrerapS prochee^©.alt&o'i§fr$6¥,les unes des autres a volonte ji§(^v%M4ftngro§seur' de la'^ie'ce'^^'gH lepaisseur demandee des planches , ne^pl^H .jajettBbt p&s que touted des scies rnordertt a- .^aafois, mais dies le peuvent, quand tOuVejB les circonstances de 1'ouvrage le requierentj nous en avons vu agir treiz©'; %ne poutre de quinze pieds de long, coupee par les quatorze scies , eMOdebitee en trente-^ept ttffl tua&S ;' le meme mouvement qui meutfltm scies ,>^fla©!comme a la cliMe>1de' Niagkr^| monter les logs sur le c"hahtieri~ Le prix dii Hife^t^'tyffltfddts la lnoMHdes bois de- ( i59 ) bkes; le prix des planches est de trois schellings le cent de pieds , pour l'epaisseur d'un pouce ; de quatre schellings et demi , pour l'epaisseur d'un pouce et demi , et de cinq schellings et demi pour celles de deux pouces. Les memes planches d'un pouce d'epaisseur, se vendent cinq schellings a Kingston.. De 1'autre cote du creek , et vis - a - vis ce dutch- mill, ( c'est le moulin du capitaine Store ) est un autre moulin a scie , appartenant a M. Johnson, qui jouit de la moitie des eauxdu creek. Nous ne l'avons vu que du bord du capitaine Store; toute cette situation est agreable, sau- vage romantique , et m'a donne , comme beaucoup d'autres , le regret de ne savoir pas dessiner. Les terres sont ici de la meme nature qu'a Kingston. Quoiqu'il soit possible de communique? , par terre, de Montreal a Kingston, et que le chemiti soit meme tres-bon, pour plus de la moitie de la distance , la communica- iwja habituelle est par bateaux ; la rapidite du fleuve n'emj>eche pas de le remonter, et la longueur de cette navigation est p|ejgj jee , meme pour les troupes , a la marche par terre. Toutes les denrees d'Europe, qui vont approvisionner le Haut-Canada, n'ont pas d'autre voie; c'est par elle que la corres- ( i6o ) pondance est etablie , et elle Test ainsi tresM irregulierement. Quelquefois huit joura se passent, meme en ete, sans qu'un bateaql monte ou descende ; en tout, ce pays est J neuf pour toutes les ressources, et il n'est I pas de ceux dont l'habitation m'aurait tentJ I de preference. Communication entre les Lacs et la Riviere des Illinois. Pendant notre long sejour dans le Hautu Canada, nous avons eu occasion de voir la | earSvanne d'une famille de Canadiens , emigrant pour la riviere des Illinois; le madlj avait ete reconnakre, fete d'avant, letabliwl sement; il allait alors y fixer toute sa famiHel! Cet homme , sa femme et quatre enfans j| etaient embarques dans un canot d'ecorftiHl long tout au plus de quinze pieds , et largl|j de trois. Le uexe et la mere pagayaient a chacun des bouts de la pirogue ; les quatre enfans etaient assis ou couches sur les ma* lelats et autres effets de ces bonnes gehsfijH le plus age pagayait aussi, et tous poursuiw vaient en chaaitant , ce voyage de onze cents milles au moins. C'est a Newarck qnl| nous les avons rencontres ; ils cotoyent les bords (m) bords des lacs et des rivieres, s'arretent tous les soirs, eleveut une espece de tente qu'jls forment avec un de leurs draps de lit , et qu'ils assujettissent avec deux perches qu'ils coupent ; its font leur petite cuisine , souoent s'enveloppent dans leurs couvertures jusqu'au fendemain , rejfertent sur les huit heures, s'arretent dans le jour une fois pour manger, et se remettent en cherain jusqu'au soir. lis font generalement quinze a vingt milles par jour,; quand ils eprouvent des mauvais tems , quand ilsrencontrentdesrapides ou des portages , ils en font moins, quelquefois ils se reposent un jour eniier. Ils etaient partis de Montreal; leur route est par le lac Ontario, le lac £rie; ils re- I montent la riviere de Miami, puis, par un por tage de six a sept milles, ils regagnent la Thea* hikiriver , qui donne dans celle des Illinois , ou celle deWabach, qui y communique par plusieurs petits creeks , separes par des courts portages ; enfin ils se dirigent vers la partie du pays des Illinois , ou ils veulent s'etablir. C'est ordinairement le long de la riviere de ce nom, que se font ces etablissemens; ils sont presque tous composes de Frangais canadiens. II y une autre route pour aller aux Illinois depuis Montreal, que l'on dit plus frequen* Tome II. L 1 (III tee ; on remonte la riviere des Ottawas ou la grande riviere jusqu'au lac JSipissin, et de-la par la riviere des Frangais ( French mom's river) on arrive au lac Huron. Dans cette seule navigation on rencontre trentej six portages , a la verite tous tres-courts. DM lac Huron on entre dans le la« Michigan par le detroit de Michilimackinack, ensuite dans la green bay, du fond de laquelle on passe dan|H la riviere du Crocodile , puis par le lac du ris (rice lakej, et par la riviere Saxe , on parvienM apres un court portage a la riviere OuisconsiaM qui se jette dans le Mississipi, que l'on descend! jusqu'a la riviere des Illinois , qu'alors on remonte ; cette route est plus longue , man elle est generalement preferee , sur-tout par les agens du commerce des fourrures. QuaneH on se dirige vers l'ouest, c'est encore lamemfl route , que l'on prend de Montreal, jusqu'aiS detroit de Michilimackinack, on le laisse a gauche pour entrer dans le lac superieur , et le traverser jusqu'au grand portage , et de-l8 au lac des bois , ect., ect. ( i63 ) Comptoir aux Illinois. Commerce des fourrures. L'etablissement des Illinois est un des grands comptoirs pour le commerce des fourrures ; c'est meme le dernier comptoir principal dans cette direction, dont le chef-lieu est au fort Michilimakinack ; mais. les agens poussent a cent milles plus loin , et se meient pour leur trafic avec les Indiens de la Louisiane. Ce genre de commerce se fait principalement en rhum , mais aussi en fusils, en poudre, en, balles , en'couvertures , sur-tout en petits colliers de porcelaine , en petites boucles d'ar- gent, en bracelets cu pendans d'oreilles, dont se chargent les Indiens en raison de ce qu'ils sont plus riches. La mesure commune de la valeur des fourrures pour les Indiens, est la peau de castor; tant de peaux de rats, de chats , etc. , valent une peau de castor; une peau de loutre en vaut deux, ect. Les boucles, les fusils , cer- taine quantite de rhum valent aussi une peau ou plusieurs peaux de castor , ou telle partie aliquotte d'une peau de castor. Presque toujours les marchands donnent a credit dans 4'ete aux Indiens une partie de ce qu'ils leur L a ( i64) fournissent , mais les peaux qu'ils regoivent sont achetees par eux a un si bas prix, et celui qu'ils donnent a leurs denies d'echange est si eleve , qu'ils attendent avec securite lafl rentree du credit qui quelquefois manque, et qui plus souvent ne manque pas. Les Indiens chassent, vivent plus en families qu'en tribus, et d'aprestout ce qui nous enaete dk , ontles; jnemes vices , les memes qualkes, les memes ananieres que ceux que nous avons vus auprea des lacs. Le commerce dans cette partie ne se faifl pas par la compagnie patentee du Nord , mais] par une ou deux maisons de Montreal, par- tic ulierement par la maison Tode , a qui je dois ces renseignemens. La seule riviere de Missouri est jusqu'ici interdite par les Espa-i gnols qui y ont un fort. Independammenii des habitations canadiennes qui se trouvent ou eparses le long dela riviere des Illinois et| des rivieres voisines, ou reunies en village! ou en villes , celle des Illinois contient environ trois milles habitans ; quelques CanadienJ sont meies avec les Sauvages et en menent la vie. Tous ces etahlissemens sont dans les tefJ ritoires de l'ouest , appartenant aux Etats- Unis; car les bords espagnols, a Saint-Louis et $ainte~Genevibve pr£s , ne sont habites qu'4 ( i65) quatre-vingt milles de la nouvelle Orleans, et le sont peu jusqu'ici. Les fourrures que se procure le commerce sont rapportes a Montreal par la meme route que suivent les marchands pour arriver a ces points. L'ouverture du Mississipi ac- cordee aux Americains par leur nouveau traite avec FEspagne , et les facilkes que deja le gouverneur Espagnol accorde a ce commerce, leur donne un debouche plus prompt et moins dispendieux par ce fleuve, au point que les frais par cette voie sont reduits a neuf dixiemes. Par ce debouche les pelleteries peuvent aussi etre envoyees , ou dans les Etats-Unis ou dans telle partie de 1'Eu- rope , a la volonte du negociant , tandis qu'arrives a Montreal dies ne peuvent, d'apres les loix Anglaises etne envoyees qu'en An- gleterre ; les denies d'echange seront aussi dorenavant prises par-tout ou elles seront trouvees a meilleur marche , tandis que prises a Montreal, leur valeur etait augmentee des droits immenses que payent les marchandises. arrivees en Canada , et qui ne peuvent etre fournies que pap I'Angleterre. Les fourrures sont dans toutes ces parties moins belles qu'au nord des lacs ou la compagnie du Nord seule fait le commerce. M» L 3 ( iG6 )' Tode nous a dit que de Montreal on pouvait se rendre aux Illinois facilement en quinze jours, et en vingt des Illinois k la Nouvelle-. Orleans. La navigation du Mississipi est bonne quoique rapide, mais elle exige quelques pre-i cautions et une attention continuelle pour eviter les troncs d'arbres dont son lit estJ rempli en beaucoup de points. Tout le paysi qu'elle arrose est de terres excellentes. Depart de Kingston. Reflexions. La reponsedu lordDorchescher, tant atten-* due , est enfin arrivee le mercredi 22 juillet M et certes elle. a du nous etonner. C'est undH defense formelle qui nous est faite , d'apres les regies etablies , d'entrer dans le Bas-CanadaM II nous etait difficile de nous attendre a pa-S reille aventure. Presses de venir en Canada par M. Hamond , ministre d'Angleterre , qui avait detruit les inquietudes que m'avaient donne d'autres Anglais d'un refus du gouverneujjjH general, assure par lui que lord DorchesteJH 1'avait prie de donner seul a l'avenir les passilB ports pour le Bas-Canada , parce qu'il pouvaftl mieux connaitre que lui-meme les voyageurs venant des Etats-Unis, et que ses lettres dont il me ferak porteur, independamment meme 1 ( 167 ) de toute convention entre lord Dorcherster et lui, me mettraient a l'abri de tout desagre- ment, il me semblait que je ne devais pas le craindre ; car pouvais-je soupgonner M. Ha- mond , qui m'avait comble de prevenances, de vouloir'gratukement me le procurer. Son Excellence m'a done fait donner un ordre d'exclusion par son secretaire , car il n'a pas meme pris la peine de signer la lettre, et a ajoute ainsi la grace des formes a l'agre- ment de la chose. On me dit pour me consoler que son Excellence est un radoteur, qu'il ne fait rien lui - meme , etc. ; que sans doute , quelque pretre frangais emigre m'aura rendu ce bon office aupres de quelque secretaire ou de sa maitresse; cela est possible; car quoique grace au ciel, je n'aie jamais fait de mai a personne , je ne laisse pas de trouver des gens qui voudraient m'en faire. Quoiqu'il en soit, il faut prendre son parti, et rire de ce desap- pointement; puisse-t-il etre le dernier ou le plus grand de ceux qui me sont encore reserves. En arrivant en Canada, ma grace etait com- biee d'honneur, des officiers pour me suivre, des hommages de respect, etc. ; aujourd'hui j'en suis chasse comme un vaurien; exces d'honneur ni cette indi£ aite. L4 ( i68) Sur tout cela , comme'en beaucoup d'autres circonstances de la vie, il faut sentir quel'aiB ne peut etre honore ou mortifie que par le sentiment de soi-meme; c'est par-la qu'on est au-dessusde tousles medians , grands etpetitSM detous les radoteurs et de tous les barbouiljM leurs. II est aise de juger que cette lettre m'fjfl donne le violent besoin de quitter prompte-B ment les po sessions anglaises , quoiqu'en general je ne puisse assez repeter que dans notrM srjour a Kingston , comme a Niagara , nous n'avons eu qua nous louer de la delicatessiM des officiers anglais , et de leur obligeancej pour nous. Le major Dobsona compris a quel point jejH devais etre presse de sortir du gouvernement du Canada , etavec une civilke vraimentloyale, il s'est hate de nous en donner les moyens , qu«| nous ne pouvions tenir que de lui , puisqu'il ne part pas deux fois par an de bateau de Kingston pour la cote americaine; il nous en a donne un, ou nous sommes montes quatrilH heures apres avoir regu la lettre du secretaire, et sur lequel nous nous sommes aeheminej ardemment vers les Etats-Unis, ou aucun conJH mandant , gouverneur ou ministre , n'ont le droit d'offenser des hommes honnetes. ( log) Oswego : son Fort, sa Douane. C est vers Oswego que nous nous sommes diriges ; nous devions esperer d'y trouver le moyen de nous rendre bientot a Albany. Les quatre soldats qui formaient l'equipage de, notre bateau , etaient ivres au point que nous avons a peine avance de quinze milles mais en payant, d'un commandant a son successeur. Les jardins sont multiplies et bons aux environs du fort ; 16 poisson est tres-abondant dans la riviere et dans le lac : la chasse fournit constamment des ressources ; les officieraB vivent done bien dans ce desert , qu'ils ap- pellent Botany-Bay, et qu'ils sont bien im- I patiens devoir dans les mains des Americains. I Nous avons regu de tous un excellent accueil, Les terres aux environs d'Oswego sont assez jnauvaises, les arbres d'une mediocre venue, les bois ties maigres. Infarwmtion>9^uh&pifewres sur le Canada. Puisqu<%,je ne suis plus destine a aller en ^a^jada, je veux consigner ici quelques le- g$re,$ ;informatijOQ§ sur ce pays. Je comptai3 ' les y verifije*, et les placer dans leur ordre;. rions-rtous nous battre contre nos fibres? j> Ces propos , que je tiens d'officiers anglais , et qui, a ce titre, ne peuvent etre revoque* en doute , n'etaient l'effet d'aucune suscita- tion jacobine, car, en meme tems , on &s- M . I ( i84) sure que des emissaires de la convention se piaignaient de ce que le caractere canadien ne pretait a aucune insurrection ; ils etaient dontM 1'expression de leur. disposition naturelle et habituelle , qui n'a pas ete changee encore , ni par le tems , ni par la douceur du gouvernement anglais. L'idee de liberte, d'indeperM dance , est, dans les rapports polkiques, au- dessus de leur entendement ; ils ne paienM point d'impots ; vivent bien , a bon marche et dans l'abondance : que pourrait leur raison 'reflechissante dcsirer de plus? Ils connaissenfjB meme si peu les principes de la liberte , qu'ils ont vu avec peine, chez eux , l'etablissement des juris ; qu'ils y ont mis opposition , et que les juris civils n'y sont point encore en*usage.« Mais ils aiment la France; ce nom tient une grande place dans leur souvenir. Un Frangais est pour eux quelque chose de tres-superieur a un Anglais , qui est son ennemi. Les Francais sont le premier peuple du Monde , puisque , attaques par le Monde entier , ils battent et "repoussent le Monde entier. Les Canadiens se croient frangais, s'appellent frangais; la France est leur patrie. Certes il est impossible de ne pas trouver ces sentimens estimables et touchans, sur-tout quand on est Frangais, et de ne pas aimer le peuple canadien. II est ( i35 ) facile de concevoir comment cette disposition deplait aux Anglais ; comment souvent ils laissent percer le mecontentement qui en resulte ; comment l'officier anglais , vif et impatient, traite souvent avec durete et m.e- pris le Canadien : a Les Frangais leur don- | naient des coups de baton , les faisaient » mourir de faim et les mettaient aux fers, r> done il faut ne les traiter qu'avec des coups » et des fers ». Voila ce qui se dit de cette nation aimable et genereuse , dans les diners anglais; ce que j'ai entendu plusieurs fois , ce qui m'a souvent indigne , et ce que ne clisent pas tout haut les gens plus reserves , mais ce qui ne peut pas etre entierement ignore du Canadien. Le Bas - Canada qui ne paie pas plus que le Haut - Canada de taxes a l'Etat , vient d'etre impose a une somme de cinq mille livres sterling , pour le maintien de sa justice , de sa legislature , et quelques frais particuliers a cette province. Les taxes sont etabiies sur les vins , les eaux~de-vie, en excises et douanes ; c'est done un impot indirect , bien leger, et par la somme, et par la maniere dont il est percu , qui le rend peu sensible ; mais deja il excite des murmures contre les representans qui l'ont vote , etc. ( i86) C'est le point juste de toutes ces disposjM tions que j'aurais cherche a connaitre , si j'etais arrive dans le Bas-Canada. Quant a leur verite , je n'en ai et n'en puis avoija aucun doute. On m'a certifie que sur le refusl fait par les Canadiens , l'an dernier, de s'en- regimenter en milice , lord Dorchester avait demande son rappel en Angleterre; je ne puis precisement assurer que ce soit la veritable raison de cette demarche, qu'il a indubita- blement faite, mais qui peut avoir aussi pour motif le mecontentement de ce que son dis- cours aux Indiens n'a pas ete approuve par le ministere, lequel cependant n'a point accepte la demission du gouverneur. Lord Dorchester se croyait cheri des habrtans avec lesquels il s'est constamment bien conduit; son administration k toujours ete douce ; c'est lui qui a sollicite la nouvelle constitution ; il aime les Canadiens, et son amour-propre, autant que son patriotisme anglais , ont regu un grand desappointement de la disposition qu'a montre Ce peuple l'an dernier. J'ai rendu compte d'une conversation ou plusieurs officiers avaient manifeste l'opinion de futilite qu'il y aurait pour I'Angleterre de renoncer au Canada; cette opinion est ici celle de tous les Anglais, a qui des places et de ( i87 | bons enrolemens n'en font pas avoir une autre? Mais ceux attaches au gouvernement, a l'administration de ces deux provinces, les nego- cians et le? families anglaises qui s'y sont eta- blies , et qui sont devenues canadiennes, sont loin de precher cette doctrine, et voyent, dans favenir, une utilite considerable resultante pour la Grande-Bretagne de la possession du Canada. Cette idee n'est la mienne, ni dans la meme amplitude , ni dans la composition actuelle de l'administration et du gouverne-* ment anglais pour cette partie du monde; mais je crois que les depenses excessives que fait ici I'Angleterre ne sont pas toutes necessaires , et que 1'etat de dependance dans lequel die veut tenir le Canada, n'est pas non plus celui qui lui peut rapporter les plus grands et les plus durables avantages. Que dirak-on d'un ministre qui« montrant a I'Angleterre que le profit retire par son commerce et ses excises de sa navigation exclusive dans le Canada, est loin d'etre equivalent aux depenses annuelles, que le maintien du pays et ses consequences lui coutent, lui proposerait de declarer ce pays independent , de l'assister encore pendant les premieres annees de quelques subsides, et de faire sur-le-champ, avec lui, un traite d'amitie et de ( iS8 ) commerce ? Sans doute on le trakerak de jacobin. Cependant il est probable qu'en sau- vant a I'Angleterre une grande depense an-B nuelle, il ne ferait rien perdrea son commerce^ qu'il lui assurerait l'alliance solide du Canada , dans toute l'etendue qu'elle peut desirer, et lui evkerait un nouveau decbirement et uneB nouvelle mortification. Mais il faudrak que ceB parti fut pris sans aucune vne secrette, sansB projets caches , et avec la loyaute et la fran-B chise, qui ne laissassent aucune inquietudeB au Canada ainsi gratifie. Ce langage, tout insense qu'il puisse paraitre encore, est peut-B etre le seul qu'aient a tenir a l'epoque pi-esenteB toutes les puissances europeennes, a toutes leurs colonies continentales , sous peine d'en . eprouver bient6t pis : il n'en faudrait peut-etreB meme pas excepter les Antilles , sauf quelqueB modifications. Mais laissons la politique spe-fl culative. - Les pretres catholiques sont, en Canada, de 1'espece de nos anciens cures de campagne'jB sachant tout juste lire et ecrire , par consequent tressots et tres-bigots : la revolutions frangaise en a envoye d'une espece un peu plus relevee , et probablement aussi d'une disposijB tion d'esprit plus active et plus intoierante. Je ne les connais pas; mais les officiers anglais ( i89 ) sont si etonnes de voir des pretres frangais avec un peu de sens, qu'ils disent que ceux-la sont (very cleversj tres-eclakes. Commerce des Pelleteries, et Appro- visionnemens d'Europe. Le seul commerce propre du Canada est celui des fourrures. Si j'eusse ete a Montreal, j'avais Fespoir de trouver des moyens de con-- naitre son etendue et son produit. Je sai-s, par le gouverneur Simcoe, qu'il est beaucoup moins considerable qu'on ne le croit; que deja il s'en fait dans les Etats-Unis une contrebande dont les negocians du Canada sont les agens principaux ; que cette contrebande , qu'ils favorisent par la riviere Saint-Laurent, se fait aussi, sans leur concours , par le lac Erie, et par quelques points des cotes du lac .Ontario , directement avec les Americains- Unis; que la reddition des forts aux Etats- Unis, et les etablissemens americains formes sur les limites , rendront cette contrebande journaliere, et impossible a empedier; enfin que les negocians du Canada etant les seuls qui envoyent des fourrures en Angleterre, sont les seuls qui en apportent; qu'ainsi ils sont les maitres absolus du commerce du pays ; mais ( i9° ) avec un esprit de monopolequi, tenant IeurH prix tres-hauts , est le plus grand aiguilloiM pour la contrebande. Tous les vaisseaux qui font le commerce du Canada sont anglais, aucun n'appartient aux I negocians du pays ; au moins ils n'en ont J qu'un ti£s-petk nombre qui se construisent a | Quebec; encore sont - ils peu employes aul commerce d'Europe : il ne se batit d'ailleurs, I dans toutes les possessions anglaises en Ame rique, d'autres vaisseaux , que ceux qui navi- ■ guent sur les lacs ; a Hallifax meme on ra- doube , on repare , mais on ne construit pas. La navigation europeenne est interdite en Canada a tout autre vaisseau qu'aux vaisseaux anglais ; d'ou il arrive que , quand la navigation dans ce pays est interrompue, ou retar- dee , on y est: dans la disette enriere des denrees europeennes. Cette arinee-, par exem- ple , ou les vaisseaux qui , commraiement, arrivent vers le i5 mai, ne sont arrives que le 20 juillet, les magasins etaient vuides dans tout le Canada ; il n'y avait pas , d6s le 1" juillet, une seule bouteille de vin k vendre a Quebec, nia Montreal, pas une aune de drap; Les officiers du soixantieme regiment, qui arrivaient de ces deux villes , et qui n'avaient pu faire leur pro vision1, seplaignaient beaucoup ( i9i I de cette impossibilke de se fournir en Canada; ei. j'ai entendu dire que le murmure ne se llljrnait point a eux. Autres renseignemens. On s'accorde a reconnaltre que I'agriculture est extremement recuse en Bas-Canada, que les Canadiens sont mauvais fermiers, et que les Anglais n'y ont rien apporte a cet egard de leurs lumieres, et de l'habilete europeenne. Les terres y sont generalement bonnes ; les ' meilleures sont dans File de Montreal, et elles ne se vendent qu'entre 20 et 24 dollars 1'acrei Cette information certaine peut donner la me- sure de la richesse du pays. La rigueur du froid fait tellement gercer le mortier enhiver a Quebec, que les reparations de la ckadelle sont anmrellement tres-dispeii'- dieuses , et jamais solides. Les constructions des autres places fortes des possessions anglaises en Amerique se font en bois , et toujours en boisverd, employe des qu'il est coupe; aussi se pourrissent-ils promprement, pas un mor- ceau n'en est entier dans le fort d'Oswego , construit il y a onze ans, et la citadelle d'Hallifax, faiteil yen.asept, est aujourd'fri#' (g?) errreconstruction totale pour la meme raisonjB Ces renseignemens, les seuls que j'aie pu ras- sembler , peuvent, toutincomplets qu'ils sont M guider dans les informations que l'on pourrait, par la suite, etre a portee de prendre. Les bords qui entourent du cote du nowB le bassin qui contient les eaux du Niagara , precisement au - dessus de leur chute , sonB d'une terre rougeatre, tres-grasse et visqueuseB au-dessous est la pierre a chaux. Les rochers au travers desquels se predpitB • cette admirable cataracte de Niagara , sonB aussi des pierres calcaires , ainsi qu'une injB mense quantite de rocs qui se voient danB l'abime du bassin, et qui ne sont que des debris des rochers d'en haut, que les eauxB dans leur violence, ont entralnes avec dies. Au fond du bassin se trouvent aussi de grandeB masses d'une pierre blanche a grain fin , que les gens du pays assurent etre lecume petrifi^B de cette chute , mais l'ecume ne se petrifie point, et cette pierre semble n'etre qu'un sulfate de chaux; elle ne fermente pas avec les acides ; je ne l'ai point soumise a d'autres experiences. Le pays entre la chute et Queenstown est mn plateau eleve de quelques cents pieds au- dessuf" ( *95,) dessus de la plaine qui joint au lac Ontario , et ou sont baties la ville de Newarck et le fort de Njggara. Ce plateau semble par-tout compose de pierres a chaux, et de pierres sablonneuses contenant des depouilles de mer. A Newarck , on voit sur la plaine de grandes masses eparses d'un granit rougeatre , isolees sur la pierre a chaux comme les blocs de granit qui se voient a la montagne de Saleve, pres Geneve ; de sorte.qu'il est impossible de se former une idee de leur origine. Le pays , dans les environs de Toranto ou Yorck , est, dans quelques endroits , sablon- . neux , et dans d'autres c'est un argile biger; on n'y voit point de rochers. A Kingston ou Kataraqui, k 1'extremke nord-est du lac Ontario , on retrouve encore de la pierre a chaux de l'espece argilleuse , .^grain fin, et d'un gris-fonce. La, ainsi que sur la plupart des cotes du lac , les cajlkgix nsont des differentes especes , des schistea-djtrs;, des couches de quartz et de granjt.jgrj^j. A Kingston , on voit pres du rivage de grosses pierres^jojres , rouiees , resseinbJart£.«JL des basaltes , et beaucoup de pierres sablonneuses , contenant des imprj^siG^j^asJ|ma)ux de mer. ih&f au&i-'i' Tome II. N ( 194 ) Les arbres et plantes que j'ai remarques dans le Haut-Canada, sont a-peu-pres les memes que celles du nord de Genessee. J'y ai vu cependant le bonduc , que les Canadiens appellent bois chicot; le ecoomanthus, ou bourreau des arbres , que j'ai vu s'elever autour d'un chene , a plus de trente pieds , et developper de belles grappes vertes ; le cedre rouge ; le ragdumimex, le bouleau noir; je n'y ai vu ni frangier ni magnolia. La racaB du ginseng , assez commune dans tout le ter- ritoire des Etats - Unis , est tres - abondante dans celui du Canada, mais n'y est pas un objet de commerce aussi considerable. Les habitans du Canada en emploient l'rnfusion pour les maux d'estomach provenant sur-tout de debilite , pour les rhumes, et pour tous les cas^, oula transpiration est jugee necessairej a provoquer. Ils emploient aussi , comme the , les feuilles de capillaire , dont la plante se trouve abondamment aupres de Kingston. M. Guillemard m'ayant communique le journal de son voyage dans le Bas-Canada, je complette par son extrait les information que j'en avais donne. Ce journal confirme tous les renseignemens generaux que j'ai rapportes, et ne laisse par consequent aucun doute sur leur verite. Si les informations de M. Guille- ( 195) mard n'ont pas porte sur autant de details que j'en aurais desire , la bonte de son juge- ment et la scrupuleuse veracite de son ca- ractere, garantissent l'exactitude de ce qu'il a recueilli. La navigation de Kingston a Quebec se fait de Kingston a la Chine dans les bateaux Canadiens , de 10 a i5 tonneaux; dela Chine a Montreal, les chutes de Saint-Louis empe- chent la navigation , le trajet se fait par terre; des vaisseaux de toute grandeur naviguent de Montreal a Quebec. Les rapides sont de differentes natures; ce sont, ou des tourbillons occasionnes par les rocs que les eaux rencontrent dans leur cours , ou de fortes inclinaisons du lit du fleuve, dont le mouvement rapide n'est anete" que par peu et souvent point d'obstacles ; dans ce genre de rapides , le bateau peut faire seize milles par heure ; ceux de la premiere espece sont les plus dangereux , quoique les accidens n'y soient vas frequens ; le passage des cedres es*celui ou ils le sont davantage. Le cours du fleuve de Montreal a Quebec est vif, mais sans aucun de ces rapides. Au lac Saint - Pierre , les vaisseaux doivent se maintenir soigneuseinent dans un canal na- turel de ra a i5 pieds de profondeur ; par- N 2 ( 196 ) tout ailleurs , il n'y a pas plus de 4 a 6 pieds d'eau. On projette un canal de la Chine a Montreal, au moyen duquel la navigation cessera d'etre interrompue. Les settlemens sont presque nuls de Kingston a Johnstown , capitale du district inferieuf du Haut-Canada , qui se trouve a moitie chemin de Kingston a Montreal. Dela jusqu'a Montreal , il y en a davantage , mais bieM peu encore. Le cote droit , qui appartient aussi a I'Angleterre, est moins habite encore que le cote" gauche. Le petit nombre d'habitations qui si trouvent sont presque toutes sur les bords du fleuve : de Montreal a Quebec elles sont pliB rapprochees , le pays meme' est habite a' troj ou quatre milles dans les terres , et presque toujours le long des rivieres , ou desruisseaux qui se jettent dans le fleuve. Ces settlemens sont, pour la nature des maisons et des defrB chemens, de l'espece des plus mauvais dans les pays nouveaux des Etats-Unis ; ils s'etendent toujours a une moins grande profondeur du cote droit du fleuve. La nature des terres est bonne presque par- tout , plus particukerement dans les iles ; les arbres y croissent avec abondance et richesse , les herbes y sont epaisses et s'y elevent' a. ( *97 5 [line grande hauteur. Les terres de 1'ile de [Montreal sont, comme je l'ai dit, reputees les meilleures de toutes ; pres des habitations elles se vendent au plus cinq dollars l'acre ; dans l'lle de Montreal vingt a vingt-quatre. Quelques fermes aupr£s de Quebec , cukivees avec un peu plus de soin, ou ornees d'une belle maison et de bons batimens , sont payees ■ beaucoup plus encore : en tout, il se vend peu de terres et par la pauvrete des habitans , et par la difficuke des ventes , dont les raisons se trouveront ci-apres. La culture est, dans le Bas-Canada; aussi mauvaise qu'elle puisse l'etre. On n'emploie de fumier que dans les environs de Quebec et de Montreal, encore n'est-ce que le fumier d'ecurie, qu'il n'y a pas long-tems les fer- miers jettaient dans la riviere pour s'en de~ barrasser; on n'y connalt pas d'autre engrais. Ce qu'on appelle les terres en culture, meme sur le bord de la riviere , sont des champs defriches d'une etendue de quarante a cinquante acres , plus ou moins , entoures de cl6tures grossieres, au milieu desquels sont differentes cultures par petites portions, bled, mais,seigle, pois ,prairie;mais remplissantra- rement la totalite du champ enclos ; le fermier est frugal I mais ignorant et paresseux. Le gou- N 3 ( 198 ) vernement anglais ne fait rien pour encourage™ l'extension et Tameiioration de la cultureB et il faudrait qu'il fit beaucoup , avec ufaB grande prevoyance et une longue patienceB pour obtenir des succes en ce genre ; carB aux inconveniens des prejuges communs aux fermiers de tous les pays , les Canadiens ajouB tent une grande defiance pour tout ce qui vieriB des Anglais; elle tient a leur idee constanteB que les Anglais sont leurs conquerans , et lesl Frangais leurs freres. II y a quelques exceptions a. cette mauvaisB culture , mais en petit nombre , et le meilleuil etat des fermes , est lefait de quelques propria J takes venus d'Angleterre. M. Fouze , ministrB de l'eglise anglicane de Quebec , arrive rel cemment du comte de Suffolk , en Angle- terre,. s'occupe a present de defricher et dm mettre en grand etat de culture anglaisea sept a huit mille acres qu'il tient du gouverS nement, ou au moins une partie de cette do* nation; s'il a le courage de l'achever et le bon- heur de reussir, il sera tres-utile a cette partfl| du monde; en attendant on s'etonne a Quebec, qu'il puisse aller cukiver si loin de la ville , et il en est a quinze milles. Dans la route de Montreal a Quebec , les habitations sont quelquefois ou de pierrailles I ( i99> i de bois, 1 ilanchies exterieurement avec de la chaux , dont le pays' abonde ; mais inte- rieurement ces habitations sont sales, vilaines; je parle de celles du peuple canadien. Dans presque toutes celles qui sont sur le bord du chemin, et ou la mort du roi de France n'est plus ignoree , on voit son portrait, la gravuie de ses adieux a sa famille , et de son supplice, avec son testament en entier. Toutes ces images sont, chez les Canadiens une esp6ce de devotion , qui ne change rien d'ailleurs a leur disposition d'attachernent pour les Frangais. Montreal et Quebec ressemblent a deux villes de province de France ; la premiere est dans une positionagreable et riante; la seconde est batie moitie sur le bord de la riviere, moitie au haut du roc qui la borde. C'est dans la partie. basse quest tout ce qui tient au commerce ; tout le militaire est dans la ville haute, dont la position naturelle, entouree de montagnes, et les fortifications qui y ont ete ajoutees, font une ville de defense du second ou du troisieme ordre. A Quebec il paralt que la presence du gouverneur general et la grande quantite d'offi- ciers et de personnes employees pour l'ar mea domient dans la societe la preeminence au N 4 tuS ( SOO ) ttiilitaire; elle est a Montreal pour le negociant. La classe des Canadiens gentlemen habitant les villes est plus pauvre que celle des Anglais, que de bons emolumens ou de grandes affaires y ont amenes. Ils vivent generalemerw entr'eux, et comme ils depensent moins que les Anglais , ceUx-ci leur patent le caracterfB d'avarice et de vanite , que les autres lemB rendent d'une autre maniere sans doute. Le» negocians anglais sont riches, et ce qu'ils ap>B pellent hospitaliers, Les mceurs anglaises pour les ameublemens, les repas, etc. prevalent dans les maisons anglaises; quelques families canadiennes plus riches, et tenant a l'administration , les okfB aussi adoptees. Les autres families canadiennesB aisees ont conserve les mceurs frangaises. Le commerce du Canada emploie environ trente batimens pour ses importations et ses exportations. C'est settlement avec l'Angle^B terre et par elle qu'il a lieu ; un etat de la douane pour 1786, qii'a obtenu M. Guille- mard , porte les exportations a 325,116 liv. monnaie d'Hallifax, et les importations dans' dans la meme annee a 243,262 ; il y avait des- lors une assez grande quantite de grains ex- ( 201 ) portes. Elle est siirement accrue aujourd'hui, et par l'augmentation quelconque de la culture meme du Bas -Canada^ et par la plus grande augmentation de celle du Haut. On estime aujourd'hui a 4>ooo boisseaux la recolte generate en bled du Bas - Canada , qui en consomme les trois quarts. Le commerce des fourrures a son principal entrepot a Montreal. Je place a la fin de cet article quelques renseignemens certains sur ce commerce, ex- traits d'un journal dont la verite m'est assume. La navigation du fleuve Saint-Laurent est fermee par les glaces sept mois de l'annee. Une fabrique de fer aux Trois rivieres , et une distillerie uxes Quebec sont les seules manufactures du Canada ; encore sont-elles sur une tres-petite edielle. La manufacture de fer ne suffit pas pour fournir meme le Bas- Canada ; elle appartient a des negocians de Quebec et de Montreal, qui n'y emploient pas les machines usitees en Angleterre pour un tel travail. La mine se trouve dans les rivieres voisines , et eh grain sur la surface de la terre, elle est abondante et assez riche; elle est eonnue sous le nom de mine de St, Maurice; une vingtaine d'ouvriers, tous Canadiens , y sont bccupes; ils forgent le fer ( 202 ) en saumons, et en ustensiles de differentes especes, outils, marmites , etc. ; ils gagnent trois quarts de dollar par jour, et ne sont pasT nourris. La distillerie fait du whiskey , et un peu d'eau de genievre ; mais tout cela en petite quantite ; peu d'ouvriers y travaillent; ils y gagnent deux schellings par jour et sont nourris ; d'ailleurs les Canadiens fabriquent dans leurs maisons, comme les habitans des pays de derriere des Etats-Unis, l'etoffe ne- cessaire a leur famille. La religion dominante en Bas-Canada est la religion catholique ; les ministres en sont entretenus par les dimes , les donations et les biens acquis du clerge : toutes les eglises sont catholiques dans la province , et sont assez frequentees. par le peuple. Les ministres de la religion anglicane sont payes par le roi, ainsi que l'eveque protestant, qui est aussi eveque du Haut-Canada. Le culte de cette religion se fait dans, des eglises ou chapelles catholiques dotees a cet effet; et il n'a lieu qua Quebec a Montreal, a Saurel et aux Trois-rivieres. Dans les campagnes, le cuke est seulement catholique. Un couvent d'ursulines a Quebec et a Montreal, et un etablissement de sceurs de lacha- ( 203 ) rite pour le scin des h6pkaux et hotels-die a de ces deux endroks , sont les seules maisons religieuses de femmes qui restent dans le Canada; une partie des revenus des hotels- dieu, etait en rentes sur l'hotel-de-ville de Paris ; elles ont ete supprimees en vertu des de~ crets des assembiees nationales de France, et ce deficit dans leur revenu n'a pas encore ete remplaee'. Deux seuls moines recollets et un seul jesuite , restent des maisons nombreuses de ces ordres qui existaient lors de la conquete du Canada ; encore assure-t-on qu'un de ces recollets a ete regu a faire ses vceux depuis cette epoque, contre la clause du traite; et que le jesuite seul existant est plutot un pretre qui se dit jesuite, qu'un religieux de cet ordre. Les biens appartenans aux jesukes en Canada doivent revenir apres leur extinction a lord Amherst , en vertu d'une donation du roi d'Angleterre lors de la conquete ; et on assure que l'inimkie du lord Dorchester pour lord Amherst est la veritable cause de la jouissance laissee au faux moine usurpateur. Le revenu des jesuites est estime a i,5oo liv. sterlings. Le seminaire de Quebec est tenu parl'es- pece de congregation connue sous le nom de pretres de St. Sulpice de Paris, qui avant conquete du Canada entretenaient trois mai- ( 204) sons; une a Siam, une a Pondichery, et l'autre, a Quebec. Depuis cette epoque, le seminaire se renouvelle et s'entretient lui seul. Ses biens sont considerables , au moins en etendue, puisqu'ils contiennent environ cinquante a soixante mille acres: mais comme le seminaire ne peut pas aliener, et ne jouit de ces terres qu'en faisant des concessions , pour les- quelles on lui paie a-peu-pres une rente d'un boisseau ou d'un boisseau et demi de bled pour chaque 90 ou 100 acres en culture, le revenu qu'il en tire ne s'eleve pas a plus de 5oo dollars. Le moulin qu'a le seminaire sur ] l-'ile de Montreal , dont il est seigneur , lui rapporte davantage. Outre l'instruction thedogique donnee au seminaire , on y enseigne aussi le latin , et meme a lire ; ces soins sont confies aux jeunes ecclesiastiques qui etudient pour etre pretres, et qui sont ainsi dispenses de certains exer- cices, de certaines assidukes, sans lesquels ils ne pourraient pas obtenir leurs grades, s'ils n'etaient pas employes a l'instruction de la jeunesse. Cette maison est la seule ressource qu'aient les families canadiennes pour donner une sorte d'education a leurs enfans, qui encore n'a lieu qu'en payant. L'education d'ailleurs est nulle dans le Bas- ( 205 ) Canada; quelques basses ecoles sont tenues par des religieuses a Saurel et aux Trois-ri- vieres, quelques autres le sont ailleurs par des hommes, et encore plus par des femm.es qui se font payer; mais dies sont en si petit nombre, qu'un Canadien qui sait lire est une J espece de phenomene; et comme la plupart de ces ecoles sont entre les mains de reli- ;gieuses ou d'autres femmes , il en resulte , contre l'usage commun de tous les pays, que "le nombres des femmes qui savent lire est en Canada beaucoup plus grand que celui des hommes. On attribue au gouvernement anglais la vo- lonte de tenir le peuple canadien dans 1'igno- rance ; mais dans'ce point, comme dans celui de l'ameiioration de l'agriculture , dont j'ai parle plus haut, il aurait de grands obstacles a vain- cre, s'il voulait meme de bonne foi provoquer un changement en mieux. La feodalke est dans le Bas-Canada ce qu'elle etait avant la conquete. Les seigneurs , pos- sesseurs originaires des terres les ont alienees, ou les ahenent par concession, dont comme je l'ai dit plus haut, la rente est depuis un jusqu'a deux boisseaux de bled par an. A c'haque mutation, hors le cas d'heritage en ligne directe, le seigneur a deux pour cent ( 206 ) de droit; il a un douzieme en cas de vente , et le droit de retrait: il a seul le droit de ba-1 tir des moulins, et ces moulins ont droit de bannalite dans l'etendue de.sa seigneurie. Les moulins sont en si petit nombre, que souvent les fermes en sont eioignees de trente- six milles ; le prix de la mouture est par la I loi du quatorzieme, mais les meiiniers aussi i adroits dans le Bas-Canada qu'ailleurs , en 1 prennent par leur savoir-faire jusqu'au dixieme; j le blutage est fait par les fermiers a leur mai-1 son. Les moulins sont tres-multiplies pres Quebec et Montreal; il appartiennent au se-1 minaire. Les seigneuries qui se vendent donnent a la couronne un cinquieme du prix de la vente; I on congoit que tous ces droits sur les ventes les rendent tres-rares. Quant a la distribution de la justice , elle est la meme que dans le Haut-Canada; leBas-if Canada est. a cet effet divise en trois districts^ Les loix criminelles , les loix de commerce sont les loix anglaises ; les loix civiles sont la coutume de Paris,, avec les alterations que facte qui a forme la constitution du Canada et les loix faites posterieurement par la legislature, y ont apportees. Les dix-neuf vingtiemes des proprietes soumises au jugement des cours (207,) appartiennent aux negocians. Les crimes sont "txes-rares en Canada. Les cinq mille livres imposees l'annee derniere dans le Bas-Canada pour le paiement de la legislature, etc. sont levees par des taxes sur les boissons. Le climat du Bas-Canada est sec, extremement froid en hyver, mais le ciel y est toujours beau. Le thermometre descend en Janvier et fevrier.communement a vingt degres de Reaumur au-dessous de la glace. En 1790 il a descendu au-dessous de toute graduation, qui est a quarante, et le mercure est rentre dans la boule. En ete, les chaleurs sont tres- fortes pendant quelques jours, et le thermometre s'eleve a 24 degres ; il s'est eleve cette annee a 28; on observe que les chaleurs de l'ete deviennent annuellement plus fortes et plus longues , et les froids de 1'hy ver plus moderes ; ce climat est sain ; i!. y a peu de maladies epi- demiques ; l'exces du froid rend les cancers au visage et aux mains assez communs. La variation de l'aiguille aimantee est a Quebec de douze degres ouest. A Quebec et a Montreal il n'y a pas de municipalke incorporee ; la police de ces villes est faite par les juges de paix, qui fixent le prix dupain, qui ordonnent toutes les dis- -1 ( 208 ) positions relatives a l'appn&Yjisionnement de cette denree. Les juges de paix indipendam-"| -gpfent de cette police, tiennent todies les se- I maines une coHKou ils jugent Jespetits.deiits. | Les etablissemens charitables consistent en un hopital a Montreal, un a Quebec, un hotel-1 dieu a Quebec, tout cela est peu considerable, J -ettntar soigne, particulierement dit-on, quant au savoir des medecins. II n'y a de bibljotheque puhjique, dans tout le Canada, qu'a Quebec ; elle esfe petite ,,;eB i generalement composee de livres frangais. OnB est etonne d'y voir les ouvrages des assembiees nationales de France, quand on connailB les dispositions politiques des directeurs. de cette bibliotheque. Elle est entretenue pajB souscription. II n'existe, dans tout le Canada, aucune so- ; ciete savante; on n'y connait pas trois hommesB qui s'occupent des sciences pour leur propre compte. A l'almaiiach de Quebec pres , il ne s'imprime pas un seul volume dans tout le pays : les observations meteorologiques y sont faites avec soin par le docteur Knott, ■ anedecin de larlmee , homme reellement savant, mais elles le sont pour sa propre satisfaction, f/sjiiisira Le prix des comestibles est beaucgup plus bas ( 209) bas dans le Bas-Canada que dans les Etats- Unis ; le bceuf y vaut trois a quatre sols la livre , le mouton six, le veau cinq , le pore ■sale huit a douze , le dindon un schelling et •demi ou deux schellings et demi, le poulet six a huit sous, le bled six a sept schellings le boisseau, 1'avoine trois , le mais de cinq a sept le boisseau, le minot de sel un dollar,, ( le tout argent de Canada , a cinq schellings par dollar) la livre de pain deux sous, celle du beurre huit sous ; le prix de la journee d'un ou- vrier commun est de deux schellings six sous, celle des femmes est de la moitie; tout cela en ete, l'hiver la moitie moins : les gages d'un domestique male sont d'environ cinq dollars par i mois; le prix commun du loyer d'une bonne (maison, est de i3o dollars a. Quebec, de i5o ifcqMionitreal. J'ai parle du prix des terres. Les marches de Quebec et de Montreal, $ont mediocrement approvisionnes en compa- raison de ceux des grandes villes des Etats-Unis. M. Guillemard donne precisement aux Canadiens , dans son journal, le meme caract6re dont j'ai parle plus haut. La premiere classe, eomposee des seigneurs et des hommes attaches : au gouvernement anglais, haissent la revolution francaise dans tous ses principes , tfsara Tom plu 21. r c 210) ministere anglais lui-meme. La seconde classe des Canadiens , opposes aux seigneurs et aux [ seigneuries , aiment la revolution frangaisjB| et quant a ses crimes, ils les detestent sans cesser d'aimer la France. La troisieme, c'estill dire la derniere classe , aime la France et les Frangais, sans penser a la revolution, et sans en rien savoir. Lord Dorchester passe pour un bon homme, mais avec toutes les vanites d'un parverrfiM que sa femme stimule d'autant plus qu'etant beaucoup plus jeune que lui, elle veut avoir au moins la jouissance de l'orgueil. Les pretres sont en Canada, ce qu'ils sont presque par-tout; intrigans , bas , ado* rateurs et soutiens du pouvoir arbkraire™ parte qu'il peut donner au clerge , et etendre son influence, et que, comme l'eglise, il ne permet ni reflexion ni raisonnement. Les settlemens , comme je l'ai dit, ne sont qu'une large bande , depuis un jusqu'a sept a huit milles, des deux c6tes du fleuve ; tout ce qu'il y a de terres non possedees, appar- tient a la couronne, prete a en donner a qui en voudra; mais en donnant peu, parce que le nombre des demandeurs est peu considerable , et parce qu'elle y met des formalkes et des reserves qui les degoutent. C'est de la ( 211 ) houvelle Angleterre qu'arrivent le petit nombre de nouveaux settlers. Quelques villages d'Indiens se trouvent sur le bord de la route de Johnstown a Quebec , sur le lac St.-Pierre, et pres des villes de Montreal et Quebec. De ce nombre est Laurette, a cinq milles de cette derniere ville. Les Indiens de Laurette sont arrives au dernier degre de la civilisation, au moins, dit-on , pour la corruption des mceurs. Aucuns des autres villages, plus ou moins avances dans le meme genre, ne le sont au meme point que Laurette. Les Indiens , habilies les jours de travail en canadiens , vetissent leur habit original chaque fete ou dimanche ; d'ailleurs, ils cul- tivent comme les blancs, sont loges et vivent de meme , et parlent le meme langage; tous sont catholiques et ont parmi eux un cure attache a chaque village. Les etablissemens un peu plus reellement indiens, sont tres - recuhis , et ne sont pa3 nombreux. En descendant le fleuve St.-Laurent, le pays est schisteux, et plus loin, dans le voisinage d'un district connu sous le nom de Thousand-Islands , on trouve une chaine de gra- nks. Toutes ces iles semblent etre composees d'un granit rougeatre j bien crystallise, dont O 2 1 1 v ( 212 ) le feld spath est l'ingredient le plus conside*| rable. On voit & Kadanoghqui, entre Kings-* I ton et Thousand-Islands , quelques especes de steatite, dont on assure qu'il y* a de larges veines dans le voisinage. Dans le granit rou- I geatre de Tousand -Islands , on trouve des i veines d'un granit plus parfait , a plus gros grains, ce qui est tres - commun dans des pays formes de cette espece de rocs, comme I ) les Alpes , les montagnes de l'Ecosse et autres I moins considerables, mais de la meme nature. La rapidite avec laquelle M. Guillemard a descendu le fleuve St.-Laurent , l'a empedie I d'observer la nature des pierres qui le bordent. A Montreal cependant, il a pu mieux exa* miner la mineralogie du pays. Ce pays au nord du St. - Laurent , est pricipalement de pierre a chaux. Au sud , ou est situe le village de la prairie, il n'y a gueres que des pou- dings qui ressemblent beaucoup a cette espece - de roc quartzeux, connu en Angleterre , sous le nom de chert. L'ile de St.-Heiene , un peu au-dessous de Montreal, est de cette espece de roc. Sur les rivages, il y a d'immenses masses de granit, de rocs quartzeux et de poudings , qui sem- blent avoir ete detaches' des Iks auxquels ils appartenaient, et qu'il est a present impossible ^1 ( 2l3 ) dedecouvrir. Le soldelamontagne estriche et fertile , rempli de carrieres de pierre a chaux. On dit qu'on y a trouve du charbon de terre. Les maisons, a Montreal , sont la plupart baties d'une pierre a chaux d'une couleur fon- cee, tres-compacte ; elle devient blanche au feu, et grise lorsqu'elle est exposee au soldi et a l'air. La riviere Sorel, apres avoir quitte le bassin de Chambly, mouille le pied d'une large et haute montagne appeiee Bel-ceil; entre cette riviere et le fleuve St.-Laurent, est une plaine immense: sur cette plaine entierementunie , il ne se trouve point de rocs , et presqu'aucune pierre. En creusant, on trouve jusqu'a une pro- fondeur considerable, des sols de differentes especes; du sable, de l'argile, ( clay) de la terre vegetale, et dans beaucoup d'endroits , une autre mati6re vegetale noire, resserablant beaucoup a une espece de tourbe appeieeijes^tfi Le sommet de la montagne de Bel-ceil est d'un granit gris fonce , et a gros grains. II contient peu de mica, mais une assez grande quantite de schorl noir. Les cotes du sommet sont composes principalement d'un schiste gris noir , et tres - compact , dont quelques 'parties ressemblent par leur forme et leur grain a du basalte. 03 ( 2l4) En descendant le Sorel, il n'est presque pas possible de voir de rocs ; a Sorel meme, qui est aujourd'hui appele W^illiam Henry par les Anglais, les bords sont en argile fin, I plein de mica ( Friec micaceous loam J. En passant a travers le lac St.-Pierre, pour aller aux trois rivieres , les terres s'eievent en terrasses d'une maniere frappante , mais I on voit peu de rocs. Les bords sabloneux des I trois rivieres , montrent un pays epuise par I la culture , et prive de la mince couche de ]t terre qui fournissak a la vegetation. Heureu- eement, on a decouvert sous le sable une marne bleue qui a rendu la fertilke au pays. ■. Cette marne est d'un grain fin, tres-compacte I et legere, et elle se trouve a la surface de la I terre, au dessous de la ville des Trois-rivieres. A quelques milles , dans linterieur, sont les seuls fourneaux etablis dans le Canada ; le minerai se trouve dans differens endroks du voisinage. C'est du Bog-ore, et on dit que le fer en est tres-bon. On rencontre la pierre calcaire jusques au promontoire de Quebec. On ne sait a quelle distance elle s'etend au-dela; elle est de qua- lites et de formes differentes, quelquefois tres- dure et compacte, d'autrefois presque dans 1'etat du spath calcaire. Sa couleur est variee ( 2l5 ) par degres d'un clair-brun rougeatre, jusqu'^i un bleu fonce et meme noir. Au sud du fleuve St.-Laurent, a la chute de la chaudiere, on trouve encore de la pierre a chaux; mais les couches les plus communes sont un schiste noir, argilleux, a grains fins , dans lequel sont entremeies des lits de pierre calcaire. II y a dans ces lits beaucoup d'une -matiere rouge, tendre, argilleuse. Les pierres rouiees sur les bords, sont de la meme nature que les couches adjacentes, melees avec plusieurs especes de schorls et de granits, qui doivent venir des pays plus hauts. Le rocher sur lequel est,la citadelle de Quebec, est appele rocher de diamans, parce que dans beaucoup de ses cavkes et crevasses, il y a des crystaux de quarz, que l'ignorance a pris pour des pierres precieuses. Ce rocher est compose en plus grande partie de couches oalcaires. La pierre est en general tres-com- pacte, et de couleur d'un gris fonce. Sur la plaine au-dessus, appebie la plaine d'Abraham , on voit encore des pierres a chaux etde grandes masses de granits eparses et remarquables parce qu'elles contiennent beaucoup de schorl. Les pierres , sur la riviere , sont de differentes especes de gees, pierres sabloneuses,, granits, quartzs , et 04 ( 2l6 ) quelquefois de schistes et pierres calcairftiB 'A Wolfslove, les couches sont d'un schis^B noir, formant un angle tres-Ouvert avec l'bo- rison. Les couches, autour de Quebec, sont ertf| general plus perpendiculaires a la surface de la/J terre, que dans les pays plus a Fouest. On dit que les hautes montagnes, au nord-ouest de I Quebec , sont de granits. M. Guillemard ne leal a pas vu ; a la chute de Montmorency, et un>*| peu plus haut encore sur cette riviere , les couches sont de pierres calcaires, et leur di-J rection est presque paraliele a l'horisoiji1-' Renseignemens sur le Commerce des Pelleteries, extraits d'un Journal de M. le Comte Andriani, de Milan , quia voyage dans Vinterieur de l'Amerique en 1791. Les places les plus importantes pour le commerce des pelleteries , sont: Niagara, lac Ontario, Detroit, lac E Michillimakinak, lac Huron pelleteries melees. JvHcfirptc AJampScon Grand port (217) On appelle pelleteries fines les peaux de castor, celles de loutres, de martres et de chats\\ sauvages. On appelle pelleteries melees, celles com- posees du melange de ces especes fines \\ et d'une plus grande quantite encore de peaux de loups, de renards, de buffles, de daims , d'ours , etc. Les pelleteries les plus fines se recueillent au nord-ouest des lacs , dans le territoire anglais ; elles deviennent plus grossieres en s'ap- prochant davantage des lacs. Ce commerce general des pelleteries se fiak par la compagnie connue sous *le nom de la compagnie de nord-ouest, et par deux ou trois autres petites associations. La compagnie de nord-ouest, qu'on regarde generalement comme une compagnie priviie- giee, n'a cependant point de privilege; c'est a la grande masse de ses fonds, a la force de son association , aux efforts et au monopole qu'elle a faits en consequence, qu'elle doit la superiorke de ses succes. Son organisation actudle date de 1782; elle fut commence par la reunion de quelques- uns des principaux negocians, habitues a faire le commerce au-dela du lac Wiiinipey ,^et l>articulierement de MM. Forbisher et Mac* 1 (m) lavish , demeurant a Montreal. Les success de cette compagnie eveillerent l'avidite de quelques autres negocians qui n'y etaient pas compris, et bientot il se trouva au grand portage trois compagnies differentes , qui se dis- putaient la preference des achats , et dont la rivalke ruineuse pour chacune d'elles tourna au profit des Indiens vendeurs. La compagnie du nord-ouest, plus riche en moyens, les em- ployatous pour faire tomber les deux autres;* tout fut mis en jeu ; seduction, corruption des agens de ses rivales, et jusques aux hos- tilkes commises par ses propres agens contre ceux des deux autres compagnies. Cette petite guerre qui couta la vie a plusieurs hommes , et beaucoup d'argent a ces differentes asso-B ciations , leur ouvrit les yeux a toutes; elles sentirent la necesske de la reunion , et la compagnie de nord-ouest etant plus interessee que les autres a assurer la tranquillke de son commerce, fit des sacrifices pour l'obtenir ; elle s'associa plusieurs membres des autres compagnies , donna des intents gratuits dans son commerce a quelques autres, et s'assura ainsi par un accord commun le commerce exclusif dela partie du nord-ouest au-dessus des lacs, seul point ou se trouvent en abondance les pelleteries fines. ( 2ig ) Autrefois plusieurs milliers de sauvages ap- portaient eux-memes au grand portage leurs pelleteries. Aujourd'hui la compagnie envoie ses agens dans l'interieur des terres jusqu'a la profondeur de mille milles , et il arrive que ces agens y restent quelquefois deux ans avant de revenir au grand portage avec leurs achats. La compagnie emploie environ deux mille personnes pour ce commerce interieur , et le pays est si sterile, que tout ce qui est ne- cessaire au vetement et a la nourrkure de ces employes est tire de Montreal, avec des diffi- cukes considerables et a un prix exhorbitant^ qui en est la suite necessaire. Le grand portage qui est le point de reunion de tous ces agens et le centre de ce commerce , a un fort en tres-bon etat et bien garde par cinquante hommes. Le poste de Michilimackinack est le point de reunion du commerce des differens marchands du Canada, qui ne sont point dans la compagnie de nord-ouest; leurs agens ne tra- fiquentque dans les parties ouest et sud-ouest des lacs , pays ou les fourrures sont moins belles; ils trafiquent par les memes moyens que la compagnie de nord-ouest; seulement comme les fonds de ces petites associations (220 ) Sont moins considerables, leurs employes- se portent moins avant dans le pays. Les expeditions partent de Montreal "en juin et emploient environ six semaines pour se rendre au fort du grand portage ; il faut quelB ques jours de moins pour arriver a celui de. Michilimackinack; ils partent de Montreal en canots par caravannes de huit a dix, et ils vont a leur destination en suivant le fleuveB St. Laurent depuis la Chirte jusqu'au lac den deux Montagnes , remontant la riviere Uta- coha, par elle au lac Nipissin, et de-la pan la riviere des Frangais dans le lac Huron, et au fort Michilimackinack, puis a celui du grand portage. Cette route est plus courte de cent milleB que celle, par les lacs , mais elle rencorittffiB trente-six portages , dont un grand nombre sont au travers des rochers, par lesquels les bateaux et les chargemens doivent etre porte«| a dos, et avec les plus grandes precautions, tant ces passages sont etroits. Les canots ne portent que quatre tonneaux; il faut neuf hommes pour le service de chacun d'eux ; ils couteiiiB vingt-huit louis d'achat, et ne peuvent plus reservir. Par la route des lacs les batimens employes sont du port de 120 a i3o tonneaux, ou ce ( 221 ) sont des bateaux plats qui en portent quinze et qui sont facilement conduits par quatre ou cinq hommes; ces bateaux peuvent durer long-tems. Malgre les avantages de cette derniere navigation , l'autre route est preferee pour le commerce des pelleteries, parce que, quelque pleine qu'elle soit de difficukes , on connait en la suivant le jour de l'arrivee et celui du depart , certitude que les vents ne laissent jamais sur les lacs, et qui est pour les nego- ciafos du Canada la plus essenfielle condition, car il ne leur faut manquer ni l'epoque de la reception des peaux de l'interieur, ni celle de leur expedition en Europe ; et le tems de l'ouyerture de la navigation du fleuve S.Laurent n'est pas de longue dmee. C'est vers le mois de juin que les agens des compagnies envoyes dans l'interieur pour trailer avec les Indiens, font amener leurs achats au point de reunion de leur compagnie. A Michilimackinack il se trouve souvent a cette epoque un rassemblement de plus de mille personnes , tant en caravannes venant du Canada pour recevoir les pelleteries, qu'en agens des compagnies et en Indiens qui les aident a rapporter leurs achats. Comme le commerce, de la compagnie nord- ( 222 ) ouest est beaucoup plus considerable que celui des autres , la reunion au fort du grand portage , dans le tems de la deiivrance des peaux, est aussi beaucoup plus considerable; elle est souvent de plus de deux mille personnes. La maniere de traiter avec les Indiens pour leurs pdleteries , employee par les agens, est de commencer a les enivrer a force de rhum , afin d'avoir plus d'avantages dans les marche^B Les agens ne vont gueres faire la traite que dans les villages ou il n'y a pas deja d'autres traitans; puis ils font leurs marches ainsi quBI a ete dit precedemment. II est a observer qu'une ancienne loi de France , lorsque le Canada lui appartenailM defendait aux traitans sous peine de galer|S| de vendre du rhum aux Indiens ; de-la l'usage est reste que les traitans donnent toujours leur rhum ; ce qui cependant n'est pas sans exception , car beaucoup aussi en vendent. Les 1,400 paqiiets de pelleteries fines eva- lues a 40 liv. sterl. chaque, d'apres le prix qu'en recoivent a Montreal les petits marchands. qui en recueillent en petite quantite, valent a Londres a la compagnie 88,000 liv. sterl. ; car toute celle quantite tkee par elle du grand portage, est envoy ee en Angle terre; cette quantite de 1400 paquets de pelleter^H (223 ) fines forme environ la moitie de la quantity totale de cette espece qui sort annuellement du Canada, en n'y comprenant pas cependant ce qui s'exporte de Labrador, de la baie des Chaleurs, et de Gaspy. La compagnie de Nord-ouest depense pour obtenir ces 1,400 paquets, 16,000 liv. sterl. pour achats en Angleterre des. marchandises d'ediange propres a faire le trafic des pelleteries avec les Indiens , et pour le prix de leur transport d'Angleterre a Montreal; mais comme en general toutes les depenses qui sont faites en Canada pour ce commerce, se comptent en argent de France , il faut reduire ces 16,000 liv. sterl. en cette monnaie, ainsi que l'a fait M. le comte Andriani dans son journal: ainsi, 1°. Achat des marchandises en Angles terre 354,ooo I. a°. Gages de quarante guides, interpr^tes , chefs des expeditions (*) 88,000. So. Gages de 1100 hommes employes a la traite interieure, et qui hivernent sans jamais descendre a Montreal, a raison de 18001. pa'r tete 1,980,000. "I (*) Chaque Equipage de hu m guide-chef k chaque po font Canndien*; chacua & zi 1 ( 224 ) De l'autre part 2^1,000 ' 4°- Gages de 1400 hommes employes pour monter avec les canots , et descendre du grand Portage a. Montreal, et de Montreal au grand Portage ,. pour la conduite des marchandises, a raison de 25o 1. par tete 55o,ooo.- 5°. Le prix des vivres qui se consomment pendant les trajets entre Montreal et le grand portage, et au grand Portage m&me, estime par un terme moyen annuel 4;000- Total des depenses occasionnees a la compagnie pour obtenir les 1400 pa- quets de pelleteries fines du grand portage 2,776,000. Les 88,000 liv. sterl. produites a Londres I de la vente de ces pelleteries, comparees avec I les 2,776,000 liv. de France pour les frais , etabliraientpourlacompagnieuneperte depres de 600,000 liv. tournois. Mais void le secret. Les gages des hommes employes comme il est dit ci-dessus ne sont reels que sur le papier ; car a l'exception des 4° guides et des 4oo hommes employes a monter et descendre des canots, lesquels regoivent la moitie de lenr argent effectif, tout le reste des gages et aussi la seconde moitie des employes ci-dessus est payee en marchandises, don,t la vente au grand ( 225 ) grand portage donne un benefice de 5o pour cent. L'espece de marchandise importee pour cette traite, et pour cette valeur de 354,ooo ci-dessus mentionnee , sont des couvertures de laine , des gros draps , des rubans de fil et de laine de diverses couleurs, du vermilion, des bracelets de porcelaine , des ornemens en argenterie, des fusils, du plomb, de la poudre, et sur-tout du rhum. Au fort du Detroit, ces articles sont vendus trois fois le prix cou- rant de Montreal, au fort Michilimackinack quatre fois , au grand portage huit fois, au lac Winnipey seize fois ; et plus haut le prix en est fixe arbitrairement par les chefs traitans. Comme les employes sont payes en marchandises , on comprend par le prodigieux profit que fait la compagnie sur leur vente», combien les salaires lui coutent peu. Tous ces employes achetent d'elle leurs besoins ; celle-ci tient avec eux un compte ouvert, et comme tous hivernent dans l'interieur et g6- neralement au - dela du lac Winnipey , le rhum qu'ils boivent, les couvertures et les draps qu'ils donnent a leurs femmes, etc. etc. leur reviennent fort cher. Ces employes sont generalement libertins, iyrognes, depen- Tome IL ( 226 ) siers ; et la compagnie n'en veut que de cette espece. Telle est la speculation sur leurs vic§» que tout employe qui temoigne dans sesd|B positions economie et sobriete, est charge des travaux les plus fatigans, jusqu'a ce que par une suite de mauvais trakemens on ait pu le convertir a l'ivrognerie et a l'amour des fe^B mes, qui font vendre le rhum, les couvertures et les ornemens. En 1791 il y avait neuf cents des employes de la compagnie qui lui devaie^B plus que le produit de dix a quinze annees de leurs gages a venir. Telle est succinctement la conduite de cette compagnie, a la tete de laquelle sont touiouj|B MM. Forbisher et Mactavish , qui dans IeB quarante-six actions dont elle est composee en possedent vingt-quatre ; le reste etant donne par beaucoup de subdivisions a d'autres marchands de Montreal qui s'emploient aitlM affaires de la compagnie, ou qui meme comme je l'ai deja dit, sont entierement etrangers a sa conduite. La duree de la societe de la compagnie de Nord-Ouest est de six ans; epoque a laquelle les dividendes seront comptes a chacun des actionnaires, les profits jusques-la rentrant dans la masse. (n) Pro dull du commerce general des pelleteries. Le montant total des pelleteries qui s'exportent du I Canada, peut s'evaluer a 88,000 liv. st. produit du grand portage par la compagnie de Nord-ouest.... 88,000 1. st.j Des postes de la baie des Chaleurs, de Gaspy et de Labrador 60,000.; De divers postes dans l'interieur, dont le commerce est conduit par un certain nombre de marchands , et dont le point de reunion 1 est MichilimacMnack 60,000. Tot .u 208, De tout ce grand commerce de pelleteries, celui qui sd fait au-dessous des lacs par les petites compagnies va appartenir de fait aux Etats-Unis en vertu du traite avec l'Espagne , qui ouvrant le Mississipi donne le debouche le plus prompt, le plus sur, le plus economique a toutes les marchandises, et leur facilite par la Nouvelle-Orieans l'entree de tous les marches des Etats-Unis. II est a presumer encore que quelques marchands americains se me- leront aussi du comm6rce*de$ pelleteries fines, et.leur donneront une direction vers le sud, beaucoup moins dispendieuse pour quelques- uns des points ou l'on peut les obtenir , que le debouche de Montreal par les lacs. Le P 2 ( 228 ) tems et les succes des premieres tentative^ pourront seuls faire connaitre de quel profit sous ce rapport l'Amerique pourra priver I'Angleterre. yaleur des marchandises de la Province du CaYiada t dans le courajfflk ^ae Vannie 1786. Une livre sterling est de 20 schellings; cinq schellings font une piastre forte ou dollar. Froment, 103,824 boisseaux , eyalue a 20,764 liv. seljM Farine , 10,476 boisseaux, a 12,571. » Biscuit, 9,317 quintaux, a 6,o56. » Semence de tin , 10,171 boisseaux, a 2,034. 4, lAvoine, 4>oi5 boisseaux, a • • 5i6. » Pois, 3o4 boisseaux, k '. 62. 16. Bois de construction 706. » Mats pour des vaisseaux , inerains, douves , essentes, planches 3,262. » • I Potasses 1,724- w I Capillaire 186. » Chevaux, 67 a 670. » .Ginseng 1,200. » 4.3,762. » 'Ci-contre Tfefl&z} Essence de spruce pour bierre,.... 211. Shook-casles 5i6. Banala, 1,984 cjuintaux, a ...._„.... i,a8gj Saumon %■ 759. Pommes de terre 55. Saumon fume | 68. Oignons. 3oo. Pore 376: Boeuf aio. Huile de poisson. 3,700. Poisson sale" et pelleteries de la cote de- Labrador , de la baie des Chaleurs et de Gaspy, suivant le retour envoye par le gouverneur Coxe .-.... 60,000. Evaluation des pelleteries provenant 'des grands lacs de -la compagnie de Nord-ouest r et autres postes, suivant le detail ci-dessous 225,977.* Total 343,214, Taleur declaree dans les douaniss du Canada. ( 250 ) Detail des sortes de Pelleteries exportees\\ du Canada, en 1786. 6,2i3 Renards. 116,623 Castors. 23,684 Loutres. j 5,969 (Mink.) 3,958 (Fisher.) '17,710 Ours. i,65g .Oursins 126,794 Daims en poil.. 202,719 Chats musques. io,854 Racoon. 2,977 (Open-eat.) 5,70a (Cased-cat.) 7,-555 Elk. 12,92-3 Loups.- 5o6 Jeunes Loups. 64 Tigres... i57 (Seals.) 480 Ecureuila. Quoique un grand nombre de casualkes da'nM la chasse , dans le tems, dans la disposition des sauvages, doivent produke des differeWcejM dans la quantite des pelleteries obtenue an- nudlement, le resultat des cinq annees; qui ont suivi 1786 est a peu-pres le meme; ce qui est assez etonnant dans un commerce qui s'e- tend~depuis le Labrador jusqu'a trois ou quatre cents lieues du lac superieur. (m ) Valeur des marchandises importees dans la Province, la meme annde 1786, prouvce par les livres de la douane. Bhum 63,o32 liv. st. Esprit-de-vin 225. » Melasse 2i,58o. » Cafe 2,o65. .*?>».[) Sucre 5,269. » "Vins d'Espagne..... 01,288. » Tabac i,3i6. » Sel... 2,91a. » Chocolat 129. » Total 127,616. » Une evaluation exacte de la valeur des marchandises s6ches, n'ayant pas ete reguliere- ment tenue , elle fut etablie en vertu d'un ordre du lord Dorchester, par les negocians, &apre.s la moyenne de quatre annees, comme il suit: Montant de la somme ci-dessus 127,616 liv. st. Marchandises pour Quebec 99-700- * Idem pour Montreal 97>8°°- » . Total de Importation 325,116. » Exportation 043,214. 9. Avantage en faveur du Canada 18,098. 9. P4 ( 2.32 ) Outre les importations ci-dessus, il fatfB calculer la valeur de 6709 barrils de pore sale et 1674 petits barrils de beurre de 5o a 60 liv. pesant, pour l'usage des militaires. Les annees suivantes, 1787, 88, 89 etgo, ont ete a peu-pres egales a 5 ou 6000 livr^B plus ou moins. Je repete , en finissant ce compte Succh-M du commerce du Canada , qu'il est la copfM fideie du journal de M. le comte AndriariilB dont un de ses amis , a qui il l'avait communique , m'a bien voulu permettre de fairjB usage ; les lumieres , le caractere de M. le comte Andriani, et la facilke que les ordres du gouvernement anglais lui ont procured pour ses recherches , me donnent une grande confiance dans les informations qu'il a recueil- lies ; je n'ai pu les verifier moi-meme ; et l'on sent que les quantites et les prix ont pu rece- voir quelqu'akeration depuis l'epoque ou il ecrivait. Depart d'Oswego. Le dimanche 26 juillet, lendemain de notre arrivee a Oswego,' averris par les officiers que le tems de la moisson rendait les passages des bateaux americains moins frequens , et que ( 233 ) probablement nous en attendrions un plusieurs jours , et apprenant aussi que la seule autre chance que nous eussions etait d'aller chercher a pied , a douze milles plus loin, la pos- sibilite douteuse que les settlers qui y etaient etablis , nous fourniraient un bateau , nous etions combattus par Vim-patience de quitter les possessions anglaises, et par l'effroi de la grande depense que nous couterait un bateau, loue pour nous seuls, lorsque du haut du bastion nous en avons decouvert un le long des cotes. Les soldats a qui la haine et le mepris des Americains sont enseignes comme l'exercice , voyant notre attention a considerer cette arrivee , et n'en sachant pas le motif, nous disaient : « oh ! ce n'est 3> rien, c'est un bateau de ces damnes de ■» yankees » , et c'etait precisement un bateau de yankees que nous desirions. Ce bateau amenait M.. Vanallen , americain , habitant des environs d'Albany , qui, bientot apres , est monte au fort poor y-demander quelques nourrkures fralches , afin d'achever de se re- mettre d'une fievre intermittente qu'il avait altrappee dans les bois. Iln'y a point de taverne au fort, par consequent, point de moyen. d'acheter ; les officiers , avec un peu de bonne disposition, auraient bien pu aider de quel; ( 234 ) ques legumes ce pauvre vaietiidinaire ; mais aider un Yankee , il n'y a jamais de necessitelBJ ni meme de convenance pour un officiefB anglais. Tout desappointe qu'a ete M. Vanallen , de ne point trouver a Oswego les secours qii'iiB esperait pour sa convalescence, il ne nous en a pas moins promis deux places dans son bateau ; mais il ne devait se mettre en voyage pour Albany que le lendemain , meme peut-etre deux ou trois jours apres , selon qu'il serait rejoint par trois autres bateaux qu il attendait, et qu'il retournait chercher dans le lac , a un rendez-rous donne. Nous avons done vu un moyen sur de quitter Oswego , et Fardeur que nous avons mis a le chercher ne laissak a nos botes aucun doute sur rtotre empressement. Cette securite nous a inspire de la patience ; les officiers anglais,' beaucoup plus genereux pour nous que pour le Yankee , ont voulu absolumentnous donner des provisions ; ils l'ont fait avec une libera- Ike egale a toute la bienveillance qu'ils nous avaient deja montree. Cependant deux jours entiers s'etaient deja passes depuis notre arrivee , et le troisieme' commencait a nous peser beaucoup , quand le matin reste seul au fort pendant que les offi- (235) tiers et du Petit Thouars avaient ete a la chasse et a la .peche , braquant ma lunette sur la cote , d'ou j'attendais notre-deliyfance , j'ai vu parattre deux bateaux ; mes paquets ont ete promptement faits , mes provisions xassemblees ; c'etoit M. Vanallen ou quel- qu'autre qui prenait la route des Etats-Unis, et nous etions decides a saisir la premiere occasion. C'etait e^fe^tivement M. Vanallen ; un seul de ses bateaux l'avak rejoint et il s'etait determine a ne pas attendre les aktres : mais il etait midi , ces bateaux etaient tres-charges; un rapide a passer a deux milles d'Oswego , devait employer assez de tems pour qu'il ne put pas raisonnablement esperer d'aller loin dans la journee; il nous proposait de le re- joindre a pied le lendemain- matin vers quatre heures ; nous avons prefere d'aller le soir /meme partager satente, et alors bien surs de quitter Oswego dans l'apres-midi, nous nous sommes livres plus a notre aise que nous ne l'avions fait encore a la reconnaissance , al'ai- sance , a lacordialite avec les officiers Anglais, de qui , en verke nous ne pouvions jamais assez nous louer ; ils ont pousse les procedes jusqu'a vouloir nous conduire a notre glte, et ils nous ont donne en nous quittant des te- moignages d'interet que nous ayons reeus ayec (236) la sensibilke que redlement nous eprouvions, Puissions-nous jamais trouver une occasion de les trailer aussi bien que nous l'avons ete d'eux. Les moustiques qui nous ont passablement tourmente , ne nous ont pas cependant fait regretter le parti que nous avions pris de venir ' trouver M. Vanallen, et tout en nous grat- tant et ne dormant pas, nous avons joui de - n'etre plus sous la ferule de son excellence '' M. le gouverneur general de tous les Candidas. RETOUR D U HAUT-CANADA. J U S Q U'A BOSTON. Route puis Oswego jusqu'auoc Chutes. JM ou s nous sommes mis en route au lever du soleil; nous n'avons pu cependant.faire dans toute notre journee plus de dix milles ; la navigation de la riviere d'Oswego est aussi peni- ble que navigation puisse etre ; presque jamais assez d'eau pour pouvoir aller meme a l'aide des perches. Il est vrai que nos deux bateaux etaient charges chacun d'environ un tonneau et demi, et ils n'avaient chacun que trois hommes pour la manoeuvre ; le notre etait de plus aide par duPetk-Thouars qui poussait a la'perche aussi constammenf que les autres ; qui, comme eux > a passe plus de trois quarts de la journee dans l'eau a soulever le bateau , pour le faire passer , avec un peu moins de difficuke, sur les rocs dont cette riviere est "fr II 1 ( 258 ) remplie, et dont aucun autre moyen ne nous aurait tire. Dans cinq ou six passages les efforts I separes de nos equipages n'etaient pas suffi- i sans; il leur a fallu se reunir pour mettre sue- % cessivement nos deux bateaux en mouvement. I On dit que des bateaux moins charges passentl avec moins de difficuke , que sur-tout en des-1 cendant, le courant aide beaucoup a en sortir ; qu'en automne, et plus encore au printems 9 la plus grahde abondance de l'eau rend nulles I presque toutes les difficukes qui, aujourd'hui , I nous arretent, cela se peut; mais une naviga- I tion qui n'est aisement pratiquable que pen- . dant deux mois de l'annee , qui ne Vest qu'en I descendant, et qui est la seule aujourd'hui I connue pour faire sortir des Etats-Unis toutes I leurs productions , et pour y amener toutes les I denrees qui viennent et viendront des lacs, ne peut certainement pas rivaliser avec celle du fleuve Saint-Laurent; toute imparfaite qu'elle est. Sans doute VEtat de New-Yorck, dans le terrkoire duquel est cette navigation, et a qiuJH elle est d'un plus grand intent qu'a aucune autre , reunira tous les moyens possibles pour la rendre facile ; on assure meme que la legislature s'en occupe serieusement; mais a quel point cette importante tache est-elle possible? Voila ce qu'un long et profond examen des ( 23g ) difficukes peut seul faire connaitre. II suffif. d'y passer, pour etre sur qu'elle presente de grands obstacles. Cette journee ne nous a rien montre d'inte- ressant; aucun settlement depuis Oswego jus- qu'aux Chutes. On passe aupres d'une ile qui conserve le nom d'un officier francais Brescrit qui, dans la guerre de sept ans , y a remporte un avantage sur les Anglais et les Indiens combines ; cette ile, comme tout le reste du pays que nous avons traverse , n'est que bois. A deux milles en avant des chutes est une maison occupee par Van Verberg, hoilan- dais , accuse dans le pays de denoncer a la garnison du fort la contrebande qui se prepare pendant la nuit, et d'etre aussi espion anglais pour les deserteurs. Cette opinion que d'apres ce que nous avons entendu dire au fort , nous avons raison de croire juste, est si repandue , que l'annee derniere, sur les bruits de guerre entre l'Amerique et I'Angleterre , cet homme", pour ediapper a la vengeance de ses voisins se crut oblige de de-! mander asyle a la garnison. Au lieu ou la navigation est interrompue; nous nous sommes arretes chez William Shorten; il tient taverne , c'est-^-dire qu'il recoit dans la seule chambre dont sa maison 111111" - « (m) est composee , les voyageurs qui veulent y coucher, et qu'il leur donne du pore saleJ^B du rhum; ses moyens ne s'etendent pas phB loin. Nous sommes arrives neuf chez lui, perces jusqu'aux os , car la pluie avait mouillB ceux qui ne Vetaient pas pour avoir traine IjB bateau. Un bon feu nous a sedie successive ment; quelques tranches d'un jambon que nous avions apporte nous ont restaure , et du Petit Thouars et moi nous avons partage un mauvais lit; que nous avons trouve bon; la fatigue imperieuse m'a fait passer sur la grande repugnance que j'eprouve a partageB ainsi un lit , et sur le desagrement derJB couche au milieu de tant de monde, de tant de bruit et dans une aussi petite place. Chutes d'Oswego et Peniers. "Le portage qne les chutes de la riviere d'Oswego rendent necessaire , est d'environ un mille; mais William Shorten, chez qui nous etions , n'a qu'une pake de bceufs, ef nous avions deux bateaux tres-charges ; les bateaux ont exige chacun un voyage ; les charges quatre; les Americains ne ^sont pas expedkifs , nous n'avons done pu avoir nos bateaux rendus et charges au lieu ou la na- (24l ) vlgation recommence qu'a pres de cinq heures du soir; alors s'est eleve une querelle entre notre compagnon M. Vanallen et les deux chefs conducteurs de nos bateaux, qui sont a ses gages ; ils etaient ivres ; ils 1'ont tr6s- ^naltraite; il les a damnes, et ils lui ont dit en retour autant d'injures que leur memoire bien fournie a pu leur en rappeler. Comme cette affaire etait a moitie finie , un autre homme du voisinage est venu redamer de M. Vanallen quelqu'argent pour les gages de •sonfils, employe pendant quelques jours sur ses bateaux. Cette petite querelle s'est terminee it l'amiable ; M. Vanallen nous a mene cou- cher chez le plaignant, et a pour cette reconciliation sacrifie quelques milles que nous aurions pu faire de plus dans la soiree. Pour cette fois nous n'avions meme pas de lit; nous avons cou'che peie-mele, notre compagnie, nos bateliers , le mari, la femme , les enfans, males et femelles, dans une cham- bre de douze pieds en carre, et comme nous n'avions fait qu'un mille a pied, un mille et demi en bateau, la fatigue ne nous etait d'au- cune ressource pour nous faire trouver le plancher doux , et pour nous rendre moins .sensibles aux moustiques et aux puces. M. Vanallen, dans le bateau de qui nous Toms li, * Q ' ( 242 ) voyageons, est un membre du Confines poureS le comte d'Albany dans VEtat de New Yorck. Jl est, de plus , arpenteur; sou age Pt sany fJoute ses talens semblent lui donner la confiance de son canton II etait charge, cette annee , de faire Tar- pentage de plus d'un demi million d'acres si^M tues sur le lac Ontario et le fleuve SaintrjB Laurent , a-peu^pres vis-a-vis de Carletoii- island. Il 1'avait commence des l'annee derniereJB La maladie de la plus grande partie des ar* I penteurs qu'il avait avec lui a contrarie ses I operations ; que, d'ailleurs, la variation con-, siderable de ses aiguilles aimantees en appro- I chant de certains rochers eut rendu a elle seule impossible a completter. Il a eu lui- meme la fievre , car tout le pays en est infecte; elle se prend en parcourant les bois , comme en habitant aupres des rivieres. M- Vanallen est, d'ailleurs , juge de paix , et en consequence son equipage l'appel^fl Squire quand il ne le damne pas. C'est un homme de soixante ans , que Ton dit instruit dans sa partie, et qui parait bon et sage. On ne trouve aux environs d'Oswego, que de tr£s - nouveaux settlemens. M. Shorten , chez qui nous avons couche le premier jour I ( 2/f3 ) n*y est etabli que depuis le printems ; il avait achete cette terre il y a trois ans, a raison de trois pences l'acre, et il peut la vendre aujourd'hui douze schellings ; il possdde trois cens acres , dont dix a peine sont cleared. 11 est a la rive droite de la riviere; les terres de la gauche sont ce qu'on appelle les terres militaires; celles donnees par l'etat de New- Yorck, a chaque soldat apr6s la guerre. William Peniers, chez qui nous avons couche" le second jour, a paye, il y a deux ans , un lot de ces terres militaires , trois schellings l'acre au soldat auquel il avait et6 donne. Les chutes d'Oswego ont a-peu-pres dix pieds de haut; la largeur de la riviere y est d'un demi-quart de mille , la vue n'en est pas sans agrement. La brisure d'une partie de la table de roc, de laquelle tombe cette eau , et Vir- regularke de sa forme, produisent des effets assez piquants mais petits. A la rive droite et vers la chute , sont les vestiges d'un an- cien fort frangais ; une petite log-house est batie aupres de son enceinte : le proprietaire fait aujourd'hui construixe au pied de la chute; un moulin. a grain. «* ( 244 ) Three-rivers point. Et squire Bingham .- II est peu de positions dans le Monde, que l'on ne puisse envisager sous un cote moins defavorabie; et'c'est assez mon occupation familiere depuis quelque tems. L'ayantage d'un mauyais glte est de hater le moment du depart. M. Vanallen , apres avoir paye son raccouiodement avec M. Peniers de beaucoup de carresses pour les petits enfans, de complimens pour les plus grands , et d'un I petit present de chocolat a mistriss Peniers, s'est done empresse de se mettre en chemin. 'Avant cinq heures, nousetions dans le bateau, et toujours au milieu des bois , sans rencon- trer, pendant onze milles , encore un seul arbre abbattu ; nous sommes enfin arrives , partie en ramant, mais plus frequemment encore en usant du secours des perches, aux rapides des trois rivieres. La, les gens inu- tiles ont du quitter le bateau'. M. Vanallen et moi, nous sommes debarques , et nous avons gagne une petite hute , ou. nous avons trouve une famille recemment ecbappee a la fievre, cccupee a couper a la faulx un bled si clair qu'il n'y en avait pas dix grains at, perdre. Mais ces bonnes gens n'ont pas de yoisins; il faut qu'ils fassent-tout eux-memes j (245) de huit enfans qu'ils ont, un seul qui a neuf ans peut un peu les aider ; les ouvriers ne pourraient pas s'obtenir la meme pour de Vor ; ils n'ont pas de cridec, (faulx a rateau ) et mieux vaut perdre les trois quarts de leur chetive recolte que de la perdre toute entiere. Ces pauvres gens, etablis depuis un an sur cette terre, ont constamment la fievre; ils etaient proprietaires de douze cents acres ; six cents par donation de l'Etat, le mail ayant ete soldat, six cents autres qu'il avait achete il y a deux ans, dix schellings l'acre, et dont l'extreme necessite les a force a en vendre trois cents, au modique benefice de deux schellings l'acre. Ces honnetes gens cultivent un jardin; ils en ont ediange quelques productions contre quelques livres de pore, que M. Vanallen leur a donne d'autant plus vo- lontiers qu'il crok le retour de sa sante attache a une nourrkure fraiche. Ces gens paraissent bons et laborieux; la femme, quoique mere de huit enfans , et relevant de la fievre, est encore jolie ; ils' m'ont aussi donne quelques pommes de terre, quelques concombres , et ne voulaient pas reeevoir mon argent. Les rapides passes a grande peine, nous nous sommes r'embarques ; une navigation moins penible que les precedentes nous a amenes ail Q3 (246) point ou la riviere Oswego, rencontrantl'O/zo/*- daga-river, qui sort de petits lacs , change de nom et prend celui & Oneyda. Pour etre litteral, il faudrait prendre cette nomenclature en sens inverse , puisque nous remontons la riviere, et que c'est reellement YOneyda- river , sortant du lac Oneyda , qui rencontre et recoit Y Onondago dans cet endroit, et prend le nom d'Oswego; mais jecris comme je voyage , et dans les pays nouvellement connus, ou l'on arrive aux rivieres par l'em- bouchure , cet ordre de nomenclature est tres-uske ; il a lieu par-tout en Amerique. Toute la partie du pays que nous avons parcourue, depuis Oswego, est dans le comte -jOnondago , qui s'etend jusqu'au lac Oneyda, et qui, dans une etendue de pr6s de 1,800,000 acres dont il est compose, toutes excellentes terres, n'est, par le dernier denombrement, peuple encore que de 3,000 habitans. Le Three-rivers point, ( c'est ainsi que se Xiomme cette place ) est un point interessanljW c'est la que la navigation qui apporte toutes les denrees du pays de Genessee par les lacs, et les sels de la source salee , qui est a 1'entree du pays Onondago , se reunit a celle quiamene les denrees de la riviere des Mohawcs, d'Albany , et par consequent de toutes les WW provinces de l'Est. Jusqu'ici la navigation est bien plus frequentee d' Albany -aux lacs du Genessee et Vice versa , que d'aucuns de ces points au lac Ontario. Mais on peut prevoir le moment meme assez prochain , ou ce point, qui ne contient aujourd'hui qu'une seule ta- verne pour tout etablissement, sera l'empla- cement d'une ville de quelque consequence. A present' c'est une des places les plus mal- saines de ce pays , qui Test beaucoup : M. Vanallen, qui a achete a Kingston de la fa- rine a six dollars , et du pore a huit pences , et qui, par une faveur ou un aveuglement particulier des officiers anglais, est parvenu a les faire entrer dans la riviere d'Oswego , comptait les vendre ici avec beaucoup d'avan- tage ; il s'etait deja defait, a Oswego falls, de quelques barrils de farine a huit dollars; il comptait envoyer sa cargaison entiere aux Saltsprings, ou il nourrissait Vespoir de la vendre dix dollars. Mais il a appris ici que la reunion pour le traite avec les Indiens n'aurait pas lieu ; que le pays etait plein de denrees comme les siennes , achetees a un prix tres-inferieur a ses pretentions , et que l'argent y etait fort rare. Il a done fallu re- noncer a ses flatteuses esperances, et se determiner a aller plus loin chercher des ac-. quereurs. Q 4 (248 ) Sur ce desappoinrement, je fondais Vespok de gagner encore quelques milles dans Vapre^B midi, quand un bateau venant de Saltsprings,* a apporte MM. Rensselaer, Henry, Stouts, habitans considerables d'Albany. Le premier d'entr'eux etait dans l'abbatternent d'un acces de fievre qui venait de le quitter , et qui avait tous les caracteres d'une fievre interna mktente. Ces messieurs ne voulaient pas aller plus loin. M. Vanallen leur a propose de re^l mettre son depart au lendemain, pour voyager avec eux ; il nous a presente a eux, et quelques coups de bon vin qu'ils portent avec eux, car ils voyagent avec toutes leurs aises, ont console du Petit-Thouars et moi de ce deiai. Il n'y avait que des malades dans la maison ; le mari , M. Bingham Squire, relevait de la fievre ; sa femme en etait encore atta- quee , et etait au lit; ses enfans , ses domes- tiques 1'etaient aussi, ainsi qu'une jolie per- sonne de vingt ans , que nous deyions supposer mariee, puisqu'elle nourrissak un enfant de deux mois , mais qui n'etait que l'objet mal- heureux de 1'abandon d'un hovume qui lui avait promis de 1'epouser. Tout ce monde etait malade dans la meme chambre ou nous avions dine , dans celle ou nous devibns coucher, car la maison n en ( 249) a encore qu'une; les nouveaux arrives appor-* taient une tente bien fermee; ils ont declared preferer y passer la nuit k respirer l'ajr fie- vreux du log-house. La* peur d'un retour de fievre a pris a M. Vanallen, qui a fait tendre aussi au bord de I'eaa la sienne, qui n'est que sa voile , et nous nous sommes , a l'ac- coutumee , enveloppes dans nos couvertures. J'y dormais deja , quand le maitre de la maison est venu me reveiller , m'appelant docteur; il m'avait vu dans la journee , prendre interet a tous ses m^lades , m'informer avec soin de leur situation, de leur traitement; il en avait conclu que j'etais medecin : Docteur , disait-il , « de grace reveillez-vous ; si •>~> vous ne venez pas sur-' *> de cette jeune femme 1 docteur qui est venu i » avait laisse des mede dd d'hui, annoncant qu'elle serait guerie. Elle a » toujours ete de mai en pis ; il n'y a plus » de medecines; donnez-lui done quelque D3 chose pour l'empecher de mourir. » Quoi- que je fusses long-tems a me reconnaitre, au titre de docteur, et que j'assurasse que je ne le meritais pas', le Squire Bingham pre- nant nia modestie pour de la desobligeance ou de Ten vie de dormir, ne m'en pressak que 2-cha au mou sec elle va Le y a hm t- joi irs lui nes use [u'a au] our- r ( 25o ) idavantage. Heureusement j'avais dans mes sacoches des poudres de James , que j'avais recues avant mon depart, de l'obligeance de M. Bordley de Phyladelphie. L'idee qu'elles pourraient etre employees utilement dans ce cas desespere , m'a done fait repousser avec moins d'obstination la confiance de ce pauvre homme , et je me suis laisse conduire au lit de la malheureuse fille, que j'ai trouve en- fiee, couverte de taches livides , delirante. Mes poudres de James ne pouvaient avoirB d'inconvenient, mais en les cherchant , je n'ai pu trouver le papier qui m'en indiquait les doses , que m'avait aussi donne M. Bor- • dley, et qui m'etait d'autant plus necessaira que je n'avais jamais vu administrer ce remede. Marquer de l'incertitude, eut ete diminuer le credit que l'on m'avoit donne sans motif, mais qui alors etait necessaire a conserver. J'en ai donne vingt grains dans du vin de Madere, avec assez de confiance; la malade l'a pris avec plus de confiance encore , et quatre heures apres, le Squire enchante, est venu me reveiller une seconde fois , pour m'annoncer le bon effet de mon ordonnance; elle avait provoque une sueur abondante, avait produit les evacuations quelemedecind'Onon- dago cherchait sans succes depuis huit jours* ( a5i ) Le lendemain, avant de moftter a cheval, j'en ai fait prendre encore dix grains , j'en ai laisse une dose de plus, et je suis parti combie de benedictions de cette pauvre jeune personne,' qui baisait mes mains , mon habit, qui ne voulait pas me laisser partir : j'ai laisse du quinquina a mistriss Bingham, pour qui j'ai ete consulte aussi, et remercie de tout le monde. Heureux d'avoir aussi bien devine , j'ai quitte la pointe des trois rivieres , empor- tant une haute reputation de savoir. La mau- vaise etoile de cette jeune personne , que le squire Bingham logeait chez lui depuis huit mois par bienveillance , avait amene cette nuit dans cette taverne l'homme qui Vavait seduite , et qui , en osant paraitre devant elle, insukait a sa position ; il etait arrive dans un bateau en chemin pour le Genessee, ou il allait chercher de l'ouvrage. Les convulsions en ont pris a ma pauvre malade , mais les poudres ont triomphe meme des, convulsions, et le bateau etait parti des la pointe du jour. On juge qu'arrive a Philadelphie , j'ai fait hommage de cette cure a M. Bordley , qui m'a fait fremir de mon essai en medecine , en me disant que jamais , dans aucun cas , les poudres de James ne se donnaient a-la-fois J f (252) a une dose de plus de sept grains; mais la pauvre femme etait saUvee, et peut-etre ne l'aurait-elle pas ete a la rigueur de 1'ordonnanceB La place ou est la taverne , appartient avec quelques acres de terre, au squire Bingham S qui en a une assez grande quantite un peu plus loin; toutes ces terres seraient bonnes si elles n'etaient pas plates , inondees, mareca-B geuses; l'eau y est detestable, et l'air infecte. Le gouvernement de Vetat de New - Yorck , sur la crainte de la guerre , a fait l'an dernier environner cette maison de palissades , pour la mettre a 1'abri d'un coup de main* des Indiens; elles ne peuvent gueres etre plus mai placees. Rotterdam et Lac Oneida. JM. de Vatines. La navigation, jusqu'au lac Oneyda , est moins difficile qu'elle ne 1'avait ete les jourJB precedens ; la, die est entierement bonneJB nous avons voyage de concert avec les habitans d'Albany, dont Vun est frere du lieutenant - gouverneur de Vetat de New - Yorck , 1'autre un des plus riches negocians d'Albany le troisieme homme de loi , en reputation dans cette ville; ils sont polis avec simplicke. 1 ( 253 ) Nous nous sommes arretes le 3 au fort Brumpl ton, a l'entree du lac. Cette maison est encore entouree de palissades plantees l'annee derniere ; elle est aupr6s d'un ancien fort en terre, construit par les Anglais, dans la guerre d'Amerique. II etait bien place pour empecher l'entree et la sortie du lac; le retranchement est compose d'une suite de Redans; ce qui en reste ne permet pas de juger comment le canon pouvait y etre avantageusement place.- Voila les antiquites du pays ; des restes de forts de la guerre de 1776, ou lout au plus de celle de 1756. C'est avec les siecles futurs que l'imagination doit vivre, si elle veut s'exer- cer dans ces nouvelles contrees. II n'y aura de siecles passes que pour les generations k venir. Le maitre de la maison en etait parti depuis la veille, pour aller passer deux jours a Rotterdam ; une fiile de quatorze ans avait et& laissee a la garde du menage et d'un petit frere malade ; die le soignak d'une maniere touchante. Cette pauvre enfant nous a fait les honneurs de la maison de son mieux; mais il n'y avait rien , et nous aurions ete oKBgeS de nous contenter de quelques pommes' de terre , encore petites , que nous arrachions dans le champ, si des Indiens campes de ( 254 ) Vautre c6te de la riviere, ne nous eussent apB porte un gros brochet qu'ils avaient harponne le matin. Nos equipages fatigues s'etaient d'abord reM fuses a la proposition de nous conduire le soir a Rotterdam a dix milles dans lelac. L'exiB guiie de mes provisions a change leurs dispositions et les a ramenes d'eux-memes a cam projet, dont nous n'osions plus leur parler. Rotterdam est un nouvel etablissement, commence il y -a seulement dix-huit moisBr M. Sereiber, riche negociant hollandais, eiM proprietaire d'un grand tract de terre , qui s'etend du lac Ontario jusques sur le lac Oneyda. II a choisi l'embouchure de Brucesm creek, pour y placer sa ville principale; il e™ a commence une autre sur le Littlesalmon-? creek, a deux milles du lac Ontario. Bruce- creek est encore navigable a quelques milles au-dessus de Rotterdam. M. Sereiber a oujB vert une route jusqu'a sa nouvelle ville ; aujourd'hui les etablissemens ne sont rien encore ; une douzaine de mauvaises log-houses baties presque toutes aux frais de M. Sereiber/ composent toute la ville de Rotterdam, ainsi nomm.ee en honneur de la patrie de son fon- dateur. Des digues pour i'usage de deux moulins qu'il fait construire, lui ont coute beau-* ( 255 j coup d'argent; toujours mai fakes jusqu'ici, il a fallu les recommencer plusieurs fois; le moulin a grain n'est pas encore construk, et ces digues semblent encore trop faibles pour la masse d'eau qu'elles doivent contenir et diriger. Des ouvrages assez dispendieux a l'entree du creek, n'en ont pas non plus rendu encore l'abord facile. On estime la depense deja faite par M. Sereiber, en constructions et en chemins , a plus de 8000 dollars. Si les ouvrages etaient bien faits, ce serait une depense bien entendue. II eleve a present une belle maison en menuiserie , ou il va placer un store dont il partage les profits avec deux associes, qui le tiennent, et qui sont ses agens pour tous ses ouvrages; un store est la comme par-tout ailleurs en Amerique , le meilleur revenu que puisse se procurer l'homme qui fait beaucoup de depenses dans un nouvel etablissement. M. Sereiber repompe done par le sien tout l'argent qu'il depense pour ses tra- vaux. II fait vendre, par exemple, 4 schellings et demi le quart de brandy, 3 et demi celui de rhum ; 6 pences la livre defarine en detail; 10 dollars et demi le barril qu'il n'achette pas plus de 7 dollars. Les profits qu'il fait sur les autres denrees sont plus considerables encore. La terre qui s'est vendue, il y a dix- ( 256 ) huit mois un dollar l'acre, se vend trois a present; mais n'est pas encore fort recher- chee. Les settlers actuels viennent de la Nou> velle-Angleterre et des environs d'Albany. Les associes de M. Sereiber au store sont hollandais comme lui; un mulatre en est le commis. Ce mulatre est aussi medecin; il est jardinier, il semble avoir eu de l'educationj^B le dit frere de M. Welth , Vun des associes. Les ouvriers se payent a Rotterdam quaw| schellings par jour et nourris, ou six et demi sans nourrkure, ce qui revient au meme. Les pensions se payent quatorze schellings par^B maine sans liqueur. Nous avons pay6 le pain pour notre provision jusqu'a neuf pences la livre (a-peu-pres 18 sols de France) ; le prix commun en est six; celui de la viande fraichlB quand on en a , est de huit pences ; mail malgre le nombre constant d'ouvriers • enB ployes par M. Sereiber , les provisions sont rares , incertamfes, et le prix en est toujours par-la fort eleve. Le pays est aussi fievreux qu'aucun de ceux que nous ayons encore passfjjB M. Vanallen a trouve ici a vendre toute-IB cargaison et un de ses bateaux, mais moins cher qu'il ne l'esperak ; sa farine a huit i^H lars; il en avait eu huit un qrfart a Oswegofalls. C'est avee les stores qu'il a fait affaire. Les marches (m) marches ont occupe toute la matinee, etnous ont donne le tems d'aller voir un francais que l'on nous avait annonce comme un jardinier habile. Tout en ramassant des pommes de terre et des oignons, il nous a montre dans sa physionomie et dans ses manieres quelque chose de distingue ; et nous avons bientot appris de lui qu'il etait jadis seigueur d'une vicomte pi^s de Lille, fils d'un pere qui a,vait mange une partie de son bien et depensier lui- meme; ayant vendu des avant la revolution sa petite seigneurie 24,000 liv. pour les faire prosperer en Amerique , et les ayant tous mange en depenses folles, en entreprises in- considerees dans les villes, ce qui l'a reduit depuis trois ans a travailler a la terre. II s'ap- pelie Vatine. Il demeure depuis trois ans autour du lac Oneyda: il en a passe un avec les Indiens, dont il se loue beaucoup; puis dans 'une ile au milieu du lac , ou il vivait seul avec sa femme , et ou il a defriche une vingtaine d'acres ; enfin il est etabli depuis quinze mois a Rotterdam , ou M. Sereiber en lui vendant cent acres a mis dans la condition de sa vente la plus grande obligeance. L'instabilke du ca- ractere de M. de Vatine a, meme de son aveu, plus influe sur tous ses changemens de domicile qu'aucun calcul reflechi. C'est un Tome II. B. ( 258 ) homme de trente ans, gai, dispos, toujours riant, accoutume au travail, ne s'en plaignant pas, mais ayant pris en grippe les Americak« parce que, dit-il, ils n'ont aucune bonneV^H dans leurs marches , et sur tout parce qu'ils sont tristes. II vit cependant bien avec tous les habitans de Rotterdam, quoiqu'il les trouve d'une beaucoup plus mauvaise espece encore que les autres. II les aide dans leurs travaux, en est aide dans les siens, et leur vend le plus cher qu'il peut les produits d'un petit jard^B qu'il cultive tres-bien en legumes. Sa joie en voyant des compatriot es a ete extreme ; il eut voulu nous donner tous les legumes de son jardin sans recevoir un sol de nous. II ne reve qu'a la France, qu'au moment ou la paix lui permettra de retourner dans un pays qu'il pi e- fere a tout autre, dtit-il n'y manger que du pain; il aimerak mieux y vivre miserable , que d'habiter dans tout autre pays ouil seraitriche. Cette disposition est la meme dans tous les Frangais. Il nous a demande avec un grand intent des nouvelles des armees de France, et de leurs succes. Il paralt par sa conversation avoir plus d'activke que d'esprit. Ses opinions sur la revolution sont celles d'un honnete frangais. II avait des livres dont le choix par- lait k son ayantage. Montesquieu , Buffon, ( 2591 Corneille , beaucoup de voyages; apres avoir vendu ses bijoux, puis ses habits , puis son linge , il a fallu vendre la bibliotheque , et la vendre a moitie et moins encore que le prix qu'il en aurait eu a New-Yorck ou a Phila- delphie; carle maitre du store pouvait seul, a deux cents milles aux environs, en procurer la vente ; et il en. a fait profiler un riche hol- landais qui s'etablka quelques milles de Rotterdam. Nous avons voulu voir madame de Vatine ; c'est une femme de vingt quatre ans, jolie , bonne ; elle a sur-tout des yeux agrea- bles , un regard doux et expressif; elle parait ainsi que bien d'autres femmes , aimer son mari avec plus de tendresse qu'elle n'en re- autres , ils projettent de grands etablissemens; que M. Desjardins qui semble riche est marie et batit une maison a Albany. Tout cela nous est dit par M. de Vatine , que nous avons quitte en nous promettant mutuellement un bon souvenir. Rotterdam est dans le comte Herkemer et sur ses limites. Le lac Oneyda a 28 milles de long; nous en avions done dix-huit encore de navigation a faire avant de le quitter. A l'exception d'une ferme que fait construire.ee meme M. Vand- wcamp qui a achete les livres de M. de Vatine, ferme a cinq milles de Rotterdam, on ne voit pas une seule maison, un seul defrichement sur aucun bord du lac ; des bois eternels, des terres mediocres. Du cote nordlepays est plat; du cote du midi, et vers la tete du lac , les terres s'elevent davantage , au point de kisser voir quelques montagnes a dix ou douze milles de distance, et dans une direction parallele au lac. Ce sont ces memes montagnes que nous avions deja vues du lac Ontario, en venant de Kingston a Oswego. Le lac Oneyda a cinq ou six milles de large. C'est vers les cotes sud- est, et a quelques milles dans les terres, quest le village indien des Oneydas. Cette nation est actuellement occupee d'un traite par le- quelle elle doit vendre a l'Etat de New-Yorck R 3 Tf (262) la plus grande partie de ce qu'on lui avait reserve de terres. J'ignore les conditions du traite ; je sais seulement que l'etendue de 12 milles carres lui doit etre encore reservee en propriete avec toute garantie, et lapeche dans le lac. Peu d'annees plutot les Oneydas etaient maitres de toutes ces terres immenses livrees aujourd'hui aux speculateurs americains. On ne peut pas deplorer de les voir passer en des mains qui les mettront plus en valeur, sur-tout puisque les Indiens sont contens. Mais n'etait-il pas possible d'etablir des habitations au milieu de ce peuple, de l'amener a la civilisation par la culture dont l'exemple l'aurait instruit. On assure que cette tribu augmente de population au lieu de dimmuer; c'est le seul exemple qu'en presentences nations indiennes connues , et qu'il fallait encourager. Elle a meme un commencement de civilisation, une culture mieux suivie qu'aucune autre tribu indienne. Au demeurant, on dit que la negociation ne reussira pas, que le general Skuyler qui en est charge , et qui veut acheter pour lui presque la totalite de ces terres, trouve du c6te des Indiens des obstacles qu'a susckes le secretaire d'etat Thymothy Pickering, pique (2G3) de n'avoir pas ete mis pour quelque chose dans les projets de benefice. Ces propos , que tiennent cependant des gens qui se croient tres-instruits, peuvent etre une calomnie, mais n'ont rien d'invraisemblable. Wood-creek. Nous comptions faire quelques milles dans le Wood-c/-eek avant de nous ,arreter, quand nous avons trouve la compagnie d'Albany etablie a son entree. Un acces de fievre de M. Rensselaer l'avait force de fink la journee a deux heures apres-midi. Ces messieurs nous ont propose de nous arreter; notre chef y a consenti; nous ne sommes pas toujours consultes dans les determinations, ce qui est naturel. Nous avons applaudi a celle- la; mais noire nuit a ete plus occupee a nous gratter qu'a dormir ; car les maringouins et les petites mouches sont plus multiplies le long du Vood-creek qu'en aucune autre partie de ces deserts. Il nous avait fallu envoyer chercher de Veau a trois milles a une source que nos bateliers connaissaient. Cette eau tres-mauvaise etait excellente en comparaison de Veau fangeuse, croupie et mephitique du "Wood-creek; enfin elle pouvait se boire aycc R 4 ( 264 ) durhum. Quelques restes de pommes de terre de Rotterdam ont fait notre diner. Le biscuit ne nous a pas manque ; et quoique no" ayous ete fort mai a peu-pres sous tous les rapports, nous avons senti qu'on pouvait Vutre encore, davantage. Le Wood-creek est la petite riviere du lac Qjneyda, A son embouchure elle n'a pa.> huit I toises de lai-ge, et un peu plus haut a peine en a-t-elle quatre. Son cours est une suite continuelle de replis tortueux, de sorte qu'il triple la distance re elle estimee quarante milles en ligne droite, de sa source a son embouchure. On s'occupe a couper un canal, qui, en supprimant une partie de ces sinuoskes , conserveroit une partie du lit. actuel, La modique quantite d'eau qui coule dans cette riviere, est encore embarrassee d'un nombre considerable d'arbres , que ses debordemeris du printerns et de l'automne deracinent et en- trainent. C'est avec grande peine qu'un bateau peut trouver un passage au milieu de tous ces debris. II est plus souvent porte par les bate- liers, que conduit a la rame ou a la perche. C'est sans doute cette abondance de troncs deracines, d'arbres entiers qui obstruent et pourrissent les eaux, qui a valu a cette petite riviere le nom de Wood-creek (creek des bois). ( 265 ) Autrement elle ne meriterak pas plus ce nom que tous les creeks, toutes les rivieres, tous les lacs d'Amerique , qui generalement ne coulent encore qu'au milieu des bois. Cette navigation est je crois plus laborieuse que celle d'Oswego , et surement elle ne Vest pas moins. II semble difficile d'esperer que le canal acheve, et meme bien entretenu , la rende constamment bonne ; ce creek ne recevant dans tout son cours que le Canada-creek, qui hors deux mois de l'annee ne lui fournit que des gouttes ; mais telle est la prodigieuse crue de ces eaux dans le printerns, que les arbres sous lesquels nous passons actuellement, en laissant leurs racines a deux pieds au-dessus de nos tetes, etaient au mois de mai dernier assez converts d'eau pour que le bateau qui nous conduit ait a cette epoque passe par- dessus eux sans les appercevoir. Canada-creek. Quand les bateaux arrivent a Canada-creek, ils doivent etre decbarges pour faire encore neuf a dix milles , dont les deux derniers meme ne peuvent etre franchis si le meu- nier qui est a la tete du creek ne lache la re- tenue , ce a quoi il se refuse par fois. La charge ( 266 ) du bateau est transpose par des charrettes jusqu'a dix a onze milles ; les passagers font ce trajet comme ils veulent, ou comme ils peuvent, et les bateaux arrives a tfn mille ou deux de la source de Wood-creek sontportes eux-memes en charrette dans Vintervalle qui separe le creek qu'ils viennent de quitter , et la riviere des Mohawks , ou ils vont se re- mettre a flots. Quant a notre caravanne avec tous les grands projets qu'elle avait de gagner la tete j de la riviere des Mokawks , elle s'est arretee au Canada-creek le premier aout, determinee a faire partir le bateau au clair de la lune , et • a s'acheminer elle-meme avec les bagages le lendemainalapetite pointe du jour. Les terres ns tout ce trajet sont noires , paraissentd'une assez bonne qualke , quoiqu'elles ne couvrent le roc qu'a une petite profondeur. Pendant toute noire navigation dans le Wood-creek qui a ete de trente quatre milles, nous n'avons pas trouve une seule maison et rien qu'une source Oakorchard, qui a de la peine a remplir un petit verre en quatre minutes , et qui encore n'est que niediocrement bonne. Fort Stanurix. On est , dit-on , facilement matineux la veille ; il nous arrive trop souvent de ne letre pas au moment ou il le faudrak; ainsi on pro- longe un voyage fatigant, un peu fastidieux; ainsi on n'attrape pas de bonnes couchees dans un pays ou deja dies sont bien rares. Mais c'est un inconvenient attache a une compagnie nombreuse , a des sanies en mauvais etat et a des personnes qui aiment leurs aises. A six heures du matin nos bateaux n'etaient pas partis , les charrettes n'etaient pas arrivees, et ce n'est qu'a sept heures que nous avons quitte la taverne de M. Guilbert, que nous avons trouvee assez bonne , et qui Veut ete tout-a-fak si liotre compagnie eut ere moins nombreuse. Nous avions laisse Rotterdam remplie de malades ; nous en etions distans de pres de cinqnantermilles ; nous n'avions vu dans l'intervalle aucune autre maison , et la premiere oil nous arrivames n'etait pas plus exempte de malades. La femme, la ser- vante , le domestique avaient la fievre , et le peu de voisins de cette taverne n'etaient pas mieux traites par la fievre que la famille Guilbert. Le prix des terres qui ne sont pas bonnes le long du Wood-creek, puisqu'elles ( 268 ) sont sujettes k l'inondation, est de trois dollars. Celles autour de Guilbert en valent j cinq ; elles sont mediocres; les travaux j du canal font augmenter les pretentions des 1 proprjetaires , car les demandes ne sont pas j frequentes , et je ne sais en verite qui pour- 1 rait etre tente d'habiter les bords de ce vilain J creek. MM. Rensselaer et Vanallen, les deux 1 malades de la bande , ont fait le chemin a j cheval. M. Henry , Stouts et moi a pied , et ] du Petit-Thouars , dont les bateaux et l'eau \\ sont le plaisir favori, a suivi les bateaux pour I les aider. II n'est pas, depuis que nous voya- j geons un seul moment ou. je ne me sois ap- '] plaudi de l'avoir pour compagnon ; c'est le plus doux, le plus gai, le plus agreable que | l'on puisse trouver; jouant avec les enfans, ] serieux et instruit avec ceux qui en valent la ] peine ; buvant avec les officiers , ramant avec J les matelots ,.toujours bon , toujours simple , I il reussit par-tout. Tout le terrein occupe par l'extremite des deux rivieres et leur intervalle s'appele fort j Stanurix , et tient son nom d'un fort plat e pour defendre cette communication. C'est I pour arriver a ce fort que dans la guerre 1 derniere le colonel Saint-Leger, a entrepris la 1 navigation difficile du Wood-creek , rendu.§« ( 269) plus difficile encore par les arbres que les Americains y avaient jettes k dessein. II reussit bien a parvenir au fort , dont il faisait le siege , quand la nouvelle de la prise du general Burgoyne le lui fit promptement livrer; et j'ai oui-dire par le general Simcoe que dans cette retraite les troupes anglaises avaient plus perdu de monde , par l'effroi de leurs propres sauvages, qui tiraient sur elles , que par la poursuke des Americains. Nous nous sommes arretes au dernier point de la navigation du Wood-creek , et nxes de sa source. La taverne de M. Sterney etait encore pleine de fievreux ; son voisinage en etait rempli , et tous les jours , nous a-t-il dit, il arrive par cette navigation une grande quantite de voyageurs, qui n'ont pu ediapper au mau- vais air et a la contagion du Genessee. La dyssenterie s'est jointe depuis deux semaines aux inconveniens de cette redoutable fievre ; elle est aussi epidemique et plus dangereuse encore. On en meurt frequemment; depuis deux jours quatre personnes ont ete emerges victimes de cette maladie , dont la chaleur et la sedieresse du tems sont supposees les causes. A chaque porte ou nous nous sommes arretes nous avons vu la mime paleur jaune ( 37° ) sur les visages, et regu les memes info*B mations. Arrives au lieu d'embarquement de la riviere des Mohawks nous avons trouve M. Rensselaer dans son acces.Une heure apres le batelier en chef du bateau de M. Vanallen est aussi arrive avec la fievre ; c'est le second acces qu'il avait. Enfin du Petit-Thouars, l'Hercule de la compagnie , est arrive avec la courbature, le mai a la tete et le frisson. Ce malheureux qui en avait eprouve un res sentiment deux jours plut6t, m'en avait garde le secret pour s'eviter un redoublement d'insB tance de ma part de moins s'accabler de fatigues. Chacun de nos voyageurs qui ne s'etait pas encore senti malade , se tatait pour sa- voir si redlement il ne se trompait pas en croyant se bien porter ; an annongait hau- tement la peur d'etre affecte de cette contagion universelle , et la conversation ne portait plus que sur les moyens d'y ediapper , sur les nourrkures salubres , sur les remedes pre- 6ervatifs. Ainsi s'est passe notre journee , car nos bateaux partis depuis sept heures du matin , ne sont arrives qu'a neuf heures du soir. La grande quantite des malades du pays, Voccupation des notres et l'attente des bateaux m'ont contrarie dans les informations que je voulais prendre; j'ai seulement su que (n) le prix des terres est de cinq dollars pres de* la riviere des Mohawcks , ce qui est pluscher qu'au lieu de debarquement du Wood-creek , dans le meme township, quoique les maisons y soient plus rares. Le plus grand nombre de3 settlers de ce township , commence il y a seu- lement six a sept ans , viennent de Connecticut , et sont presbyteriens , quoiqu'il y ait aussi parmi eux des anabatistes , des metho- distes et des episcopaux, Les assembiees pour le culte se tiennent dans les maisons particu- lieres , et sont suivies assez regulierement; mais comme il n'y a pas de ministre dans ce pays , la lecture des prieres fake successive- ment par un des assistans , est tout ce qui s'y passe. Riviere des Mohawks. May ers-tav erne. J'esperais qu'une demie-journee de courba- ture serait la seule punition des exces de fatigue qu'a prisinsensementduPetk-Thouars. Voila la fievre revenue , et tous les symp- tomes d'une maladie ; c'est une desagreable position; nous sommes sans secours. Harasses de fatigue, bruies par le soleil, dont rien ne nous garantit dans ce maudit bateau , nous n'avons pas depuis huit jours couche dans r i 11 l c 272) un lit. Independament de mon inquietude pour mon compagnon, je suis pour moi-meme • pres^e d'avoir fini cette navigation , et tous les jours de nouveaux delais reculent le moment de notre arrivee a Albany. Nous sommes au 3 aout. La navigation de la riviere des Mohawks , ne ressemble heureusement pas a celle des rivieres ? que nous avons passees tous ces jours derniers. I Nous la suivons dans son cours naturel, quoi- qu'elle soit embarrassee d'arbres dans son lit; I mais ils peuvent aisement etre evites , et elle \\ s'enrichit frequemment de petits creeks et de ; sources dont Veau est excellente. II y a quatre jours que nous n'avions trouve d'eau suppor- ] table. Les terres, dans le trajet que nous j avons fait aujourd'hui , sont generalement | bonnes, mais toujours meilleures a mesure que l'on s'eioigne de la source de la riviere. Les settlemens deviennent plus nombreux , sur-tout sur la rive droite ; ce n'est qua une dixaine de milles qu'ils commencent a la gauche; alors des ponts de bois ouvrent une communication aux settlers des deux rives. , A dix milles du fort Hamwick, les terres se vendent cinq a six dollars; beaucoup sont tenues en fermes viageres; le fermier convient de donner tant par acre au proprietaire, tant q« "il (2?3) qu'il les tiendra dans ses mains, et la duree de trois tetes qu'il choisk, est le terme de sa jouissance ou de celle de ses enfans. L'homme chez qui nous nous sommes arretes poi jeuner , tient cent acres de cette mani6re, mais de la seconde main ; il n'a done pas choisi les tetes sur lesquelles sa jouissance est etablie. II a dix-neuf acres seulement de defriches, n'etant arrive qu'il y a quinze mois; mais dix de ces acres , semes en bled \\ lui rapporteront chacun de 3o k 35 boisseaux , avec quoi il paiera plus qu'amplement sa rente, aprds avoir fourni a sa subsistance. Schuylertown. Le settlement de Schuylertown , est le plus considerable que nous ayons encore rencontre, meme depuis que nous avons quitte Wilkes- barre, ou plutot ce n'est plus un settlement, c'est une partie de pays aussi habitee qu'il se puisse. Elle n'a cependant commence al'etre qu'en 1785. Le terrein qui alors se vendait quelques pences , et seulement trois dollars il y a trois ans , ne peut s'acquerir aujourd'hui , dans les environs de la ville , et aussi loin que quinze milles en arriere , qu'au prix de dix-neuf k vingt. Le general Schuyler et le Tome II. S am docteur Blight, sont les proprietaires origi- naires de la plus grande partie de ces terres qu'ils ontachetees del'Etat. Une route d'Albany au Genessee, fait de cette ville un grand lieu de passage , independamment de celui que lui procure la navigation. Les habitans de la nouvelle Angleterre composent la plus forte partie de la population de cet etablissement abondant et riche ; les terres y sont excel- lentes , et rapportent de vingt-cinq a trenteB boisseaux de bled. Les ouvriers se trouvent «vec facilke ; ils se paient quatre schellinglB par jour dans les tems ordinaires, six dans celui de la moisson : le bled se coupe a la Jaucille. La recolte est excellente cette annee jS ^lle commence a fake baisser le prix de la farine, qui etait monte jusqu'a neuf dollars.B On est en pleine moisson, et l'on respiraB J'abondance. La ville est composee peut-etre de cent- cinquante maisons, plusieurs bien baties, deux eglises dans la ville , une pour les presby- teriens qui sont les plus nombreux, une autre pour les episcopaux. Les autres cukes trouvent leurs eglises dans les environs. Cette ville est la capitale du comte Herkemer, dont le dernier denombrement porte la population k a5,523 habitans. Les prisons et la maison ( 275 ) de Justice ont ete baties il y a trois ans, et c'est aujourd'hui seulement que l'on commence a imposer pour leur paiement. Les quottes de chacun , etablies sur les memes bases que toutes les autres taxes dans cet Etat, sont peu considerables. Les impositions ne sont pas en tout de six pence* a la livre. Un ou deux pauvres , entretenus par la contribution publique , sont toute la charge du township en ce genre. Les routes sont bonnes , le pays beau et agreable; presque toutes les terres sont cleared ; le betail est abondant, la viande fraiche ne manque jamais, elle coute six pences la livre. Un moulin a grain et" trois a scie dans l'arrondissement de quatre milles de la ville, aident a son aisance. Toutes les denrees du pays, et qui ne s'y consomment pas, s'envoient l'hiver a Albany. Quelques maisons peuvent encore augmenter la ville , mais le pays ne saurait etre dans un plus grand etat de vi- gueur et de prosperite. Toutes les terres, le long de la riviere Mohawk, sont de cette bonne qualite , des arbres forts et sains la ou le defrichement n'est pas fait encore , de riches productions la ou la terre est defri- chee. Le pays est par-tout eleve, sain, bien arrose. C'est sans aucun doute, une des plus belles parties des Etats-Unis. La fievre inter- S a It mm taittente y est ce qu'elle est dans tous les pays habites et sains ; peu d'individus en sont atteints. La dissenterie y fait a present quelques ravages. German s-Fla tts. Les Germans flatbs ( plaines allemandes ) sont plus belles encore que les campagnes de Schuylertown. Ce settlement est etabli depuis a-peu-pres quatre-vingts ans. Des Allemands et des Hollandais en ont ete les fondateurs, et depuis , d'autres families venant pareille- ment d'Allemagne ou de Hollande , se sont reunies aux anciennes. Tl en arrive encore souvent de nouvelles , mais il en vient aussi d'autres parties de VEurope. La langue et les manieres allemandes sont conservees parmi ies families originaires de ce pays; mais Vidiome allemand n'est, pas dans les German's-flatts comme a Reading et a Lancaster, la langue unique. Les German's-flatts ont un grand renom dans toute l'Amerique pour leur fe- condite. C'est un fond de terres riches de quinze a yingt pieds de profondeur. Les elevations qui terminent ces plaines sont de la meme nature de sol: beaucoup de montagnes assez eleveesy sont cultivees jusqu'a leur som- ( 277 ) met. On voit dans quelques endroks les cimei couronnees par les plus belles prairies. Le bled est toujours ici la culture princi- pale, celle a laquelle tendent toutes les autres. Mais le mais , le bled noir, les pommes de terre, les-ckrouilles, les potirons y sont aussi tres-bien cukives. Tous les vegetaux sont d'une, grosseur et d'un gout remarquables , particulierement les pommes de terre; c'est en voyage ma nourriture favorite , sur - tout dans ce moment ou ce sont les seuies productions nouvelles; et dans Vatmosphere fie- vreux ou nous voyageons, ce genre de nourriture semble un preservatif. Certaines parties de la plaine , aupres de la riviere, couteraient de 100 a i5o dollars l'acre; le betail n'est ni bien beau, ni bian nombreux dans ce pays. Les chevaux s'y elevent en plus grande quantite; ce que j'en ai vu, est d'une espece mediocre ; chaque fermier en artele plusieurs a ses charriots. La recolte est extremement belle, et se fait prompfement; les bras abondent ici. Mais quelle difference du travail grave de ce peuple, et de Vactivke gaie, riante, chantante des mois- sonneurs dans mon pays. J'ai vu en France la recoke etre un tems de fete et de plai- sir, comme elle en etait un de benediction. S3 ( 278 ) Tout le monde y etait content, vieillards, enfans, hommes, femmes, gargons, filles,tous I prenaient leur part de cette gaite generale , vraie, bruyante et communicative ; les rires quoique perpetuels, n'y derangeaient pas le I travail, que chacun se piquait de faire avec | plus d'ardeur. Et les foins et les vendanges ! quelle joie generale , quel deiire charmant, I quel spectacle ravissant pour le cceur meme le plus froid ! quel peuple au monde sait plus jouir dubonheur, que cetaimable peuple frangais ! Helas! ne verraij-je done plus jamais de | recoltes que sur un sol etranger. Les grains des german's-flatts, remarquables par leur beaute, le seraient plus encore, si les champs etaient plus soignes; mais on ne- :| glige de les netoyer au printems ; les mau- vaises herbes poussent d'autant plus vivement que le sol est meilleur , et prennent la place I du grain quelles empedient de taller. Les formes des champs , Vextension des rives , la coupe des collines et des montagnes, offrent a Vceil une variete charmante. Les maisons differentes entre elles par leur construction, leur dimension, leur couleur , embellissent ce paysage agreable et riche Pendant douze a quinze milles, la rive droite de la riviere , et a une grande profondeur, est un village ( 279 ) continuel. II n'y a point de fievres ; mais a. present, cette meme dyssenterie, que nous avons trouvee plus haut, enieve ici beaucoup de monde. Il est vrai que les chaleurs sont excessives ; le soldi, toujours brulant, est si long-tems sur l'horison; cette chaleur est ici insupportable pour nous, en bateau, sans abri; et les nuits fatiguent presque autant que les jours ; aucun souffle ne les rafraichit; elles conservent encore l'impression de la veille quand le soleil reparalt le lendemain. Ces jours-ci sont les plus chauds que nous ayons eprouves encore ; mon thermometre , a. l'ombre, est commun^ment a g3 degres de Farenheit, 27 un quart de Reaumur. Canal et Ville de Little -falls : Palatine. A 7 milles de German's-flatts , on trouve JLittlle falls, qui occasiohnent encore .un portage de trois quarts de mille ; ces chutes ne sont que de forts rapides; une multiplicity de rocs de toute grosseur embarrassent le lit de la riviere, agitentl'eau, la font bouillonner, et rendent la navigation impraticable. Le pays est lui-meme plein de rocs, a deux milles au-dessus et au - dessous de ces falls ; le ter-< S 4 ( 280 ) rein est sabloneux, humide, toujours mei™ de rochers. Telle est la nature de cette tache dans le plus beau pays du monde ; car il rede- vient aussi beau, aussi fertile apres cette veine de pierres qu'il etait auparavant. On est depuis trois ans occupe a un canal, qui, cotoyant les falls , rendra la navigation continue. Une compagnie riche et soutenue d'un grand nombre de souscripteurs , entre-- prend cet ouvrage ; elle vient recemment d'etre aidee par la legislature de VEtat deB New-Yorck , qui a pris un grand nombre d'ac- tions dans cette souscription. Le canal devait, disak-on, etre fini cette annee ; on assure aujourd'hui qu'il le sera l'annee prochaine ; il me semble peu avance; c'est un travaifl encore long, quoique l'etendue totale ne soit que de trois quarts de mille. II faut creuserB dans le roc ; une partie des pierres qui enB sortent servent a faire un mur de trois pieds a chaque cote du canal; ce mur est recouvert et appuye d'une grande quantite de terre, et fait une digue de huit pieds de large a son sommet, sur trehte peut-etre que la projection des terres donne;jau pied du talus. Comme on n'ernploye ni ciment ni mortier dans la construction du mur , je ne sais s'il n'est pas a craindre, malgre 1 epaisseur du talus, que ( aSi ) l'eau n'y penetre, et n'y cause des dommages. A l'entree du canal sont deux e.cluses deja fakes , aux portes pres , qui ne sont pas encore placees. Ces eduses sont construites en bois dans leur totalke, fond&tion , murailles, etc., et m'ont paru Vetre extremement bien , sans cependant que j'aie pu concevoir comment , la pierre etant si fort a la main, elle n'etak pas la matiere employee dans cet ouvrage. Deux cents cinquante ouvriers sont constam- ment occupes a ce canal. Ils gagnent six schellings par jour et se nourrissent. Ces ouvriers sont divises en compagnies ; un grand nombre , sont des gens du pays , mais beaucoup sont Irlandais nouveaux-venus , on dit meme Irian- dais convicts, et se conduisent d'une maniere peu rassurante pour le pays. Une cinquantaine de maisons assez bien baties forment la ville de Little-falls. Untres- beau moulin a grain , et un a scie, sont places au commencement des chutes. Apres vingt milles de navigation , notre squirre nous a fait arreter a une maison qu'il nous a assure devoir Sparer pleinement le mal-aise des nuits precedentes. Il n'y avait rien; c'est au bout d'uneheure que nous avons pu obtenir un lit pour du Petit-Thouars, de .plus en plus malade; quant a nous, le plan- ( 282 ) cher pour dormir, et du lakpour souper, voila ce qui nous a ete offert, et on ne pouvait pas nous en offrir d'avantage. Ce lieu appartient au township Palatine ; il est a la rive gauche de la riviere. Meme genre de terre , memes presbyteriens, memes informations que prece- demment; allemands bons , lents et sales. Ce settlement a soixante-dix ans d'anciennete. Shenectady. Mon malade avait eprouve un bon effet de l'emetique que je lui avais donne la veille ; il a fallu s'eveiller avant quatre heures , car il fallait arriver le 6 de bonne heure a Slienec- tady. La journee s'est mieux passee que je n'esperais , et nous sommes parvenus au port sans qu'il ait eu la fievre ; par consequent, avec l'esperance que les terribles acces qu'il a essuyes , ne sont que le fruit de sa fatigue im- moderee , et non le commencement d'une maladie. Nous nous sommes arretes a Ca- nalmgi, encore anden settlement allemand , auquel les informations precedentes conviennent toutes, meme pour les prix. Les citrouil- les et potirons y sont aussi plantes, tantot avec le mais , tantot separement, et tres-uti- lement employes pour la nourriture des bes- ( 283 ) tiaux , pendant les cinq mois ou le betail doit etre tenu necessairement a l'etable. Les bons fermiers les y tiennent meme six mois. Les mouches hessoises sont aussi inconnues dans ce pays fortune ; les terres y sont si bonnes qu'elles n'exigent pas de fumier. II y a trente- quatre ans que le proprietaire actuel est sur sa ferme, defrichee trente ans plut6t; il n'en a fume que six acres , encore bien ie- gerement. Enfin, apres avoir passe devant les anciennes proprietes de sir "William Johnston, ancien intendant general pour les Anglais, des affaires des Indiens, et qui, pour s'etre declare contre les Americains dans le tems de la revolution, a eu ses biens confisques, nous sommes arrives a Shenectady , terme de notre navigation. C'est une petite ville aussi ancienne qu'Al- bany , batie en plus grande partie de vieilles maisons dans le gout hollandais, et ressem- blant absolument a une ancienne ville d'Europe. La riviere des Mohawks s'encaissant beaucoup, faisant un long detour, et une chute interrompant a quelque distance toute possi- bilite de navigation , on quitte ici les bateaux pour se rendre a Albany par terre. On assure , nous disait ce matin un homme a cheval qui suivait notre charrette; « que le Marquis vienne ici, et 33 nous le rendrons riche. C'est par lui que la 33 France nous a rendus libres; nous ne ferons 33 jamais tant pour lui qu'il a fait pour nous 33. (288) Enfin apres trois nouvelles heures de route au travers de ce pays, qui ressemble aux forets SAnjou, sabloneux, couvert de fougeres, et ne produisant que des arbres rabougris, nous sommes arrives a Albany. Observations mineralogiques. La nature des pierres et des terres qui les couvrent, est .depuis le fort Oswego jusqu'a Albany fort semblable a ce qu'elle est dans le Genessee et dans le Haut-Canada. Les pierres qui environnent le fort, et celles qui form en t les chutes et les rapides dans lariviere Oswego, sont un granit imparfait, rarement meme micasse ; de tems a autres quelques schistes grossiers. Dans tout le cours du Wood-creek je n'ai presque pas vu de pierres. Le terrein est tel- leraent inonde qu'elles ne sont pas a decou- vert. Dans la riviere des Mohawks, la petite chute (little falls J passe par une chaine de granit', qui comme je Vai dit semble une tache au milieu de la riche contree qui Venvironne. Dans le township de Palatine on trouve de la pierre a chaux de bonne qualite. Le carac- tere le plus remarquable de la riviere des Mohawks sont les deux especes de larges terrasses qui (m) qui forment ses bords, et au travers desquelles elle coule. On assure que ce caractere est plus remarquable encore dans le cours de la xiviere de Connecticut. Quant a l'espece d'arbres, j'ai eu peu de moyens de l'observer; ne descendant a terre : que deux a trois fois par jour, et pour de courts momens, elle m'a paru la meme que dans le Genessee. Albany. Albany est un des plus anciens etablisSemens de l'Amerique septentrionale ; la ville a ete incorporee en 1686; les settlemens ont commence vers Van 1660 : on en peut trouver l'histoire par-tout; je n'en parlerai done point. C'est aujourd'hui une ville d'un grand, commerce, placee a i65 milles de New-Yorck quoique si haut sur la riviere elle a un port. Les sloops de quatre-vingt tonneaux y arrivent, et en font tout le commerce. Une espece de barre a trois milles au-dessous d'Albany , presente a la navigation quelques embarras ; mais elle est facilement passee par les pilotes qui la connaissent, et il y en a toujours un sur chaque sloop; d'ailleurs on est sur, dit-on, de faire disparaitre cette diffieulte avec une depense Tome II. T ( 290 ) peu considerable; alors de beaucoup plus gro* navires pourront y arriver. La navigation de la riviere du Nord est ou- verte du milieu d'avril au milieu de novembrelB Le commerce d'Albany se fait des productions du pays des Mohawks, et aussi loin dans Vouest qu'il y a des cultures et des exploitations ; l'Etat de Vermont, et une part^B de Newshampire y fournissent aussi. Ce commerce d'exportation consiste en bois de toute nature, et coupes de toutes les formes pour . la construction des navires, la couverture des maisons, la charpenterie et la tonnellerie; en potasse et pearlasse; en grains de toute espece; enfin en productions des manufactures. La plu- part de ces produits s'apportent en hyver sur la neige; ils sont emmagasines par les nego-B cians, qui les envoient successivement a New>- Yorck : la ils sont vendus pour des lettres-de- change sur I'Angleterre, ou edianges pour des marchandises anglaises , qui d'Albany sont repandues dans les pays d'ou sont tkees les marchandises d'exportation. Les achats etles ventes se font ainsi argent comptant ; parti-< cuherement pour la potasse , qui ne se paie meme par aucune lettre-de-change. Quarante- cinq vaisseaux appartenant aux habitans de la ville et quarante-cinq autres appartenant a (291 ) New-Yorck, ou autres places sur la riviere , font le commerce d'Albany. Leur port commun est de soixante-dix tonneaux , et le nombre ordinaire de leurs voyages dans chaque saison, est de dix , ce qui en comptant les aliees et les venues compose un total de 12600 tonneaux, employes a ce commerce. Quatre hommes forment l'equipage de ces sloops, sa- voir: un pilote a quinze dollars par mois, un capitaine a vingt quand il n'est pas interesse, un simple matelot a neuf dollars ; enfin un mousse ou plus souvent uncuisinier, parce que le nombre des passagers esttres-considerable; peu de sloops moment ou descendent la riviere sans en avoir sept a huit. Un schel- ling le cent pesant est le prix commun du fret, qui varie ensuite selon l'importance des marchandises, leur encombrement, etc. Le commerce d'Albany est sur, mais nepa-, rait pas devoir etre tres - lucratif. Le produit net commun du voyage d'un sloop pour l'aliee et le retour est de cent dollars; c'est done a mille dollars que se bornerait ce profit annuel, peu considerable sans doute ; si on ajoute les passagers il est de dix schellings par chacun, ce qui fait encore de dix-sept a vingt dollars pour le voyage complet, et 170 et 200 pour les dix de l'annee. Tout cela produirait un T a H\\ ( 292 ) avantage bien mediocre si le profit des re- ventes ne Vaugmentait. Telle est cependanjB jusqu'ici la maniere generale dont se fait le commerce de cette ville ; maniere petite , ti- wiide, et qui prive ses negocians d'un grand profit, que font a leurs depens ceux de New- Yorck. Quelques-uns envoient directement en An.gleterre , en Hollande, etc. mais toujours sur des vaisseaux de New-Yorck auxquels ils paient un fret; ceux-la sont les plus hardis; on les appelle gens a nouvelles idees, et le nombre n'en est pas grand. Les vieilles formes , les vieilles routines cir- conscrites, et timidement avides des anciens hollandais, se sont conservees religieusement dans Albany. Aucun vaisseau de cette ville ne va directement en Europe, et leurs denrees y vont; il est aise de voir que s'ils voulaient prendre la peine de les porter eux-m.emes, ils epargneraient autant d'interets morts, le fre&f du retour, deux commissions , et alongeraient le tems de leur activke, de celui ou la riviere du Nord est fermee par les glaces. Ces idees pointent dans la tete de quelques negocians , et sans doute elles produiront quelques chan-' mens avantageux a leurs intents. C'est par cette meme apathie de Vhabitude que les negocians d'Albany laissent le commerce des ( 293 ) ehevaux et des mulets, que leurs environs pro- duisent en quantite, aux negocians du Connecticut, qui les adherent pour les transporter avec un grand avantage dans les Antilles. La construction des vaisseaux coiite a Albany environ vingt-sept dollars et demile ton- neau; faits comme par-tout ailleurs de bois verd, ils durent dix ans. On a l'experience que des constructions faites avec des bois bien sees ont dure plus de trente ans. Le commerce d'Albany s'accrok tous les jours; les stores et les sloops s'y multiplient. Deux nouvelles villes commencees il y a cinq a six ans a quelques milles au-dessus d'elle , et sur la riviere du Nord , partagent son commerce. Ces deux villes elevees promptement a une grande importance , distantes l'une de Vautre de trois a quatre milles, font le commerce sur vingt-cinq a trente sloops qui leur ap- partiennent, tirent les produks des pays de derriere, les envoient a New-York, en rap- portent les marchandises d'Europe, et en ap- provisionuent les pays qui jadis l'etaient uni- quement par Albany. La distance plus considerable , et la moindre profondeur de Veau, donne un desavantage a ces nouvelles villes , puisque le fret de leur port jusqu'a Albany se paye deux pences le barril, et puisque leurs (294) plus grands sloops ne sont pas de soixante tonneaux et ne peuvent dans les tems ordi- naires arriver que demi charges jusqu'aupres I d'Albany, ou des alleges qui les accompagnent achevent leur ehargement. Cependant elles I font ce commerce , elles Vaugmentent tous les jours, et selon toute apparence dies don- neronta Albany Vexemple de plus dehardiesse . et d'activke. Soixante a soixante-dix stores sont dans New-City ; cinquante a soixante dans Troy. Aucuns de ces nouveaux marchands ne manquent, et le nombre s'en ac- croit. On assure que les negocians d'Albany voient de mauvais ceil cette prosperite nais- sante de leurs voisins , qu'ils regardent comme une partie de leur patrimoine qu'on leur au- raitenlevee. Cette envie serait encore une suite de Vignorance et des courtes idees de ces negocians. En effet les pays qui fournissent.a ce commerce, sont loin d'etre aussi habites qu'ils peuvent 1 etre; plusieurs le sont a peine ; d'autres qui ne le sont pas du tout pourront aussi l'alimenter un jour ; ils se formera des villesJ plus au nord encore que les deux autres; il s'en elevera de meme a Vouest; mais les de- frichemens se mukipliant par-tout, la population s'accroissant, ils augmenteront les pro- ■duks et les besoins, et chaque ville nouvelle X s95 ) ou ancienne trouvera du commerce plus quelle n'en pourra faire. II y a dans Albany six mille habitans , dont deux mille esclaves: les loix de New-Yorck au- torisent Vesclavage. Tout ce qui est ancienne maison a la forme hollandaise: le mur de front s'eievant par des especes de marches en pyra- mide terminee ou par une cheminee historiee, ou par quelques figures de fer, etc. Toutes les maisons baties depuis dix ansle sont en bri que, elevees et vastes, dans les formes anglaises. Le revenu de la ville monte a environ 35,ooo dollars ; elle est proprietaire d'ungrand nombre d'acres de terre dans les environs ; die vend d'ailleurs les quais sur la riviere du nord deux dollars et demi le pied, avec une rente annuelle , et sans possibiike de rachat, d'un schelling par pied. Une partie de ces re- venus est le fruit des economies des adminis- trateurs, qui ont jusqu'ici plus pense a the- sauriser qua embellir la ville, oua en rendre l'habitation commode. Le conseil se compose a present de jeunes gens qui disent s'en oc- cuper ; mais il y a dans cette ville une apa- thie , une ignorance , une vieillesse d'idees, qui ne permet pas de croire que ces efforts soient de long-tems encore considerables. Les jeunes gens, je crois, y naissent vieux. (m I Une banque etablie depuis quatre ans , aide le commerce d'Albany; elle est composee de six cents actions a 400 dollars chaque; mais il n'y en a encore que la moitie qui soit payee ; le dividende est de neuf pour cent par an , independament du fonds reserve pour les frais de la maison ou la banque est etablie. Il y a dans Albany cinq eglises; une de lutheriens hollandais, batiment d'une construction tres-gothique et assez curieuse , une d'episcopaux, une de presbyteriens, une de calvinistes allemands , et une de methodistes. I Les terres aupres. d'Albany se vendent de 63 a 75 dollars ; quelques parties vers la riviere sont plus cheres encore , et sont excellentes; celles de derriere sont d'une mediocre qualke; 1'agriculture est peu soignee ; on cultive les Vermes a peu-pres- egalement en grains et en patures. Jamais pays n'a ete appele plus que celui-la a perfectionner sa culture et son Industrie; car nulle part les-debouches ne sont plus certains et moins dispendieux. Quelques manufactures sont etablies a peu de distance de la ville dont une de verres a vitre et a bouteilles; les vitres sont assez belles , et cette manufacture est en bon train. M. Caldhowel a aussi, pres de la ville , un grand etablissement, ou les memes eaux font aller ( 297 ) des moulins a tabac , a moutarde, k amidon , a chocolat, et ou toutes les operations secon- daires de ces manufactures differentes sont aussi faites par le moyen de Veau. Les machines sont simples , bien fakes , et produisent de bons resukats. C'est le moulin a tabac qui est l'objet principal de cet etablissement. II s'en fabrique i5oooo milkers de livres annuelle- ment5 Ge moukn a ete brule l'ete dernier ; un credit de 20,000 dollars a ete ouvert sur le champ a M. Caldhowel, a la banque, par ses amis , et la legislature de New-Yorck vient, dans sa derniere session, de l'aider d'une somme pareille. Il faut ajouter a l'honneurde M. Caldhowel, que je ne connais pas, que presque tous les ouvriers de la ville, dans le tems de son malheur , souscrivkent pour donner chacun quelques jours gratuits de travail a la reconstruction de ses edifices. Rien de cela n'est conforme a l'opinion que quelques frangais ont concue des americains, et qu'ils cher- chent imprudemment a repandre. L'etablis- sement de M. Caldhowel est vraiment grand , beau , bien entendu. II occupe cinquante ouvriers dont les plus chers sont paycs 100 dollars par an, et les enfans de neuf ans gagnent de six schellings a un dollar par semaine. Des tanneries, des moulins de toute espece, a grain, Wagi k foulon, a huile, a papier, sont aussi etablis aux environs de la ville, et les ouvriers y sont toujours en abondance. Le prix commun de la journee d'ouvrier ordinaire est de 4 schellings et demi, et sept dans le tems des recoltes. Le prix du baril de farine est aujourd'hui de neuf a dix dollars ; la viande coute de 10 a 12 pences. L'hospitalke pour les etrangers ne parait pas etre la qualke dominante des citoyens d'Albany; le peu que nous en avons vu est triste , lourd, vit chez lui avec une femme quelque- fois belle, souvent gauche, a laquelle il ne dit pas trente paroles par jour, quoiqu'il l'appelle ma chere. Ilya sans doute des exceptions et dans la grace des femmes , et dans la maniere aisee et confiante des maris avec dies; mais on les dit rares. La famille Schuyler etla famille Rensselaer , sont les plus considerables du pays par leurs richesses ;. elles sont unies ensemble par de doubles mariages , et elles ont dans le pays une influence non dispute. Les Schuyler ont plus d'esprit, plus de connaissances ; mais les Rensselaer ont peut-etre plus d'argent encore, et en voila assez pour mener surement un pays. Le general Schuyler passe pour fin , habile au superlatif. II est tres-employe dans les affaires C 299 ) de l'Etat, il a fort a cceur d'en ameliorer la navigation , d'en etendre Vindustrie et la richesse; il est beau-pere du celebre M. Hamilton. Le general Schuyler, qui ne donne ses fiiles qua des gens riches , lui en a donne une, il y a quinze ans, quoiqu'il n'eut rien, parce qu'il a devine ses talens. Au demeurant, je parle general Schuyler, sans Vavoir vu. Il etait au traite des Indiens pendant monsejoura Albany, et je n'ai communique encore avec lui que par ses lettres extremement obligeantes. Parmi les hommes importans des Etats-Unis , il tient une place marquante. Saratoga. J'ai vu John Schuyler , fils aine du general, je 1'avais rencontre une minute a Shenectady; mais j'ai ete chez lui a Saratoga; c'est une course de trenle-six milles, penible a faire dans les chaleurs qui nous accablent; mais Saratoga est un point trop interessant pour ne pas le visiter. D'ailleurs lorsqu'on aime Anglais , leur societe , qu'on les rencontre souvent en familiarke, et qu'on les connait , il est bon de pouvoir leur dire dans Voccasion , j'ai vu Saratoga. Oui, j'ai vu cette place vraiment monu- ( 3oo ) ■mentale , que l'on doit regarder comme celle ou l'independance de l'Amerique a ete signee; puisque les evenemens qui ont oblige I'Angleterre a l'aveu de cette independance n'ont ete que la suite de la prise du general Bur- goyne, et n'auraient peut-etre pas eu lieu sans I elle. La maison de John Schuyler est batie sur le terrein meme ou ce grand evenement s'est passe. Le Fish-creek qui la borde etait la ligne de defense du general anglais , place sur une hauteur a un quart de mille de cette maison meme; un retranchernent en terre entourait d'une maniere plus rapprOchee encore le camp Anglais dans toute sa circonvallation ; les I troupes allemandes etaient en arriere en echelons sur une hauteur qui domine la plaine, mais dominee elle - meme par celle ou. le general Burgoyne avait son camp. La droite de cette reserve allemande avait communication a la gauche des Anglais, et la gauche se dirigeak vers la riviere du nord. Le general Gattes de l'autre cote du creek avait son camp a un demi quart de mille de celui du general Burgoyne ; ia droite s'etendak un peu vers la plaine , mais il tenait autant qu'il pouvait les troupes dans les bois a convert du feu jusqu'a ce qu'il se determinat a une at- taque ; le general Nelson a la tete des milices ( 5oi ) «mericaines bordait les hauteurs de Vautre cdte de la riviere du nord, et etait ainsi sur le flanc gauche des Anglais ; d'autres troupes americaines observaient leurs mouvemens sur leur flanc droit. C'est dans cette position que Burgoyne reduit a une nullite presqu'entiere de vivres , mais pourvu d'artillerie et de munitions s'est rendu. Les lieux sont absolument tels qu'ils etaient alors aux buissons ores que les deux armees- avaient coupes devant leur front, et qui ont repousse. Il n'existe pas la moindre alteration dans le terrein depuis cette epoque ; les retranchemens existent; le sentier par ou Vaide-de-camp du general Gattes portait au general anglais son ultimatum, le lieu meme ou le conseil de guerre des officiers anglais s'est tenu , sont comme ils etaient alors ; on voit le chemin par ou la colonne anglaise se joignant a la colonne allemande a descendu par sa gauche pour »aller deposer ses armes dans l'enceinte d'un vieux fort cons- truit du tems de la guerre de la reine Anne ; ©n voit la place ou cette malheureuse armee a passe le creek a gue pour, gagner le chemin d'Albany et y defiler devant Varmee ame- : ricaine. On voit enfin celle ou le general I Burgoyne a rendu son epee au general Gattes ; ou Vhomme qui deux m,ois plutot ajmongaic ( 302 ) l'incendie , le pillage , le scarpel k tous lell rebelles qui ne rejoindraient pas les drapeaux anglais, a leurs peres , a leurs femmes et a leurs enfans, a fait ployer l'orgueil britannique sous le joug de ces rebelles , et a regu la double mortification et d'un anglais ministe- riel s'humiliant devant des sujets revoltes et d'un general commandant des troupes disO^B plinees, se rendant a des bandes de paysans demi armes et demi cbuverts. L'homme a done bien de la force pour pouvoir supporter sans mourir un tel malheur. Cette place memorable est au coin meme de la cour de John Schuyler. II etait alors age de douze ans et present a cet evenement, sur un petit tertre au pied duquel etait le general Gattes, et ou s'appuyait Varmee americaine pour voir de- filer Vennemi sans armes. II est possesseur de tout le terrein ou campaient les deux ar- mees , il en .connait tous les pas. Combien l'Americain qui sent couler son sang avec cha- leur, doit etre heureux d'une telle propriete. On peut s'etonner que le congres, qu'au moins la legislature de New-Yorck n'ayent pas de- crete Veievation d'un monument a cette place , monument qui ne portantque le reck du fait, en reprodukak le souvenir dans Vesprit de tous ceux qui passeraient sur la route, et aveo ( 3o3 ) lui perpetuerait des sentimens de fierte , de gloire, de patriotisme bons a transmettre pour long-tems encore d'age en age aux Americains., Les Anglais n'eussent pas manque une telle occasion ; John Schuyler devrait au moins re~ parer la modestie de son gouvernement, ne fut-ce que par une pierre devant laquelle aucun de ses conckoyens n6 passerait sans eprouver des sensations a la foisdouces et fieres , et utiles a la chose publique. John Schuyler est proprietaire d'une ferme ~ de i,5oo acres, dont 5oo entierement dega- ges de bois ; les terres sur la riviere sont ex- cellentes, et se vendent de trente a trente-huit dollars l'acre,celles en arriere de dix a douze; sa ferme est exploitee en grains , sur-tout en mais ; il regit un moulin a grains , deux moulins a scie, que le Fish-creek fait aller. Ce creek tres-large et tres-abondant en eau , a une succession de chutes capables de mettre en mouvement toutes les mecaniques qu'on voudrak etablir. Le proprietaire fair plus defoin qu'il n'en a besoin , il aime mieux levendre que d'eiever des bestiaux, et c'est un calcul qui, je crois , tient plus de la paresse que de la reflexion. Possesseur de tous ces moulins et de i,5oo acres de terre, il ne paye que trente- cinq dollars d'imposition, taxes de comte, ( 3o4 ) entretien des chemins , taxes pour les pauvres, et dans les taxes de comte sont compris cette annee les frais pour la construction d'une maison de justice et d'une prison. Je cite cet exemple comme pouvant donner une des I mesures de Vimposition de Vetat de New- Yorck, dont sans doute j'aurai occasion de parler avec plus d'etendue. John Schuyler m'a regu avec une grande honnetete ; c'est un jeune homme doux , bon, j sage , tres-occupe d'affaires , les faisant, dit- I on, fort bien et tres-influent dans son canton , il a des mameres fort aimables. Sa femme I est une Van Rensselaer. Elle passe tout son ; tems dans cette maison qui est joke, mais I sans voisinage ; elle ne voit que sa famille, qui la visite quelquefois, Son mari , qu'elle I aime beaucoup , est souvent dehors pour affaires ; elle se plaint doucement de cette vie isoiee , mais elle la supporte en s'occupant de ses enfans et des soins de son menage; d'ailleurs elle est charitable , bonne et esti- xnee dans son voisinage. Les ouvriers sont en abondance dans ce canton ; on les paye trois schellings dans les tems ordinaires , mais les negres font les tra- yaux journaliers ; ils sont tres - multiplies ; il n'est pas une maison qui n'ait un ou plusieurs esclayes. ( 3o5 ) esclaves. John Schuyler en a sept. On dit que les negres esclaves sont mieux traites, plus heureux que s'ils etaient libres ; cela se peut. On ajoute que si on leur donnait la liberte , il ne sauraient qu'en faire; cela se peut encore: mais c'est, il faut §n convenir, une morale sin-1 guliere et choquante a entendre predier par un peuple libre. Il est vrai que les negres sont bien traites dans l'Etat de New-Yorck ; mais il est vrai aussi qu'un bon calcul prouve, qu'a la commodke pres de les avoir sous la main pour toute espece d'ouvrage, leur travail revient plus cher que celui fait par Vouvrier blanc; tant J'esclavage est un mauvais regime. J'ai laisse le jeune Schuyler avec la fievre , il venait de faire le meme voyage que nous ; c'est une victime de plus de Vair horrible qu'on respire dans les terresinfectees que nous avons traversees (*). Le frere cadet de M. Rensselaer est aussi atteint de cette fievre , ainsi qu'un autre des habitans d'Albany , avec qui nous avons fait route ; tous nos bateliers sont malades, Vun d'eux est mort.ggLpus ne pouvons done pas , en verite, faire l'eioge de la salu- brke de la navigation du Wood-creek. (*) J'ai appris depuis a Boston qu'il etait mort, etji l'ai regrette\\ Tome II* §p 1 ( 3o6) Stillwater. II y a bien long-tems que les bords de la ri* viere du Nord, depuis Albany jusqu'a Saratoga, sont habkes; mais les pays en arriefB se peuplent abondamment depuis plusieurs annees , et le sont deja dans une profoilB deur qui varie de cinq a trente milles ;f le Connecticut et toute la nouyelle Angleterre fournissent a ces nouveaux etablissemens. Les terres sont generalement bonnes; les fermes de cinq cents acres en culture ne sont pas rares le long de la riviere ; j'en ai yu plusieurs de cette etendue , presque toutes destines a elever des bestiaux , mais toujours tenues mediocrement, toujours peu ou point fumees , toujours labourees seuleinen't^T^rOisou a quatre pouces. L'etendue commune des fermes est de deux cents acres. Tous les environs de la riviere du Nord sont vraiment agreables. Les montagnes qui la bordent sans la presser, sont presque toutes couvertes de recoltes abondantes. C'est dans ces defiles que le general Burgoyne s'etait engage pour aller a Albany ou il esperak etre joint par le general Clinton, et-e'est-de seul chemin qui l'y pouvait con- duke. C'est la qu'ayant trouve en tete le general Gattes, ayant e.te battu par lui, et ayant ( 5o7 ) souffert une grande perie d'hommes, k se retira dans sa position de Saratoga , abandonnant sa grosse artillerie. J'ai vu le champ de cette importante petite bataille ; j'ai vu cette elevation ou le colonel Eraser fit des efforts si repetes, si intrepides et si inutiles pour forcer les Americains. J'ai vu le tertre sous lequel il est enterre. Les gens du pays montrent avec orgueil tous les coins de ce terrein, et Von voit que leur energie se retrouverait promptement au besoin. C'est a Stillwater que cette action s'est passee , que cette decisive retrake de Burgoyne a ete resolue. Mais sous le nom de Stillwater comme sous celui de Saratoga, est comprise une enorme etendue de pays, Le township de Stillwater a vingt mdles de long , celui de Saratoga trente-cinq, et tous les points s'appellent Saratoga ou Stillwater. J'ai oublie de dire qu'il y a dans le township de Saratoga plusieurs curiosites naturelles ; deux sources d'eau minerale, une kBallstown, l'autre connue sous le nom des eaux de Saratoga ; toutes les deux sont en grande reputation , particulierement celle de Ballstown , ou les commodkes de logement sont beaucoup plus complettes. Les eaux sont sur-tout impregnees d'air fixe; quelques personnes croient que les deux sources communiquent Y a ■ ( 3o8 ) ensemble. On dit celle de Saratoga plus forteM II y a aussi pr6s de ces eaux des crystalhsaw tions, qu'on assure dighes de la curioske. M. Thompson. Je ne veux pas omettre ici le nom du juge Thompson ; il demeure a Stillwater. Son fils alne est un jeune homme qui se destine a etre arpenteur, et qui a fait la derniere cam- pagne avec M. Vanallen; nous l'avons done trouve dans les bateaux qui nous ont ramene^B et nous avons fait route avec lui; il est douxlBJ bon et obligeant. Je lui avais promis de ne pas passer devant sa porte sans le voir. J ai tenu parole et j'ai ete engage par sa famille, d'une maniere si simple , si franche, a coucher dans leur maisOn, que je n'ai pu m'y refuser. C'est une famille bonn e , honnete, de ces mceurs pures, douces, candides, qu'on rencontre avec une veritable satisfaction. Le juge Thompson est proprietaire d'une grande quantite de terres dans differentes parties de Vetat de New-Yorck, la plupart dans leur etat de nature. II demeure sur une ferme de i5o acres , dont 120 cleared ; il eleve beaucoup de betail , beaucoup de mules , qu'il vend k Vage de deux ans, en Connecticut, (3o9) 5o a 60 dollars ; il eleve aussi beaucoup de chevaux ; c'est un commerce assez lucratif, et dont, comme je 1'ai deja dit, les marchands d'Albany ne savent pas profiter. On assure que dans ces cantons , il se vend annuellement 2000 mules. C'est d'un riche fermier, le squire Poll, que je tiens cette estimation ; je ne la donne pas pour positive, car tous les caleuls en grand des consommations , des produks , des besoins meme pour une seule grande ferme, sont faits a peine dans ces pays, par quatre personnes. Les vceux pour les Frangais, mais la detestation des crimes commis dans leur revolution, la haine bien prononcee contre les Anglais , sont ici comme dans toutes les campagnes, le sentiment general. Les terres pres de la riviere , sont bonnes, et rapportent en bled , toutes mai cultiv qu'elles sont, de 20 a 3o boisseaux par acre; leur prix est de 5o a 75 dollars. Je voyage ici au i3 aoiit, et beaucoup de foins ne sont pas faits , aussi sont-ils la plupart durs comme dubois. Cohoes-fall. En allant a Saratoga , j'avais passe par le pont nouveau qui vient d'etre bati sur la riviere, y 3 (3io) des Mohawks; ce pont est le point d'ou la Cohoes -fall est vue avec plus d'avantage ; mais la riviere a trop peu d'eau dans cette sai- son pour nourrir cette chute. Les rocs sont a sec dans beaucoup d'endroits, quelques partiJJ cependant en sont assez belles : la hauteuj perpendiculaire est d'environ 5o pieds. La largeur de la riviere est d'un demi-quart de mille; Vaspect general n'a d'ailleurs rien de \\ bien piquant, ni comme sauvage ni commerB mantique , ni par consequent comme agreableM Cette chute a toutefois une grande reputatio^B en Amerique. Le pont est de bois , etabaB sur des piles de pierre , distantes d'enviroU •vingt-cinq a trente pieds. La magonnerie n'en parait pas faite avec soin; la charpente Vei™ tres-bien. New-city et Troy. En re venant de Saratoga, j'ai passe la riviere du Nord a Half-moon point, pour traverser les deux nouvelles villes de Lebenstown ou New-city et de Troy , dont j'ai parle comme eievees depuis un tres-petit nombre d'annees, et faisant deja un commerce considerable. Les maisons en sont jolies , multipliees ; des stores presque dans chaque maison , des ouvriers (on ) de toute espece, d'excellentes taverfles, des sloops a tous les quais , des tanneries , des etablissemens de potasse, des Corderies, des moulins sont en mouvement ous'eievent. Cette activke est vraiment agreable. Un M. Taylor , proprietaire d'une centaine d'acres aupres de Ponstenkil-creek, y a etabli deux moulins a bled, deux a scie , un a papier. On dit qu'il fait le commerce de New-Yorck sur un sloop qui lui appartient. Sa propriety est jolie, bien arrangee , et peut etre profitable dans des mains prudentes et habiles. On dit aussi qu'il veut la vendre; c'est un des lieux que j'ache- terais de preference si je songeais a m'eta en Amerique, et que j'eusse les moyens d'ac ter. Il y a de quoi s'y occuper tous les jours, et a chaque moment de tous les jours , d'une maniere utile pour soi et pour le pays. Observations mineralogiques , et autres. Le pays, entre Albany et Saratoga, est ge- neralement sabloneux , les collines, sur-tout aux environs de Saratoga, sont d'un sable durci; le roc solide qu'elles couvrent, et qui souvent les perce , est une espece grossiere d'ardoise , d'une couleur tres - foncee, avec y 4 t 5l2 ) des veines d'un quartz blanc. Leurs debris et leurs brisures presentent une grande qi^antitS de figures differentes, souvent tres-singulieres. Aux environs des sources minerales de Balls- town et de Saratoga, les veines calcaires sont abondantes, et les pyrites de fer et de cuivre se trouvent en quantite. On peut en conclure qu'il y existe des mines de ces deux metaux, mais elles sont, comme presque toutes les mines du terrkoire des Etats-Unis , encore sans exploitation. On rencontre peu de rocs jusqu'a la chute de la riviere des Mohawks , connue sous le nom de Cohoes-fall. Les pierres qui forment cette chute sont d'un schiste argilleux; une partie s'en decompose assez facilement, mais quelques - unes ont plus de durete , se cassent en pieces conchoidales, et ressem- blent beaucoup au basalte. On voit pr6s de la chute quelques veines d'un feldspath rou- geatre. Entre la chute de la riviere des Mohawks et Albany, les terres qui forment les mnnJB tagnes , sont plus argilleuses , tres-dures, et les pierres qui s'y trouvent sont encore une espece d'ardoise ; mais entre ces montagnes, et le lit actuel de la riviere , on remarque une suite de petites collines sabloneuses, elevees a peu-pres egalement sur les deux bords, et qui C 3i3) ne permettent pas de douter qu'elles sont des dep6ts qu'a laisses cette riviere quand elle s'est fixee dans le lit qu'elle occupe actuellement. C'est aux environs de Saratoga que se voient les derniers platanes, acacias et cedres blancs; plus au nord ils ne croissent pas , le cedre rouge, le peuplier de Caroline , et le cedre de Virginie ne commencent aussi qu'aux environs de la chute de la riviere des Mohawks. A plusieurs milles aux environs des sources minerales de Saratoga et de 'Ballstown, on ne trouve que des pins blancs, de petits cbenes rabougris et de la fougere? Sur le Traite de Commerce entre l'Amerique et VAngleterre. Depuis qu'en quittant les possessions anglaises , nous sommes entres dans celles des Etats-Unis je n'entends parler que du. traite de commerce de I'Angleterre avec l'Amerique. Les papiers publics sont pleins de discussions a cet egard, et les conversations n'ont pas d'autre objet. Je ne sais si la majorke est pour ou contre, mais le nombre des opposans est assez considerable , pour devoir inquieter les amis de la paix. Je ne connais pas encore assez l'Amerique , et je n'ai pas meme etudie; EM] jusqu'ici le traite assez a fonds pour avoir une opinion arretee sur son merite et sur ses consequences. Je consignerai cependant ici la maniere dont j'en suis frappe au premier ap- pergu , ne fut-ce que pour retrouver cette opk nion, quand le tems aura prononce son juge- ment. Il me semble indubitable qu'il est desavan- tageux a l'Amerique ; la reciprocke n'est pas entiere, et les interets du commerce ameri- cain sont blesses dans differens rapports ; il deroge ouvertement aux traites anterieurs avec la France, et est ainsi en opposition avec les redoublemens d'a.mitie dont l'Amerique a fait si hautement profession, meme sous l'assassi- nante tyrannie de Robespierre. II doit etre d'ailleurs notoire a l'Amerique que le gouvernement anglais entretient contr'elle des dis~ positions non pas seulement de malveillance, mais de rancune et de haine; que ces dispositions sont d'une nature a ne jamais-changer, tant que les principes du gouvernement anglai3 ne varieront pas ; que I'Angleterre voit toujours dans les Etats-Unis des sujets rebelles qu'il faut punir de leur independance s'ils ne peuvent etre reconquis ; et que si elle consent a traiter momentanement avec eux, c'est que sa situation presente la met dans VimpossibiliteV | (3i5) de leur faire la guerre , et lui fait trouver quel- qu'avantage dansun traite quiaugmente prodi-* gieusement le debouche de ses manufactures ; et qui de plus peut deplaire a la France, la detacher de l'Amerique, nuire a son commerce; de sorte qu'elle se promet par cette rupture de tenir les Etats-Unis dans sa dependance, et de tirer ainsi d'eux dans leur denuement d'autre alliance le parti conforme aux dispositions qu'elle nourrit sans relaohe depuis la paix de 1783. Ces yerites sont notoires a tout ce qui connait la politique du cabinet de St.-James ; elles sont plus frappantes encore pour ceux qui ont vecu un peu avec ses agens en Ame- rique, qui ne se donnent pas meme la peine de les deguiser. Faire un traite d'amitie sur de telles bases, c'est done agir en dupe; et c'est d'ailleurs s'exposer a affaiblir les liens de l'Amerique avec la France, sa veritable alliee, qui des qkelle aura un gouvernement stable (ce a quoi la majorke de la nation tend evi- demment a present) deviendra plus puissante que jamais ; car si Vintention secretre de l'Amerique etait de rompre cette ancienne alliance a la premiere circonstance favorable, ce serait embrasser une politique peut-etre erronee, mais certainement indigne du carac- tere de loyaute, que les cabinets des couri (3i6 ) peuvent mepriser, mais qu'un peuple nouveau qui fait lui-meme ses affaires, ses alliances el ■ ses traites doit impertuYbablement professer. M. et Madame de la Tour-du-Pin. M. le Couteulx > etc. Un des plus grands plaisirs que je me proposals en venant a Albany, etait celui de voir M^iMad. de Gouvernet, de passer quelques fours avec eux; je ne les ai pas trouves k mon arrivee; ils etaient a New-Yorck, mais ils de- vaient en revenir tous les jours. La sante de du Petk-Thouars , en nous obligeant a nous ar- reter, nous a aides a attendre le moment probable du retour de M.. de Gouvernet, qui est arrive la veille meme du jour au-cfela duquel je ne pouvais remettre mon depart. Je Vai cependant differe de vingt-quatre heures pour les passer avec eux. Quand on sait ce qu'etait une jolie femme a Paris, reunissant aux graces de la figure, de la taille et de Vesprit, tous les talens , tous les moyens de succes; et qu'on voit cetle jolie femme dans une petite ferme de cent acres, faisant elle-meme son menage jusques dans les plus petits details, et menant cette vie nou- velle avec une simplicke, une gaite qui pour- (3i7) rait faire croire meme qu'elle lui plait, on trouve une raison de plus d'aimer, d'admirer le caractere des femmes, et des femmes fran- gaises en particulier. Ce sont elles qui dans cette cruelle revolution ont montre le plus de fermete , le plus d'attachement a leur devoir , le plus de Constance dans leurs sentimens; ce sont elles qui ont soutenu le courage de beaucoup d'hommes, qui sans elles en eussent £||u1>- etre manque, qui ont adouci leurs malheurs f enfin elles ont montre autant de qualites et de vertus dans l'adverske, qu'elles montraientd'r- gremens et d'esprit dans le tems de leur gloire. Je parle pour un nombre en verite grand. Mad. de Gouvernet est a la tete de ce nombre; c'est a die qu'est due la conservation de son mari, 6a sortie de France, le peu d'argent qu'il a pu sauver; c'est a elle que sont dus les jours heureux qu'il passe ; la galte , .le plaisir avec lesquels il soutiint une vie' d'ailleurs peu faite, je crois, pour ses gouts et ses habitudes, lis vivent a cinq milles d'Albany, sur la petite ferme qu'ils ont achetee 15,ooolivres, monnaie de France. La terre n'est pas de la premiere qualite, mais die est susceptible d'etre culti- vee en prairies assez bonnes, et de repondre au sage projet qu'ils ont d'en reduire la ma- nutention a Vengrais des bestiaux et au profit (3i8) dela laiterie, jusqu'a ce qu'ils puissent retour- ner en France. lis vivent seuls avec un jeune homme qui les a suivis dans leur fuke de France, et qui partage leurs travaux et leur societe. La ville d'Albany leur est de peu de ressource sous ce dernier rapport. L'ignorance ou la plupart des personnes de la premiere classe de la ville sont de Vexistence de Mad. de Gouvernet dans leur voisinage, et l'indif- ference avec laquelle Vy voient ceux qui sont plus a portee de connaitre son merite et celui de son mari, feraient seules le proces a l'hos- pitalite des habitans d'Albany. Quelques Frangais sont encore etablis dans la ville et dans les environs. Je n'ai cherche a y connaitre que M. Le Couteulx, interessant par le nom qu'il porte. Ceux qui connaissent cette famille savent qu'il n'en est pas une plus recommandable , pas une ou la sagesse, la loyaute et l'habilete dans le commerce ayent ete plus constamment, et depuis plus long- tems heredkakes. Celui-ci est digne de porter ce nom, d'apres Vavis unanime de tous ceux qui ont eu affaire a lui. II a quelque chose de particulier dans les idees, et aussi dans les expressions; mais il est bon, obligeant, sin^ cere , et generalement estime. Il est associe avec M. Quesnel, negociant de St. Domingue. -( 3i9 ) Cette maison est aussi associee k celle d'Olive k New-Yorck, et par elle, dit-on, k la grande et respectable maison Le Couteulx en France* Potasse et Pearlasse. Comme la potasse forme une branche assez considerable du commerce d'Albany, ainsi que des autres villes d'Amerique, qui ont derriere elles des pays nouveaux, je crois devoir placer idles renseignemens que j'ai pris sur sa fabrication. La potasse estleseldes cendres degage des inatieres qui lui sont etrangeres. Les operations pour l'obtenir sont la Iessive et Vevaporation. De grandes cuves a doubles fonds sont rem- plies de cendres ; c'est dans la partie supe- rieure qu'on les place, a dix ou onze pouces de profondeur ; le faux-fond qui les supporte est perce de quelques trous. La partie infd- rieure de la cuve est remplie de paille ou de foin; Veau repandue sur la cendre filtre au travers en s'impreignant des parties salines, et se dediarge encore sur les couches de paille des matieres heterogenes qu'elle pourrait avoir entralnees. La Iessive est tkee de cette cuve par le moyen d'un robinet, et si die n'est pas assez forte, elle est repassee sur d'autres cendres. On la juge assez forte quand ( 320,) tm oeuf peut y surnager. Cette Iessive est mise ensuite a bouillir dans des chaudieres de fer , decouvertes et entretenues toujours pleines par une grande bouilloire continuellement remplie elle-meme de Iessive bouillante. Quand la Iessive commence a s'epaissir dans les chaudieres, on cesse d'y en verser de nou- velle, mais on continue le feu jusqu'a Ven- tiere evaporation des parties aqueuses, c'est- a-dire , jusqu'a ce que la matiere soit conduite a un etat absolu de sedieresse et de durete. Ce sel alors noir, est ce qu'on appelle la potasse noire. Arrive a ce point, quelques manufac- turiers le laissent encore dans la chaudiere , qu'ils chauffent d'un feu clair et vif. L'huile, par cette nouvelle calcination , se degage du sel en fumee epaisse, et la potasse, de noire qu'elle etait, devient grise; alors elle est mbe en barrils pour le commerce. L'operation de la fabrication de la potasse dure plus ou moins long-tems , selon la nature des cendres lessivees, et selon la force de la Iessive ; vingt-quatre heures sont a-peu-pres le terme moyen. Les cendres de bois verd sont preferees , et celles de chene font particulu)- rement de meilleure potasse. Les cendres d'arbres resineux n'en peuvent point donner. Les cendres (32! ) Cendres faites depuis cinq a six mois sont aussi preferees aux cendres plus nouvelles. II est des manufacturiers de potasse qui n'emploient pas de marmites , et qui entre- tiennent leurs chaudrons par la Iessive froide sortant des cuves; il en est encore qui, a rae- sure que le sel se forme dans les grands, le mettent dans de petits pour y achever sa crystallisation. Dans beaucoup de parties de l'Etat de New- Yorck, et principalement aux environs et au nord d'Albany, les potasses se font par le3 habitans qui abattent des bois ; mais il y a aussi de grandes manufacturd^Bj oil jusqu'a trente ou quarante cuyes sont employees pour la Iessive et dix ou douze chaudrons pour les evaporations. Les manufacturiers achetent les cendres des particuliers qui les leur apportent. La dimension des cuves, des chaudrons, est differente , selon que la fabrication en est faite plus ou moins en grand. On compte en general que cinq a six cents boisseaux de cendres produisent un tonneau pesant de potasse ; c'est-a-dire 2240 liv. Les barrils dans lesquels se met la potasse doivent etre de chene blanc, ou, a son defaut, du bois le moins poreux. Les douves doivent etre d'un plus fort echantillon que celles de» Tome IL X ( 322 ) barrils destines a receyoir toute autre mar- chandise , et les cerceaux doivent aussi y etre plus multiplies ; la moindre crevasse expose- rait la potasse a Vhumidke de l'air , et par consequent, a la dissolution ; il est des exem- ples que des barrils mai conditionnes et rem- plis de potasse , ont ete trouves peu de tems apres plus d'a moitie vuides. La Pearlasse est la potasse purifiee par Faction immediate du feu. A cet effet, la potasse est mise dans un four ovale, des barres de fer formant une espece de gril sur lequel elle est placj^. separent ce four environ a un tiers au-oSfsus de son fond. C'est au-dessous de ce gril quest mis le feu , dont la chaleur , renvoyee par la voute superieure , rend la calcination parfaite , et forme ainsi la pearlasse ; alors cette matiere , devenue blanche, est retiree du four et mise a refroidir, puis enfermee dans les barrils. Cette operation de la calcination dure environ une heure. La pearlasse est d'un poids relatif beaucoup plus considerable que la potasse , parce qu'elle est plus compacte ; car la deperdkion de la potasse par la calcination est petite. Quoique la pearlasse soit moins dissoluble par lair que k potasse , les barrils dans lesquels elle est arise sont du meme echantillon. Ceux qui (323 ) servent a Vune et Vautre de ces marchandises sont de differentes grandeurs , et en contien- nent depuis deux jusqu'a quatre cents liv. La potasse et la pearlasse sont vendues par tonneau dans le commerce ; elles ne peuvent etre exposes qu'apres avoir passe a Vinspection etablie dans tous les Etats ou il s'en fabrique. La fievre de du Petit-Thouars ayant extremement diminue ses forces , il a prefer de rejoindre ses penates. Je me suis separe de lui avec peine. Il est triste de voyager seul, plus triste encore quand on est malade , et j'ai eu hier un acc6s de fievre , que je crois le commencement d'une fievre tierce. J'en ai ressentile premier acces chez M. de la Tour- du-Pin , mais je n'en pars pas moins pour Boston , ou je trouverai des lettres d'Europe qu'il me tarde beaucoup de recevoir ; car , depuis trois mois, je n'ai entendu parler de personne qui m'interesse. Route d'Albany a Lebanon. J'ai quitte Albany sans regret. Le jeuna M. Rensselaer et M. Henri , sont reellement les seuls de qui j'aie regu quelques civilkes ; d'ailleurs , tout ce peuple est triste , peu actif, peu obligeant; c'est le plus desagreable que j'aie encore trouve en Amerique. A cela pres \\ X a ff ( 324 ) •Albany estun lieu ou, avec quelques capkaux, on peut faire de Vargent , et avec de grands capitaux une grande fortune. Le commerce repond de tous les fonds qu'on veut y mettre, presente moins de danger qu'aucun autre , quand on ne veut pas risquer , et un esprit hardi et juste pourrait, je crois , en pousser ires-loin les entreprises. Nous y avons eprouve des chaleurs tres-con- siderables. Le vendredi, 7 aout, mon ther- mometrea ete a.96 de Farenheit ou 28 quatre iieuviemes de Reaumur, On nous a dit que celui de M. Lewis, qui passe dans la ville pour un observateur exact, s'etakeieve jusqu'a 100 de Farenheit ou 69 trois quarts de Reaumur. Cette chaleur a dure plusieurs jours avec la tneme force , et toujours des nuits qui ne jeparent pas. Mon cheval , qui devait m etre envoye de chez le capitaine Williamson , n'etant pas encore arrive, je me suis embarque dans le $tage, c'est-a-dire dans une charette non-sus- pendue, mais convene. On passe , en sortant d'Albany ,1ariviere duNord. Lechemin jusqu'a Lebanon, ou nous avons couche , est mon- tueux , et presque tout en etat de commencement de settlement. Les terres , dans 1 etendue de vingt-cinq milles, appartiennent a M. Rens- ( 325 ) selaer, lieutenant-gouverneur, le plus riche proprietaire de l'Etat de New-Yorck , et peut- etre des Etats-Unis. Beaucoup de ces terres ont ete concedees par patente a ses ancetres, lors de Vetablissement hollandais ; il en a acquis lui-meme beaucoup d'autres ; il en a re- vendu une quantite considerable; mais il les vend presque toutes avec la sujetion d'une rente. C'est sans doute un revenu agreable ; il me semble cependant qu'il peut n'etre pas dans ce pays d'une longue solidke , et qu'il serait plus sur de vendre franc de toutes charges, et de placer alors son argent d'une maniere independante. L'homme quipaie tous les ans une rente sur sa terre , oublie bient6t la justice de cette condition ; il ne sent que le desagrement de payer aux epoques fixees , et profite de la premiere circonstance ou il peut se debarrasser de cette charge. Une yieille quakeresse qui n'a pas dit un mot, et qui n'est venue que jusqu'a Philipstown , et M. Elroy, etaient la compagnie du stage. Celui-ci est un proprietaire de la Pensylvanie sur la Delaware , qui ne suit aucune profession , aucune voie de commerce , qui vit dans sa ferme quand il ne court pas pour son plaisir; Il n'est pas marie, sa sceur tient son menage. il parait avoir une grande quantite de terres , X 3 ( 326 ) sur-tout sur le Fish-Creek , dans le tract de M. Sereiber, Il parait bon homme, mais triste et ennuye. La fievre, qui m'a pris vers Philipstown, m'a empeche de prendre sur le pays les informations que nos differentes stations auraient pu me procurer. J'ai seulement appris que toutes ces terres se vendent de six a huit dollars. La derniere ville ayant d'arriver a Lebanon , est Stevenstown, sur un bel et grand creek ; elle appartient encore au Patron, c'est ainsi qu'on appelle dans Albany et ses environs M. Rensselaer. D'ailleurs , le pays est triste , montueux , couvert de rocs, ne produit que des hemlocks et des pins blancs. De Stevens- town a Lebanon, en approchant de cette derniere place, le pays s'ouvre ; c'est un vaste bassin forme par la terminaison d'une grande quantite de montagnes de differentes formes , de differentes hauteurs , presque toutes culti- vees en paturages jusqu'a leur sommef. Apres avoir fait beaucoup de detours dans cette vallee, on arrive a Vauberge de M. Staw. Faux de Lebanon, Shakings-quakers. Lebanon est un lieu d'eaux mineral.es, et la taverne de M, Staw, placee a mi-cote de ( 327) la montagne d'ou sort cette source, en est tout- a-fait voisine; c'est-la que la plupart des bu- veurs d'eau se mettent en pension. C'est de-la aussi que la vue de cette valiee, ou plutotde ce bassin, est la plus agreable , et elle Vest reel- lement. Une quantite de jolies maisons placees au milieu des champs, embellissent cette vue, ornee encore de plusieurs villages. J'etaistrop malade. quand j'y suis arrive pour en jouir. II a fallu , quoiqu'ilfut a peine cinq heures , me trainer dans mon lit , fink mon acces , y prendre l'emetique, et renoncer a tout ce que ce lieu offrait a la curiosite par lui-meme, et par son voisinage. En A uteri que , au moins dans quelques Etats , les stages ne marchent point les di- manches , il en est ainsi dans l'Etat de New- Yorck. Nous avons employe notre matinee, M. Elroy et tnoi, a aller voir les shakings- quakers, espece de moines etablis a trois ou quatre milles de la taverne ou nous etions. Si *je n'eusse pas ete malade laveille , j'aurais ete les voir au travail, et probablement Vimpor- tunke de mes questions eut obtenu quelques informations certaines sur leur origine, leurs r.eglemens, la maniere dont les richesses communes sont distribuees et depensees, dont les achats se font, dont la societe se renouyelle, X 4 ( 328 ) s'entretient, etsur-tout sur son etat actuel. II a fallu nous borner a voir par nous-memes leurs villages, l'interieur de leurs maisons , de leurs jardins, leur cuke, et a savoir sur le reste ce que le maitre de notre taverne et un autre homme qui pretend les connaitre ont pu nous en dire. i ,$?}*$ Leur gouvernement est une republique ad- ministree despotiquement. Ils travaillent tous pour la societe qui les nourrit, les vetit, mais ils travaillent sous la direction d'un Chief-Elder qu'ils choisissent, et qui est tout-puissant dans son gouvernement; il a sous ses ordres des inspecteurs de toutes les classes, et avec dif- ferens degres dans leur pouvoir. Les comptes lui arrivent ainsi progressivement, et ses ordres sont progressivement transmis. S'adresser au Chief-Elder quand on n'est pas dans la classe qui en a le droit, c'est se rendre cou- pable d'un sacrilege, severeme'nt puni quand il est commis par un membre de la societe, et severement reprimande quand par hasard il est le fait de quelqu'etranger ignorant. Le mariage est interdit dans cette societe, qui ne se renouvelle que par les proselytes, et qui se renouvelle moins abondamment a present qu'il-y a vingt ans, epoque de son etablissement dans le pays. Des hommes et des femmes ( 329 ) inaries sont admis, mais apres avoir renonce l'un a Vautre ; souvent ils amenent leurs enfans, qui deviennent des-lors la propriet4 commune. II arrive bien quelquefois que mal- gre la prohibition la chair parle et agit; si c'est dans l'interieur de la societe, la punkion est forte, exemplake, corporelle; si, ce qui arrive leplus souvent, les amans se sauventpour se marier, on court apres eux, et si on les at- trape, on les punk comme pour Vautre cas , quoique dans la societe on ne fasse aucun voeu positif. En consequence de cette doctrine celiba- taire , les hommes et les femmes logent se- parement, mais dans la meme maison. 11 y en a quatre d'habitation dans le village ; les autres sont des ateliers. Tous les metiers s'exercent dans cette societe ; on y manufacture des draps , des toiles , des souliers, des selles, des fouets, des clous, des ouvrages de menuise- rie, enfin tout ce que l'industrie peut regarder comme d'un debit stir. C'est dans les villes , voisines qu'ils vendent leurs ouvrages , que d'ailleurs ils debitent aussi chez eux. Les femmes travaillent en linge, en tricot, en vetement de diverse nature. II parait que cette administration estmon- tee a un grand point de perfection , que l'e- ( 33o ) mulation parmi les membres de la societe est active, et que la societe est riche ; mais le Chief-Elder seul en sait la verite. Ce peuple d'ailleurs est bon, fidele a ses engagemens , excellent voisin, ouvrier exact, et raisonnable dans ses prix. Voila tout ce que nous avons pu apprendre des ridicules et des qualkes de 1'ordre monacal shaking, et j'ai dit comment nous l'avions appris. Quant a son cuke, j'en ai ete temoin. Lors- que nous sommes arrives , il etaient deja a. leur salle de culte ; c'est une piece desoixante- dix pieds de long sur quarante - cinq a cinquante de large ; dix-huit croisees edairent et rafraichissent cette chapelle ; une cheminee est a chaque bout ; un rang de bancs places contre.les murs entoure la salle ; quelques- uns de plus sont a la droite des cheminees ; a Vun des grands cotes sont les deux portes d'entree pour les hommes et pour les femmes. La salle est interieurement revetue enplatre, les moulures des boiseries, des croisees peintes en bleu leger, les bancs en rouge. Tout ce qui pouvait etre assis V etait; le reste, et c'e~ tait le plus grand nombre, etait debout. Le Chief-Elder ( l'ancien ) etait assis sur le milieu du banc oppose aux portes. On nous a fait eigne de nous asseoir entre les deux portes. ( 33i ) Les freres et les sceurs etaient dans un silence absolu, Les hommes vetus d'un habit bleu , d'une veste noire et d'un pantalon a carreaux bleus et blancs. Les femmes en long casaquin blancr jupon bleu, tablier de la meme etoffe que les pantalons des hommes ; un grand fichu carre biencroise ,un bonnet plat rattache sous le menton comme les tourieres de couvent. Les hommes portent les cheveux plats; tous les chapeaux etaient suspendus a des clous. A mesure qu'une femme ou un homme est las d'etre assis ou veut faire place a d'autres, il se leve, reste debout, et. un autre se met a sa place sur le banc. Tous les yeux sont fixes vers la terre,,les tetes penchees, Vair hebete. Les femmes portent a leur main un mouchoir bleu et blanc, qu'elles ne quittent point ;,toutes ont les bras croises ainsi que les hommes. Cette premiere scene du culte a dure pres d'une demie heure, apres quoi, sur un signe du Chief-Elder, tous se sont leves , et s'alignant hommes et femmes, chacun de leur cote ils se sont formes en espece d'eventail sur plusieurs rangs. Les tetes de ces deux eventails n'etaient separees que par le Chief-Elder, qui restait debout a la place ou il etait assis , et les ailes s'ouvraient vers les coins de la salle. Les alignemens etaient tenement etudies , ges, pl„- ( 532 ) qu'ils regardaient long-tems ou ils mettaient leurs pieds avant de les placer. Ainsi range et apres quelques momens de silence sieurs d'entr'eux avaient dans les mains etdans le visage de fortes convulsions, ainsi que de violens tremblemens dans les cuisses, et dans les jambes. Sur un nouveau signe du Chief , car rien ne se fait autrement, ils se sont tous mis a genoux , puis leves quelques minutes apres ; puis le Chief a entonne un chant sans paroles, chant a la fois nasal et guttural, qui dans le ton le plus grave n'emploie que quatre notes; le chant est repete par toute la societe , et cesse encore au signe du Chief. Apr6s un troisieme silence et sur un autre signe, Vordre de bataille change; les hommes et les femmes toujours separes, se placent sur neuf a dix rangs, faisant face au Chief, au- pr6s duquel se mettent deux ou trois hommes et autant de femmes, les anciens ou anciennes de la congregation ; la cohorte des femmes est separee de celle des hommes par un vuide d'un ou deux pas. J'oubliais de dire qu'avant de s'aligner ainsi en front et en file , les hommes quittent leurs habits, qu'ils accrochent avec leurs chapeaux, et paraissent en gilet ; les manches de leurs 1 I ( 333 ) chemises rdevees par un ruban noir. II ne se fait aucune alteration dans la toilette des femmes ; alors le Chief entonne un chant qui m'a semble le meme que celui qui venait de pr6- ceder; il est soulenu par les trois hommes qui sont aupres de lui, et les femmes qui Vas- sistent font a ce chant triste un dessus qui le rend assez meiodieux. Au son de cette mu- sique tout se met en mouvement: un saut et une reverence en face, un saut et une reverence a droite, un saut et une reverence en arriere, un saut et une reverence a gauche, douze sauts et puis douze reverences en face; ensuite on recommence jusqu'a ce que le Chief cessant de chanter, ordonne ainsi aux assis- tans de se take, et au peuple dansant de de- meurer immobile. Les reverences des hommes et des femmes sont un ploiement des deux genoux, la tete a demi penchee , et les bras ouverts ; puis les deux pieds tires successive- vement avec un pe|k saut. Les femmes font la reverence comme les hommes , maisglissent au lieu de sauter; tout cela s'execute en cadence , avec une precision et un ensemble dignes d'un regiment allemand. De cette position ils retournent k celle de 1'alignernent simple, puis au premier ; quel- quefois le Chief dit quelques mots qu'aucun ( 354 ) des etrangers n'a pu entendre. Cette suite de scenes finie, deux femmes arrivent, chacune arme'e d'un balai, balayant d'abord le cote des hommes, qui se rangent pour leur faire place; puis le c6te des femmes est balaye par deux autres [ a qui les premieres remettent le balai; puis les memes genuflexions, chants, aligne- mens et sauts recommencent ; cette espece de service divin a dure trois heures ; j'ai eu la patience d'en attendre la fin, esperant pou- voir parler au Chief ou a quelqu'autre; mais je n'ai pu y parvenir. Sur le signe du Chief, la ceremonie cesse , chacun reprend habit et chapeau, et tous sor- tent ensemble deux a deux ; le Chief accole avec un autre ; les femmes qui ont couvert leur bonnet plat d'un chapeau presqu'aussi "plat, sortent de Veglise et de Venceinte par une porte differente , prennent la queue de la colonne des hommes , suivent la marche les bras croises sur leur p^krine, et se mettent au pas. On nous a dit qu'ils allaient diner, nous n'en avons pas su davantage ; on ne penetre pas le dimanche dans le jardin; nous ne l'avons vu que par-dessus la barriere, il est beau, grand, bien tenu ; tout ce qu'ils ne consom- ment pas de legumes est laisse pour monter ( 355 ) en graine, ils en vendent beaucoup ; toute3 les barrieres, les palissades , les portes sont peintes avec autant de recherche que dans les jardins anglais les mieux soignes; elles r6gnent tout le long des rues pour en separerles maisons ; de jolis petits poteaux peints avec la meme recherche marquent les trottoirs. Rien n'est plus agreable, d'une proprete plus elegante que tout cet ensemble ; encore une fois nous n'avons pu en voir davantage, mais nous en avons vu assez pour savoir que cette secte absurde pour ses principes religieux et pour son culte, a un grand ordre, une grande activite , une grande intelligence dans son travail , une grande droiture dans ses transactions. II y a parmi les soeurs quelques jeunes filles tres-jolies , mais la plupart sont d'un certain age ; la proportion des jeunes hommes est plus nombreuse. Cette secte -qui ne tient en rien a la societe des Quakers, est etablie en Ame- Tique depuis environ vingt-deux ans , et y est Venue d'Angleterre. C'est a Nisqueunia, k quelques milles-d'Albany, que s'est fait le premier 'etablissement en 1774; un ou deux autres se sont faits depuis. Le chef principal de la secte est une femme; la premiere (Anna ZieeseJ etait, dit-on, la maitresse d'un officier ( 336 ) anglais ; die est morte en 1784 ; elle a ete sue-: cedee par une autre que la secteaelue, avec l'opinion qu'on avait de sa predecessrice , qu'elle est infailible, et tient de la divinke. Elle se tient a Nisqueunia, et les Chief-Elders sont ses lieutenans dans les divers etablisse- mens. Quant aux eaux minerales de Lebanon, elles sortent avec abondance d'une source derriere la maison de M. Staw. Une espece de bassin de six pieds cubes les regoit pour la commodity des buveurs. Sur l'extremke de ce bassin , est batie une vilaine baraque de planches ou l'on prend les bains ; une soupape y fait entrer la quantite d'eau desiree, qu'une soupape inferieure vuide. En sortantde ces bains, et a cent pas plus bas, cette eau fait tourner un moulin a grain de deux paires de roues. On ordonne ces eaux pour toutes les maladies; j'ignore si elles ontde grands succes, mais elles paraissent beaucoup moins suivies que celles Ballstown, pr6s Saratoga ; leur gout n'a rien d'extraordinaire ; des builes s'eievent en si grande quantite du fond du bassin, qu'il est a presumer qu'elles sont impregnees d'air fixe, quoique la saveur ne l'indique pas. Le docteur Eray, de Boston, a qui ces eaux appartien- nent, ( 337 ) nent, doit pour l'annee prochaine batir et faire toutes les dispositions desirables pour les bu- veurs et les baigneurs. Les terres se vendent dans ce bassin depuis six jusqu'a vingt-quatre dollars l'acre , selon leur qualite. M. Staw et toute sa famille ont eu de moi , pendant ma fievre , des soins; vraiment pleins de bonte. Pitts-Fields. Le service de l'apres-midi etant termine, les stages peuvent reprendre leur route. Nous sommes done partis pour gagner Pitts-Fields , ou l'on arrive le premier jour en partant d'Albany, quand ce premier jour n'est pas la veille du dimanche. Au haut de la montagne Hancook , vers laquelle on se dirige pour sortir de I ce bassin , est la limite de l'Etat de New - Yorck , que l'on quitte , et de l'Etat de Massachusetts ou l'on entre ; le pays au-dela est plus ouvert ; ce sont pour quelque tems encore de petites montagnes bien cultivees, ornees de maisons. On decouvre Pitts - Fields cinq a six milles avant d'v arriver. C'est une jolie petite ville, commencee il y a environ vingt-cinq ans ; les maisons j Tome II. Y (538 ) sont en menuiserie , grandes et jolies : les edifices de culte elegament batis. Les prix des terres et des ouvriers y sont a-peu-pres les memes qu'a Lebanon; mais la monnaie change, le dollar ne vaut plus que six schellings. Pitts-Fields est dans le comte de Berkshire, peuple d'envkon 50,000 habitans. Fatigue de la fievre de la veille , attendant la fievre le lendemain , je me suis couche peu de momens apres mon arrivee, mais moh sommeil a ete interrompu par une scene de galanterie entre M. Ekoy et une grosse fille fraiche , ayant de beaux yeux ; cette scene se passait sous le porche, et mon lit etait aupres : my dear , my dear I kiss me , kiss me! et tout cela pendant une heure. J'ai le lendemain complimente mon compagnon sur cette bonne fortune, dont je ne connaissais pas toute l'etendue; elle n'avait pas ete au- dela des baisers les plus tendres et les plus ardens des deux parts; tout ce qu'il avait pretendu deplus, avait ete fortement repousse. Je rapporte cette anecdote pour donner une idee des mceurs; on pretend que ces aven- tures sont tres-frequentes, et que les filles du pays ne s'en croient pas moins sages pour, se pretcr a ces petites priyautes, poussees cependant quelquefois un peu plus loin. (339) Northampto Nous etions arrives hier dans une charrette couverte. On nous avait flatte d'une meilleure voiture pour aujourd'hui, et c'est une vraie ♦charrette non couverte. Quand j'ai considere que c'etait dans un tel tombereau que j'avais a passer mon jour de fievre, j'ai ressenti une peine profonde , mais la loi de la necesske est plus forte que toutes les reflexions; j'ai obtenu avec grande peine quelques poignees de foin pour m'y coucher, et la, tremblant la fievre , briiie par un soleil ardent, souf- frant plus que je ne puis le dire, j'ai traverse les Green - mountains, pays sauvage , pier- reux, mais cultive jusqu'au sommet des monts qui rappellent beaucoup de vues de la Suisse ou plutdt des Vosges; les chemins ne sont qu'une continuke de rocs. Notre charrette a anete a moitie chemin de Northampton. Je n'aurais pas pu aller plus loin. J'ai acheve mon acces dans un lit ou je suis reste deux heures. La pitie du conducteur nous avait procure un stage suspendu et convert, et nous sommes arrives ainsi a Northampton , pays charmant, jolie ville ou les belles et bonnes maisons sont multipliees, et ou nous avons Y 2 ( 34o ) trouve une taverne telle que je n'en ai pas encore vu deux en Amerique ; reunissanlM etendue et proprete dans les batimens, com-B modkes dans les distributions , bonne mani6reB dans les maitres , abondance et rechercheB dans les provisions. La position de Northampton est tres-agreablesB les bords de la riviere de Connecticut, surB lesquels cette ville est batie , sont rians , presque totalement cukives en prairies. Les maisons y sont proprement construites et pro- prement peintes. Le nombre des habitans y est de plus de seize cents; c'est la capitale du comte di Hampshire , dans l'Etat de Mas-B saehussetts. Cette ville fait un petit commerceB avec Harford, Ou. elle envoie en bateau lesB productions des pays dont elle est environnee; on ei6ve un assez grand nombre de bestiauxjB dans tout ce comte qui contient soixante mille habitans. Route a Spencer. L'Etat de Massachussetts est cultive pres- qu'autant que la France; je n'en traverse sans doute pas la plus belle partie, puisqu'elle est couverte de pierres et de rochers, et cependant elle est cukiyee par-tout. Les maisons ( 341 ) sont rapprochees etbatiesau milieu des champs et des fermes qui leur appartiennent ; ces maisons sont soigneusement faites , toutes en menuiserie , bien peintes en blanc. Les granges , les ecuries le sont en rouge ; presque toutes les clotures sont en murs de pierres seches. Toutes les recoltes sont achevees; on en est a la seconde coupe des foins ; six a. sept faucheurs travaillent a-la-fois sur le meme pre ; c'est une activke , une richesse qui fait plaisir 'et qui permet de ne pas ou- blier tout-a-fait les idees d'Europe. Les che- vaux sont enabondance dans tous les champs; ils ne m'ont pas paru d'une espece bien re- marquable ; les bestiaux sont beaux et cou- vrent les patures. En quittant Northampton on passe la jolie riviere de Connecticut; ses bords sont verds et d'une inclinaison douce qui doit preserver les campagnes des inondations ; on m'a dit en la passant que les bateaux de quinze a vingt tonneaux remontaient la riviere jusqu'a cinquante milles plus haut, et que les sloops pouvaient arriver a quarante milles au-dessous de Northampton. Nous nous sommes arretes I Belley-town ; c'est le point de jonction des routes d'Albany et de New-York. Notre compagnie qui le matin avait ete augment.ee d'un Y 3 1 (34a) maussade petit gargon, l'a ete, par l'arrivee du stagedeNew-York, dedeuxautrescompagnons. M. Williamson , proprietaire en Georgie , homme de bonne compagnie , mais chaud en politique anti-federaliste , .et d'un autre jeune, homme deNew-York, dont je n'ai pas eu le tems d'apprendre le nom. Le meme pays continue avec de plus beaux chemins jusqu'a' Spencer, ou les cohducteurs des stages de la nouvdle et ancienne route de Boston , at- tendaient l'arrivee dti notre afin de" sollicker notre preference, chacun pour le sien. J'etais bien decide a donner la mienne a celui que les autres ne choiskaient pas. J'avais besoin d'etre un peu a mon aise , et ce jour d'inter- valle de fievre nes'etaitpas si bien passe que le premier. \\ Marlborough. Maladie. La Famille Williams. Nos arrangemens ont-ete faits tellemdnt, queie mercredi 19 nous nous sommes trouves seulement quatre dans notre stage. J'etais d'ailleurs place sur le banc de detriere ; la compagnie s'est accrue a Worcexter de trois dames qui voyant mon air malade , n'ont pas voulu accepter ma place; mais malgre leur ( 343 ) ; complaisance, ma bonne place et ma resolution a souffrir tout ce que je pourrais supporter , il a fallu m'arreter a Marlborough. Je ne pouvais endurer plus long-tems le mou~ vement de la voiture , et j'ai prie la compagnie de me deposer dans une taverne, d'ou j'avais la certitude de pouvoir partir le lendemain par le mail-stage (diligence qui porte les lettres. ) Bien m'en a pris de m'arreter; je n'ai pas plutot ete dans le lit, que le transport s'est joint a ma fievre; un mai de tete violent me rappelak momentanement a moi-meme pour sentir que je n'y etais pas tout-a-fait; que j'etais seul au milieu de gens qui ne m'avaient jamais vu, et que j'etais bien malade. Ces ve- rites produisaient de serieuses et tristes reflexions, qui de tems a autre me menaient pres du desespoir. Heureusement les gens chez qui j 'etais se sont trouves les meitteurs du monde; •ils m'ont soigne comme leur enfant, hommes et femmes, snr-tout les femmes vieilles et jeunes, car cette famille est nombreuse, m'ont garde , veille avec un soin extreme; elles oat decouvert que j'avais la dyssenterie , ce que je • ne soupconnais pas , et ce qui n'etait proba- Mement que Veffetdela chaleur sur un corps deja bruie par la fievre ; die n'a pas dure.plus Y 4 (344) de deux fois vingt-quatre heures. II a bien fallu cependant ceder aux instances de ces bonnes femmes , et envoyer chercher le docteur , qui ne pouvant venir sans me rien or- donner , m'a fait prendre des pillulles. II a fallu rester encore quatre jours de plus dans cette maison , ou j'etais reellement aussi bien que possible, et d'ou Vetat excessif de faiblesse dans lequel j'etais m'empechak de sortir. J'y ai eu la fievre et le deiire encore , et toujours j'ai eu plus de sujet de me louer de cette ex- cellente famille. Elle se nomine Williams; le tris ayeul du Williams qui tient aujourd'hui la taverne , est venu d'Angleterre dans le tems des premiers etablissemens , et ce qui est remar- quable, a bati la meme maison que Varriere- ' petit-fils habite aujourd'hui. La chambre ou j'ai couche n'a souffert aucune alteration depuis ce tems ; c'est celle ou sont nes tous les descendans de ce premier Williams. Le6 freres du mari, la sceur de la femme , ses enfans , les enfans de la maison habkent ensemble et composent une seule famille. Independamment de la taverne , qui doit rap- porter de bons profits , car elle est tres-fre- quentee, M. Williams est proprietaire d'une ferme de deux cents acres , presqu'aux trois ( 345 ) quarts en culture, ou pour mieux dire en prairies , comme c'est l'usage dans le Massachusetts , les pres y etant coupes de bonne heure, ils donnent une seconde coupe. Les deux rendent cinq a six milliers de foin par acre. Ce qui n'est pas en prairies est cultive en mais ; on y fait aussi un peu d'avoine et d'orge , mais seulement ce qu'il en faut pour nourrir les chevaux et pour la bierre qui se consomme dans la taverne. Le prejuge du mais est fortement enracine dans^ce pays , d'ailleurs la culture y est beau- coupBpdlleure que dans tout ce que j'ai vu encore de l'Amerique ; les fumiers sont re- cueillis avec soin; on profite des parties vagues et humides des routes pour les retOurner au printems et en faire un engrais. On n'entend pas Vagriculture comme en Angleterre, mais cependant on la tefiechit un peu , on la rai- sonne. Les bestiaux sont abondans et de la plus belle espece. L'espece des cochons est d'une beaute remarquable, s'engraisse enor- mement et avec facilke. Le rgarche de Boston offre un debouche certain a tout ce qu'on y peut envoyer. Les ouvriers se trouvent en grande abondance , et se payent quatre schellings et demi par jour, ou de dix a douze dollars par mois. ( 546 ) ; Tout est, dans cette partie de l'Amerique, d'une aetivke vraiment europeenne ; des boutiques de toute nature le long des chemins , dans tous les villages , des ebenistes, des bot- tiers,des selliers, des carossiers, des tanneurs, et tout cela mukiphe. Comme mon ami M, "Williams n'est pas tres-verse en economie politique , il n'a pas pu m'expliquer la theorie de l'impot de l'Etat. Il m'a dit seulement que pour les differentes taxes dontson role general etait compose , tant pour l'Etat que pour le comte , et pour le township , il pajJsIt aii- nuellement a-peu-pres quarante dolla^JBinde- pendamment de quatre dollars et demi pour licence de taverne. Le docteur Cotty, chi- rurgien , qui est venu me voir , et qui est proprietaire d'une ferme de quatre vingt acres, paye vingt dollars; c'est aussi un tres- bon homme dont j'ai eu a me louer. Toutce monde est fort occupe de politique, tout, jusqu'a la fille de journee , lit deux gazettes par jour. M. Williams et le docteur Cotty n'aiment pas lea|traite, parce qu'ils n'aiment pas les Anglais , et qu'ils disent qu'il ne faut pas s'y fier; mais ils ajoutent: «il faut laisser 33 faire le president, il fera bien ce qu'il fera >3. Encore une fois , je ne puis assez me louer de toutes ces excellentes personnes. Etranger, ( 347 ) malade, absolument inconnu , et dans un ap- pareil de mediocrke qui ne ressemblait pas mai a la misere ;rien que la bont'e , l'humanke et lfes vertus hospkalieres de cette respectable famille, n'a pu me donner droit aux soins quelle m'a prodiguessans relache pendant les cinq jours que j'y ai passes, soins dont les occupations de leur ferme, de leur taverne, ne les ont jamais distraks. Ils ont joint a ces pro- cedes si bons , celui d'etre plus que raisonna- bles dans le memoire de ma depense , qui, trois fois plus considerable , ne l'aurait pas ete encore trop, pour tout l'embarras que je leur ai donne. Puisse, cette respectable famille, jouir de tout le bonheur qu'elle merite ! Ce souhait sincere et ardent, sera celui de toute Rencontre du General Knox. Enfin pouvant un peu mieux supporter la fatigue, et presse d'arriver a Boston, ouj'es- perais trouver des lettres, j'ai profile le samedi 22 aout du mail-stage qui s'arrete a la taverne de Williams ; c'est le meme genre de stage que les autres, plus leger, mieux suspendu , et ou six personnes seulement peuvent tenir. Il est particulierement destine a porter des lettres. 1348) Je n'avais pas fait plus de trois a quatre milles, quand nous avons ete arretes par une voiture a quatre chevaux. C'etait le general Knox , que ses affaires avaient amene a Boston , a qui le hasard avait appris que j'etais malade a Marlborough, et qui venait me chercher. On peut juger de ma satisfaction et de ma reconnaissance ; mais redlement peut-on etre meilleur? Je Vavais vu l'hiver precedent k Philadelphie, j'avais souvent ete dans sa maison , ou je me plaisais beaucoup ; mais je n'avais aucun droit d'esperer de lui une bonte si particuliere. J'etais trop faible pour expri- mer ce que j'eprouvais, je ne le sentais que plus fortement. Le chemin de Marlborough a Boston estnn village presque continuel. A vingt milles de la ville commence une succession de maisons plus propres et plus agreables les unes que les autres ; de jolis jardins, de beaux vergers , une riche campagne, un luxe de chevaux , de bestiaux, de moutons; et de Vagrement dans la culture; des arbres laisses ou plantes expres au milieu des champs , pour donner abri aux animaux , ou meme pour embellir la vue; des eglises multipliees, toujours dune construction simple, mais mieux peintes , des clochers mieux faits ; elles sont entourees d'ecuries ou- ■*T- (349) vertes, ok les habitans voisins mettent leurs chevaux a couvert pendant le tems du service; c'est un usage general regu dans toute l'Amerique, mais le Massachussettsetant plus peuple etplus riche qu'aucunEtat quej'aie vuencore, ce genre d'etablissement, inconnu en Europe, y est plus etendu et plus soigne. Enfin on arrive a Boston par le beau village de Cambridge, et par un pont de bois fini l'annee derniere, long d'un mille, en y coni- prenant la chaussee qui le precede. Ce pont est d'une construction elegante et legere ; il a ete bati;aux fraix d'une compagnie qui en a le peage, et qui en tire vingt pour cent de ce qu'il lui coute. J'etais trop malade pour voir avec plaisir et pour bien voir: cependant je n'ai pu etre insensible a Vaspect de ce beau pays qui res- semble a I'Angleterre. Je m'anete a Boston. Fin du second Volume. (f """@en, "Volume 2 of 8.

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