"Graduate Studies, College of (Okanagan)"@en . "DSpace"@en . "UBCO"@en . "Tolman, Stephanie Marie"@en . "2013-09-05T22:53:48Z"@en . "2013"@en . "Master of Arts - MA"@en . "University of British Columbia"@en . "Ce m\u00C3\u00A9moire se propose de faire une \u00C3\u00A9tude des personnages royaux dans les trag\u00C3\u00A9dies Andromaque, B\u00C3\u00A9r\u00C3\u00A9nice, Bajazet et Iphig\u00C3\u00A9nie de Jean Racine. Ces trag\u00C3\u00A9dies ont des souverains qui souffrent d\u00E2\u0080\u0099handicaps m\u00C3\u00A9taphoriques et psychologiques qui ne leur permettent pas de mettre l\u00E2\u0080\u0099\u00C3\u00A9tat avant leurs propres d\u00C3\u00A9sirs et qui les m\u00C3\u00A8nent \u00C3\u00A0 devenir \u00C3\u00A9mascul\u00C3\u00A9s. Dans Andromaque, le roi Pyrrhus souffre d\u00E2\u0080\u0099un handicap visuel qui lui cause \u00C3\u00A0 ignorer les d\u00C3\u00A9sirs de son peuple, un acte pour lequel il meurt ; l\u00E2\u0080\u0099empereur Titus de B\u00C3\u00A9r\u00C3\u00A9nice souffre d\u00E2\u0080\u0099un handicap vocal qui ne lui permet pas de renvoyer B\u00C3\u00A9r\u00C3\u00A9nice de Rome (le d\u00C3\u00A9sir des Romains), et par cons\u00C3\u00A9quent il devient \u00C3\u00A9mascul\u00C3\u00A9 ; dans Bajazet, le sultan Amurat et la sultane Roxane souffrent respectivement d\u00E2\u0080\u0099handicaps d\u00E2\u0080\u0099\u00C3\u00A9go\u00C3\u00AFsme et d\u00E2\u0080\u0099ind\u00C3\u00A9cision et ils sont incapables de penser \u00C3\u00A0 leur peuple, une erreur qui prive Amurat de sa gloire et m\u00C3\u00A8ne Roxane \u00C3\u00A0 sa mort ; et le roi Agamemnon d\u00E2\u0080\u0099Iphig\u00C3\u00A9nie souffre d\u00E2\u0080\u0099un handicap d\u00E2\u0080\u0099ind\u00C3\u00A9cision et d\u00E2\u0080\u0099un handicap vocal devenant donc incapable de suivre les v\u00C5\u0093ux de son peuple, un acte qui l\u00E2\u0080\u0099\u00C3\u00A9mascule tout en diminuant son r\u00C3\u00B4le dans la pi\u00C3\u00A8ce. \u00C3\u0080 travers les domaines de recherche de Disability Studies et Masculinity Studies, cette \u00C3\u00A9tude expose la nuisibilit\u00C3\u00A9 d\u00E2\u0080\u0099handicaps sur la vie et la position de monarque tout en r\u00C3\u00A9v\u00C3\u00A9lant les st\u00C3\u00A9r\u00C3\u00A9otypes masculins de l\u00E2\u0080\u0099\u00C3\u00A9poque de Racine et l\u00E2\u0080\u0099influence qu\u00E2\u0080\u0099ils ont sur la fa\u00C3\u00A7on dont on consid\u00C3\u00A8re ces monarques. Se servant des monarques handicap\u00C3\u00A9s, Racine propose un mod\u00C3\u00A8le n\u00C3\u00A9gatif d\u00E2\u0080\u0099un souverain en d\u00C3\u00A9voilant ce qui se passe si on n\u00E2\u0080\u0099agit pas d\u00E2\u0080\u0099une mani\u00C3\u00A8re puissante et magnanime et si on est incapable de prendre en main des situations difficiles \u00E2\u0080\u0093 le peuple et l\u00E2\u0080\u0099\u00C3\u00A9tat deviennent d\u00C3\u00A9valoris\u00C3\u00A9s. Cette approche permet \u00C3\u00A0 Racine de comparer les monarques raciniens avec Louis XIV \u00E2\u0080\u0093 le roi exemplaire dans l\u00E2\u0080\u0099univers racinien \u00E2\u0080\u0093 et de souligner que c\u00E2\u0080\u0099est seulement en sacrifiant leurs propres d\u00C3\u00A9sirs et en mettant l\u00E2\u0080\u0099\u00C3\u00A9tat avant eux-m\u00C3\u00AAmes que les autres monarques peuvent devenir aussi g\u00C3\u00A9n\u00C3\u00A9reux et comp\u00C3\u00A9tents que le roi soleil. C\u00E2\u0080\u0099est un acte cependant que les monarques handicap\u00C3\u00A9s chez Racine ne r\u00C3\u00A9ussissent jamais \u00C3\u00A0 r\u00C3\u00A9aliser."@en . "https://circle.library.ubc.ca/rest/handle/2429/45035?expand=metadata"@en . " Des monarques incomp?tents : les personnages royaux handicap?s dans les trag?dies Andromaque, B?r?nice, Bajazet et Iphig?nie de Jean Racine by Stephanie Marie Tolman B.A., The University of British Columbia, 2010 A THESIS SUBMITTED IN PARTIAL FULFILLMENT OF THE REQUIREMENTS FOR THE DEGREE OF MASTER OF ARTS in THE COLLEGE OF GRADUATE STUDIES (Interdisciplinary Studies) THE UNIVERSITY OF BRITISH COLUMBIA (Okanagan) September 2013 ? Stephanie Marie Tolman, 2013 ii Abstract Ce m?moire se propose de faire une ?tude des personnages royaux dans les trag?dies Andromaque, B?r?nice, Bajazet et Iphig?nie de Jean Racine. Ces trag?dies ont des souverains qui souffrent d?handicaps m?taphoriques et psychologiques qui ne leur permettent pas de mettre l??tat avant leurs propres d?sirs et qui les m?nent ? devenir ?mascul?s. Dans Andromaque, le roi Pyrrhus souffre d?un handicap visuel qui lui cause ? ignorer les d?sirs de son peuple, un acte pour lequel il meurt ; l?empereur Titus de B?r?nice souffre d?un handicap vocal qui ne lui permet pas de renvoyer B?r?nice de Rome (le d?sir des Romains), et par cons?quent il devient ?mascul? ; dans Bajazet, le sultan Amurat et la sultane Roxane souffrent respectivement d?handicaps d??go?sme et d?ind?cision et ils sont incapables de penser ? leur peuple, une erreur qui prive Amurat de sa gloire et m?ne Roxane ? sa mort ; et le roi Agamemnon d?Iphig?nie souffre d?un handicap d?ind?cision et d?un handicap vocal devenant donc incapable de suivre les v?ux de son peuple, un acte qui l??mascule tout en diminuant son r?le dans la pi?ce. ? travers les domaines de recherche de Disability Studies et Masculinity Studies, cette ?tude expose la nuisibilit? d?handicaps sur la vie et la position de monarque tout en r?v?lant les st?r?otypes masculins de l??poque de Racine et l?influence qu?ils ont sur la fa?on dont on consid?re ces monarques. Se servant des monarques handicap?s, Racine propose un mod?le n?gatif d?un souverain en d?voilant ce qui se passe si on n?agit pas d?une mani?re puissante et magnanime et si on est incapable de prendre en main des situations difficiles ? le peuple et l??tat deviennent d?valoris?s. Cette approche permet ? Racine de comparer les monarques raciniens avec Louis XIV ? le roi exemplaire dans l?univers racinien ? et de souligner que c?est seulement en sacrifiant leurs propres d?sirs et en mettant l??tat avant eux-m?mes que les autres monarques peuvent devenir aussi iii g?n?reux et comp?tents que le roi soleil. C?est un acte cependant que les monarques handicap?s chez Racine ne r?ussissent jamais ? r?aliser. iv Table of Contents Abstract\t ?.................................................................................................................................................................\t ?ii\t ?Table\t ?of\t ?Contents\t ?..............................................................................................................................................\t ?iv\t ?Acknowledgements\t ?..........................................................................................................................................\t ?v\t ?Chapitre\t ?1:\t ?\t ?\t ?Introduction\t ?..............................................................................................................................\t ?7\t ?Chapitre\t ?2:\t ?\t ?\t ?Andromaque\t ?:\t ?l?aveuglement\t ?fatal\t ?................................................................................\t ?12\t ?Chapitre\t ?3:\t ?\t ?\t ?B?r?nice\t ?:\t ?le\t ?silence\t ?d?un\t ?empereur\t ?..............................................................................\t ?28\t ?Chapitre\t ?4:\t ?\t ?\t ?Bajazet\t ?:\t ?l?anxi?t?\t ?des\t ?sultans\t ?.........................................................................................\t ?43\t ?Chapitre\t ?5:\t ?\t ?\t ?Iphig?nie\t ?:\t ?le\t ?sacrifice\t ?de\t ?la\t ?royaut?\t ?.............................................................................\t ?59\t ?Chapitre\t ?6:\t ?\t ?\t ?Conclusion\t ?...............................................................................................................................\t ?74\t ?Bibliography\t ?.....................................................................................................................................................\t ?78\t ? \t ? v Acknowledgements En pr?ambule ? ce m?moire, je souhaitais adresser mes remerciements aux personnes qui m?ont apport? leur aide. Je tiens ? remercier sinc?rement Dr. Marianne Legault qui m?a pouss?e ? faire une ma?trise. En tant que Directrice de m?moire, elle ?tait toujours disponible quand j?avais besoin d?aide et m?a guid?e quand je ne savais pas faire. Sans elle, ce m?moire n?aurait jamais vu le jour. Mes remerciements s?adressent ?galement ? Ramine Adl pour son aide avec la r?daction de ce m?moire ainsi que le temps et l?attention qu?il m?a donn?. Je n?oublie pas ma famille pour leur contribution, leur patience et leur soutien. Enfin, je remercie tous mes amis qui m?ont toujours soutenue et encourag?e au cours de la r?alisation de ce m?moire. Merci ? tous et toutes vi Dedication ? mes parents Je d?die ce m?moire ? mes parents, Robert et Sherry Tolman, qui, malgr? leur ignorance de la langue fran?aise, s?int?ressaient toujours de mon travail. 7 Chapitre 1 Introduction ?crites au 17e si?cle, les trag?dies de Jean Racine sont une r?flexion sur les croyances de l?auteur sur la fa?on dont les monarques, et les hommes en g?n?ral, doivent se comporter, l?importance de contr?ler les ?motions et la n?cessit? de prendre en main chaque situation, m?me si elle est ind?sirable ou cruelle. Pour accomplir cette t?che, Racine cr?e des personnages royaux imparfaits qui sont aux antipodes d?un roi id?el ? celui qui pense ? l??tat et qui sacrifie ses propres d?sirs pour le bien de son peuple. Parfois, les monarques raciniens ne s?en tiennent pas ? cette image car ils sont incapables de se comporter d?une mani?re digne de leur rang et de mettre l??tat avant eux-m?mes, un d?faut qui leur vient d?handicaps m?taphoriques qu?ils d?veloppent apr?s avoir ?t? confront?s ? des circonstances difficiles. Selon Rosemarie Garland-Thomson, une sp?cialiste dans le domaine de Disability Studies, un handicap est : ? [?] an overarching [?] category that encompasses congenital and acquired physical differences, mental illness and retardation, chronic and acute illnesses, fatal and progressive diseases, temporary and permanent injuries, and a wide range of bodily characteristics considered disfiguring [?] ? (Extraordinary Bodies 13). Cette ?tude examine l?apparition d?un monarque handicap? chez Racine et l?influence que l?handicap de ce personnage peut avoir sur sa capacit? de r?gner et sur ceux qui l?entourent en analysant quatre trag?dies raciniennes : Andromaque, B?r?nice, Bajazet et Iphig?nie. Ces trag?dies ont ?t? choisies en partie parce qu?elles marquent des points diff?rents dans la carri?re de Racine ? Andromaque est son premier grand succ?s, B?r?nice et Bajazet, qui n?ont pas eu autant de succ?s ? cause de leurs sujets consid?r?s non-tragiques et trop r?cents, se trouvent au milieu de son ?uvre, et Iphig?nie, un autre triomphe pour Racine, est l?avant-derni?re de ses pi?ces 8 s?culi?res. Il me semble que ces trag?dies mettent surtout en sc?ne des souverains souffrants d?handicaps m?taphoriques (d?handicaps qui sont plut?t psychologiques que physiques). Dans Andromaque, le roi Pyrrhus souffre d?un handicap visuel, venant de son amour pour Andromaque, qui le rend aveugle aux d?sirs des autres. Il devient ?gocentrique et incapable de voir qu?en ignorant ce qui se passe autour de lui, il se met en danger. Son incapacit? de penser aux autres le m?ne ? une mort sanglante. Quant ? Titus de B?r?nice, ? cause de son handicap vocal, l?empereur n?arrive pas ? articuler le v?u pressant de Rome, qui est de renvoyer son amante B?r?nice dans son pays. Cet acte le rend incapable de prendre sa responsabilit? ? c?ur et m?ne ? son ?masculation quand B?r?nice prend elle-m?me la d?cision de le quitter. Dans Bajazet, le sultan Amurat et la sultane Roxane souffrent respectivement d?un handicap d??go?sme et d?un handicap d?ind?cision qui les emp?chent de penser ? autrui. Amurat utilise son handicap d??go?sme pour obtenir un pouvoir absolu sur son royaume. Malheureusement, en essayant de gagner ce pouvoir, Amurat ignore le bien de son peuple. Tout ce qu?il fait n?est que pour son propre avantage. De son c?t?, l?handicap d?ind?cision de Roxane lui nuit fortement. Il lui cause d?osciller constamment entre Amurat et Bajazet, les deux hommes au c?ur de son existence. Elle n?arrive pas ? d?cider lequel va ?tre son ?poux et son sultan. Cette oscillation cause ?norm?ment d?anxi?t? et de peine ? son peuple et conduit Roxane ? sa mort. Enfin, dans la trag?die d?Iphig?nie, le roi Agamemnon souffre de deux handicaps ? un handicap d?ind?cision et un handicap vocal ? qui le m?nent ? ignorer la demande de son peuple de sacrifier sa fille Iphig?nie. Tiraill? continuellement entre son r?le de roi et de p?re, Agamemnon devient d?chir? et par cons?quent ne remplit aucun de ses r?les. 9 Pour faire une analyse approfondie de ces personnages royaux et de leurs handicaps, cette ?tude emploie Disability Studies et Masculinity Studies, deux domaines de recherche critique qui aident ? d?voiler l??tendue r?elle du dommage que les handicaps peuvent avoir sur les monarques. Dans l?analyse des trag?dies raciniennes, les chercheurs ont utilis? beaucoup d?approches diff?rentes, y compris marxiste (Lucien Goldmann), psychanalytique (Charles Mauron et Mitchell Greenberg), structurale (Roland Barthes) et f?ministe (Mary Jo Muratore). Ren? Jasinski, lui, a tent? de faire des liens entre la vie de Jean Racine et ses trag?dies. Cette ?tude laisse de cot? ces approches traditionnelles et prend une nouvelle optique diff?rente qui n?a jamais ?t? faite auparavant : Disability Studies. Cet outil th?orique aide ? r?v?ler de nouveaux traits int?ressants sur les d?fauts des monarques raciniens tout en montrant la raison pour laquelle ces monarques ne r?ussissent jamais ? bien r?gler leur royaume. Quoiqu?assez r?cent en Am?rique du Nord, Disability Studies a commenc? il y a quinze ans quand les chercheurs de la Grande-Bretagne ont d?sir? avoir un domaine d?di? uniquement ? l??tude des handicaps et qui leur permettrait d?organiser et de circonscrire ? a knowledge base that explains the social and political nature of [?] disability ? (Linton, Mello et O?Neill 4). Cette perspective permet d??tudier la fa?on dont ? the storied quality of disability invents and reinvents the world we share ? (Garland-Thomson, ?Disability and Representation? 523). Puisque Disability Studies aide ? analyser l?autonomie, la comp?tence, l?ind?pendance/d?pendance et les notions de progr?s et de perfection (Linton, Mello et O?Neill 5), il est utile de savoir jusqu?? quel point un handicap influence la vie et les actions d?une personne handicap?e et les gens qui sont en contact avec elle. C?est une optique qui est ?galement utile dans l?analyse de la litt?rature. ? travers Disability Studies, il 10 est possible de r?v?ler de nouvelles informations int?ressantes qui ?taient cach?es auparavant, comme, explique Garland-Thomson, la fa?on dont un personnage handicap? ? operates as a code for insufficiency, contingency, and abjection ? for deviant particularity ? thus establishing the contours of a canonical body that garners the prerogatives and privileges of a supposedly stable, universalizing normalcy ? (Extraordinary Bodies 136). D?apr?s cette id?e de Garland-Thomson, les monarques handicap?s des trag?dies raciniennes servent de contre-exemple d?un bon souverain ? cause du fait que leurs handicaps les m?nent ? devenir ?gocentriques, ignobles et int?ress?s seulement ? leurs propres d?sirs, des qualit?s tout ? fait inopportunes pour un monarque. Les souverains raciniens paient cher leur incapacit? de g?rer leurs handicaps, surtout quand cette incapacit? m?ne ? l??masculation, un ?tat qu?on remarque gr?ce ? l?emploi de Masculinity Studies. N? dans un effort de contrebalancer Gender Studies qui, selon Roger Horrocks, ? neglected the sheer scale of damage done to men under patriarchy [?] ? (2) Masculinity Studies focalise sur des aspects diff?rents de la masculinit? comme l?identit? masculine, la paternit?, le travail et l??tat (D. Phillips 2). Selon Lewis Seifert, le but de Masculinity Studies serait de d?montrer que ? masculinity [?] involves constraints ? et que ? [?] masculine privilege is contested among men [?] ? (4). Masculinity Studies permet de faire une ?tude approfondie des st?r?otypes coll?s sur les hommes par la soci?t? dans laquelle ils vivent. Paul Kivel explique que dans la soci?t? occidentale, ? even though [men] have all the normal human feelings of love, excitement, sadness, confusion, humiliation, shame, grief, resentment, loneliness, low self-worth, and self-doubt, most are taught to hide their feelings (except anger) and appear to be tough and in control ? (69). ? l??poque de Racine, les hommes doivent ?tre forts et dominateurs et le roi ne fait pas exception : il est en fait le 11 mod?le supr?me de la masculinit? et les autres hommes ? [are] expected to take their cue from [the king] in general matters of conduct, fashion, and protocol ? (Seifert 76). C?est un r?le que les personnages masculins royaux de Racine ne sont pas capables de remplir. Au lieu d??tre sto?ques et puissants, ils laissent leurs handicaps prendre contr?le de leur vie, un acte qui leur faire perdre l?estime et l?amour de leur peuple et qui les laisse finalement ?mascul?s et honteux. Le monarque racinien est loin d??tre un monarque comme Louis XIV. ? travers Disability Studies et Masculinity Studies, il est possible de voir que Racine se sert des personnages royaux qui souffrent d?handicaps m?taphoriques pour montrer ce qui se passe si un souverain n?agit pas d?une mani?re sto?que et dominante et ne met pas le bien de l??tat avant ses propres d?sirs ?go?stes ? le peuple et l??tat en souffrent beaucoup. Il s?en sert aussi pour augmenter la tension dramatique dans ses pi?ces. En fait, c?est gr?ce aux handicaps que ces quatre pi?ces sont tragiques ? sans handicaps, ces monarques seraient capables de remplir compl?tement leur position en ?coutant les v?ux de leur peuple, un acte qui les aiderait ? ?liminer les dilemmes auxquels ils font face mais qu?ils ne sont jamais capables d?accomplir. Les spectateurs de ces pi?ces doivent ?tre boulevers?s non seulement par la r?alisation que ces monarques sont handicap?s, mais aussi par le fait que les monarques raciniens ne peuvent rien faire pour se sauver de la fatalit? qui se d?veloppe ? travers leur incapacit? de surmonter leurs handicaps et de prendre contr?le de leur vie. Les spectateurs peuvent voir que le sort funeste des souverains raciniens est scell? ? ils ne peuvent rien faire que regarder la spirale descendante de ces monarques, et c?est l? que r?side la vraie trag?die de ces pi?ces. 12 Chapitre 2 Andromaque : l?aveuglement fatal ?crit en 1667, Andromaque, qui retrace l?histoire du roi Pyrrhus et son amour interdit pour sa captive Andromaque, la veuve du h?ros Hector, est le premier grand triomphe de Racine. L?importance de cette pi?ce cependant ne se trouve pas seulement dans les acclamations qu?elle re?oit : c?est en fait dans cette pi?ce, ? travers le personnage de Pyrrhus, que Racine solidifie l?utilisation d?un personnage royal handicap? pour montrer un exemple n?gatif masculin ? son public ? une formule qui lui permet d?attirer l?attention sur les normes masculines de son ?poque tout en faisant r?v?rence ? Louis XIV, l?homme id?al. Le Pyrrhus de Racine, quoiqu?il soit un guerrier viril et h?ro?que qui est devenu renomm? pendant la Guerre de Troie, est un homme avec de graves imperfections. Au d?but de la pi?ce, Pyrrhus est dans la fleur de son ?ge et comme l?explique Andrew J. McKenna, il a tous les ?l?ments n?cessaires pour avoir une vie exemplaire : ? Pyrrhus has everything going for him ; he is the son of Achilles, known to his world (and ours) as the world?s greatest hero, and after his conquest in Troy he is betrothed to Hermione, daughter of Helen, the world?s most beautiful woman ? (23). Malheureusement, malgr? toutes ses bonnes qualit?s, Pyrrhus souffre d?un handicap d?bilitant qui ne lui permet jamais de r?aliser ce niveau de perfection et qui menace de le d?truire compl?tement. Cet handicap, qu?il a d?velopp? bien avant que la pi?ce ne commence quand il est tomb? amoureux d?Andromaque, le rend m?taphoriquement aveugle ? tout ce qui n?est pas li? ? ses propres d?sirs et l?emp?che de r?aliser ses devoirs royaux ? de mettre l??tat et le bien du peuple avant lui-m?me quoi qu?il arrive, m?me s?il doit sacrifier son propre bonheur. En utilisant le nouveau trajet de Disability Studies, qui selon Rosemarie Garland-Thomson doit comprendre ? a wide range of thought, language and perception that 13 might not be explicitly articulated as ?disability? ? (Extraordinary Bodies 22), il devient possible de faire une nouvelle analyse de Pyrrhus qui explique mieux ses actions et son incapacit? d?arr?ter son propre assassinat par les Grecs. C?est son handicap visuel qui occlut la r?alit? de sa propre situation m?me quand elle est p?rilleuse, et qui lui cause de devenir ?go?ste ? une qualit? qui est certainement inopportune pour un bon roi. Il devient impossible pour Pyrrhus de discerner les vrais sentiments chez ceux qui l?entourent comme il voit seulement ce qu?il veut. Pyrrhus ne se rend jamais compte que ses actions peuvent avoir des effets nuisibles sur les autres ? notamment sur Andromaque, sur Hermione et m?me sur lui-m?me. Il habite dans un monde ? soi, provoqu? par son handicap visuel, dans lequel il imagine recevoir son plus cher d?sir ? l?amour d?Andromaque. Malheureusement, son incapacit? de voir la r?alit? a des cons?quences funestes qui m?nent Pyrrhus ? sa propre mort. Andromaque commence avec l?arriv?e d?Oreste, un prince grec et le fils d?Agamemnon, en ?pire. Oreste est charg? d?enlever le jeune Astyanax ? le fils d?Andromaque et le captif de Pyrrhus ? de l??pire afin qu?il puisse l?immoler. Cette t?che semble ?tre presque impossible : prisonnier en ?pire, Astyanax est sous la protection de Pyrrhus et c?est lui, et non pas les Grecs, qui doit d?cider finalement du sort de l?enfant. Jusqu?? ici, malgr? les supplications des Grecs, Pyrrhus a refus? cat?goriquement de donner Astyanax aux Grecs. Amoureux, Pyrrhus ne peut pas leur livrer Astyanax de peur de perdre l?estime d?Andromaque. Par cons?quent, il oublie ses devoirs royaux, un acte qui met les Grecs en col?re : Oreste J?entends de tous c?t?s qu?on menace Pyrrhus ; 14 Toute la Gr?ce ?clate en murmures confus ; On se plaint qu?oubliant son sang et sa promesse Il ?l?ve en sa cour l?ennemi de la Gr?ce, Astyanax, d?Hector jeune et malheureux fils, Reste de tant de rois sous Troie ensevelis. (I, 1, 67-72) Pyrrhus ne voit pas dans quel danger il se met en ne suivant pas les v?ux des Grecs. Tout ce qu?il sait est qu?en leur donnant Astyanax, il n?obtiendra jamais l?amour d?Andromaque, ce qui est, ? ce moment, la chose la plus importante dans sa vie. Pyrrhus n?arrive plus ? g?rer ses relations interpersonnelles avec prudence, une action qui est d?une importance capitale, surtout pour les gens souffrants d?handicaps. Pour ne pas avoir un diff?rend avec ceux qui l?entourent, Pyrrhus, comme d?autres gens handicap?s, explique Garland-Thomson doit utiliser ? [?] charm, intimidation, ardor, deference, humor, or entertainment to relieve nondisabled people of their discomfort ? (Extraordinary Bodies 13). Malheureusement, le nouvel handicap de Pyrrhus ne lui permet pas de faire attention aux sentiments des autres et alors il ne peut pas les mettre ? l?aise. C?est un d?faut qu?on voit dans chacune de ses interactions personnelles et qui joue un r?le important en d?terminant son sort. Pour bien saisir le climat tendu dans lequel Oreste arrive, il est premi?rement n?cessaire de comprendre la raison pour laquelle la d?sob?issance de Pyrrhus met les Grecs en col?re. Apr?s dix ans de combats ? Troie, les Grecs sont sortis triomphants de la guerre. Cependant, leur victoire n??tait pas tout ? fait compl?te. Il y a eu deux survivants importants ? Andromaque et son fils, Astyanax. En tant que fils d?Hector, Astyanax est en fait le seul h?ritier du tr?ne troyen. Les Grecs ne veulent pas le laisser vivre puisqu?ils sont toujours secou?s par les horreurs de la guerre, une id?e que Mitchell Greenberg d?veloppe : ? [T]he Greeks, [?] rather than resting on their victorious laurels, live in a state of ongoing anxiety. They are traumatized by ten years of constant combat, by their own brutality, and by losses 15 they have endured at the hands of the Trojans, especially of Hector, Troy?s greatest warrior ? (58). Ayant peur qu?Astyanax puisse un jour se proclamer roi des Troyens et chercher ? se venger, les Grecs veulent l?arr?ter avant qu?une nouvelle guerre ne commence. En refusant de leur c?der Astyanax, explique Ehsan Ahmed, Pyrrhus ? severely undermines the nationalistic tendencies of the Greek people, even after they have won the Trojan war. Though Astyanax is powerless with Troy destroyed, his symbolic presence is still potent and menacing to the Greeks ? (?L??tat, c?est l?autre? 281-282). Aux yeux des Grecs, Pyrrhus met toute la Gr?ce en danger en laissant vivre Asytanax. Mais, il ne le fait pas intentionnellement : Pyrrhus ne comprend ni le c?t? des Grecs ni l?effet que ses actions ont sur eux. ? cause de son handicap visuel, il devient impossible pour Pyrrhus de penser aux autres ? il pense seulement ? lui-m?me et aux ?l?ments qui le rendront heureux. Son refus de coop?rer avec les Grecs n?est qu?un effet de son handicap. Il ne s?inscrit pas ? une id?ologie rebelle, contrairement ? ce qu?affirme Timothy Hampton, pour qui : ? Pyrrhus is the ruler of a rebel province. He is a petulant misfit who [?] refuses to join the club of ?les Grecs? ? (63). En fait, ce n?est que la pr?sence d?Andromaque qui cr?e un Pyrrhus ? whose feelings are no longer nationalist or ethnocentric ? (Ahmed, ?L??tat, c?est l?autre? 281). Alors les Grecs ne traitent pas avec un rebelle, mais plut?t avec un homme irrationnel qui est aveugl? par l?amour. D?j? furieux ? cause des transgressions continuelles de Pyrrhus, les Grecs sont pr?ts ? prendre des mesures extr?mes s?il commet une autre m?prise. Oreste, comme ambassadeur, essaie de restaurer les relations entre Pyrrhus et les Grecs ? une t?che qui est certainement impossible puisqu?elle n?cessite le d?part d?Astyanax et engendrerait donc la haine d?Andromaque. 16 D?s son arriv?e en ?pire, Oreste cherche ? convaincre Pyrrhus de lui donner Astyanax. Pour accomplir cette t?che, il raconte tous les maux qu?Hector leur a faits, en faisant allusion au fait qu?Astyanax pourrait devenir aussi mena?ant que son p?re. C?est ? Pyrrhus, explique-t-il, d?affirmer la s?curit? de la Gr?ce et de son peuple : Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector ? Nos peuples affaiblis s?en souviennent encor [sic]. Son nom seul fait fr?mir nos veuves et nos filles, Et dans toute la Gr?ce il n?est point de familles, Qui ne demandent compte ? ce malheureux fils D?un p?re ou d?un ?poux qu?Hector leur a ravis. Et qui sait ce qu?un jour ce fils peut entreprendre ? Peut-?tre dans nos ports nous le verrons descendre, Tel qu?on a vu son p?re embraser nos vaisseaux, Et, la flamme ? la main, les suivre sur les eaux. [?] Enfin de tous les Grecs satisfaites l?envie Assurez leur vengeance [?]. (I, 2, 155-170) Pyrrhus n?est cependant gu?re ?mu par la supplication d?Oreste. Pr?tendant ?tre stup?fait que les Grecs veuillent immoler un enfant ? surtout quand l?empire troyen est en ruine ? Pyrrhus r?fute le discours d?Oreste : Qui croirait en effet qu?un telle entreprise Du fils d?Agamemnon m?rit?t l?entremise ; Qu?un peuple tout entier, tant de fois triomphant, N?e?t daign? conspirer que la mort d?un enfant ? [?] Je songe quelle ?tait autrefois cette ville Si superbe en remparts, en h?ros si fertile, Ma?tresse de l?Asie ; et je regarde enfin Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin. Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes, Un fleuve teint de sang, des campagnes d?sertes, Un enfant dans les fers ; et je ne puis songer Que Troie en cet ?tat aspire ? se venger. Ah ! si du fils d?Hector la perte ?tait jur?e, Pourquoi d?un an entier l?avons-nous diff?r?e ? Dans le sein de Priam n?a-t-on pu l?immoler ? [?] 17 Que malgr? la piti? dont je me sens saisir, Dans le sang d?un enfant je me baigne ? loisir ? (I, 2, 177-216) Pyrrhus explique clairement que les Grecs n?ont aucune raison d?avoir peur d?Astyanax. Comme l?empire troyen est d?truit, explique-t-il, il n?y a aucune justification pour tuer un enfant. Mais, malgr? sa ressemblance ? un grand protecteur et un ravisseur g?n?reux, Pyrrhus ne d?fend pas Astyanax des assauts des Grecs pour maintenir l?innocence du gar?on car il n?est plus capable de ressentir de la piti? pour les autres ou de s?identifier ? autrui. Il garde Astyanax seulement pour des raisons ?go?stes ? en prot?geant le jeune gar?on, Pyrrhus esp?re fonder une relation avec Andromaque. Il ne peut plus imaginer sa vie sans elle : et pour cette raison, il s?oppose aux Grecs. Lorraine K. M. Lawton explique : ? Le Pyrrhus racinien montre l?ent?tement d?un homme obs?d? par son seul d?sir. [?] Les Grecs le presse hardiment ; mais pour l?amour d?Andromaque, il trahirait patrie, devoir et amiti? afin de sauver le fils de l?ennemi Hector ? (37). Il est clair que Pyrrhus est ?go?ste dans ses d?sirs : c?est un homme narcissique qui pense seulement ? ses propres desseins. Il n?est pas le h?ros magnanime que sugg?rent certains critiques, y compris Harriet Stone qui sugg?re que : ? Pyrrhus asserts a positive change. He seeks the resolutions of old animosities [?]. He would establish a new order that protects the individual ? be it Astyanax or himself, the boy?s king and captor ? against sustained rivalries. The sincerity of his revolt makes him a heroic figure ? (426-247). Si Pyrrhus se r?volte contre la tradition ancienne, et s?il projette de cr?er un ordre nouveau, il le fait seulement parce que ces changements seraient avantageux pour lui. ? ses yeux, Astyanax n?est qu?un pion pour l?aider ? obtenir l?amour d?Andromaque. Il est clair que son handicap a provoqu? une transformation compl?te dans le comportement de Pyrrhus ? il n?est plus l?homme qu?il ?tait auparavant. 18 Il est vrai que Pyrrhus a un pass? h?ro?que et plein de gloire dans lequel il ressemblait plus ? son p?re Achille, un grand guerrier (McKenna 34). Il n?existe aucune indication que Pyrrhus avait un handicap avant le d?veloppement de celui qui s?est manifest? quand il a rencontr? Andromaque. D?velopper un handicap plus tard dans la vie n?est pas sans pr?c?dant : Michael B?rub? atteste que la condition des handicaps est en fait fluide et qu?il est alors possible de les d?velopper ou de les perdre au cours de la vie (570). C?est exactement le cas de Pyrrhus. Frapp? par sa passion pour Andromaque, Pyrrhus a soudainement d?velopp? l?handicap visuel qui le rend aveugle ? tout sauf ses propres d?sirs. No?mi Hepp explique : Pyrrhus est maintenant s?par? du monde r?el par un rideau d??blouissante lumi?re. [?] Seule l?image d?Andromaque existe pour lui, non pas certes Andromaque telle qu?elle est, douloureuse, silencieuse [?], mais une autre Andromaque qui va, croit-il, r?pondre ? ses transports. C?est cette femme-l?, n?e de son imagination ? lui, qui fait briller l?espoir dans ses yeux (?Ouverture pour Andromaque? 676). Pyrrhus devient si d?pendant de cet amour en la pr?sence d?Andromaque, qu?il perd toute ressemblance au grand guerrier qu?il ?tait avant le d?but de la pi?ce. Au lieu d?agir d?une fa?on qui sied ? son rang, il supplie Andromaque ? sa captive et son esclave ? de l?aimer : Me refuserez-vous un regard moins s?v?re ? [?] Me faudra-t-il combattre encor [sic] vos cruaut?s ? Je vous offre mon bras. Puis-je esp?rer encore Que vous accepterez un c?ur qui vous adore ? En combattant pour vous, me sera-t-il permis De ne vous point compter parmi mes ennemis ? (I, 4, 290-296) Aveugl? par son amour, Pyrrhus ne comprend pas ce qui emp?che Andromaque de l?aimer. Elle essaie de lui expliquer que malgr? ses invocations, il demeure la source de ses peines : ? Captive, toujours triste, importune ? moi-m?me,/ Pouvez-vous souhaiter qu?Andromaque 19 vous aime ?/ Quels charmes ont pour vous des yeux infortun?s/ Qu?? des pleurs ?ternels vous avez condamn?s ? ? (I, 4, 301-304). La triste Andromaque n?est pas encore pr?te ? oublier le souvenir d?Hector en prenant un nouveau mari, et elle ne peut pas supporter un mariage avec quelqu?un qui lui a caus? tant de maux en d?truisant sa ville et sa famille. T?tu et incapable de voir cette logique, Pyrrhus ne peut pas comprendre la contestation d?Andromaque. Ainsi, au lieu de la laisser pleurer en solitude, il continue ? la presser. Mais il d?cide cette fois d?utiliser une autre tactique ? s?il promet de prendre soin d?Astyanax, de le prot?ger des Grecs, peut-?tre gagnera-t-il l?amour d?Andromaque. Greenberg ?labore : ? [T]he son becomes the innocent pawn in the cat and mouse game that Pyrrhus sets in motion to tear Andromaque away from her past and into his present ? (64). Pyrrhus lui fait part de sa tactique : Madame, dites-moi seulement que j?esp?re, Je vous rends votre fils, et je lui sers de p?re ; Je l?instruirai moi-m?me ? venger les Troyens ; J?irai punir les Grecs de vos maux et des miens. Anim? d?un regard, je puis tout entreprendre : Votre Ilion encore peut sortir de sa cendre ; Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l?ont pris, Dans ses murs relev?s couronner votre fils. (I, 4, 325-332) Toutefois, ses promesses et ses supplications n?ont aucun effet sur Andromaque. Elle reste d?termin?e ? r?sister ? ses avances en le repoussant encore une fois : ? Seigneur, tant de grandeur ne nous touchent plus gu?re./ [?] Votre amour contre nous allume trop de haine ? (I, 4, 333-341). ? ses yeux, il n?existe aucun avenir o? ils seraient ensemble. Ce dernier refus toutefois rend Pyrrhus encore plus irrationnel. Il devient pr?t ? faire n?importe quoi pour garantir son propre bonheur, m?me si ses actions blessent celle qu?il pr?tend aimer le 20 plus. Dans un acte d?sesp?r? de forcer Andromaque ? l?aimer, Pyrrhus d?cide de menacer la vie d?Astyanax : Allez, Madame, allez voir votre fils. Peut-?tre en le voyant votre amour plus timide Ne prendra pas toujours sa col?re pour guide. Pour savoir nos destins j?irai vous retrouver. Madame, en l?embrassant, songez ? le sauver. (I, 4, 380-384) Pyrrhus exerce un chantage sur Andromaque - Si elle veut qu?Astyanax reste toujours vivant, elle a besoin de se soumettre aux d?sirs ?go?stes de Pyrrhus. Il devient de plus en plus ?vident que Pyrrhus ne se soucie pas des sentiments des autres ? un effet secondaire de son handicap. Il pense seulement ? lui-m?me. Pyrrhus garde sa promesse de retrouver Andromaque plus tard dans la pi?ce. C?est un rendez-vous tendu dans lequel il lui explique exactement ce ? quoi il s?attend. Parlant seulement de ses propres sentiments, il souligne qu?il n?y a que deux r?sultats possibles pour elle ? le mariage ou la mort : [?] Madame, du moins tournez vers moi les yeux : Voyez si mes regards sont d?un juge s?v?re, S?ils sont d?un ennemi qui cherche ? vous d?plaire. Pourquoi me forcez-vous vous-m?me ? vous trahir ? Au nom de votre fils, cessons de nous ha?r. ? le sauver enfin c?est moi qui vous convie. Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie ? Faut-il qu?en sa faveur j?embrasse vos genoux ? Pour la derni?re fois, sauvez-le, sauvez-vous. [?] Je vous le dis, il faut ou p?rir ou r?gner. Mon c?ur, d?sesp?r? d?un an d?ingratitude, Ne peut plus de son sort souffrir l?incertitude. C?est craindre, menacer et g?mir trop longtemps, Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j?attends. Songez-y : je vous laisse, et je viendrai vous prendre Pour vous mener au temple, o? ce fils doit m?attendre. Et l? vous me verrez soumis, ou furieux, Vous couronnez, Madame, ou le perdre ? vos yeux. (III, 7, 952-976, c?est moi qui souligne) 21 Pyrrhus donne ? Andromaque un ultimatum s?v?re ? s?unir ? lui ou tout perdre. Il montre continuellement son ?go?sme outr?. Il est incapable de contraindre ses passions, qui commencent ? former ? un monstre que personne ne [peut] contr?ler ? (Lawton 29). Pyrrhus ne peut pas voir qu?Andromaque souffre. Trop pr?occup? par ses propres d?sirs, il ne consid?re jamais ce qu?elle veut. Mis?rable et seule, Andromaque doit choisir entre son propre bonheur et le souvenir d?Hector ou la vie de son fils. Il n?est pas surprenant qu?elle choisisse la derni?re option comme, apr?s tout, elle cherche ? remplir ses devoirs maternels. Comme Pyrrhus ne lui a laiss? aucune option d?sirable ? l?amour ou la mort ? Andromaque d?cide de prendre celle qui l?aiderait ? sauver son fils. Elle comprend tr?s bien qu?une union avec Pyrrhus est vraiment la seule fa?on d?assurer la s?curit? d?Astyanax. Elle est pr?te ? faire n?importe quoi pour sauver son fils : pourtant, elle refuse de se lier ? Pyrrhus. Pendant que Pyrrhus se pr?pare ? un avenir avec elle, Andromaque se pr?pare ? se suicider juste apr?s le mariage. C?est un stratag?me qu?elle partage avec sa confidente, C?phise : Je vais donc, puisqu?il faut que je me sacrifie, Assurer ? Pyrrhus le reste de ma vie ; Je vais en recevant sa foi sur les autels, L?engager ? mon fils par de n?uds immortels. Mais aussit?t ma main, ? moi seule funeste, D?une infid?le vie abr?gera le reste, Et sauvant ma vertu rendra ce que je doi [sic], ? Pyrrhus, ? mon fils, ? mon ?poux, ? moi. Voil? de mon amour l?innocent stratag?me ; Voil? ce qu?un ?poux m?a command? lui-m?me ; J?irai seule rejoindre Hector, et mes a?eux. C?phise, c?est ? toi de me fermer les yeux (IV, 1, 1089-1100). Malheureuse et infortun?e, Andromaque ne discerne aucune autre solution ? ses probl?mes. Le suicide, semble-t-il, est la seule fa?on de rester fid?le ? Hector tout en assurant la s?curit? de son fils. Malgr? cette solution, Andromaque se rend compte que Pyrrhus n?est pas une 22 personne en qui elle peut faire confiance. Quand C?phise d?clare qu?elle suivra Andromaque ? la mort, Andromaque le lui d?fend : elle avoue qu?apr?s son suicide, elle compte sur C?phise pour assurer que Pyrrhus garde sa promesse de s?occuper d?Astyanax : [?] je te d?fends, C?phise, de me suivre. Je confie ? tes soins mon unique tr?sor. Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d?Hector. De l?espoir des Troyens seule d?positaire, Songe ? combien de rois tu deviens n?cessaire. Veille aupr?s de Pyrrhus ; fais-lui garder sa foi : S?il le faut, je consens qu?on lui parle de moi ; Fais-lui valoir l?hymen o? je me suis rang?e ; Que ses ressentiments doivent ?tre effac?s, Qu?en lui laissant mon fils, c?est l?estimer assez. (IV, 1, 1102-1112) Il est clair qu?Andromaque ne s?attend pas ? ce que Pyrrhus garde sa promesse, et elle a certainement une bonne raison de douter de sa foi. Roland W. Tobin commente : ? Given Pyrrhus?s mental state, one has to question his willingness to fulfill any promise he has made, should the circumstances change dramatically ? (328). Elle se rend compte que Pyrrhus est trop ?go?ste et changeant : il change facilement d?avis quand les circonstances fluctuent. N?anmoins, malgr? toutes les mauvaises caract?ristiques de Pyrrhus, Andromaque d?cide de poursuivre son plan jusqu?au bout. Heureusement pour elle, elle ne doit jamais le r?aliser comme elle n?est pas en fait la seule personne bless?e par les actions de Pyrrhus. Par son incapacit? de voir les cons?quences de ses actions, Pyrrhus r?ussit ? blesser quelqu?un qui est beaucoup plus puissant et vindicatif qu?Andromaque et qu?il n?a litt?ralement pas vu venir ? Hermione. Malgr? le fait qu?Andromaque semble ?tre la seule femme dans la vie de Pyrrhus et qu?il soit tout investi dans sa poursuite, Pyrrhus a en fait d?j? une fianc?e ? Hermione, la fille 23 d?H?l?ne. Leurs fian?ailles, form?es par leur p?re respectif sur le champ de bataille de Troie, sont toujours en place pendant que Pyrrhus aspire ? l?amour d?Andromaque. Pour Pyrrhus, l?id?e d?une union avec Hermione n?est pas d?sirable car il n?est pas amoureux d?elle. ? ses yeux, ce mariage ne serait qu?un mariage de raison ? une fa?on de lier leurs royaumes. Pour Hermione par contre, m?me si elle sait que Pyrrhus poursuit activement Andromaque, il s?agit d?un mariage d?amour : elle est v?ritablement amoureuse de lui. Pyrrhus cependant ne pr?te jamais attention aux sentiments d?Hermione ? un acte qui la blesse ? l?extr?me. Cette froideur est explicite quand Pyrrhus fait face ? Hermione pour lui dire que leurs fian?ailles sont annul?es et qu?il ne l?a jamais aim?e : J??pouse une Troyenne. Oui, Madame, et j?avoue Que je vous ai promis la foi que je lui voue. Un autre vous dirait que dans les champs troyens Nos deux p?res sans nous form?rent ces liens, Et que sans consulter ni mon choix ni le v?tre, Nous f?mes sans amour engag? l?un ? l?autre ; Mais c?est assez pour moi que je me sois soumis. Par mes ambassadeurs mon c?ur vous fut promis ; [?] Je voulus m?obstiner ? vous ?tre fid?le : Je vous re?us en reine, et jusques ? ce jour J?ai cru que mes serments me tiendraient lieu d?amour. Mais cet amour l?emporte. Et par un coup funeste, Andromaque m?arrache un c?ur qu?elle d?teste. L?un par l?autre entra?n?s, nous courons ? l?autel Nous jurer, malgr? nous, un amour immortel. (IV, 5, 1281-1300) Pyrrhus est incapable de voir l?effet de ses mots sur Hermione. Il lui cause tant de peine qu?elle commence ? p?lir et pleurer devant lui, une r?action qui le stup?fait : ? Mes remords vous faisaient une injure mortelle./ Il faut se croire aim? pour se croire infid?le ? (IV, 5, 1329-1330). Pour lui, leur relation n?est pas bas?e sur un v?ritable amour : il ne l?a jamais aim?e et il ne comprend pas qu?elle puisse avoir des sentiments diff?rents des siens. En 24 cons?quence, il ne voit pas qu?il continue ? la blesser en lui expliquant qu?elle ne l?a jamais vraiment aim? non plus. Il est clair que Pyrrhus ne voit pas la r?alit? des sentiments d?Hermione : Pyrrhus Je crains de vous trahir, peut-?tre je vous sers. Nos c?urs n??taient point faits d?pendants l?un de l?autre ; Je suivais mon devoir, et vous c?diez au v?tre ; Rien ne vous engageait ? m?aimer en effet. (IV, 5, 1352-1355) C?est une d?claration qui rend Hermione furieuse : Hermione Je ne t?ai point aim?, cruel ? Qu?ai je donc fait ? J?ai d?daign? pour toi les v?ux de tous nos princes, Je t?ai cherch? moi-m?me au fond de tes provinces. J?y suis encor [sic], malgr? tes infid?lit?s, Et malgr? tous mes Grecs honteux de mes bont?s. Je leur ai command? de cacher mon injure ; J?attendais en secret le retour d?un parjure ; J?ai cru que t?t ou tard, ? ton devoir rendu, Tu me rapporterais un c?ur qui m??tait d?. Je t?aimais inconstant, qu?aurais-je fait fid?le ? Et m?me en ce moment, o? ta bouche cruelle Vient si tranquillement m?annoncer le tr?pas, Ingrat, je doute encor [sic] si je ne t?aime pas. (IV, 5, 1356-1368) L?handicap visuel de Pyrrhus ne lui permet pas de comprendre l?erreur fatale qu?il vient de commettre. En offensant tellement Hermione, Pyrrhus se met en danger. Malheureusement, c?est un danger qu?il ne peut pas voir. Pyrrhus reste aveugle, malgr? le fait que son gouverneur Ph?nix essaie de lui expliquer ce qui peut se passer maintenant ? ? Seigneur, vous entendez. Gardez de n?gliger/ Une amante en fureur, qui cherche ? se venger./ Elle n?est en ces lieux que trop bien appuy?e./ La querelle des Grecs ? la sienne est li?e ? (IV, 6, 1387-1391). Il rejette brusquement l?avertissement de Ph?nix en d?clarant : ? Andromaque m?attend ? (IV, 6, 1392). Il est ?vident que Pyrrhus reste incapable de voir la r?alit? de sa 25 situation et qu?il ?choue gravement ? g?rer avec prudence ses relations interpersonnelles : deux fautes n?fastes qui scellent le sort de Pyrrhus. Hermione, outrag?e par l?injure que Pyrrhus vient de lui faire, ordonne ? Oreste de l?assassiner ? l?autel. Quoiqu?Hermione reste toujours amoureuse de Pyrrhus, elle juge qu?il doit payer pour ses transgressions : Qu?il p?risse. Aussi bien il ne vit plus pour nous. Le perfide triomphe, et se rit de ma rage : Il pense voir en pleurs dissiper cet orage ; Il croit que toujours faible et d?un c?ur incertain, Je parerai d?un bras les coups de l?autre main. Il juge encor [sic] de moi par mes bont?s pass?es. Mais plut?t le perfide a bien d?autres pens?es : Triomphant dans le temple, il ne s?informe pas Si l?on souhaite ailleurs sa vie, ou son tr?pas. Il me laisse, l?ingrat ! cet embarras funeste. [?] Qu?il meure, puisque enfin il a d? le pr?voir, Et puisqu?il m?a forc?e enfin ? le vouloir. (V, 1, 1408-1420, c?est moi qui souligne) Hermione note que Pyrrhus doit s?attendre ? la vengeance. Mais, puisqu?il reste toujours aveugl? par l?amour, il est absolument impossible pour lui de pr?voir ce qu?Hermione se pr?pare ? faire. Pyrrhus est aveugle aux sentiments des autres, un trait auquel Hermione fait pourtant r?f?rence : Pyrrhus pense voir se dissiper la col?re d?Hermione parce qu?il est incapable de voir autrement. Menac? maintenant de tous c?t?s ? par les Grecs qui cherchent toujours ? prendre Astyanax et par Hermione qui aspire ? se venger ? il est clair que Pyrrhus est en p?ril. Malheureusement, il ne remarque jamais la r?alit? dangereuse de sa situation. Il n?est pas surprenant, apr?s tout ce qu?il a fait en poursuivant Andromaque, que Pyrrhus meurt juste apr?s son hymen. Il r?ussit, jusqu?? son derni?re souffle, ? rester aveugle : il ne voit jamais son assassinat par le peuple, ce qu?Oreste explique : Il expire ; et nos Grecs irrit?s 26 Ont lav? dans son sang ses infid?lit?s. [?] J?ai couru vers le temple, [?] Pyrrhus m?a reconnu. Mais sans changer de face, Il semblait que ma vue excit?t son audace, Que tous les Grecs brav?s en leur ambassadeur Dussent de son hymen relever la splendeur. Enfin, avec transport prenant son diad?me, Sur le front d?Andromaque il l?a pos? lui-m?me : Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne et ma foi, Andromaque, r?gnez sur l??pire et sur moi. Je voue ? votre fils une amiti? de p?re, J?en atteste les dieux, je le jure ? sa m?re : Pour tous mes ennemis je d?clare les siens, Et je le reconnais pour le roi des Troyens. ? ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage, Nos Grecs n?ont r?pondu que par un cri de rage ; L?infid?le s?est vu partout envelopper, Et je n?ai pu trouver de place pour frapper. Chacun se disputait la gloire de l?abattre. Je l?ai vu dans leurs mains quelque temps se d?battre, Tout sanglant ? leurs coups vouloir se d?rober, Mais enfin ? l?autel il est all? tomber. (V, 3, 1495-1520, c?est moi qui souligne) Pyrrhus ne se rend jamais compte que couronner Andromaque et d?clarer Astyanax roi des Troyens a des cons?quences funestes. Il ne voit pas l?aspect suicidaire de son acte. ? la fin, ce n?est pas la guerre qui d?truit l?impitoyable guerrier, mais plut?t son aveuglement. Le personnage de Pyrrhus souffre d?un handicap exceptionnel ? un handicap visuel m?taphorique. C?est un d?faut s?rieux qui ne lui laisse jamais voir ce qui se passe autour de lui : tout ce qu?il voit est un fantasme dans lequel il cherche tous ses d?sirs. Malheureusement, Pyrrhus ne r?ussit jamais ? surmonter son handicap ? c?est une faiblesse qui d?termine son sort, puisque son incapacit? de vaincre son handicap le m?ne ? sa mort, une id?e r?sum?e parfaitement par Greenberg : 27 Pyrrhus is undone by his vision. [?] [I]t is [?] percisely this desire, that is, his lust for Andromaque, [?] that drives him blindly forward and destroys him. His passion blinds him to anything other than the object of his desire [?]. Lost in his vision, propelled by desire, he becomes oblivious to the (murderous) reality of his surroundings [?]. Pyrrhus, lost to his fantasy vision, falls victim to the outrage of the Greeks, thus offering us the tragic proof that if love is blind, this blindness is also deadly (73). ?tant incapable de vaincre son handicap, Pyrrhus est transform? d?un guerrier viril et puissant ? un roi inepte et insubordonn? qui perd non seulement la grandeur de son h?ritage mais aussi le respect de son peuple. Le sort funeste de Pyrrhus sert d?avertissement aux autres hommes. Le Pyrrhus de Racine d?montre que m?me un homme qui est cens? ?tre un mod?le pour les autres peut devenir faible s?il n?apprend pas ? contr?ler ses passions et ? voir la r?alit?. Pour ?tre vu comme un homme viril et puissant dans l?imaginaire de Racine, un roi doit ?tre capable de vaincre ses faiblesses et de surmonter ses passions. Malheureusement, il s?agit d?une t?che que Pyrrhus ne r?ussit jamais ? r?aliser et c?est pour cette raison qu?il meurt. 28 Chapitre 3 B?r?nice : le silence d?un empereur B?r?nice (1670) raconte les premiers jours du r?gne de l?empereur romain Titus et ses efforts pour finir sa relation avec la reine B?r?nice et la renvoyer de Rome. Cette pi?ce a caus? ?norm?ment de discussion passionn?e parmi les critiques. Certains d?entre eux, y compris Voltaire, sugg?rent que B?r?nice n?est pas en fait une trag?die (Greenberg 124) ? personne n?y meurt ? malgr? la justification de cette cat?gorisation donn?e par Racine dans le pr?face de la pi?ce : ? Ce n?est point une n?cessit? qu?il y ait du sang et des morts dans une trag?die ; il suffit que l?action en soit grande, que les acteurs en soient h?ro?ques, que les passions y soient excit?es, et que tout s?y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la trag?die ? (21-22). Racine insiste sur les ?motions intenses et la grande tristesse dans B?r?nice, mais la tension ?motionnelle de la pi?ce n?est pas en fait la seule raison pour laquelle elle m?rite la cat?gorisation de ?trag?die?. Comme avec Pyrrhus, on peut utiliser la d?finition de Disability Studies selon Garland-Thomson qui sugg?re qu?il est possible de cat?goriser un d?faut de langue, de pens?e ou de perception comme un handicap (Extraordinary Bodies 22), pour d?voiler un autre ?l?ment tragique de la pi?ce. Le Titus racinien souffre d?un handicap vocal qui l?emp?che de r?aliser enti?rement ses devoirs ? de mettre les v?ux de son peuple et les lois romaines avant ses propres d?sirs. N? apr?s la mort de Vespasien, quand Titus est devenu empereur, cet handicap ne lui permet pas de parler quand il se trouve en pr?sence de B?r?nice. La capacit? de parler ? B?r?nice lui est essentielle car, s?il veut devenir un bon empereur, il lui faut renvoyer B?r?nice de Rome, et loin de lui. Malgr? sa passion pour B?r?nice, Titus ne peut pas ?tre avec elle ? elle est 29 ?trang?re et les lois romaines interdisent le mariage ? une ?trang?re. Titus veut renvoyer B?r?nice de Rome d?s le d?but de la pi?ce. John Campbell commente : When [B?r?nice] opens the major events seem already to have taken place: the death of Vesapsian and the decision by Titus that to be a true Roman emperor he must cut the knot of love tying him to a foreign queen. The whole play therefore seems merely to turn on the communication and acceptance of a decision already made (145, c?est moi qui souligne). L?incapacit? de parler ? B?r?nice et d?annoncer sa d?cision est alors tr?s d?bilitante. L?handicap vocal de Titus l?emp?che d?admettre ? B?r?nice la r?alit? de leur situation : son exil. Il reste muet en sa pr?sence, une r?action qui, explique G?rard Defaux, peut avoir des cons?quences s?v?res pour un homme au pouvoir : Dans cet univers ? la fois public et priv?, politique et passionnel, la parole est doublement pouvoir : pouvoir de dire et pouvoir de faire preuve et signe d?une ma?trise, d?une puissance capable d?exercer ses effets sur autrui et sur soi, sur les esprits aussi bien que sur les corps. Inversement, le silence est un sympt?me d?impuissance ou de faiblesse [?] (285, c?est moi qui souligne). Quoiqu?il soit vrai que Titus ne subit pas le sort typique d?un h?ros d?une trag?die ? la mort ? il n?est pas moins d?truit ? la fin quand son inaction, caus?e par son handicap vocal, le force ? devenir impuissant et ?mascul?. C?est un ?tat avec lequel Titus est oblig? de vivre pour le reste de sa vie et l? est la vraie trag?die de cette pi?ce. Au d?but de la pi?ce, Titus se trouve dans une situation difficile. R?cemment devenu empereur de Rome et alors confront? avec beaucoup de nouvelles responsabilit?s et de devoirs, Titus doit d?cider quelle sorte d?empereur il veut devenir. Sera-t-il un empereur tyrannique qui n??coute jamais les v?ux de son peuple, ou un empereur qui met l??tat avant tout ? m?me avant son propre bonheur ? Mitchell Greenberg ?labore sur la position pr?caire dans laquelle Titus se trouve : 30 [?] [W]hile the sovereignty of the state resided in the prince, who was above civil laws, he was not, could not be, above the basic laws of the realm [?]. The king [emperor], in other words, in the theory of the Western monarchy, cannot be a slave to his earthly body, in which case he would be merely a tyrant and thus [?] removable (123-124). Titus d?cide de suivre la juste voie et de penser premi?rement ? ses devoirs et deuxi?mement ? ses propres d?sirs. Il se rend compte que sa personne ne lui appartient plus : il est maintenant responsable de son peuple. Son d?sir de devenir un bon empereur comprend partiellement une observation absolue des lois romaines, m?me si ces lois contredisent ce qu?il veut. Une de ces lois ? celle qui interdit aux Romains de prendre une ?trang?re comme ?pouse ? touche Titus profond?ment. Amoureux de B?r?nice, une reine orientale, les lois d?fendent ? Titus de s?unir ? elle. Il est ?galement confront? avec la haine de la tradition monarchique des Romains. Greenberg commente : ? Once Titus accedes to the imperial throne, what was an idyllic love affair becomes an ?affaire d?Etat?: Roman tradition refuses any return of a hated monarchal legacy ? (127). Alors, les Romains se m?fient doublement de B?r?nice ? c?est une ?trang?re et elle est reine. Il est ?vident que B?r?nice a des qualit?s exemplaires, ce que m?me les Romains peuvent voir : mais, elle n?a pas le droit de rester ? Rome et d??pouser Titus. Il faut co?te que co?te, explique Paulin, le confident de Titus, qu?elle s?en aille : Elle a m?me, dit-on, le c?ur d?une Romaine. Elle a mille vertus. Mais, Seigneur, elle est reine. Rome, par une loi, qui ne se peut changer, N?admet avec son sang aucun sang ?tranger, Et ne reconna?t point les fruits ill?gitimes, Qui naissent d?un hymen contraire ? ses maximes. (II, 2, 375-380) Pour suivre les lois romaines, Titus doit arr?ter de pr?ter attention ? son c?ur : il faut qu?il renvoie B?r?nice de Rome aussit?t que possible. C?est une action, explique J. A. Dainard, que Titus se pr?pare ? faire : 31 The emperor must listen to two voices: the one, the voice of Rome, recalls him to his duty as a public man with heavy responsibilities, and the other, the voice of his love for B?r?nice, concerns his happiness as a private individual. He accepts his duty from the beginning: indeed for him, the action of the play consists of the interval between the time a decision is made, and the time it is put into effect. It is by means of language that he will make the transition from one state to another (163-164, c?est moi qui souligne). Pour parfaire sa transformation en empereur, Titus n?a qu?? parler : tout ce dont il a besoin de faire est de dire ? B?r?nice qu?elle doit partir. Cependant, ce n?est pas une t?che facile ? accomplir pour Titus puisque, d?s qu?il est devenu empereur et qu?il a appris qu?il devait se s?parer d?elle, Titus a d?velopp? un handicap vocal dans la pr?sence de B?r?nice. C?est un probl?me s?rieux qui menace son autorit?. Comme Pyrrhus, Titus n?est pas n? avec son handicap : il l?a d?velopp? plus tard dans la vie ? un effet de la fluidit? des handicaps (B?rub? 570) ? quand son p?re est mort, un ?v?nement qui a beaucoup chang? sa vie. Pour bien comprendre les racines de cet handicap, il est premi?rement n?cessaire de conna?tre les circonstances de la relation entre Titus et B?r?nice. Avant de rencontrer B?r?nice, Titus ?tait un homme tr?s diff?rent. Dans sa jeunesse, il suivait une voie dangereuse qui mena?ait de le transformer en homme aussi d?bauch? et tyrannique que N?ron. Cette transformation a cess? quand Titus est tomb? amoureux de B?r?nice. No?mi Hepp explique: ? Gr?ce ? [B?r?nice], par d?sir de la m?riter, [?] [Titus] a appris l?h?ro?sme guerrier et l?amour de la gloire, il a appris la g?n?reuse bienfaisance [?]. Bref, il a pass? d?une jeunesse m?diocre ? une maturit? domin?e par le sens de valeurs ? (?Le personnage de Titus? 90). Titus croit ?tre endett? envers B?r?nice : c?est elle qui l?a aid? ? abandonner sa jeunesse licencieuse. Cette dette, en conjonction avec l?amour qu?il tient pour elle, d?veloppe en lui un handicap vocal quand il se trouve dans le 32 m?me endroit qu?elle. Il a de la difficult? ? parler en sa pr?sence, surtout quand il faut lui parler de leur s?paration in?vitable. Titus lui-m?me est conscient de son handicap : R?solu d?accomplir ce cruel sacrifice, J?y voulus pr?parer la triste B?r?nice. Mais par o? commencer ? Vingt fois depuis huit jours J?ai voulu devant elle ouvrir le discours, Et d?s le premier mot ma langue embarrass?e Dans ma bouche vingt fois a demeur? glac?e. (II, 2, 471-476) Il est clair que l?handicap vocal de Titus l?emp?che d?expliquer ? B?r?nice qu?elle doit le quitter. C?est une situation qui se reproduit plusieurs fois dans la pi?ce et qui d?termine son sort. Il est important de noter que Titus n?est pas la seule personne ? se rendre compte qu?il est incapable de parler en pr?sence de B?r?nice. En fait, B?r?nice elle-m?me le remarque, mais elle n?a aucune id?e de la vraie signification de son silence. Elle croit seulement que Titus est toujours en deuil apr?s la mort de son p?re : Ce long deuil que Titus imposait ? sa cour Avait m?me en secret suspendu son amour. [?] Muet, charg? de soins, et les larmes aux yeux, Il ne me laissait plus que de tristes adieux. (I, 4, 153-158) B?r?nice voit juste : Titus est en deuil, mais pour une autre raison ? il regrette de devoir se s?parer d?elle. En d?veloppant un handicap vocal, Titus cherche d?une mani?re inconsciente ? garder B?r?nice pr?s de lui, tout en la prot?geant de la peine ?motionnelle que la connaissance de leur s?paration imminente lui causera. Son handicap vocal ? would indicate that he is loath not only to inflict pain, but, more importantly, to silence his love ? (Dainard 167). Son silence cependant a l?effet oppos? : au lieu d?aider Titus ? prot?ger B?r?nice 33 contre le chagrin, son handicap vocal la blesse. Ayant peur que Titus ne l?aime plus, B?r?nice d?cide de lui faire face. Elle essaie plusieurs fois de l?inciter ? lui parler et ? lui expliquer la signification de son silence et de ses actions : Ne vous offensez pas, si mon z?le indiscret De votre solitude interrompt le secret. Tandis qu?autour de moi votre cour assembl?e Retentit des bienfaits dont vous m?avez combl?e, Est-il juste, Seigneur, que seule en ce moment Je demeure sans voix et sans ressentiment ? [?] Votre deuil est fini, rien n?arr?te vos pas, Vous ?tes seul enfin, et ne me cherchez pas. J?entends que vous m?offrez un nouveau diad?me, Et ne puis cependant vous entendre vous-m?me. H?las ! plus de repos, Seigneur, et moins d??clat. Votre amour ne peut-il para?tre qu?au s?nat ? [?] Un soupir, un regard, un mot de votre bouche, Voil? l?ambition d?un c?ur comme le mien. [?] Ce c?ur apr?s huit jours n?a-t-il rien ? me dire ? Qu?un mot va rassurer mes timides esprits ! Mais parliez-vous de moi, quand je vous ai surpris ? Dans vos secrets discours ?tais-je int?ress?e, Seigneur ? ?tais-je au moins pr?sente ? la pens?e ? (II, 4, 557-584, c?est moi qui souligne) Bless?e par son d?tachement, B?r?nice cherche des r?ponses de Titus. Elle a peur que son silence signifie de l?indiff?rence pour elle. Elle ne comprend pas que ce silence est en fait preuve de son amour. Titus, au lieu de lui expliquer la vraie raison pour ce silence, essaie de diminuer sa peur : ? N?en doutez point, Madame, et j?atteste les dieux/ Que toujours B?r?nice est pr?sente ? mes yeux./ L?absence, ni le temps, je vous le jure encore,/ Ne vous peuvent ravir ce c?ur qui vous adore ? (II, 4, 585-588). L?handicap vocal de Titus ne lui permet pas de lui expliquer qu?il faut qu?ils se s?parent. B?r?nice cependant n?est pas soulag?e par cette d?claration d?amour qu?elle consid?re froide : 34 B?r?nice H? quoi ? vous me jurez une ?ternelle ardeur, Et vous me la jurez avec cette froideur ? [?] Titus Madame? B?r?nice H? bien, Seigneur ? Mais quoi ? sans me r?pondre Vous d?tournez les yeux, et semblez vous confondre ! Ne m?offrirez-vous plus qu?un visage interdit ? Toujours la mort d?un p?re occupe votre esprit ? Rien ne peut-il charmer l?ennui qui vous d?vore ? (II, 4, 589-599, c?est moi qui souligne) B?r?nice n?arrive pas ? d?celer la vraie raison pour laquelle Titus ne lui parle pas. Titus ne lui donne aucune indication concernant leur situation fatale. En fait, quand il essaie finalement de lui expliquer ce qui se passe, il est incapable de le faire. Il continue ? ?tre silencieux : Titus [?] [I]l faut vous parler, Mon c?ur de plus de feux ne sentit br?ler. Mais? B?r?nice Achevez. Titus H?las ! B?r?nice Parlez. Titus Rome? l?empire? B?r?nice H? bien ? Titus Sortons, Paulin, je ne lui puis rien dire. 35 (II, 4, 621-624, c?est moi qui souligne) Quand il essaie de dire la v?rit? ? B?r?nice, Titus devient p?trifi?, incapable m?me de formuler les mots qui mettront fin ? leur relation amoureuse. Son handicap vocal l?emp?che de faire ce qui est n?cessaire et l??mascule car un empereur doit ?tre capable de surmonter ses ?motions et d?accomplir une telle t?che. Debby A. Phillips explique que dans le cadre de Masculinity Studies : ? Males are perceived as ?normal? when they repetitively perform gestures and displays like [?] toughness, emotional stoicism, [?] [and] domination? (10). Au dix-septi?me si?cle, si on veut ?tre reconnu comme un ?vrai? homme, un homme dit masculin, la soci?t? demande qu?on affiche ? competitiveness, strength, infallibility, emotional distance, aggression, and dominance ? (D. Phillips 4). Son ?masculation est un ?tat qui devient de plus en plus intense et visible pendant le reste de la pi?ce, surtout quand il d?cide d?emprunter la voix d?un autre homme ? Antiochus ? pour expliquer ? B?r?nice qu?elle doit partir. Titus fait face ? un grand probl?me : plus B?r?nice reste longtemps ? Rome, plus il devient ?mascul?. De plus, si Titus n?arrive pas ? renvoyer B?r?nice, il deviendra un tyran aux yeux du peuple ? non parce qu?il veut l??tre, mais plut?t parce qu?il ne suit pas les lois romaines. Son peuple pourrait croire que Titus rejette consciencieusement ses lois comme il ne sait pas que Titus est handicap?. Alors, Titus risque de perdre non seulement son pouvoir et sa position, mais aussi sa vie ? le peuple peut facilement se tourner contre lui et le tuer. Il est clair qu?il doit absolument faire quelque chose pour ?viter ce sort. Incapable de parler ? B?r?nice lui-m?me, il d?cide d?emprunter la voix d?Antiochus, le roi de Comag?ne. Defaux ?labore : ? [?] [Titus] se voit contraint d??emprunter? la voix d?un autre et de demander ? cet autre, ? cet ami fid?le, de dire ce qui est pour lui proprement indicible [?] ? (281). Il ne 36 veux pas prendre une telle mesure : c?est un acte honteux et ?masculant, comme la parole dans cette pi?ce symbolise le pouvoir. N?anmoins, malgr? l?humiliation que cet acte lui apporte, il demande ? Antiochus de remplir cette t?che difficile: [?] je veux seulement emprunter votre voix. Je sais que B?r?nice ? vos soins redevable Croit poss?der en vous un ami v?ritable. Elle ne voit dans Rome et n??coute que vous. Vous ne faites qu?un c?ur et qu?une ?me avec nous. Au nom d?une amiti? si constante, et si belle, Employez le pouvoir que vous avez sur elle. Voyez-la de ma part. (III, 1, 694-701, c?est moi qui souligne) Malgr? le fait qu?il essaie de justifier cette demande ? il pr?tend qu?Antiochus fait partie de sa relation avec B?r?nice, il est ?vident que Titus est seulement faible. Il ne veut m?me pas dire adieu ? B?r?nice de peur de r?v?ler cette faiblesse en devenant accabl? d??motions. Il veut, explique-t-il, qu?Antiochus accomplisse cette t?che tout de suite : Allez, expliquez-lui mon trouble et mon silence, Surtout qu?elle me laisse ?viter sa pr?sence. Soyez le seul t?moin de ses pleurs et des miens. Portez-lui mes adieux, et recevez les siens. Fuyons tous deux, fuyons un spectacle funeste Qui de notre constance accablerait le reste. Si l?espoir de r?gner et de vivre en mon c?ur Peut de son infortune adoucir la rigueur ; Ah, Prince ! jurez-lui que toujours trop fid?le, G?missant dans ma cour, et plus exil? qu?elle, Portant jusqu?au tombeau le nom de son amant, Mon r?gne ne sera qu?un long bannissement, Si le ciel non content de me l?avoir ravie Veut encor [sic] m?affliger par une longue vie. (III, 1, 743-756, c?est moi qui souligne) Sans B?r?nice, la vie de Titus sera une punition, mais c?est une punition qu?il accepte ? il se rend compte que c?est le prix d??tre empereur. Pourtant, s?il ne veut pas devenir un empereur 37 inutile, qui reste ?ternellement m?content d?avoir chass? son grand amour, il faut que Titus surmonte son handicap et commence ? parler pour lui-m?me. Apr?s avoir parl? ? Antiochus, qui lui a expliqu? ce que Titus ne pouvait pas, B?r?nice, dans une crise furieuse, cherche Titus pour lui demander une explication : Il faut que je le voie. Ah ! Seigneur, vous voici ! H? bien, il est donc vrai que Titus m?abandonne ? Il faut nous s?parer. Et c?est lui qui l?ordonne. (IV, 5, 1042-1044) Titus, se rendant compte que B?r?nice sait finalement la r?alit? de leur situation, est momentan?ment soulag? de son handicap vocal. Il r?ussit finalement ? retrouver la parole, et il essaie de lui expliquer qu?il faut qu?un empereur mette l??tat avant sa propre personne : N?accablez point, Madame, un prince malheureux ; Il ne faut point ici nous attendrir tous deux. Un trouble assez cruel m?agite et me d?vore, Sans que des pleurs si chers me d?chirent encore. Rappelez bien plut?t ce c?ur, qui tant de fois M?a fait de mon devoir reconna?tre la voix. Il en est temps. Forcez votre amour ? se taire, Et d?un ?il que la gloire et la raison ?claire, Contemplez mon devoir dans toute sa rigueur. Vous-m?me contre vous fortifiez mon c?ur. Aidez-moi, s?il se peut, ? vaincre ma faiblesse, ? retenir des pleurs qui m??chappent sans cesse. Ou si nous ne pouvons commander ? nos pleurs, Que la gloire du moins soutienne nos douleurs, Et que tout l?univers reconnaisse sans peine Les pleurs d?un empereur, et les pleurs d?une reine. Car enfin, ma Princesse, il faut nous s?parer. (IV, 5, 1045-1061, c?est moi qui souligne) Titus parle finalement. Il avait peur de dire ? B?r?nice que leur relation ?tait finie et de la blesser. Il savait que sa r?action lui aurait caus? de devenir catatonique, si accabl? d??motions qu?il n?aurait pu rien faire. Comme il a employ? Antiochus pour accomplir ce travail, Titus n?a aucune raison de rester silencieux maintenant. Il peut finalement expliquer 38 ? B?r?nice que malgr? l?amour qu?il ?prouve pour elle, il faut qu?il r?gne ? la gloire commence ? devenir importante pour lui ? m?me s?il restera ?ternellement d?sesp?r? : Que sais-je ? J?esp?rais de mourir ? vos yeux, Avant que d?en venir ? ces cruels adieux. Les obstacles semblaient renouveler ma flamme, Tout l?empire parlait. Mais la gloire, Madame, Ne s??tait point encor [sic] fait entendre ? mon c?ur Du ton dont elle parle au c?ur d?un empereur. Je sais tous les tourments o? ce dessein me livre, Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre, Que mon c?ur de moi-m?me est pr?t ? s??loigner. Mais il ne s?agit plus de vivre, il faut r?gner. (IV, 5, 1095-1102, c?est moi qui souligne) Bien que Titus soit dor?navant soulag? de son handicap vocal, il est ?vident qu?il reste toujours touch? par cette situation qui a clairement des effets nuisibles et durables sur sa sant? mentale. Il commence alors ? ?tre tr?s changeant ? il devient incapable de prendre une d?cision et de la r?aliser : il veut que B?r?nice reste ? Rome, puis il veut qu?elle parte : H?las ! vous pouvez tout, Madame. Demeurez, Je n?y r?siste point. Mais je sens ma faiblesse. Il faudra vous combattre et vous craindre sans cesse, Et sans cesse veiller ? retenir mes pas, Que vers vous ? toute heure entra?nent vos appas. Que dis-je ? En ce moment mon c?ur, hors de lui-m?me S?oublie, et se souvient seulement qu?il vous aime. (IV, 5, 1130-1136) Titus n?est pas tout ? fait certain de la voie qu?il doit suivre ? l?amour ou le devoir. Toutefois, malgr? son instabilit?, il comprend qu?il ne faut pas mettre les Romains en col?re, un fait qu?il essaie d?expliquer ? B?r?nice : B?r?nice H? bien, Seigneur, h? bien, qu?en peut-il arriver ? Voyez-vous les Romains pr?ts ? se soulever ? Titus Et qui sait de quel ?il ils prendront cette injure ? 39 S?ils parlent, si les cris succ?dent au murmure, Faudra-t-il par le sang justifier mon choix ? S?ils se taisent, Madame, et me vendent leurs lois, ? quoi m?exposez-vous ? Par quelle complaisance Faudra-t-il quelque jour payer leur patience ? Que n?oseront-ils point alors me demander ? Maintiendrai-je des lois, que je ne puis garder ? (IV, 5, 1139-1146, c?est moi qui souligne) Il est clair que la voix du peuple romain est beaucoup plus forte que la sienne. Le peuple sait exactement ce qu?il veut ? il demande que B?r?nice quitte Rome. Alors, Titus se rend compte que rester avec B?r?nice peut lui apporter des cons?quences fatales. Il affirme qu?il n?est pas au-dessus des lois romaines et qu?il ne peut pas les changer ? il doit les suivre, malgr? la peine que cette action lui cause : ? [?] quand j?acceptai l?empire,/ Rome me fit jurer de maintenir ses droits ;/ Il les faut maintenir [?] ? (IV, 5, 1156-1158). Titus d?cide que B?r?nice doit partir. Ayant finalement la capacit? de parler, Titus semble ?tre pr?t ? prendre le r?le de l?empereur. Malheureusement, il n?a pas la force mentale n?cessaire pour l?accomplir car il ne veut pas vivre sans B?r?nice, un fait qu?il souligne en changeant d?avis. Dans un effort de lui montrer qu?il est s?rieux, Titus avoue qu?il est pr?t ? tout abandonner ? son empire, sa r?putation et m?me sa vie ? pour qu?il reste avec elle. Il dit ce qu?il ne devrait pas dire : [?] je dois moins encore vous dire Que je suis pr?t pour vous d?abandonner l?empire, De vous suivre, et d?aller trop content de mes fers Soupirer avec vous au bout de l?univers. Vous-m?me rougiriez de ma l?che conduite. Vous verriez ? regret marcher ? votre suite Un indigne empereur sans empire, sans cour, Vil spectacle aux humains des faiblesses d?amour. (V, 6, 1399-1422) 40 Titus devient de plus en plus faible : il veut renoncer ? ses devoirs et d?truire sa bonne r?putation pour l?amour de B?r?nice. Malheureusement pour lui, B?r?nice a d?autres id?es. Elle a effectivement pris une d?cision qui ne s?aligne pas avec celle de Titus. Titus d?cide finalement qu?il ne veut pas que B?r?nice le quitte. Il explique clairement ce ? quoi il s?attend : il suppose que B?r?nice acceptera de rester ? Rome pour qu?ils soient ensemble. B?r?nice comprend cependant que cette fantaisie n?est pas r?aliste : ils ne pourront jamais ?tre ensemble. Prenant la parole, comme Titus avait d? la prendre, elle annonce qu?elle quitte Rome, et Titus, pour toujours : J?aimais, Seigneur, j?aimais, je voulais ?tre aim?e. Ce jour, je l?avouerai, je me suis alarm?e. J?ai cru que votre amour allait finir son cours. Je connais mon erreur, et vous m?aimez toujours. Votre c?ur s?est troubl?, j?ai vu couler vos larmes. B?r?nice, Seigneur, ne vaut point tant d?alarmes, Ni que par votre amour l?univers malheureux, Dans le temps que Titus attire tous ses v?ux, Et que de vos vertus il go?te les pr?mices, Se voie en un moment enlever ses d?lices. Je crois depuis cinq ans jusqu?? ce dernier jour Vous avoir assur? d?un v?ritable amour, Ce n?est pas tout, je veux en ce moment funeste Par un dernier effort couronner tout le reste. Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus. Adieu, Seigneur, r?gnez, je ne vous verrai plus. (V, 7, 1479-1494) Il est clair que B?r?nice est toujours amoureuse de Titus, mais elle comprend que le devoir et la gloire sont plus grands que leur amour. En d?cidant de partir, B?r?nice fait ce que Titus ne pouvait pas ? elle parle et agit. Elle r?ussit ? prendre une d?cision et ? la garder jusqu?au bout. Quant ? Titus, il ne dit rien. Il reste compl?tement silencieux, une indication que son handicap vocal est revenu, beaucoup plus fort qu?avant ? il reste muet devant B?r?nice. 41 Campbell commente : ? It is B?r?nice with sovereign power who decides to leave : Titus is at the end a mute and helpless spectator ? (153-154). Titus reste ?ternellement handicap? : il n?aura jamais la possibilit? de s?expliquer ? B?r?nice, de lui dire adieu, de reprendre la parole qu?il a perdue. ? la fin, c?est B?r?nice qui a tout le pouvoir. Dans leur relation c?est elle qui a chang? Titus, qui l?a transform? d?un homme d?bauch? ? un homme glorieux, et ? la fin c?est elle qui d?cide d?agir, de survivre sans lui. Domin? par son handicap vocal, Titus perd la possibilit? de devenir un bon empereur : il restera infiniment d?shonor? par sa situation. Garland-Thomson explique, ?[?] [A]bility and disability are not so much a matter of the capacities and limitations of bodies but more about what we expect from a body at a particular moment and place ? (?Disability and Representation? 524). Titus, comme empereur, est cens? ?tre capable de surmonter ses ?motions pour qu?il puisse renvoyer B?r?nice de Rome. Cependant, il n?est pas capable de le faire, et il perd plut?t la parole quand il se trouve en sa pr?sence. Cette incapacit? peut ?tre cat?goris?e comme un handicap parce qu?en l?emp?chant de se s?parer de B?r?nice elle ne permet pas ? Titus de r?aliser enti?rement ses devoirs d?empereur. Il faut que Titus vive pour l??tat ? il doit absolument r?aliser la t?che n?cessaire de chasser B?r?nice, m?me s?il trouve qu?elle est nuisible ? son bonheur. C?est un acte que Titus n?accomplit jamais. Malgr? le fait qu?il veuille devenir un bon empereur [Titus] ne parvient jamais ? ?tre vraiment celui qu?il se sait oblig? d??tre, ? s?identifi? totalement ? son r?le, ? se sentir parfaitement ? l?aise sur la sc?ne du ?plus noble th??tre? o? l?a soudain plac? la mort de Vespasien. [?] Titus n?est ici qu?un h?ros qui h?site ? na?tre, un h?ros qui se fait, ou plut?t que Rome enfante, dans la douleur et dans les larmes. L?Empereur, en Titus, vient au monde ? regret (Defaux 278). 42 Son handicap vocal emp?che Titus de r?aliser ses buts. Ce n?est pas lui qui est glorieux ? la fin, mais B?r?nice. Elle r?ussit ? parler et ? agir quand Titus ne le peut pas, et c?est elle qui, entre les deux amants, a le dernier mot ? preuve de son pouvoir sup?rieur. En se servant d?un personnage comme Titus ? un empereur qui perd son pouvoir et sa masculinit? devant une femme ? Racine montre ? son public la fragilit? de l?esprit humain si on n?apprend pas ? contr?ler ses ?motions et ce qui peut se passer quand on perd son sang-froid. Et, bien qu?il soit vrai que Titus ne meurt pas dans la pi?ce, il souffre d?un sort qui est peut-?tre plus lamentable : Titus doit vivre avec son incomp?tence, sachant qu?il ?choue non seulement dans ses devoirs d?empereur mais aussi dans ceux de l?amant. Vaincu par son incapacit? de parler, Titus perd tout ? la fin ? son amour, son pouvoir et sa masculinit?. Il n?est plus que l?ombre de lui-m?me. C?est le sort le plus cruel de tous les h?ros raciniens. 43 Chapitre 4 Bajazet : l?anxi?t? des sultans Bajazet (1672), la sixi?me trag?die de Racine, est la plus particuli?re de toute son ?uvre car c?est une pi?ce contest?e parmi certains critiques qui proposent qu?au lieu d??tre une vraie trag?die, Bajazet n?est qu?un drame historique. Leur raison pour cette classification vient du fait que Bajazet ? is the only play in Jean Racine?s corpus that stages an event of recent history. [?] [It is] drawn from history and represent[s] a world in which there are neither mythic heroes nor gods ? (Perovic 439). En fait, dans la seconde pr?face de la pi?ce, Racine lui-m?me avoue que ? les particularit?s de la mort de Bajazet ne sont encore dans aucune histoire imprim?e ? (43-44). Pourtant, malgr? l?objection des critiques, Bajazet m?rite d??tre classifi?e comme une trag?die. Prenant place dans un s?rail turc, il s?agit d?une lutte pour le pouvoir royal entre le sultan Amurat, son fr?re Bajazet et la sultane Roxane : c?est une lutte mortelle qui accorde ? Bajazet le titre de la pi?ce la plus sanglante de l??uvre racinienne. Mais, cette fin sanglante n?est pas la seule raison pour laquelle cette pi?ce est tragique. En suivant la m?me formule utilis?e dans ses autres trag?dies ? celle qui examine un personnage royal m?taphoriquement handicap? ? Racine consid?re les implications funestes de l?incertitude et ce qui peut se passer si on est incapable de surmonter cette incertitude. D?apr?s Disability Studies, qui aide ? faire des ?tudes approfondies sur des personnages qui souffrent d?handicaps peu prononc?s ou invisibles (Hagood 391), on peut montrer ? travers Amurat et Roxane ? deux personnages qui deviennent pi?g?s par leur handicap ? ce qui se passe si on laisse s?aggraver l?anxi?t? : c?est ? cause de l?anxi?t? qu?Amurat d?veloppe un handicap d??go?sme qui le force ? faire tout ce qui est n?cessaire 44 pour garder son pouvoir souverain, m?me commettre des crimes de parricide, et que Roxane, qui s?inqui?te toujours de perdre son pouvoir, d?veloppe un handicap d?ind?cision qui la m?ne finalement ? sa mort. Puisqu?Amurat et Roxane sont incapables de surmonter leur anxi?t? ? temps ? ce qui est la vraie trag?die de la pi?ce ? tous les personnages sont affect?s ? la fin. Quand un personnage royal est handicap?, tout le monde souffre. Bien qu?Amurat soit un personnage important, il n?est en fait jamais pr?sent sur sc?ne. Au lieu d??tre dans le s?rail, il se trouve ? Babylone, essayant d?y gagner de la gloire et l?amour de son peuple. N?anmoins, malgr? son absence, Amurat r?ussit toujours ? avoir une pr?sence terrifiante qui provoque de l?anxi?t? chez les autres personnages. Maya Slater explique : ? The fact that [Amurat] is lurking as an invisible threat makes him more frightening [?] ? (149). Il n?est pas surprenant que les gens au s?rail craignent l?apparition d?Amurat puisque c?est un ogre cruel qui cherche toujours ? ?tre satisfait en ayant sa volont? accomplie. Il n?h?site pas ? agir d?une mani?re impitoyable, un c?t? de sa personnalit? qui vient de son handicap d??go?sme. Pour bien comprendre comment Amurat a d?velopp? un tel handicap, il faut premi?rement conna?tre les circonstances de son r?gne et comment il est devenu sultan. Racine ?claircit un peu l?histoire d?Amurat dans la seconde pr?face de la pi?ce : Sultan Amurat [?], empereur des Turcs [?], a eu quatre fr?res. Le premier, c?est ? savoir Osman, fut empereur avant lui, et r?gna environ trois ans, au bout desquels les janissaires lui ?t?rent l?empire et la vie. Le second se nommait Orcan. Amurat, d?s les premiers jours de son r?gne, le fit ?trangler. Le troisi?me ?tait Bajazet [?]. Amurat, ou par politique, ou par amiti?, l?avait ?pargn? jusqu?au si?ge de Babylone (43). Racine r?v?le deux choses importantes sur le comportement d?Amurat. Premi?rement, pour obtenir le pouvoir, Amurat ferait n?importe quoi, m?me assassiner sa propre famille. 45 Deuxi?mement, les janissaires ? la garde du sultan ? peuvent enlever un sultan qu?ils n?aiment pas, une situation qui cause beaucoup d?appr?hension chez Amurat parce qu?au d?but de la pi?ce, il n?est pas encore tr?s s?r dans sa position. Au lieu d?avoir un pouvoir absolu, comme insiste Sylvie Romanowski, qui commente : ? Amurat holds real military and political powers and within the state he is the recognized absolute master ? (?Circuits of Power? 852), Amurat, quand la pi?ce commence, n?a qu?un pouvoir incertain. Osmin, le confident du grand vizir Acomat, clarifie la cause de cette incertitude en expliquant que le sultan n?a pas encore obtenu le support des janissaires : Amurat est content, si nous le voulons croire Et semblait se promettre une heureuse victoire [? Babylone]. Mais en vain par ce calme il croit nous ?blouir ; Il affecte un repos dont il ne peut jouir. C?est en vain que for?ant ses soup?ons ordinaires, Il se rend accessible ? tous les janissaires : Il se souvient toujours que son inimiti? Voulut de ce grand corps retrancher la moiti?, Lorsque pour affermir sa puissance nouvelle, Il voulait, disait-il, sortir de leur tutelle. Moi-m?me j?ai souvent entendu leurs discours : Comme il les craint sans cesse, ils le craignent toujours. (I, 1, 33-44) ?tant donn? que les janissaires ont enlev? et tu? son fr?re, l?ancien sultan, Amurat doit ?tre tr?s anxieux de son mauvais rapport avec eux. S?il veut solidifier sa position comme sultan, ce qui est certainement son but ultime, il doit absolument prendre contr?le des janissaires en gagnant leur confiance. A. G. Branan explique : ? The situation that exist[s] between Amurat and his soldiers at the beginning of the play [is] untenable. The balance of fear between prince and army [is] at a standoff. [?] Amurat attempt[s] to swing the balance in his favor. His stragedy [is] to gain the allegiance of the Janissaries by succeeding in combat ? (22). Pour obtenir tout ce qu?il d?sire ? le soutien des janissaires et donc 46 l?affirmation de sa position ? Amurat cherche ? conqu?rir Babylone. S?il gagne, il aura le pouvoir et l?aide dont il a besoin, mais s?il perd, il risque d??tre expuls? du tr?ne. ? cause de l?ins?curit? de sa position et l?incertitude qu?il ressent sur la capacit? de garder le pouvoir, Amurat souffre d?un ?tat d?inqui?tude qui le m?ne ? d?velopper un handicap d??go?sme qui lui permet de diminuer son malaise. Pour lui, cet handicap se r?v?le ?tre crucial en l?aidant ? r?aliser tous ses buts. Pour ceux qui l?entourent par contre, cet handicap n?a que des effets nuisibles. Apr?s le d?veloppement de son handicap d??go?sme, Amurat devient incroyablement cruel ? pr?t ? commettre des crimes violents pour sauvegarder son pouvoir. Il en a d?j? commis avant le d?but de la pi?ce en ?tranglant un de ses fr?res. Il n?y a aucun doute qu?Amurat est pr?t ? assassiner Bajazet aussi. Bajazet est actuellement toujours vivant puisqu?Amurat a eu jusqu?ici besoin de lui, ce que r?v?le Branan qui explique : ? Amurat was [?] concerned with eliminating [Bajazet], the last direct heir to the throne, until he could insure the dynasty by siring a son ? (21). C?est une situation sur laquelle Acomat ?labore : [?] le cruel Amurat, Avant qu?un fils naissant e?t rassur? l??tat, N?osait sacrifier ce fr?re ? sa vengeance, Ni du sang ottoman proscrire l?esp?rance. Ainsi donc pour un temps Amurat d?sarm? Laissa dans le s?rail Bajazet enferm?. (I, 1, 123-128) Toutefois, Amurat vient r?cemment d?engendrer un h?ritier et d?assurer son ascendance, il n?a d?s lors plus besoin de son fr?re pour remplir ce r?le : ? ses yeux, Bajazet devient une menace qu?on doit neutraliser aussit?t que possible. Le fait qu?il peut facilement condamner Bajazet montre sa cruaut? extr?me. S?il est pr?t ? tuer son propre fr?re, il n?y a aucun doute 47 qu?il tuerait n?importe qui pour maintenir son pouvoir. Il est clair que c?est une personne tr?s dangereuse. Cependant, malgr? le danger ?vident ? trahir Amurat, il y a une personne qui ose le faire ? Roxane, qui cherche ? prendre du pouvoir pour elle-m?me. Avant d?aller ? Babylone, Amurat a d? laisser quelqu?un ? la t?te du s?rail ? quelqu?un qui puisse ex?cuter sans h?sitation son ordre d?assassiner Bajazet. Il a choisi de conf?rer son pouvoir ? la sultane Roxane ? c?est elle qui est ? la favorite (et non l??pouse) du sultan [?] qui avait, la premi?re, donn? naissance ? un fils ? (Racine, Bajazet 32-34). Roxane projette l?image d?une ? frightening phallic Mother, aggressive, devouring, murderous [?] ? (Greenberg 138) : il s?agit en effet d?une femme phallique qui se r?jouit d?un pouvoir rarement connu par les femmes de son ?poque. Elle n?agit pas d?une mani?re f?minine st?r?otyp?e chez Racine : elle est plut?t s?v?re, impitoyable et f?roce, ne faisant pas de concessions et ne s?en remettant pas aux hommes. Le domaine de Masculinity Studies note qu?une femme au pouvoir qui occupe une position normalement remplie par un homme doit se conformer aux st?r?otypes masculins, comme l?inflexibilit?, le sto?cisme et la domination, si elle veut ?tre respect?e dans le th??tre masculin (Lynch 5). Ami Lynch ?labore : ? Women in these arenas are expected to act masculine if they expect to be equals ? (5). Alors, pour prouver son pouvoir, Roxane doit ?tre exigeante et autoritaire. Toutefois, malgr? l?image qu?elle donne aux autres, Roxane est en fait tr?s inqui?te : elle a peur de perdre la position qu?Amurat lui a donn?e car elle est devenue v?ritablement avide de pouvoir. Malgr? son pouvoir relativement rare, elle commence ? s?impatienter car m?me si elle se r?jouit d?un rang ?lev?, elle n?est pas ? [?] the equal of Amurat. The Sultan is chief, and is therefore literally irreplaceable, except by another chief ? (Romanowski, ?Circuits of 48 Power? 853). Roxane se fatigue de rester l?inf?rieure du sultan ? elle veut ?tre son ?gale. La seule fa?on d?accomplir son but est d??pouser le sultan. Seul les liens du mariage peuvent apporter ? Roxane ce qu?elle d?sire. Kathryn A. Hoffmann sugg?re : ? Roxane may be declared Sultana, but she has not been promised the marriage that would permit her to move from the realm of the women-objects to the place of power beside the sultan ? (104). Mais pour Amurat, un mariage avec Roxane n?est pas ? pr?voir. Roxane souligne sa situation : Mais ce m?me Amurat ne me promit jamais Que l?hymen d?t un jour couronner ses bienfaits. Et moi, qui n?aspirais qu?? cette seule gloire, De ses autres bienfaits j?ai perdu la m?moire. (I, 3, 303-306, c?est moi qui souligne) Comme Amurat, Roxane se trouve dans une situation ind?sirable : si le sultan choisit une autre femme comme ?pouse, Roxane perdrait la chose la plus importante pour elle ? le pouvoir. Elle d?cide que si Amurat ne lui donne pas ce qu?elle d?sire, elle trouvera une autre personne pour le faire. Elle r?ussit facilement ? tourner les yeux vers le seul autre homme capable de l?gitimer sa position ? Bajazet. C?est une action tr?s pr?caire car, explique Acomat, avant de partir pour Babylone, Amurat a ordonn? ? Roxane de tuer Bajazet : Il [Amurat] partit, et voulut que, fid?le ? sa haine, Et des jours de son fr?re arbitre souveraine, Roxane, au moindre bruit et sans autres raisons, Le fit sacrifier ? ses moindres soup?ons. (I, 1, 129-132) Pourtant, Roxane se rend compte qu?en ignorant cet ordre, elle obtiendra ce dont elle a besoin de Bajazet. Elle ne le soutient jamais sans obtenir ce qu?elle veut en retour. Il est clair que la vie de Bajazet vient ? un prix co?teux ? s?il veut vivre, il doit se marier avec Roxane. Romanowski ?labore : ? Roxane offers the throne to the prince Bajazet only if he will marry her and legitimize her title of sultane ? what matters most to her is to secure her 49 power ? (?Circuits of Power? 853). Roxane essaie d??tre prudente ? elle ne veut pas aller contre Amurat sans s?assurer que Bajazet l??pousera. C?est un stratag?me intelligent : elle a raison de retarder d?aider Bajazet parce que l?inciter ? l??pouser devient une t?che difficile. La difficult? de cette situation cause beaucoup d?inqui?tude chez Roxane : elle ne veut pas perdre le peu de pouvoir qu?elle a si elle s?allie avec Bajazet sans l??pouser, mais elle ne veut plus ?tre la premi?re ma?tresse d?Amurat. Bloqu?e par ce dilemme, Roxane d?veloppe un handicap d?ind?cision qui, m?me si elle r?ussit ? le surmonter ? la fin de la pi?ce, a des cons?quences fatales pour Bajazet et pour elle-m?me. Au d?but de la pi?ce, Roxane montre qu?elle est d?j? en train de devenir irrationnelle. Elle est tiraill?e entre son d?sir pour le pouvoir et ses soup?ons que Bajazet n?est pas le meilleur choix de mari. Elle indique qu?elle veut qu?il l??pouse, mais il est ?vident qu?elle doute de la sinc?rit? des sentiments de Bajazet. Elle attend depuis plusieurs jours d?entendre de lui qu?il l?gitimera son titre de sultane, mais Bajazet reste silencieux. Elle commence ? devenir impatiente avec lui et elle explique ? Atalide, qu?elle ignore ?tre l?amante secr?te de Bajazet, qu?il est temps qu?il lui parle : Roxane Enfin belle Atalide, Il faut de nos destins que Bajazet d?cide. Pour la derni?re fois je le vais consulter. Je vais savoir s?il m?aime. Atalide Est-il temps d?en douter, Madame ? H?tez-vous d?achever votre ouvrage Vous avez du vizir entendu le langage ; Bajazet vous est cher. Savez-vous si demain Sa libert?, ses jours, seront en votre main ? Peut-?tre en ce moment Amurat en furie S?approche pour trancher une si belle vie. Et pourquoi de son c?ur doutez-vous aujourd?hui ? 50 Roxane Mais m?en r?pondez-vous, vous qui parlez pour lui ? [?] Moi-m?me j?ai voulu m?assurer de sa foi, Et l?ai fait en secret amener devant moi. Peut-?tre trop d?amour me rend trop difficile ; Mais, sans vous fatiguer d?un r?cit inutile, Je ne retrouvais point ce trouble, cette ardeur, Que m?avait tant promis un discours trop flatteur. Enfin, si je lui donne et la vie et l?empire, Ces gages incertains ne me peuvent suffire. (I, 3, 257-286) Atalide essaie de calmer le doute de Roxane puisqu?elle ne veut pas que son amant meure, mais elle est incapable de l?apaiser. Au lieu de se calmer, Roxane fait allusion ? sa capacit? de sacrifier Bajazet s?il ne lui donne pas ce qu?elle d?sire. Romanowski ?labore : ? If Bajazet [?] refuses to marry her, he will not only be branded as ?inquiet?, ?tra?tre?, or ?perfide?, he will also be put to death [?] ? (?Circuits of Power? 853). Pour Roxane, malgr? qu?elle pr?tende aimer Bajazet, le pouvoir qu?elle recevrait d?un mariage avec lui est en fait la seule raison pour laquelle elle le sauverait. Elle explique exactement ce qu?elle ferait si Bajazet n?accomplit pas sa volont? en l??pousant : Femmes, gardes, vizir, pour lui [Bajazet] j?ai tout s?duit ; En un mot, vous voyez jusqu?o? je l?ai conduit. Gr?ce ? mon amour, je me suis bien servie Du pouvoir qu?Amurat me donna sur sa vie. Bajazet touche presque au tr?ne des sultans ; Il ne faut plus qu?un pas ; mais c?est o? je l?attends. Malgr? tout mon amour, si, dans cette journ?e, Il ne m?attache ? lui par un juste hym?n?e, S?il ose m?all?guer une odieuse loi, Quand je fais tout pour lui, s?il ne fait tout pour moi, D?s le m?me moment, sans songer si je l?aime Sans consulter enfin si je me perds moi-m?me, J?abandonne l?ingrat, et le laisse rentrer Dans l??tat malheureux d?o? je l?ai su tirer. (I, 3, 311-326, c?est moi qui souligne) 51 Roxane reste ferme : Bajazet l??pousera ou il mourra. Il n?a aucun autre choix. Sa vie appartient ? elle. Roxane d?cide de faire face ? Bajazet dans un effort de l?inciter ? lui parler. Pendant leur rendez-vous, elle souligne tout ce qu?elle a fait pour lui, dans l?espoir que cette liste puisse tenter Bajazet ? accepter ses avances et l?id?e d?un mariage : Non que, vous assurant d?un triomphe facile, Je mette [sic] entre vos mains un empire tranquille ; Je fais ce que je puis, je vous l?avais promis : J?arme votre valeur contre vos ennemis, J??carte de vos jours un p?ril manifeste ; Votre vertu, Seigneur, ach?vera le reste. [?] Commencez maintenant. C?est ? vous de courir Dans le champ glorieux que j?ai su vous ouvrir. Vous n?entreprenez point une injuste carri?re ; Vous repoussez, Seigneur, une main meurtri?re : L?exemple en est commun, et parmi les sultans, Ce chemin ? l?empire a conduit de tout temps. Mais pour mieux commencer, h?tons-nous l?un et l?autre D?assurer ? la fois mon bonheur et le v?tre. Montrez ? l?univers, et m?attachant ? vous, Que, quand je vous servais, je servais mon ?poux ; Et par le n?ud sacr? d?un heureux hym?n?e, Justifiez la foi que je vous ai donn?e. (II, 1, 425-450, c?est moi qui souligne) Roxane veut que Bajazet comprenne que s?il veut monter au tr?ne, il doit se donner compl?tement ? elle. Malheureusement, elle est incapable de le convaincre de l??pouser. Elle d?cide de suivre une nouvelle tactique beaucoup plus mena?ante ? travers laquelle elle pr?cise que la vie de Bajazet est ? elle et que son sort est dans ses mains : Mais avez-vous pr?vu, si vous ne m??pousez, Les p?rils plus certains o? vous vous exposez ? Songez-vous que sans moi tout vous devient contraire, Que c?est ? moi surtout qu?il importe de plaire ? Songez-vous que je tiens les portes du palais, Que je puis vous l?ouvrir ou fermer pour jamais, Que j?ai sur votre vie un empire supr?me, 52 Que vous ne respirez qu?autant que je vous aime ? Et sans ce m?me amour, qu?offensent vos refus, Songez-vous, en un mot, que vous ne seriez plus ? (II, 1, 503-512, c?est moi qui souligne) Il est ?vident que l?handicap d?ind?cision de Roxane n?a pas encore pris contr?le de sa vie. Jusqu?ici elle sait exactement ce qu?elle veut ? le pouvoir ? et elle n?a pas peur de faire preuve de force en montrant ? Bajazet que dans leur relation, c?est elle qui est la plus forte. Elle lui montre qu?elle est pr?te ? le sacrifier s?il ne plie pas ? sa volont?. Elle continue sa tactique de le menacer, esp?rant qu?il changera finalement d?avis : Ne m?importune plus de tes raisons forc?es. Je vois combien tes v?ux sont loin de mes pens?es. Je ne te presse plus, ingrat, d?y consentir ; Rentre dans le n?ant dont je t?ai fait sortir. [?] Mais je m?assure encore aux bont?s de ton fr?re : Il m?aime, tu le sais ; et malgr? sa col?re, Dans ton perfide sang je puis tout expier, Et ta mort suffira pour me justifier. N?en doute point, j?y cours, et d?s ce moment m?me? Bajazet, ?coutez : je sens que je vous aime ; Vous vous perdez. Gardez de me laisser sortir ; Le chemin est encore ouvert au repentir. (II, 1, 519-540, c?est moi qui souligne) C?est ici que Roxane commence ? d?velopper son handicap d?ind?cision ? elle devient de plus en plus changeante : un moment elle est compl?tement furieuse et d?go?t?e par le refus Bajazet, ce qu?elle montre en le tutoyant et en admettant qu?elle peut toujours retourner ? Amurat, qui lui pardonnera toutes ses transgressions aussit?t qu?elle sacrifiera Bajazet. Ensuite, elle redevient une personne douce et amoureuse qui essaie de pousser Bajazet ? choisir le mariage au lieu de la mort. Roxane est incapable de prendre une d?cision. Elle doit absolument apprendre ? surmonter cet handicap si elle ne veut pas s?autod?truire. 53 Roxane souffre clairement d?un d?sordre interne s?v?re, perp?tu? par son incapacit? de d?cider avec qui s?allier. Elle sait qu?avec Bajazet, elle a plus de chance d?atteindre le pouvoir qu?elle d?sire, mais veut-elle risquer de tout perdre ? son pouvoir actuel, sa position et m?me sa vie ? si elle ne peut pas le convaincre de l??pouser ? Son ?tat malheureux et son handicap d?ind?cision deviennent encore plus toxiques quand elle commence ? soup?onner que Bajazet lui est infid?le avec Atalide : De tout ce que je vois que faut-il que je pense ? Tous deux ? me tromper sont-ils d?intelligence ? Pourquoi ce changement, ce discours, ce d?part ? N?ai-je pas m?me entre eux surpris quelque regard ? Bajazet interdit ! Atalide ?tonn?e ! ? ciel ! ? cet affront m?auriez-vous condamn?e ? De mon aveugle amour seraient-ce l? les fruits ? Tant de jours douloureux, tant d?inqui?tes nuits, Mes brigues, mes complots, ma trahison fatale, N?aurais-je tout tent? que pour une rivale ? Mais peut-?tre qu?aussi, trop prompte ? m?affliger, J?observe de trop pr?s un chagrin passager. J?impute ? son amour l?effet de son caprice. N?e?t-il pas jusqu?au bout conduit son artifice ? Pr?t ? voir le succ?s de son d?guisement, Quoi ! ne pouvait-il pas feindre encore un moment ? Non, non, rassurons-nous. Trop d?amour m?intimide ? Et pourquoi dans son c?ur redouter Atalide ? Quel serait son dessein ? Qu?a-t-elle fait pour lui ? Qui de nous deux enfin le couronne aujourd?hui ? Mais, h?las ! de l?amour ignorons-nous l?empire ? Si par quelque autre charme Atalide l?attire, Qu?importe qu?il nous doive et le sceptre et le jour ? Les bienfaits dans un c?ur balancent-ils l?amour ? Et sans chercher plus loin, quand l?ingrat me sut plaire, Ai-je mieux reconnu les bont?s de son fr?re ? Ah ! si d?une autre cha?ne il n??tait point li?, L?offre de mon hymen l?e?t-il tant effray? ? N?e?t-il pas sans regret second? mon envie ? (III, 7, 1065-1094, c?est moi qui souligne) 54 Roxane est visiblement instable. Elle essaie de trouver des excuses pour le comportement de Bajazet. Elle ne veut pas admettre que tout ce qu?elle a fait pour lui n?est pour rien. Elle ne sait pas comment man?uvrer cette situation d?licate, mais elle comprend qu?elle doit se h?ter ? prendre une d?cision, puisque tout le monde l?attend : ? [?] l?ordre, l?esclave, et le vizir me presse./ Il faut prendre parti, l?on m?attend [?] ? (IV, 4, 1234-1235). En outre, Amurat, sur le bord de la gloire ? Babylone, lui commande encore une fois de sacrifier Bajazet : Il n?en faut point douter, le sultan inquiet Une seconde fois condamne Bajazet. On ne peut sur ses jours sans moi rien entreprendre : Tout m?ob?it ici. Mais dois-je le d?fendre ? Quel est mon empereur ? Bajazet ? Amurat ? J?ai trahi l?un, mais l?autre est peut-?tre un ingrat. (III, 8, 1111-1116, c?est moi qui souligne) Pouss?e maintenant de tous c?t?s, Roxane est pr?te ? fondre sous la pression quand elle d?couvre une lettre, ?crite par Bajazet et destin?e ? Atalide dans laquelle Bajazet avoue son amour ?ternel pour son amante. Voil? enfin ses soup?ons sur l?infid?lit? de Bajazet confirm?s : [?] Lisons, et voyons sa pens?e : ???????? ni la mort, ni vous-m?me, Ne me ferez jamais prononcer que je l?aime, Puisque jamais je n?aimerais que vous. Ah ! de la trahison me voil? donc instruite ! [?] Ah ! je respire enfin ; et ma joie est extr?me Que le tra?tre une fois se soit trahi lui-m?me. [?] Ma tranquille fureur n?a plus qu?? se venger, Qu?il meure. Vengeons-nous. Courez : qu?on le saisisse [?]. (IV, 5, 1266-1278) 55 Il semble que Roxane, humili?e d??tre tromp?e, commence finalement ? surmonter son handicap d?ind?cision quand elle d?cide que Bajazet doit mourir. Toutefois, malgr? ce qu?elle vient de d?clarer, elle change d?avis peu apr?s : ?me l?che, et trop digne enfin d??tre d??ue, Peux-tu souffrir encor [sic] qu?il paraisse ? ta vue ? Crois-tu par tes discours le vaincre ou l??tonner ? Quand m?me il se rendrait, peux-tu lui pardonner ? Quoi ! ne devrais-tu pas ?tre d?j? veng?e ? Ne crois-tu pas encore ?tre assez outrag?e ? Sans perdre tant d?efforts sur ce c?ur endurci, Que ne le laissons-nous p?rir ? [?]. (V, 3, 1455-1469) Roxane est compl?tement d?chir?e : son handicap r?gle toujours sa vie. Ne voulant pas dire adieu ? ses r?ves de pouvoir, Roxane fait face ? Bajazet une derni?re fois. C?est un rendez-vous tendu dans lequel elle essaie encore de l?inciter ? l??pouser. Elle lui indique qu?elle est toujours la ma?tresse de son sort ? s?il veut vivre, il doit suivre sa volont? : Roxane Ne te souvient-il plus de tous ce que je suis ? Ma?tresse du s?rail, arbitre de ta vie. [?] Laissons ces vains discours ; et sans m?importuner, Pour la derni?re fois, veux-tu vivre et r?gner ? J?ai l?ordre d?Amurat, et je puis t?y soustraire. Mais tu n?as qu?un moment : parle. [?] Bajazet Aux ordres d?Amurat h?tez-vous d?ob?ir ; Mais laissez-moi du moins mourir sans vous ha?r. [?] Madame ; et si jamais je vous fus cher? Roxane Sortez. (V, 4, 1529-1567, c?est moi qui souligne) 56 Roxane demande ? Bajazet de changer d?avis : malheureusement, il ne le fait pas. Cette confrontation est la pression dont elle a besoin pour devenir finalement capable de prendre une d?cision. Slater ?labore : [?] Roxane [?] kill[s] Bajazet by pronouncing one single word. She arranges a final interview with him, and tells her assassins to kill him if he leaves the room. During the interview, she decides he must die and utters one word ?Sortez !? which obliges him to go out and hence costs him his life (143). Roxane se lib?re en for?ant Bajazet de la quitter ? elle n?est plus contrainte par son handicap. Elle d?cide de prendre le risque de rester avec le sultan : elle aimerait mieux ?tre la sultane d?Amurat que devenir une femme d?risoire et sans pouvoir ? la cour de Bajazet. Malheureusement, elle surmonte son handicap trop tard ? son destin funeste est d?j? scell?. Elle ne peut jamais ?chapper ? la punition que ses actions, des produits de son handicap, lui apportent. Roxane, malgr? le fait qu?elle d?cide de suivre les ordres d?Amurat, a commis une faute fatale. Dans sa recherche du pouvoir, elle a failli aller contre le sultan ? une action qu?Amurat ne supportera jamais. Amurat sait exactement ce que Roxane a consid?r? faire car, voulant s?assurer que tout le monde reconna?t son pouvoir, il a envoy? des espions au s?rail. Hoffmann commente : ? The sultan [?] used his intermediaries to gain knowledge of and to confirm his suspicions of what is occuring in the harem during his absence ? (110). Amurat comprend que Roxane lui ?tait infid?le et, ne voulant pas risquer d??tre tromp? de nouveau, il commande ? son esclave Orcan de porter le coup fatal ? Roxane par coup de poignard, ce qui d?barrasse Amurat de son dernier probl?me tout en r?affirmant son pouvoir phallique : 57 Acomat Roxane est-elle morte ? Osmin Oui, j?ai vu l?assassin Retirer son poignard tout fumant de son sein. Orcan, qui m?ditait ce cruel stratag?me, La servait ? dessein de la perdre elle-m?me, Et le sultan l?avait charg? secr?tement De lui sacrifier l?amante apr?s l?amant. Lui-m?me, d?aussi loin qu?il nous a vus para?tre : ? Adorez, a-t-il dit, l?ordre de votre ma?tre ; ? De son auguste seing reconnaissez les traits, ? Perfides, et sortez de ce sacr? palais ?. ? ce discours, laissant la sultane expirante, Il a march? vers nous, et d?une main sanglante, Il nous a d?ploy? l?ordre dont Amurat Autorise ce monstre ? ce double attentat. (V, 11, 1676-1689, c?est moi qui souligne) La volont? d?Amurat est accomplie ? son fr?re et la sultane, les deux personnes qui ont d?fi? son pouvoir et sa position, sont mortes. Bien que son handicap lui fait perdre son humanit? ? il tue sa famille et d?truit la vie de ceux qui l?entourent ? Amurat est triomphant ? la fin. Il prouve son droit de gouverner et r?affirme sa position comme sultan tout en montrant ? son peuple quelles mesures il est pr?t ? prendre pour garder le pouvoir. Roxane, par contre, paie cher ses transgressions et son incursion dans le th??tre masculin ? son handicap d?ind?cision fait en sorte qu?elle ne peut avoir aucun autre sort. Le pouvoir qu?elle pr?tendait avoir n??tait qu?une illusion. Amurat et Roxane souffrent tous les deux d?un ?tat accablant d?inqui?tude s?v?re caus?e par leur position incertaines dans l?empire turc. Cette inqui?tude les m?ne ? d?velopper des handicaps diff?rents qui am?liorent ou aggravent leur situation. Pour Amurat, son handicap d??go?sme est une vraie opportunit? ? il l?aide ? vaincre son 58 inqui?tude et ? garantir sa position comme sultan. En se servant d?Amurat, Racine montre qu?un souverain peut faire n?importe quoi pour garder son pouvoir, m?me commettre des actes affreux : il n?h?siterait pas ? tuer ceux et celles qui essaient de menacer son pouvoir. C?est un avertissement tr?s instructif qu?il donne ? son public ? si on veut garder la vie, il faut qu?on se remette au souverain : contester son pouvoir aurait des cons?quences s?v?res. Pour Roxane, par contre, son handicap ne l?aide pas du tout. En fait, il empire sa situation et la m?ne finalement ? sa mort. En utilisant un personnage comme Roxane, Racine expose, selon les pr?jug?s de son ?poque, les d?sordres qui peuvent se passer si on laisse une femme gagner de l?influence ? la cour. Roxane a failli d?chirer l?empire avec ses projets ?gocentriques et sa recherche du pouvoir. Si on veut que l??tat reste stable et fort, il faut que les femmes ne jouissent jamais d?une position cens?e ?tre aux hommes. Bajazet montre que les femmes ont une place dans laquelle elles doivent rester ? au-dessous des hommes. Roxane, une femme qui a essay? de franchir le seuil de son sexe en se mettant au m?me niveau que les hommes, paie pour ses infractions avec sa vie. Ce n?est pas surprenant que c?est elle, et non pas Amurat, qui ?choue dans sa qu?te du pouvoir : avec l?opinion r?pandue qu?une femme doit ?tre domin?e et doit laisser l?intrigue politique aux hommes, il n?y a vraiment aucune autre conclusion possible. Pour une femme, c?est l?ob?issance ou la mort. Malheureusement pour Roxane, elle a mal choisi. 59 Chapitre 5 Iphig?nie : le sacrifice de la royaut? Apr?s une s?rie de trag?dies contest?es par les critiques pour avoir des sujets qui, selon eux, sont non-tragiques ou historiquement trop r?cents, Racine retourne au monde grec avec Iphig?nie (1674). C?est un retour, explique-t-il dans la pr?face de la pi?ce, bien aim? par son public : ? Le go?t de Paris s?est trouv? conforme ? celui d?Ath?nes. Mes spectateurs ont ?t? ?mus des m?mes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Gr?ce [?] ? (22). Se d?roulant en Aulide o? l?arm?e grecque attend la b?n?diction des dieux, en forme de vents favorables, pour sa travers?e ? Troie, Iphig?nie se focalise sur le roi Agamemnon. Ce chef de l?arm?e ?qui esp?re devenir le roi des rois ? souffre pourtant de deux handicaps m?taphoriques qui menacent son r?ve de royaut? ainsi que la gloire de la Gr?ce. Rosemarie Garland-Thomson, dans le cadre de Disability Studies, explique : ? [A]ll bodies are shaped by their environments [?]. We transform constantly in response to our surroundings [?]. The changes that occur when body encounters world are what we call disability ? (?Disability and Representation? 524). Correspondant ? cette id?e de Garland-Thomson, Agamemnon devient handicap? quand il est confront? par un oracle des dieux qui condamne sa fille Iphig?nie ? la mort en ?change de vents avantageux, Agamemnon, ne sachant pas comment r?agir, d?veloppe deux handicaps : un handicap d?ind?cision qui ne lui permet pas de prendre une d?cision d?finitive sur le sort d?Iphig?nie et un handicap vocal qui le rend incapable d?articuler la vraie nature de l?oracle ? sa famille. Ces handicaps aggravent sa situation car c?est ? travers eux qu?Agamemnon devient un roi inefficace et ignoble qui est incapable de rejeter ses propres d?sirs en faveur des d?sirs de l??tat, ce qui devrait ?tre l?essence m?me de la royaut? : ? Un roi n?est pas ? soi ; il se doit tout entier ? son peuple ? 60 (Fureti?re 775). Si Agamemnon veut se sauver de l?infamie et regagner la confiance de son peuple, il doit apprendre ? surmonter compl?tement ses handicaps. Malheureusement, il n?arrive jamais ? les vaincre, une erreur qui assure qu?? la fin, il n?est ni glorieux ni renomm? mais plut?t un personnage oubli? qui dispara?t, pour ne jamais r?appara?tre. Au d?but d?Iphig?nie, l?handicap d?ind?cision et l?handicap vocal d?Agamemnon le tiennent d?j? avec tant de force qu?ils le transforment d?un roi avec un avenir prometteur ? un roi inepte qui n?exploite jamais pleinement ses capacit?s. Pour bien comprendre le d?veloppement de ces deux handicaps et l?effet nuisible qu?ils ont sur la vie d?Agamemnon, il est premi?rement n?cessaire de conna?tre les circonstances de sa pr?sence en Aulide. Avant que la pi?ce ne commence, le prince troyen Paris a emport? la reine spartiate H?l?ne, un acte qui met les Grecs en col?re et qui les m?ne ? r?clamer vengeance. Pour pouvoir obtenir cette vengeance, les Grecs ont d?cid? de former une arm?e sous le commandement du roi Agamemnon. Esp?rant partir d?Aulide pour aller ? Troie, l?arm?e grecque s?y est rassembl?e. Malheureusement pour elle, aussit?t qu?elle s?y est install?e, les vents dont elle a besoin pour traverser la mer sont devenus d?favorables. Voulant savoir la raison pour ce retard, Agamemnon est all? consulter Calchas. Il raconte les probl?mes des Grecs ainsi que la solution propos?e par Calchas ? Arcas, son domestique : Tu te souviens du jour qu?en Aulide assembl?s Nos vaisseaux par les vents semblaient ?tre appel?s. Nous partions ; et d?j? par mille cris de joie Nous menacions de loin les rivages de Troie. Un prodige ?tonnant fit taire ce transport : Le vent qui nous flattait nous laissa dans le port. Il fallut s?arr?ter, et la rame inutile Fatigua vainement une mer immobile. Ce miracle inou? me fit tourner les yeux Vers la divinit? qu?on adore en ces lieux. 61 Suivi de M?n?las, de Nestor et d?Ulysse, J?offris sur ses autels un secret sacrifice. Quelle fut sa r?ponse ! Et quel devins-je, Arcas, Quand j?entendis ces mots prononc?s par Calchas : ? Vous armez contre Troie une puissance vaine, ? Si dans un sacrifice auguste et solennel ? Une fille du sang d?H?l?ne ? De Diane en ces lieux n?ensanglante l?autel. ? Pour obtenir les vents que le ciel vous d?nie ? Sacrifiez Iphig?nie. ? (I, 1, 43-62) Cet oracle est la source de tous les probl?mes d?Agamemnon, car il ne conna?t qu?une personne qui porte le nom Iphig?nie ? sa fille. Le message de l?oracle lui cause alors ?norm?ment de d?tresse : Agamemnon aime tellement sa fille que son amour paternel le force ? r?sister ? la volont? des dieux. Pourtant, ce n?est pas seulement l?amour paternel qui a une influence sur lui : Agamemnon est ?galement attir? par le renom qu?une victoire ? Troie lui apporterait. Le tiraillement entre l?amour paternel et l?ambition politique lui cause donc d?osciller constamment entre son d?sir de sauver Iphig?nie et son d?sir pour la gloire. C?est une situation tout ? fait inopportune qui s?aggrave jusqu?? ce qu?elle incite Agamemnon ? d?velopper deux handicaps qui scellent d?finitivement son sort. Pi?g? dans un monde o? il occupe deux r?les diff?rents ? celui de p?re et de roi ? qui ne s?accordent jamais, Agamemnon commence ? devenir accabl? par la d?cision qu?il doit prendre ? doit-il ?couter son c?t? paternel et sauver Iphig?nie ou doit-il la sacrifier, pour atteindre son r?ve royal ? Ne sachant pas quoi faire, Agamemnon devient compl?tement d?chir?, car ? [w]hen military objectives and parental love come into direct conflict, the individual subjet begins to break down ? (Racevskis 16). Il essaie d??tre p?re et roi simultan?ment, ce qui le m?ne, ?claircit Sylvie Romanowski, ? vivre ? in the danger zone of ambiguity and split identity ? (?Sacrifice and Truth? 149). Il ne peut pas d?cider quel r?le il 62 veut prendre parce qu?il souffre d?un handicap d?ind?cision qui vient de son incapacit? de choisir entre la famille et l??tat. Agamemnon veut continuer ? jouer ces deux r?les en m?me temps, mais c?est un jeu trop p?rilleux : il risque de tout perdre ? sa famille, sa position et l?estime de son peuple ? s?il ne r?ussit pas ? d?cider qui il veut devenir. Malheureusement pour lui, ce choix n?est pas la seule difficult? qui le trouble. En plus d?un handicap d?ind?cision, Agamemnon d?veloppe un handicap vocal qui le rend incapable d?expliquer l?oracle, et la raison de son comportement bizarre, ? sa famille. En ?pargnant la connaissance du message de l?oracle ? sa famille, Agamemnon esp?re la sauver du chagrin. Pourtant, son silence a l?effet oppos? : il r?ussit maintes et maintes fois ? blesser sa fille et sa femme et il ne s?excuse jamais. C?est ? cause de ses handicaps qu?Agamemnon devient peu ? peu incomp?tent et qu?il commence ? perdre l?amour et le respect de ceux qui l?entourent. La seule fa?on d??viter son sort pitoyable est de surmonter les handicaps et d?adopter un seul r?le. Ce n?est pas cependant une t?che qu?Agamemnon est capable d?accomplir. ? l?ouverture de la pi?ce, Agamemnon se croit capable de prendre une d?cision en ce qui concerne le sort d?Iphig?nie. Il explique ? Arcas qu?il a r?solu de sacrifier sa fille apr?s avoir entendu l?oracle : Je voulais sur-le-champ cong?dier l?arm?e. Ulysse, en apparence approuvant mes discours, De ce premier torrent laissa passer le cours, Mais bient?t, rappelant sa cruelle industrie, Il me repr?senta l?honneur et la patrie, Tout ce peuple, ces rois ? mes ordres soumis, Et l?empire d?Asie ? la Gr?ce promis : De quel front immolant tout l??tat ? ma fille, Roi sans gloire, j?irais vieillir dans ma famille. Moi-m?me, je l?avoue avec quelque pudeur, Charm? de mon pouvoir et plein de ma grandeur, Ces noms de roi des rois et de chef de la Gr?ce 63 Chatouillaient de mon c?ur l?orgueilleuse faiblesse. [?] Je me rendis, Arcas ; et, vaincu par Ulysse, De ma fille, en pleurant, j?ordonnai le supplice. (I, 1, 70-90, c?est moi qui souligne) Il est clair que malgr? le fait qu?Agamemnon condamne ? mort sa fille, il n?est pas arriv? ? cette d?cision tout seul ? il est facilement influenc? par Ulysse, un homme qui est aux antipodes d?Agamemnon. Alors qu?Agamemnon est tr?s changeant et oscille continuellement, Ulysse est stable, fixant son regard uniquement sur la gloire. Roland Barthes le d?crit : [Ulysse] poss?de les traits de ce que Voltaire appelait avec admiration le grand politique : le sens de l?int?r?t collectif, l?appr?ciation objective des faits et de leurs cons?quences, l?absence d?amour-propre, enveloppant tout ce pragmatisme d?une rh?torique phraseuse et d?un chantage continu ? la grande morale (105). Ulysse est le type d?homme qu?Agamemnon est suppos? ?tre, et c?est lui qui essaie continuellement de guider Agamemnon ? la gloire ? la premi?re ?tape pour y arriver ?tant le sacrifice d?Iphig?nie. Agamemnon est convaincu et consent d?immoler sa fille. Il est pourtant incapable d?ex?cuter ce rituel d?infanticide car il est frapp? peu apr?s par son handicap d?ind?cision qui lui cause de changer d?avis. Il abandonne l?id?e du sacrifice et d?cide plut?t que sa fille vivra. La meilleure fa?on de sauver la vie ? Iphig?nie est de pr?venir son arriv?e en Aulide, ce qu?Agamemnon ordonne ? Arcas de faire : Arcas, je t?ai choisi pour cette confidence ; Il faut montrer ici ton z?le et ta prudence. La reine, qui dans Sparte avait connu ta foi, T?a plac? dans le rang que tu tiens pr?s de moi. Prends cette lettre, cours au-devant de la reine, Et suis sans t?arr?ter le chemin de Myc?ne. D?s que tu la verras, d?fends-lui d?avancer, Et rends-lui ce billet que je viens de tracer. Mais ne t??carte point, prends un fid?le guide. 64 Si ma fille une fois met le pied dans l?Aulide, Elle est morte. (I, 1, 125-135) Bien qu?il semble qu?Agamemnon ait pris une d?cision, il est en fait toujours handicap? : il se laisse l?option de sacrifier Iphig?nie si elle arrive en Aulide. Au lieu de tenir une d?cision fermement et de la garder jusqu?au bout, Agamemnon reste ind?cis ? son handicap d?ind?cision r?gne sa vie. Malheureusement pour lui, sa situation va empirer. Quand Agamemnon envoie Arcas, il lui donne une lettre ? livrer ? Iphig?nie ? une lettre dans laquelle il explique qu?Achille, le fianc? d?Iphig?nie, veut d?sormais attendre avant de l??pouser : Pour renvoyer la fille et la m?re offens?e, Je leur ?cris qu?Achille a chang? de pens?e, Et qu?il veut d?sormais jusques ? son retour Diff?rer cet hymen que pressait son amour. (I, 1, 149-152) Cette lettre n?est qu?un grand mensonge. Romanowski explique : ? As both king and father, [Agamemnon] loses control of his capacity to tell the truth, disintegrating into an abundance of lies [?] ? (?Sacrifice and Truth? 151). Puisqu?il souffre d?un handicap vocal qui ne lui permet pas d?annoncer la vraie raison pour laquelle Iphig?nie ne peut pas venir en Aulide, Agamemnon doit voler la voix d?Achille pour pouvoir pr?venir l?arriv?e de sa fille. Avec ce vol indigne, Agamemnon implique un homme honn?te, qui ne sait rien de l?oracle, dans son complot, ce qui lui permet, explique Ehsan Ahmed, ? to disobey the oracle without incriminating himself ? (?Racine?s Agamemnon? 576). Il est clair qu?Agamemnon cherche ? tout prix ? sauver sa propre r?putation. Toutefois, c?est une poursuite inutile : ? cause de ses actions l?ches et le fait qu?il laisse ses ?motions contr?ler sa vie, Agamemnon ne d?montre plus les caract?ristiques masculines qui sont importantes dans le monde grec ? la distance 65 ?motionnelle, la domination, la puissance, l?infaillibilit? (D. Phillip 4). Mitchell Greenberg explique : ? Agamemnon is unable to sustain the level of renunciation, of sublimation, that would effectively make him the supreme leader of the Greeks. He has become, in keeping with the ideology of masculinity that is his and that of his world, a compromised, lacking male ? (178). Cette perte de masculinit? rend Agamemnon ?galement incapable de remplir un des r?les le plus essentiel de la royaut? ? la surveillance de la masculinit? des autres. Ami Lynch explique que la masculinit? is a gender performance [which] implies that gender is not innate or tied to sex characteristics but is a set of expectations held by society and its citizens, and a set of actions by individuals and institutions. [?] All gendered beings can police and shame gender performances, but those in the dominant position are most expected to police other?s gender (2). Si Agamemnon veut regagner sa masculinit? perdue, et sa capacit? de surveiller celle des autres, il faut qu?il prenne son r?le de roi ? c?ur et qu?il mette le bien du peuple avant le sien, ce qu?Ulysse essaie de lui rappeler. Croyant qu?Iphig?nie ne vient plus en Aulide et donc que les Grecs n?auront plus la possibilit? de traverser la mer, Agamemnon d?cide de dissoudre l?arm?e. C?est une d?cision vivement contest?e par Ulysse : Agamemnon H?las ! Ulysse De ce soupir que faut-il que j?augure ? Du sang qui se r?volte est-ce quelque murmure ? Croirai-je qu?une nuit a pu vous ?branler ? Est-ce donc votre c?ur qui vient de nous parler ? Songez-y : vous devez votre fille ? la Gr?ce, Vous nous l?avez promise ; et sur cette promesse, Calchas, par tous les Grecs consult? chaque jour, Leur a pr?dit des vents l?infaillible retour. [?] Vous seul, nous arrachant ? de nouvelles flammes, 66 Nous avez fait laisser nos enfants et nos femmes. Et quand, de toutes parts assembl?s en ces lieux, L?honneur de vous venger brille seul ? nos yeux, Quand la Gr?ce d?j? vous donnant son suffrage, Vous reconna?t l?auteur de ce fameux ouvrage, Que ses rois qui pouvaient vous disputer ce rang Sont pr?ts, pour vous servir, de verser tout leur sang ; Le seul Agamemnon, refusant la victoire, N?ose d?un peu de sang acheter tant de gloire ? (I, 3, 281-318, c?est moi qui souligne) S?il veut ?tre roi, il doit garder ses promesses et mettre l??tat avant la famille, m?me si ce qu?il lui faut faire est p?nible. Selon Ulysse, le sacrifice d?Iphig?nie est toujours la meilleure voie pour la Gr?ce ? une voie qui m?ne ? la gloire ? et Agamemnon, influenc? encore une fois, conc?de de sacrifier sa fille si elle y arrive : Seigneur, vous le savez, j?ai donn? ma parole, Et si ma fille vient, je consens qu?on l?immole. (I, 3, 329-330) Cet ?change fait preuve du fait qu?Agamemnon est faible ? il doit ?tre capable de prendre une d?cision et de la garder, sans ?tre influenc? par autrui. Toutefois, il est incapable de prendre la situation en main et il donne alors sa parole ? Ulysse ? sans savoir qu?Iphig?nie n?a pas rencontr? Arcas en route et qu?elle y arrive bient?t ? une promesse qu?il ne peut pas retirer sans perdre enti?rement la confiance de son peuple. Ahmed explique : ? When he learns that his plans to turn Iphigenia away from Aulis have failed and that the oracle of the gods cannot be reversed, Agamemnon must recognize the public function of his kingship and the decreasing importance of his family ? (?Racine?s Agamemnon? 577). Il d?cide finalement de jouer le r?le du roi et il arrive, pour le moment, ? surmonter son handicap d?ind?cision : Seigneur [Ulysse], de mes efforts je connais l?impuissance. Je c?de et laisse aux dieux opprimer l?innocence. 67 La victime bient?t marchera sur vos pas, Allez. (I, 5, 389-392, c?est moi qui souligne) La d?cision est prise ? Iphig?nie mourra. Pourtant, bien qu?il surmonte cet handicap, il y a toujours son handicap vocal qui le retient fermement. L?handicap vocal d?Agamemnon est une affliction qui a une mauvaise influence visible sur son comportement : m?me Iphig?nie, qui ne sait rien ? propos de l?oracle, peut voir que son p?re agit d?une mani?re ?trange en sa pr?sence : ? Vous vous cachez, Seigneur, et semblez soupirer ; / Tous vos regards sur moi ne tombent qu?avec peine ? (II, 2, 522-553). Elle se rend compte qu?Agamemnon lui cache quelque chose et, voulant l?aider ? diminuer son malaise, Iphig?nie essaie de pousser son p?re ? lui parler : Iphig?nie N??claircirez-vous point ce front charg? d?ennuis ? Agamemnon Ah ! ma fille ! Iphig?nie Seigneur, poursuivez. Agamemnon Je ne puis [?] Iphig?nie Calchas, dit-on, pr?pare un pompeux sacrifice. [?] L?offrira-t-on bient?t ? [?] Me sera-t-il permis de me joindre ? vos v?ux ? Verra-t-on ? l?autel votre heureuse famille ? Agamemnon H?las ! 68 Iphig?nie Vous vous taisez ! Agamemnon Vous y serez, ma fille. (II, 2, 567-577) ? cause de son amour paternel, il est impossible pour Agamemnon d?articuler ce qu?il doit faire ? sa fille. Il reste silencieux parce que le silence ? becomes the only way in which [Agamemnon] can fulfill the gods? command without overtly betraying paternal instincts ? (Ahmed, ?Racine?s Agamemnon? 578). Il ne r?ussit pas ? parler, m?me quand il se rend compte que son silence a des effets nuisibles sur sa famille ? par exemple, quand Clytemnestre re?oit la lettre, ?crite par Agamemnon, qui souligne faussement le d?sir d?Achille de retarder son mariage ? Iphig?nie : Clytemnestre Ma fille, il faut partir sans que rien nous retienne, Et sauver, en fuyant, votre gloire et la mienne. Je ne m??tonne plus qu?interdit et distrait Votre p?re ait paru nous revoir ? regret. Aux affronts d?un refus craignant de vous commettre, Il m?avait par Arcas envoy? cette lettre. Arcas s?est vu tromp? par notre ?garement, Et vient de me la rendre en ce m?me moment. Sauvons, encore un coup, notre gloire offens?e : Pour votre hymen Achille a chang? de pens?e, Et refusant l?honneur l?on lui veut accorder, Jusques ? son retour il veut le retarder. (II, 4, 625-636) Cette fausse lettre cause clairement ?norm?ment de peine chez Clytemnestre et Iphig?nie. N?anmoins, Agamemnon reste silencieux ? il laisse sa famille penser qu?Achille n?aime plus Iphig?nie. S?il veut r?parer tout le dommage qu?il cause ? sa famille, il doit vaincre son handicap vocal et devenir honn?te. Pourtant, ce n?est pas Agamemnon qui r?ussit finalement 69 ? d?voiler la v?rit? de l?oracle et la raison de son comportement ?trange ? Clytemnestre et Achille ? c?est Arcas : Arcas Madame, tout est pr?t pour la c?r?monie : Le roi pr?s de l?autel attend Iphig?nie ; Je viens la demander. Ou plut?t contre lui Seigneur, je viens pour elle implorer votre appui. Achille Arcas, que dites-vous ? [?] Arcas ? Achille Je ne vois plus que vous qui la puisse d?fendre. Achille Contre qui ? Arcas Je le nomme et l?accuse ? regret. Autant que je l?ai pu, j?ai gard? son secret. Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute pr?te : D?t tout cet appareil retomber sur ma t?te, Il faut parler. [?] Vous ?tes son amant, et vous ?tes sa m?re : Gardez-vous d?envoyer la princesse ? son p?re. [?] Il l?attend ? l?autel pour la sacrifier. (III, 5, 896-912, c?est moi qui souligne) Le domestique Arcas r?ussit ? faire ce que le roi Agamemnon ne pouvait pas ? il parle. Maintenant qu?Achille et Clytemnestre savent la vraie nature de l?oracle, Agamemnon ne peut plus se cacher derri?re son silence ? il arrive finalement ? parler ? Iphig?nie : Ma fille, il est trop vrai : j?ignore pour quel crime La col?re des dieux demande une victime ; Mais ils vous ont nomm?e. Un oracle cruel Veut qu?ici votre sang coule sur un autel. (IV, 4, 1217-1220) 70 Agamemnon est gu?ri de son handicap vocal. Toutefois, aussit?t qu?il regagne la parole, son handicap d?ind?cision r?appara?t. Toujours domin? par le discours de ceux qui l?entourent, dans ce cas Achille et Clytemnestre, Agamemnon change d?avis et accepte de laisser Iphig?nie vivre : Puis-je leur prononcer cet ordre sanguinaire ? Cruel ! ? quel combat faut-il te pr?parer ? Quel est cet ennemi que tu leur vas livrer ? Une m?re m?attend, une m?re intr?pide, Qui d?fendra son sang contre un p?re homicide. Je verrai mes soldats, moins barbares que moi, Respecter dans ses bras la fille de leur roi. Achille nous menace, Achille nous m?prise ; Mais ma fille en est-elle ? mes lois moins soumise ? Ma fille, de l?autel cherchant ? s??chapper, G?mit-elle du coup dont je la veux frapper ? Que dis-je ? Que pr?tend mon sacril?ge z?le ? Quels v?ux, en l?immolant, formerai-je sur elle ? Quelques prix glorieux qui me soient propos?s, Quels lauriers me plairont de son sang arros?s ? Je veux fl?chir des dieux la puissance supr?me. Ah ! quels dieux me seraient plus cruels que moi-m?me ? Non, je ne puis. C?dons au sang, ? l?amiti?, Et ne rougissons plus d?une juste piti?. Qu?elle vive. (IV, 8, 1430-1449, c?est moi qui souligne) Agamemnon n?est pas pr?t ? devenir le chef des Grecs car il met son r?le de p?re avant celui de roi. N?arrivant ni ? contenter les dieux ni ? rendre aux Grecs la chance d?obtenir de la gloire, Agamemnon ne joue aucun r?le dans le reste de la pi?ce. Le travail d?apaiser les dieux appartient plut?t ? ?riphile et en partie ? Iphig?nie, deux femmes qui sont pr?tes ? se sacrifier pour le bien de l??tat. Agamemnon devient si insignifiant ? la fin de la pi?ce qu?il n?est m?me pas pr?sent dans le dernier acte. Au lieu de tourner vers un roi fort qui prend la situation en main, les 71 Grecs doivent compter premi?rement sur Iphig?nie et finalement sur ?riphile pour garantir le retour des vents. Plus courageuses et plus fortes que le roi, ces deux femmes r?ussissent ? agir quand lui ne pouvait pas. Apr?s avoir entendu que les dieux la condamnent ? la mort, Iphig?nie d?cide d?accepter son sort. Elle ne veut pas mourir, mais elle comprend que la gloire que sa mort apportera aux Grecs est plus importante que sa vie, ce qu?elle explique ? Achille : Songez, Seigneur, songez ? ces moissons de gloire Qu?? vos vaillantes mains pr?sente la victoire. Ce champ si glorieux o? vous aspirez tous, Si mon sang ne l?arrose, est st?rile pour vous. Telle est la loi des dieux ? mon p?re dict?e. En vain, sourd ? Calchas, il l?avait rejet?e : Par la bouche des Grecs contre moi conjur?s Leurs ordres ?ternels se sont trop d?clar?s. Partez : ? vos honneurs j?apporte trop d?obstacles. Vous-m?me d?gagez la foi de vos oracles : Signalez ce h?ros ? la Gr?ce promis ; Tournez votre douleur contre ses ennemis. [?] Je meurs dans cet espoir, satisfaite et tranquille. Si je n?ai pas v?cu la compagne d?Achille, J?esp?re que du moins un heureux avenir ? vos faits immortels joindra mon souvenir, Et qu?un jour mon tr?pas, source de votre gloire, Ouvrira le r?cit d?une si belle histoire. (V, 2, 1537-1558, c?est moi qui souligne) Iphig?nie met l??tat et le d?sir du peuple avant sa propre personne. Elle se pr?pare ? mourir sans savoir que c?est une autre Iphig?nie du sang d?H?l?ne ? ?riphile (la fille secr?te d?H?l?ne et Th?s?e qui ignore ses origines et son vrai nom jusqu?? ce qu?ils soient r?v?l?s dans le dernier acte) ? que les dieux condamnent. Et bien qu?elle ne veuille pas mourir non plus, ?riphile n??vite pas le sacrifice quand elle apprend la vraie nature de l?oracle : elle s?offre aux dieux sur l?autel de Diane. Ulysse raconte les derniers moments d??riphile : 72 D?j? pour la saisir Calchas l?ve le bras : ? Arr?te, a-t-elle dit, et ne m?approche pas. Le sang de ces h?ros dont tu me fais descendre Sans tes profanes mains saura bien se r?pandre. ? Furieuse, elle vole, et sur l?autel prochain Prend le sacr? couteau, le plonge dans son sein. ? peine son sang coule et fait rougir la terre, Les dieux font sur l?autel entendre le tonnerre ; Les vents agitent l?air d?heureux fr?missements, Et la mer leur r?pond par ses mugissements ; La rive au loin g?mit, blanchissante d??cume, La flamme du b?cher d?elle-m?me s?allume, Le ciel brille d??clairs, s?entrouvre, et parmi nous Jette une sainte horreur qui nous rassure tous. (V, 6, 1767-1780) En se poignardant, c?est ?riphile, toute seule, qui restaure les vents qui pousseront l?arm?e grecque ? la gloire et c?est elle qui emp?che le crime d?infanticide d?Agamemnon et celui des personnes qui devaient la tuer. Quant ? Agamemnon, ses handicaps assurent qu?il n?est pas glorieux ? la fin. Il n?est certainement pas le grand roi distingu? qu?il voulait ?tre : en fait, Agamemnon n?est qu?un ?tre impuissant. Agamemnon est un personnage qui re?oit de nombreuses opportunit?s de devenir illustre et renomm?, mais qui ne r?ussit jamais ? l??tre ? cause de ses deux handicaps accablants. Son handicap d?ind?cision et son handicap vocal lui retirent deux facult?s essentielles ? la royaut? ? la capacit? de prendre une d?cision et la capacit? de la prononcer ? sans lesquelles Agamemnon ne peut devenir qu?un souverain inefficace. En outre, ses deux handicaps assurent qu?? la fin Agamemnon est facilement oubli? et remplac? et qu?il ne manque ? personne quand il quitte la pi?ce. En cr?ant un roi aussi faible qu?Agamemnon, Racine r?ussit ? montrer ce qui se passe quand un roi ne prend pas ses devoirs royaux ? c?ur. 73 Pour son public, qui habite sous un roi comp?tent, ? such a portrait must [be] shocking, a clear counter-example of how not to be a king ? (Romanowski, ?Sacrifice and Truth? 152). La France a en fait le type de roi que les Grecs esp?rent trouver en Agamemnon. Ils s?attendent ? un roi capable qui met le bien du peuple avant lui-m?me, mais ils sont plut?t pi?g?s avec un roi d?ficient qui ne se comporte jamais d?une mani?re noble, m?me quand la gloire du royaume est menac?e. Il est clair qu?ils ont fait confiance ? la mauvaise personne. Bien qu?Agamemnon soit pris au d?pourvu quand les dieux lui commandent de sacrifier Iphig?nie, et que ce soit une t?che tout ? fait ardue, Agamemnon doit ?tre capable d?agir, quelle que soit la situation. Un roi exemplaire mettrait l??tat avant ses propres d?sirs, m?me quand ce ? quoi s?attend l??tat lui est d?sagr?able et cruel. Mais, Agamemnon n?est pas ce type de roi. ? la fin, il n?est rien d?autre qu?un homme qui dispara?t silencieusement sans courage et sans gloire, un ombre qui ne m?rite jamais le titre du ? roi des rois ?. 74 Chapitre 6 Conclusion Dans les trag?dies d?Andromaque, B?r?nice, Bajazet et Iphig?nie de Racine, les personnages royaux souffrent tous d?handicaps qui ont une grande influence sur leur sort et qui les emp?chent d?accomplir compl?tement leurs devoirs royaux ? c?est-?-dire de mettre l??tat avant eux-m?mes et de penser au bien du peuple. Le roi Pyrrhus d?Andromaque souffre d?un handicap visuel ? caus? par son amour intense pour Andromaque ? qui le m?ne ? vivre dans un monde imaginaire et qui ne lui permet jamais de voir le danger qui l?entoure. ? cause de son handicap, Pyrrhus est incapable de suivre les v?ux des Grecs, qui demandent la mort d?Astyanax, le fils d?Andromaque ? une grave condition qui lui co?te la vie. Dans B?r?nice, l?empereur romain Titus est incapable de renvoyer son amante B?r?nice de Rome ? cause de son handicap vocal qui ne lui permet pas d?articuler les mots qui mettraient fin ? leur relation intime. Son incapacit? de dire adieu ? B?r?nice, ce ? quoi s?attendent les Romains, le m?ne ? ignorer le d?sir de son peuple tout en le transformant en homme ?mascul? quand B?r?nice d?cide elle-m?me de prendre les choses en main en quittant Titus et Rome pour toujours. Les souverains de Bajazet, le sultan Amurat et la sultane Roxane, souffrent respectivement d?handicaps d??go?sme et d?ind?cision et deviennent par cons?quent redout?s et d?test?s par le peuple turc. Amurat ? premi?re vue semble ?tre un cas particulier car son handicap d??go?sme, qui le m?ne ? devenir impitoyable, l?aide ? obtenir ce qu?il d?sire le plus ? le pouvoir absolu. Toutefois, malgr? le succ?s de ses projets, Amurat est en fait un sultan peu glorieux parce qu?il ne s?int?resse qu?? lui-m?me et, ? cause de sa capacit? de tuer ceux qui essaient de l?emp?cher du pouvoir, il est redout? par son peuple. Il ne s?agit donc pas d?un souverain d?sirable. Roxane par contre, ? cause de son handicap 75 d?ind?cision, qui la laisse incapable de choisir ? quel sultan (Amurat ou Bajazet) elle donnera son soutien et son c?ur, est proche de d?truire l?empire parce qu?elle ne se soucie jamais d?autrui. Au d?triment de ceux qui l?entourent, Roxane vise trop haut dans sa recherche du pouvoir masculin, un acte pour lequel elle paie avec sa vie. Finalement, le roi Agamemnon d?Iphig?nie souffre de deux handicaps ? un handicap d?ind?cision et un handicap vocal ? qui le rendent incapable de prendre une d?cision d?finitive sur le sort de sa fille Iphig?nie et de vocaliser le fait qu?il est cens? l?immoler. Puisqu?il ne r?ussit jamais ? accomplir les v?ux de son peuple, qui s?attend au sacrifice d?Iphig?nie, Agamemnon devient un roi faible qui dispara?t ? la fin de la pi?ce ? son peuple ne se tourne plus vers lui. Ces cinq souverains, quels que soient leurs circonstances et leur but ultime, sont, ? cause de leurs handicaps, incapable de penser premi?rement ? l??tat et au bien du peuple ? un des devoirs le plus essentiel d?un monarque : ? [L]e monarque [?] ne peut ni tromper ni agir faussement [?]. Il ne d?sire que le bien de ses sujets : [?] il ferait tout [pour] dispara?tre les injustices et les d?sordres de son royaume ? (Apostolid?s 11). Les personnages royaux raciniens ne peuvent pas emp?cher le d?sordre et les injustices dans leurs royaumes car ce sont eux qui en sont la cause. Au lieu d??tre forts et fiables, ces monarques s?abandonnent ? leurs passions, un acte nuisible que Louis XIV lui-m?me d?conseille ? son fils le dauphin : Je vous avouerai bien qu?un prince dont le C?ur est fortement touch? par l?amour, ?tant aussi toujours pr?venu d?une forte estime pour ce qu?il aime, a peine de go?ter toutes ces pr?cautions. Mais c?est dans les choses difficiles que nous faisons para?tre notre vertu. Et, d?ailleurs, il est certain qu?elles sont d?une n?cessit? absolue et c?est de les avoir observ?es que nous voyons dans l?histoire tant de funestes exemples des maisons ?teintes, des tr?nes renvers?s, des provinces ruin?es, des empires d?truits (cit? dans Greenberg 150). Quand un souverain permet ? ses passions de prendre contr?le de sa vie, l??tat et le peuple souffrent. 76 En plus de l?incapacit? de mettre l??tat avant ses propres d?sirs, les personnages masculins royaux qui souffrent d?handicaps dans les trag?dies raciniennes sont parfois ?mascul?s, un ?tat venant de leur incapacit? de contr?ler leurs ?motions. Cette ?masculation permet aux femmes de devenir plus puissantes, et ces femmes fortes ? Andromaque, B?r?nice, Roxane, Iphig?nie et ?riphile ? r?ussissent ? agir quand les hommes ne peuvent plus : Andromaque et Iphig?nie se pr?parent ? se sacrifier ? un acte accompli en fait par ?riphile ? B?r?nice garde sa d?cision de quitter Titus et Rome et Roxane ordonne la mort de Bajazet. Racine, comme le remarque Goodkin, ? heighten[s] the power of female characters and lessen[s] the power of male heroes [?] ? (24). Il d?montre ce qui se passe quand un souverain est faible et quand il ne contr?le pas ses ?motions : les femmes gagnent du pouvoir. C?est un sujet tr?s pertinent ? l??poque de Racine car Louis XIV, ? cause du fait qu?il a v?cu sous l?influence de sa m?re Anne d?Autriche ? une exp?rience qu?il ne veut jamais conna?tre de nouveau ? croit que les femmes ne doivent avoir ni pouvoir ni l?influence ? la cour, une opinion qu?il ?nonce dans une lettre au dauphin : D?s lors que vous donnez la libert? ? une femme de vous parler des choses importantes, il est impossible qu?elles ne nous fassent faillir. La tendresse que nous avons pour elles, nous faisant go?ter leurs plus mauvaises raisons, nous fait tomber insensiblement du c?t? o? elles penchent ; et la faiblesse qu?elles ont naturellement, leur faisant souvent pr?f?rer des int?r?t de bagatelles aux plus solides consid?rations leur fait presque toujours prendre le mauvais parti. Elles sont ?loquentes dans leurs expressions, pressantes dans leurs pri?res, opini?tres dans leurs sentiments (cit? dans Greenberg 133). Le message de ce discours est clair ? si les hommes veulent garder leur pouvoir et rester sup?rieurs aux femmes, ils doivent absolument apprendre ? vaincre leurs ?motions. En utilisant ces personnages royaux handicap?, Racine r?ussit ? v?n?rer et ? flatter son roi et parrain, Louis XIV. ? l??poque de Racine, c?est le travail du dramaturge de faire r?v?rence au roi soleil, ce qu?explique Apostolid?s : ? [L]orsqu?un auteur compose une 77 ?uvre, c?est un serviteur du plaisirs du roi ? (12). Ce n?est pas au dramaturge de critiquer le roi, mais plut?t de r?v?ler ses bonnes qualit?s. Une comparaison entre les monarques handicap?s chez Racine et Louis XIV montre que Louis XIV a en fait certaines qualit?s d?sirables dans un roi, des qualit?s que les monarques raciniens n?ont pas : Louis XIV est puissant et capable d?accomplir les t?ches essentielles ? un monarque puisqu?il unit ? les droits et les int?r?ts de la nation [?] avec les [s]iens ? (Apostolid?s 13). Louis XIV, dans l?imaginaire de Racine, est un roi exemplaire parce qu?il met le bien de l??tat avant lui-m?me, une action que les souverains handicap?s de Racine ne r?ussissent jamais ? faire. D?apr?s Racine, c?est seulement en sacrifiant ses propres d?sirs et en pensant premi?rement ? l??tat qu?un monarque peut devenir aussi magnanime et majestueux que Louis XIV. La perte de la vie personnelle ? le prix du pouvoir ? n?est pas cependant quelque chose que les monarques raciniens ont l?envie et les moyens de faire. Au lieu d?avoir un avenir aussi prometteur et glorieux que Louis XIV, ces souverains sont impuissants, m?pris?s par leur peuple et d?shonor?s ? cause de leurs actions ?go?stes. Alors que Louis XIV continue d??tre v?n?r? (quand on pense ? lui, on imagine le roi soleil, un tacticien habile et celui qui a fait construire le Ch?teau de Versailles), les personnages royaux handicap?s chez Racine restent ?ternellement ignominieux, incapables de gagner le soutien de leur peuple et tourment?s par une vie pleine d?erreurs. L?handicap du monarque racinien tout en ajoutant ? la tension dramatique de la pi?ce offre une morale int?ressante ? Racine montre au public fran?ais qu?ils doivent se penser chanceux d?avoir un roi comme Louis XIV, quelqu?un qui n?h?site jamais ? remplir compl?tement son r?le du monarque et qui met toujours l??tat en premier. 78 Bibliography Ahmed, Ehsan. ?L??tat, c?est l?autre: Passion, Politics, and Alterity in Senault and Racine.? The Romantic Review 93.3 (2002): 275-93. ---. ?Racine?s Agamemnon: The Problem of Voice in Iphig?nie.? Romanic Review 79.4 (1988): 574-84. Apostolid?s, Jean-Marie. Le roi-machine : Spectacle et politique du temps de Louis XIV. 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